Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1227/2024 du 13.12.2024 ( LVD ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 13 décembre 2024
|
dans la cause
Monsieur A______
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
Madame B______
1. Par décision du 11 décembre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de son épouse, Madame B______, sise ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de cette dernière, jusqu'au 23 décembre 2024 à 17h00.
2. Selon cette décision, M. A______ aurait, le 10 décembre 2024, au domicile conjugal, menacé de mort et injurié son épouse et cassé son téléphone portable en le jetant par terre. Depuis 2019, il aurait menacé de frapper son épouse, à plusieurs reprises, et l'aurait également injuriée.
3. Mme B______ a déposé plainte pénale à l'encontre de son époux le 11 décembre 2024. Selon ses déclarations, son époux ne l'avait jamais frappée. Lors d'une dispute en 2019, il avait menacé de la frapper, sans qu'elle ne se souvienne des mots utilisés. Il en avait fait de même lors d'une dispute en 2022, lors de laquelle il l'avait également injuriée. La veille, il avait saisi son téléphone portable et l'avait jeté à terre, ce qui l'avait endommagé. Il l'avait menacée en mimant le geste de la frapper avec le téléphone, lui avait dit qu'il allait la tuer et se suicider ensuite. Elle souhaitait une séparation.
4. Auditionné par la police le même jour, M. A______ a admis s'être saisi du téléphone portable de son épouse, la veille, et l'avoir lancé contre le radiateur, ce qui l'avait fissuré. Il a nié toutes menaces ou injures.
5. M. A______ a immédiatement fait opposition à la décision d'éloignement auprès du commissaire de police, lequel l'a transmise au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), par acte reçu le 12 décembre 2024.
6. A l'audience du 13 décembre 2024 devant le tribunal, Mme B______ a déclaré que son époux ne l'avait jamais menacée ni injuriée, ni en 2019 ni en 2022. Elle n'avait jamais dit à la police qu'il avait menacé de la frapper. En 2022, il s'agissait d'une petite dispute familiale. Le 10 décembre 2024, son mari était fâché lorsqu'il avait vu des messages de son cousin. Il avait voulu jeter le téléphone portable sur la chaise pour ensuite se raviser et le jeter sur le radiateur. Il n'avait pas fait mine de la frapper avec le téléphone. Il était ensuite tellement fâché qu'il lui avait dit que si elle commettait encore une faute comme ça, il la tuerait et ensuite se suiciderait. Ils avaient reparlé de ces mots le soir et son époux l'avait assuré qu'il ne s'agissait que de mots et qu'il ne pourrait même pas tuer une fourmi. C'est vrai qu'elle était allée à la police le lendemain, mais elle s'y était rendue pour demander conseils. Elle ne souhaitait pas se séparer de son époux. En réalité, c'était l'agent de police qui le lui avait conseillé. Elle avait ensuite réfléchi et ce n'était pas ce qu'elle voulait. Sur question de Présidente, bien sûr qu'elle avait discuté avec son époux sur ce qu'il fallait dire à l'audience. Ils s'étaient mis d'accord. Elle avait réfléchi et s'était dit que si elle se séparait de son époux, l'impact serait trop négatif. Elle ne connaissait personne en Suisse, était seule et ne voulait pas se séparer de son fils ni de son époux. Lorsque de la dispute du 10 décembre 2024, leur fils dormait. Malgré la mesure d'éloignement, son époux était resté à la maison. Elle était d'accord avec cela, c'est d'ailleurs ce qu'elle avait dit à la police.
M. A______ a expliqué que s'il n'avait pas respecté la mesure d'éloignement, c'était car il ne savait pas où dormir et qu'ils s'étaient mis d'accord avec son épouse. Il comptait appeler VIRES à l'issue de l'audience. Il n'avait jamais menacé de sa vie quelqu'un et encore moins sa femme. La menace ne faisait pas partie de son comportement. Il n'avait jamais injurié son épouse. Le 10 décembre 2024, il avait effectivement jeté le téléphone portable de son épouse sur le fauteuil mais celui-ci avait glissé et atterri sur le radiateur. Il contestait avoir dit à son épouse qu'il allait la tuer et ensuite se suicider. Peut-être avait-t-elle mal entendu. Jusqu'alors sa vie de couple était géniale, sa vie de famille heureuse et il souhaitait que cela se poursuive. Il n'avait jamais dit à sa femme ce qu'elle devait dire aujourd'hui. En tant que chef de famille, il avait le droit de discuter avec sa femme des choses qui pourraient menacer leur vie de couple et de famille. Il croyait à l'égalité entre homme et femme et à la liberté. Il avait toujours dit à son épouse que si elle pensait que sa liberté était menacée, ils pouvaient se séparer.
Le représentant du commissaire de police a conclu à la confirmation de la décision.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.
3. La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
4. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
5. En l'espèce, malgré le revirement de Mme B______ lors de l'audience de ce jour, le dossier transmis par l'officier de police et les déclarations des parties permettent sans conteste de retenir la survenance de violences domestiques, à tout le moins sous la forme de menace de mort et de suicide, lors de la dispute du 10 décembre 2024. À cet égard, le tribunal retiendra que les premières déclarations de Mme B______ sont crédibles et qu'elles ont plus de poids que celles survenues lors de l'audience de ce jour, après discussion avec son époux. Quant aux déclarations de ce dernier, elles n'emportent pas conviction.
6. Par conséquent et étant rappelé que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur, le tribunal confirmera, en l'espèce, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de M. A______ jusqu'au 23 décembre 2024 à 17h00.
7. Partant, l'opposition à la mesure sera donc rejetée.
8. Il sera rappelé à M. A______ qu'il est toujours tenu de prendre contact et de convenir d'un entretien avec une institution habilitée à recevoir les auteurs présumés de violence domestique, puis de se présenter à cet entretien (art. 10 al. 1 et 2 LVD).
9. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
10. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable l'opposition formée le 11 décembre 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 11 décembre 2024 jusqu'au 23 décembre 2024 à 17h00 ;
2. la rejette ;
3. dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
5. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le 13 décembre 2024 |
| Le greffier |