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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/756/2024

JTAPI/1162/2024 du 25.11.2024 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : IMPÔT SUR LA FORTUNE;CRÉANCE;INSOLVABILITÉ
Normes : LIPP.47; LIPP.49.al1; LIPP.64.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/756/2024 ICC

JTAPI/1162/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 25 novembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Dans sa déclaration fiscale 2021, déposée en septembre 2022, Madame A______ a notamment déclaré sa créance envers Monsieur B______, estimant qu’elle valait CHF 1.-. Elle a joint la convention de prêt y relative, datée du 31 décembre 2021, et son avenant du 30 juin 2022.

2.             Par bordereau du 15 mars 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a imposé cette créance à hauteur de CHF 1'640'000.-, soit le montant du prêt indiqué dans la convention précitée.

3.             Par réclamation du 6 avril 2023, la contribuable a fait valoir avoir été victime, tout comme M. B______, d'une escroquerie de Monsieur C______, domicilié au Cameroun. Ainsi, elle ne récupèrerait probablement jamais son argent, malgré la plainte pénale que M. B______ avait déposée auprès de la police contre M. C______. Elle demandait que son prêt à ce premier soit considéré comme valant CHF 1.-. En annexe, elle a remis une attestation du dépôt de la plainte du 20 octobre 2022.

4.             Le 30 août 2023, l'AFC-GE a demandé à la contribuable de lui remettre l’acte de défaut de biens de M. B______.

5.             Le 3 octobre 2023, la contribuable a répondu à l'AFC-GE ne pas disposer d'acte de défaut de biens requis, car elle avait « évité les frais de poursuites » inutiles, M. B______ étant insolvable. Elle a produit trois avis de participation de l'Etat de Genève à la saisie des biens de M. B______, exécutée le 3 décembre 2021.

6.             En octobre 2023, la contribuable a remis à l'AFC-GE un acte de défaut de biens de M. B______ envers l'Etat de Genève, daté du 29 septembre 2023.

7.             Le 13 décembre 2023, l'AFC-GE a demandé à la contribuable de lui fournir un acte de défaut de biens de M. B______ envers elle-même.

8.             Le 14 janvier 2024, la contribuable a expliqué ne pas avoir d'acte de défaut de biens en sa faveur, car elle n'avait pas eu les moyens financiers d'engager des poursuites, qui s’avéraient « inutiles actuellement au vu des circonstances », ces procédures étant couteuses.

9.             Par courrier du 25 janvier 2024, l'AFC-GE a invité la contribuable à la contacter par téléphone, afin d’obtenir des « informations complémentaires ».

10.         Par décision du 6 février 2024, l'AFC-GE a rejeté la réclamation.

La créance que la contribuable détenait envers M. B______ n'apparaissait pas comme définitivement perdue. En effet, quand bien même ce dernier avait déposé une plainte pour escroquerie contre M. C______, il s'était engagé à rembourser la contribuable « dans la mesure de ses moyens ».

11.         Le 7 février 2024, la contribuable a remis à l'AFC-GE une attestation de sa réquisition de poursuite contre M. B______, datée du 6 février 2024 et portant sur un « prêt du 31.12.2021 de CHF 1'640'000.- avec une échéance au 31.12.2022 non remboursé ».

12.         Le 2 mars 2024, la contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre la décision sur réclamation du 6 février 2024, conclut à ce que la valeur de sa créance envers M. B______ soit fixée à CHF 1.-, ce dernier étant insolvable.

Le prêt avait été consenti pour « la légalisation et la vente » d’une collection de « pièces africaines », propriété de M. B______. « L’acheteur ayant fait défaut », il s’était avéré qu’il s’agissait d’une « escroquerie ». M. B______ étant dans l’impossibilité de la rembourser, « le remboursement du prêt a été suspendu tout en réservant un remboursement en cas de retour à meilleur fortune selon l’avenant n° 1 » (sic). M. B______ était devenu insolvable suite à cette escroquerie.

13.         Le 19 mars 2024, la recourante a remis au tribunal une copie du commandement de payer que l’office de poursuite avait notifié à M. B______, le 11 mars précédent, afin qu’il lui rembourse sa créance de CHF 1'640'000.-. Ce dernier n’a pas fait opposition à ce commandement de payer.

14.         Le 6 mai 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Les pièces versées au dossier indiquaient certes des difficultés financières de M. B______, mais cela ne signifiait toutefois pas que ce dernier se trouvait dans une incapacité totale et durable de rembourser sa dette à la recourante en date du 31 décembre 2021. Au contraire, M. B______ avait reçu la somme de CHF 1'640'000.- en 2021 et n'avait pas encore été victime d'une escroquerie cette année-là. La recourante n'avait d'ailleurs entamé aucune procédure lors de cette année pour recouvrir sa créance.

15.         Dans sa réplique du 3 juin 2024, la recourante a notamment exposé avoir consenti « en 2021 » un prêt à M. B______, que celui-ci avait « réalisé », le 18 novembre 2021, avoir été victime d’une escroquerie et qu’il avait ensuite déposé une plante sur le « site d’Interpol » à D______(France), mais qu’il n’avait pas eu « de copie de sa plainte ni de confirmation de la police ». Elle a maintenu ses conclusions.

16.         Par duplique du 8 août 2024, l'AFC-GE a campé sur sa position, objectant que la recourante n’avait pas démontré que l’escroquerie alléguée avait eu lieu en novembre 2021, ni que M. B______ avait déposé une plainte à D______(France). En tout état, ces éléments n’auraient pas permis de démontrer que ce dernier se trouvait, en date du 31 décembre 2021, dans une incapacité totale et durable de rembourser sa dette.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l’art. 49 LPFisc.

3.             La recourante conteste l'imposition, au titre de la fortune, de sa créance de CHF 1'640'000.-.

4.             Selon l’art. 46 la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), l’impôt sur la fortune a pour objet l’ensemble de la fortune nette, après déductions sociales. L’état de la fortune mobilière et immobilière est établi au 31 décembre de l’année pour laquelle l’impôt est dû (al. 1). La fortune est estimée en général à la valeur vénale (al. 2). Sont notamment soumises à l’impôt sur la fortune, les créances hypothécaires et chirographaires (art. 47 let. b et e LIPP).

5.             L'état de la fortune mobilière et immobilière est établi au 31 décembre de l'année pour laquelle l'impôt est dû (art. 49 al. 1 et 64 al. 1 LIPP).

6.             Les critères posés par la jurisprudence pour juger de la difficulté de recouvrer une créance sont restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable. La perte est certaine lorsque le contribuable démontre qu’il a mis en œuvre les procédures et démarches que l’on peut raisonnablement attendre d’un créancier ou d’un porteur de droit à l’égard de son bien. Les pertes sur créances deviennent effectives au moment où l'insolvabilité est constatée officiellement par un acte de défaut de biens (ATA/1023/2024 du 27 août 2024 consid. 2.3.1 et les arrêts cités).

L’insolvabilité est une notion de droit fédéral. Le débiteur est insolvable lorsqu’il ne dispose pas de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles. L’insolvabilité suppose que le débiteur se trouve dans une incapacité durable de faire face à ses engagements. S’agissant de l’insolvabilité, la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice a posé des critères restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable (ATA/103/2024 du 30 janvier 2024 consid. 3.2 et les arrêts cités).

Il y a insolvabilité notamment en cas de faillite, concordat ou saisie infructueuse (ATA/1387/2023 du 21 décembre 2023 consid. 3.5 les références citées).

En revanche, la remise au poursuivant d'un procès-verbal de saisie valant acte de défaut de biens provisoire ne constate pas à titre définitif l'insolvabilité du poursuivi (ATA/758/2004 du 28 septembre 2004 ; JTAPI/351/2017 du 3 avril 2017 consid. 16).

7.             En matière fiscale, il appartient au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération (ATF 146 II 6 consid. 4.2 et les références; 144 II 427 consid. 8.3.1; 140 II 248 consid. 3.5; 133 II 153 consid. 4.3). Ces règles s'appliquent également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 133 II 153 consid. 4.3).

8.             En l’espèce, la recourante n’a fourni aucun document démontrant que M. B______ aurait été insolvable au 31 décembre 2021 et que, à cette date déjà, sa créance n’aurait pas pu être recouvrée. Au contraire, à teneur du contrat de prêt y relatif, c’est précisément à cette date qu’elle lui a prêté une somme de CHF 1'640'000.-, étant relevé que son allégation qu’elle l’aurait fait antérieurement à la signature de cet acte ne repose sur aucune preuve concrète. Il apparait d’ailleurs surprenant qu’elle ait pu signer ce contrat le 31 décembre 2021 sans aucune réserve, si, comme elle l’allègue, son débiteur était insolvable à cette date déjà.

Par ailleurs, à supposer que la créance litigieuse soit effectivement devenue irrécouvrable après le 31 décembre 2021, ce qu’il incombera à la recourante de démontrer, elle pourra le faire valoir dans les taxations futures, et non dans celle pour l’année fiscale 2021.

Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que l'AFC-GE a imposé la créance de CHF 1'640'000.- en 2021.

9.             Partant, le recours sera rejeté.

10.         En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 2 mars 2024 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 6 février 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier