Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1053/2024 du 28.10.2024 ( ICCIFD ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 28 octobre 2024
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dans la cause
Madame A______ et Monsieur B______
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS
1. Dans leur déclaration fiscale 2022, Madame A______ et Monsieur B______ ont requis une charge de famille pour leur fille C______ et une déduction de CHF 11'291.- à titre de frais liés à son handicap, précisant que cette somme correspondait aux frais de sa scolarisation dans une école privée et produisant un « bilan neuropsychologiques » établit le 28 septembre 2021 par D______, selon lequel C______ était atteinte d’un « trouble d'attention avec hyperactivité » (ci-après : TDAH) et devait être « prise en charge en logopédie ».
2. Par demande du 6 juillet 2023, puis rappel du 21 août suivant, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a demandé aux contribuables de lui remettre une attestation de l’office médico-pédagogique (ci-après : OMP) certifiant que la fréquentation d’une école privée était la seule mesure possible à la scolarisation « convenable et nécessaire » pour leur fille C______.
3. Par pli du 1er novembre 2023, les contribuables ont remis à l'AFC-GE plusieurs documents médicaux, dont il ressortait que C______ était attente du TDAH. Ils ont joint une décision du service de la pédagogie spécialisée, qui prenait en charges les coûts de deux séances de logopédie par semaine durant la période du 11 octobre 2021 au 10 octobre 2023. Selon eux, ces documents confirmaient que leur fille ne pouvait pas fréquenter une école publique. Ils sollicitaient que les frais d’écolage dans une école privée soient admis en déduction.
4. Par bordereaux du 10 janvier 2024, l'AFC-GE a refusé cette déduction, au motif que les frais d’une école privée ne pouvaient en l’occurrence être considérés comme des frais liés à un handicap.
5. Par réclamation du 30 janvier 2024, les contribuables ont contesté ce refus. Ils ont produit une décision de l’OCAS du 9 novembre 2023, selon laquelle les frais de traitement de « l’infirmité congénitale » TDAH de C______ (notamment les consultations pédopsychiatriques et le traitement médicamenteux) étaient pris en charge par cet office durant la période du 25 juillet 2022 au 31 mai 2035.
6. Par décisions du 13 février 2024, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation.
Conformément à la circulaire n° 11 de l'administration fédérale des contributions (intitulée « Déductibilité des frais de maladie et d’accident et des frais liés à un handicap » ; ci-après : la circulaire n° 11), les frais liés à la fréquentation d'une école privée étaient déductibles si l'OMP attestait que la fréquentation d'une telle école était la seule mesure possible à la scolarisation convenable et nécessaire d’un enfant handicapé. En l’occurrence, faute d’une telle attestation, le montant de CHF 11'291.-, relatif à l'école privée, ne pouvait pas être déduit à titre de frais liés à un handicap.
7. Par acte du 12 mars 2024, les contribuables ont recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant implicitement à leur annulation.
Leur fille C______ étant atteinte de TDAH, ils avaient dû l’inscrire dans une école privée, car elle se trouvait « en grandes difficultés pour suivre un cursus normal ».
Ils ont notamment produit une attestation médicale, datée du 4 mars 2024 et signée par une spécialiste FMH en pédiatrie, indiquant qu’« en raison des difficultés occasionnées par [TDAH], la fréquentation d’école privée a été la seule mesure possible à une scolarisation convenable de C______ ».
Ils ont par ailleurs joint un second « bilan neuropsychologique » de C______, établit le 2 octobre 2023 également par D______.
8. Le 14 mai 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.
Elle ne contestait pas que la fille des recourants souffrait d'un handicap. Cependant, ces derniers n’avaient pas fourni d'attestation de l'OMP, certifiant que la fréquentation d'une école privée était la seule mesure possible à la scolarisation convenable et nécessaire de leur enfant, ni de questionnaire médical au sens de la circulaire n° 11.
De plus, les deux bilans neuropsychologiques qu’ils avaient produits préconisaient divers aménagements applicables à l'école et à la maison, mais ne mentionnaient pas l'obligation d'une prise en charge de C______ dans une école privée. Ils avaient par ailleurs indiqué l’avoir inscrite dans l'école privée
______ en raison de sa déficience. Rien n'indiquait toutefois que cette école serait spécialisée pour accompagner les enfants souffrant de TDAH.
9. Invités par le tribunal à le faire, les recourants n’ont pas déposé de réplique.
1. Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.
3. Aux termes des art. 33 al. 1 let. hbis LIFD et 32 let. c de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), le contribuable peut défalquer de son revenu les frais liés à son handicap ou de celui d'une personne à l'entretien de laquelle il subvient, lorsque le contribuable ou cette personne est handicapé au sens de la loi fédérale sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées du 13 décembre 2002 (LHand - RS 151.3) et que le contribuable supporte lui-même les frais.
La déduction au sens de l’art. 33 al. 1 let. hbis LIFD n’est possible que pour les dépenses effectives et à charge du contribuable, soit non assumées par les assurances, privées ou sociales (Yves NOËL/Bastion VERREY in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Impôt fédéral direct, Commentaire de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2017, n. 88 ad art. 33 LIFD).
4. La circulaire n° 11 (p. 6 s, n° 4.1) précise qu’une personne handicapée est une personne qui souffre d’une déficience corporelle, mentale ou psychique présumée durable, de sorte qu’elle ne peut pas ou a des difficultés à accomplir les actes de la vie quotidienne, à entretenir des contacts sociaux, à se mouvoir, à se former, à se perfectionner ou à exercer une activité professionnelle. La déficience est durable lorsqu’elle empêche ou gêne depuis au moins un an l’exercice desdites activités ou qu’elle les empêchera ou les gênera vraisemblablement pendant au moins un an. L’entrave aux actes de la vie quotidienne, à la vie sociale, à la formation, au perfectionnement et à l’activité professionnelle doit être provoquée par la déficience corporelle, mentale ou psychique elle-même (lien de cause à effet).
Les frais sont liés à un handicap lorsqu’ils sont occasionnés (lien de cause à effet) par un handicap tel que le définit le chiffre 4.1 ci-dessus et qu’ils ne constituent ni des frais d’entretien courant, ni des dépenses somptuaires. Les dépenses engagées par simple souci de confort personnel ou excessivement élevées qui excèdent ce qui est usuel et nécessaire ne sont pas déductibles (circulaire n° 11, p. 7 n° 4.2).
Le surcoût résultant de la fréquentation d'une école privée n'est en général pas déductible. Il ne peut être considéré comme frais liés à un handicap que si un rapport du service cantonal de psychologie scolaire atteste que la fréquentation d'une école privée est la seule mesure possible à la scolarisation convenable et nécessaire d'un enfant handicapé (circulaire n° 11, p. 10 n° 4.3.10).
5. En tant qu'ordonnance administrative, la circulaire n° 11 n'est pas juridiquement contraignante pour les tribunaux. Toutefois, le Tribunal fédéral ne s'écarte pas sans raison valable d'une ordonnance administrative légale, pour autant qu'elle permette une interprétation des dispositions légales applicables adaptée et équitable au cas d'espèce et qu'elle contienne une concrétisation convaincante des exigences légales (cf. ATF 145 V 84 consid. 6.1.1 ; 142 V 442 consid. 5.2).
6. Selon la jurisprudence, qui se réfère notamment à la circulaire n° 11, pour être déductibles, les frais doivent être la conséquence directe du handicap au sens de l'art. 2 al. 1 LHand (arrêts du Tribunal fédéral 9C_635/2022 du 31 janvier 2023 consid. 22.1 et 22.2 ; 2C_ 479/2016 du 12 janvier 2017. consid. 3.4). Ils ne doivent en outre pas constituer des frais d'entretien courant, ni des dépenses somptuaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_635/2022 précité consid. 2.2.2 ; ATA/667/2023 du 20 juin 2023 consid. 34).
En particulier, le Tribunal fédéral a jugé qu'il y avait un handicap au sens de l'art. 2 al. 1 LHand lorsque l'enseignement dans l'école ordinaire n'était pas possible (arrêts 2C_930/2011 du 1er mai 2012 consid. 3.3 ; 2C_588/2011 du 16 décembre 2011 consid. 3.3). Dans ce dernier arrêt, il a considéré, en se référant à la circulaire n° 11, que pour obtenir la déduction des frais liés à la fréquentation d'une école privée, il fallait respecter les deux conditions cumulatives suivantes : les frais d'une école privée doivent apparaitre comme nécessaires (respect du principe de causalité) et il doit s'agir de la seule mesure possible. Pour le Tribunal fédéral, cette deuxième condition était trop restrictive, car elle excluait d'autres mesures équivalentes. Il convenait donc d'examiner, au cas par cas, si une autre disposition, moins coûteuse ou plus étendue, n'aboutirait pas également. Dans ce contexte, il devait être possible pour l'assujetti d'en apporter la preuve par un rapport d'expertise, lorsqu'un rapport du service de psychologie scolaire n'était pas disponible. Il convenait d'approuver ces explications, d'autant plus qu'il s'agissait du principe de la libre appréciation (par le juge) des preuves (consid. 3.4 et la référence).
7. En matière fiscale, le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. Il lui appartient non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/1239/2021 du 1er novembre 2021 consid. 5a ; ATA/1223/2020 du 1er décembre 2020 consid. 3c).
En matière de frais liés à un handicap, en particulier, la circulaire n° 11 précise que le contribuable doit établir la preuve des frais dont il se prévaut, pour lui-même ou une personne à sa charge (p. 12, n° 6).
8. En l’espèce, l’autorité intimée n’a pas remis en cause la qualification de l’enfant C______ en tant que personne handicapée, ni le principe de sa scolarisation dans une école privée. Ainsi, il ne dépendait que des recourants de produire l’attestation de l’OMP confirmant la nécessité d’une telle scolarisation, ce qu’ils n’ont pas fait, en dépit de deux demandes expresses de l'AFC-GE. L’attestation médicale du 4 mars 2024, très succincte et établie par une seule spécialiste en pédiatrie, ne saurait être considérée comme un « rapport d'expertise », au sens de la jurisprudence susmentionnée, ni comme un « rapport du service cantonal de psychologie scolaire », au sens de la circulaire n° 11. Quant aux bilans neuropsychologiques des 28 septembre 2021 et 2 octobre 2023, ils n'indiquent pas que l'inscription de C______ dans une école privée serait la mesure nécessaire à sa scolarisation adéquate. Ils se limitent en effet à préconiser des aménagements appropriés à l'école et à la maison, sans mentionner la nécessité d’une scolarisation dans une école privée.
9. Partant, le recours sera rejeté.
10. En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 12 mars 2024 par Madame A______ et Monsieur B______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 13 février 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Caroline GOETTE et Stéphane TANNER, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| Le greffier |