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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/940/2024

JTAPI/1046/2024 du 28.10.2024 ( OCIRT ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;PRIORITÉ(CIRCULATION)
Normes : Cst; LEI.21.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/940/2024

JTAPI/1046/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 octobre 2024

 

dans la cause

 

A______ Sàrl

 

contre

 

OFFICE CANTONAL DE L’INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 


EN FAIT

1.             A______ Sàrl, inscrite au registre du commerce genevois le ______ 2022, est active dans le négoce et les opérations commerciales, notamment dans le domaine des équipements médicaux, des consommables, des vitamines et des compléments alimentaires.

2.             Le 26 décembre 2023, elle a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d’autorisation de séjour et de travail en faveur de Monsieur B______, ressortissant du Kazakhstan, né le ______ 1972.

Elle faisait partie d’un groupe de sociétés familiales. Sa société sœur, C______, fondée en 2003, était une entreprise pharmaceutique kazakh spécialisée dans la production et la vente en gros et au détail de dispositifs médicaux au Kazakhstan. En 2022, leur propriétaire avait décidé d’entrer dans les marchés suisse et européen et également d’importer des produits suisses sur le marché kazakh. Elle avait ainsi été créé et les premiers contrats d’import-export de produits pharmaceutiques et de dispositifs médicaux avaient été conclus. En 2023, elle avait engagé une spécialiste en business développement à 80% et un poste d’assistant de direction était prévu courant 2024. Elle devait pourvoir le poste de Chief Operating Officer (ci-après : COO). Le candidat devait être expérimenté dans la gestion opérationnelle et stratégique d’une entreprise active dans le domaine de la pharma et des dispositifs médicaux (dans la production et la distribution) et devait connaître les marchés et les cultures post-soviétiques et asiatiques ainsi que les procédures de certification des produits/dispositifs médicaux en Suisse et au Kazakhstan.

Elle avait commencé à chercher une personne pour occuper ce poste il y avait de nombreux mois, au travers des réseaux professionnels qui permettaient de trouver du personnel fiable pour ce niveau de responsabilités. Ces recherches n’ayant pas abouti, elle avait procédé à une annonce sur la plateforme JobUp, mais n’avait pas reçu de candidatures correspondant aux exigences. Elle avait également publié une annonce auprès de l’office régional de placement (ci-après : ORP). Il avait alors été décidé de considérer la candidature de M. B______ qui avait été pendant
dix-sept ans le Chief Executive Officier d’C______. Sa formation répondait parfaitement aux besoins du poste et il était extrêmement qualifié, expérimenté, motivé et intéressé. Son salaire annuel (CHF 108’000.- plus un bonus selon les performances) et ses conditions de travail étaient conformes au marché. Il disposait déjà d’un logement convenable à D______. Il s’occuperait du développement du marché suisse et de l’établissement des relations durables pour l’import-export des produits pharmaceutiques et des équipements médicaux principalement entre la Suisse et le Kazakhstan, mais aussi les pays de l’Union européenne (ci-après : UE) et la Chine.

Elle a notamment produit copie du contrat de travail du 18 décembre 2023 de M. B______, des preuves quant à ses recherches de candidats ainsi que son bilan 2022.

3.             Le 16 janvier 2024, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail
(ci-après : OCIRT), à qui le dossier avait été transmis pour raison de compétence, a requis d’A______ Sàrl qu’elle produise le formulaire M dûment rempli, le plan d’affaires sur ses activités, son financement et ses projets de développement à Genève, incluant des prévisions chiffrées et détaillées sur trois ans en termes de recrutements, chiffre d’affaires, charges (notamment masse salariale), impôts et bénéfice, le nouveau contrat de travail signé par les parties avec réévaluation du salaire sur la base du calculateur national de salaire, avec la production de l’extrait du résultant, et l’effectif du personnel à la date de la requête.

4.             A______ Sàrl a répondu à cette demande de renseignements et a ainsi transmis le formulaire M, le contrat de travail modifié (le salaire pour un taux d’activité à 100% s’élevait désormais à CHF 130’800.- plus bonus), la réévaluation du salaire et le business plan de décembre 2023.

5.             Le 25 janvier 2024, l’OCIRT a relevé une divergence entre le nombre d’heures de travail stipulé dans le contrat de travail modifié (40 heures) et le résultat de l’extrait du calculateur de salaire (45 heures). Elle a prié A______ Sàrl de clarifier ce point.

6.             Le 30 janvier 2024, A______ Sàrl a répondu que le contrat de travail modifié était entaché d’une erreur de frappe, la durée du temps de travail étant de 45 heures pour tous ses employés.

7.             Par décision du 15 février 2024, après examen du dossier par la commission tripartite, l’OCIRT a refusé de délivrer une autorisation de séjour à l’année avec activité lucrative en faveur de M. B______ et a retourné le dossier de ce dernier à l’OCPM.

L’admission en vue de l’exercice d’une activé lucrative ne servait pas les intérêts économiques de la Suisse selon l’art. 18 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). De plus, l’ordre de priorité de l’art. 21 LEI n’avait pas été respecté, A______ Sàrl n’ayant pas démontré qu’aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d’un pays de l’UE et de l’association européenne de libre-échange (ci-après : AELE) n’avait pu être trouvé.

8.             Par acte du 15 mars 2024, A______ SARL a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation et à l’octroi d’une autorisation de séjour en faveur de M. B______, sous suite de frais et dépens.

Elle avait déjà conclu ou était en cours de finaliser un certain nombre de contrats d’import-export pour des équipements médicaux, des consommables et des produits dérivés pour un montant total de plus de CHF 12 millions. Elle représentait donc un intérêt économique pour le canton de Genève vu ces contrats et surtout dans le contexte des relations économiques entre la Suisse et le Kazakhstan. Elle employait deux personnes, mais avait besoin, pour assurer la réalisation de ces projets et leur pérennité, d’un COO connaissant le marché des équipements et des consommables médicaux ainsi que les marchés et les « business mentalités » des pays asiatique et surtout kazakh. Afin de pourvoir ce poste, elle avait publié diverses annonces sur des réseaux sociaux, des plateformes d’emploi et l’ORP ainsi que dans la presse romande visant non seulement le marché de travail suisse mais aussi européen. Elle avait reçu sept candidatures qui ne remplissaient pas les critères de recrutement fixés. N’ayant pas trouvé de candidats suisse ni au sein de l’UE, elle avait eu la chance de recevoir la candidature de M. B______, qui correspondait tout à fait au profil recherché. Elle avait néanmoins continué de chercher d’autres candidats, mais en vain jusqu’à présent. Un contrat de travail subordonné à l’obtention d’une autorisation de travail en Suisse avait donc été conclu en date de 18 décembre 2023 avec le précité, qui avait une formation supérieure et l’équivalent du diplôme de Master et qui disposait d’une expérience professionnelle de plus vingt ans dans la gestion d’entreprise, dont dix-sept ans au sein d’C______.

La décision entreprise violait le droit d’être entendu, M. B______ n’ayant pas été en mesure de se prononcer sur les éléments retenus par l’OCIRT avant que la décision de refus ne soit notifiée.

En considérant que les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour et de travail n’étaient pas réunies, cette décision violait aussi l’art. 18 LEI. L’engagement de M. B______, qui bénéficiait d’un carnet d’adresse non négligeable, servait les intérêts économiques de la Suisse dans la mesure où sa présence permettrait de développer et finaliser un grand nombre de contrats internationaux et d’assurer la pérennité et la réalisation des contrats en cours, d’ailleurs conclu à l’aide de ses recommandations. Cela permettrait de contribuer à l’attractivité internationale de la Suisse dans le domaine des dispositifs et équipements médicaux et des produits dérivés. La décision entreprise ne justifiait par ailleurs pas son refus au motif que le quota d’autorisation maximale serait dépassé. Malgré les nombreuses recherches via notamment les plateformes d’annonces JobUp, JobCloud, ORP et par le biais de journaux de la place genevoise ainsi que par le biais d’annonces sur des réseaux sociaux notamment Linkedin, les candidatures parvenues n’avaient pas retenu son attention puisque ces dossiers ne correspondaient pas à ses besoins. C’était donc à titre subsidiaire qu’elle avait retenu le profil de M. B______ qui possédait un permis de séjour français actuellement en cours de prolongation. L’ordre de priorité avait donc été respecté. Au surplus, le contrat de travail était conforme au marché du travail dans la branche concernée, étant souligné que M. B______ devait être considéré comme un spécialiste voire à tout le moins comme un travailleur qualifié.

L’OCIRT avait violé l’art. 96 LEI faute d’avoir dûment pris en compte l’ensemble des éléments. La décision entreprise ne respectait pas le principe de la proportionnalité en refusant purement et simplement la demande du 26 décembre 2023.

Enfin, M. B______ s’était vu notifier une décision de refus d’autorisation de séjour et de travail sur la base de la seule demande du 26 décembre 2023. L’OCIRT s’était donc limité à instruire le dossier sur cette base, sans effectuer d’autres mesures d’instruction, notamment quant à sa qualification professionnelle. C’était donc arbitrairement que l’OCIRT avait refusé l’admission de M. B______.

9.             La recourante a produit des nouvelles pièces à l’appui de ses allégations, à savoir une annonce sur Linkedin ainsi que l’annonce sur la plateforme JobUp du 28 février 2024, le courriel de l’office cantonal de l’emploi (ci-après: OCE) du 17 décembre 2023 confirmant l’enregistrement du poste ainsi que le descriptif de l’emploi publié sur son site, une annonce sur la plateforme JopUp avec la date de publication du 15 mars 2024 correspondant à la date d’impression de l’annonce, l’annonce publiée sur JobCloud avec la date de publication (8 mars 2024), la confirmation de la commande du 4 mars 2024 concernant la publication de deux annonces avec les dates des 7 et 14 mars 2024 dans la Tribune de Genève/24Heures Emploi, les divers dossiers de candidatures reçus et l’attestation de prolongation d’instruction d’une demande de renouvellement de titre de séjour français de M. B______.

10.         Dans ses observations du 21 mai 2024, l’OCIRT a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée, sous suite de frais.

Il n’y avait pas eu de violation du droit d’être entendu. La décision entreprise exposait clairement les raisons du refus de l’autorisation sollicitée ainsi que la base légale applicable, permettant ainsi à la recourante de l’attaquer utilement s’il y avait lieu. La recourante avait par ailleurs pu faire valoir tous les griefs utiles dans son recours. De plus, elle se devait de déposer une demande complète et de fournir sans retard les moyens de preuve nécessaires afin qu’une décision puisse être prise en toute connaissance de cause. À cet égard, il avait requis, le 16 janvier 2024, diverses pièces complémentaires, puis avait demandé une clarification concernant le nombre d’heures de travail hebdomadaire. La recourante avait pleinement eu la possibilité d’ajouter des informations supplémentaires tout au long de la procédure, en sus des renseignements demandés. Considérant le dossier complet, il ne devait pas l’interpeller d’avantage ni lui accorder un délai pour se prononcer sur les éléments en sa possession.

La recourante n’avait pas respecté l’ordre de priorité. Elle avait reçu la confirmation de l’enregistrement du poste dans la base de données de l’OCE le 17 décembre 2023 (l’annonce était restée en ligne jusqu’au 17 janvier 2024). Le même jour, une publication de l’offre avait été faite sur la plateforme JobUp : la société recherchait « un COO afin de développer les relations entre la Suisse, le Kazakhstan, la Chine et autres marchés ». Par la suite, la recourante avait également publié la vacance du poste sur JobCloud le 8 mars 2024, puis les 7 et 14 mars 2024 dans la Tribune de Genève/24Heures Emploi. Ainsi, l’enregistrement de la vacance du poste auprès de l’OCE avait été faite un jour après avoir signé le contrat avec M. B______ et les autres publications avaient toutes été faites après avoir déposé la demande en faveur de M. B______. Cela démontrait que la recourante n’avait nullement l’intention de prendre en considération les éventuelles candidatures du service de placement et que la demande en faveur de M. B______ relevait principalement de la convenance personnelle. La recourante n’avait effectué aucune recherche pertinente sur le marché suisse ou européen avant le dépôt de la demande en faveur de M. B______, si ce n’était l’annonce auprès de l’OCE ainsi que la publication de l’offre sur la plateforme JopUp. Partant, elle n’avait fait aucun effort pour trouver un travailleur correspondant au profil requis en Suisse ou au sein de l’UE/AELE et n’avait par conséquent pas respecté le principe de la priorité dans le recrutement. Au surplus, elle n’avait pas indiqué la suite donnée aux postulations qu’elle avait reçues.

Selon le business plan de décembre 2023, la recourante envisageait d’embaucher un total de cinq employés en cinq ans, alors que l’effectif du personnel était déjà de deux personnes. En 2024, 2025 et 2026, les charges salariales devaient être de respectivement CHF 147’000.-, CHF 219’000.- et CHF 294’000.-, le profit/perte de CHF -2’000.-, CHF 731’000.- et de CHF 1’306’000.-. D’après les comptes pour l’année 2022, les charges salariales étaient de CHF 9’000.- et le profit de CHF 24’680.-. Il était difficile d’admettre que la recourante puisse réaliser le projet financier prévu dans son business plan de décembre 2023, à savoir une masse salariale annuelle d’un montant de CHF 147’000,- la première année et un chiffre d’affaires s’élevant à CHF 1’600’000.-. En outre, une charge salariale d’un montant de CHF 9’000.- en 2022 pour une activité de neuf mois ne correspondait pas au versement d’un salaire usuel, ni même d’un salaire respectant le minimum cantonal. La prévision des charges salariales pour l’année 2024 de CHF 147’000.- n’était pas suffisante pour couvrir le salaire, en tout cas de deux employés déjà présents. Par ailleurs, l’annexe 1 du business plan faisait état de six projets dont deux qui avaient été mis en œuvre ; le premier ayant un chiffre d’affaires estimé à USD 2’500’000.- et le deuxième EUR 200’000.-. Aucune pièce n’avait toutefois été produite au sujet de ces deux projets ; cela ne résultait en tout cas pas dans le « Financial statements as of december 31 2022 ». Au vu de ces éléments, la recourante semblait être dans une situation économique peu claire et peu stable et il était difficile d’envisager qu’elle puisse générer une activité durable et servir les intérêts économiques de la Suisse.

11.         Par réplique du 21 juin 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions de son recours.

Les critères de choix de l’OCIRT pouvaient peut-être être réalistes pour des multinationales, mais ils étaient déconnectés de la réalité des PME. Dans les faits, la réalité économique de celles-ci était très loin des règles simples de l’OCIRT. Il suffisait d'avoir quelques millions à disposition, d’attendre entre six à douze mois en publiant les annonces dans les journaux coûtant entre CHF 1’500.- et 6’000.-, de verser un salaire à la personne faisant le travail du COO recherché afin que la société gagne les montants définis dans le business plan.

Elle avait cherché des candidats pour le poste en cause durant des mois en passant par des réseaux divers. Elle n’avait pas consigné toutes ses recherches « car nous n’avons pas eu une idée en tête de prendre une personne spécifique pour laquelle il fallait faire semblant et respecter la procédure à la lettre afin de ne pas avoir de reproches ». Lorsque le candidat idéal avait été identifié, elle s’était renseignée sur la procédure à suivre pour prouver qu’elle avait le droit de l’engager faute d’autres candidats fiables. Elle n’avait cependant pas arrêté de chercher un autre candidat car elle s’était rendue compte à quel point la procédure était « éliminatoire et compliquée ». Elle avait exposé sa problématique à l’OCE lors d’une conversation téléphonique et quand bien même son interlocuteur lui avait dit qu’il n’y avait presque pas de chances de trouver un candidat via leur base de candidats, elle avait placé son annonce que l’OCE avait enlevé un mois plus tard. Il n’y avait eu qu’un seul candidat qui l’avait probablement contacté pour démontrer son activité dans les recherches de travail. Elle avait poursuivi ses recherches avec les plateformes et les journaux après le dépôt de la demande pour prouver, notamment, qu’elle ne trouvait pas de candidats pour ce poste avec les compétences et les connaissances nécessaires à son développement afin qu’elle réalise le chiffre d’affaires indiqué dans le business plan. Le fait de continuer les recherches après le dépôt de la demande pour M. B______ et de ne pas engager une autre personne signifiaient, que les candidatures reçues ne correspondaient pas au poste. Son erreur était de ne pas l’avoir indiqué de façon explicite à l’OCIRT, partant du principe que ce constat était évident. Elle réfutait l’allégation de l’OCIRT selon laquelle elle n’aurait jamais eu l’intention d’engager un candidat suisse ou européen ; la procédure pour engager une personne d’un tiers pays coûtait nettement plus que celle pour engager une personne locale.

L’OCIRT avait allégué que la masse salariale indiquée pour 2024 ne correspondait pas à l’emploi de deux personnes, à tort puisque son calcul de salaire de COO avait été effectué pour un semestre seulement. Le fait de ne pas avoir atteint le chiffre d’affaires pour 2022 et par conséquent 2023 démontrerait selon l’OCIRT son instabilité. La réalité était que sans M. B______ en tant que COO avec son carnet d’adresse et ses compétences, elle ne développerait pas assez ses activités et donc ses ressources pour engager par la suite du personnel local pour les postes indiqués dans le business plan. La situation était donc contradictoire.

12.         Par duplique du 26 juillet 2024, l’OCIRT a intégralement maintenu les conclusions de ses observations du 21 mai 2024, les dernières écritures de la recourante n’étant pas de nature à changer sa décision.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail en matière de marché du travail (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ  - E 2 05  ; art. 3 al. 2 de la loi d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/1331/2023 du 12 décembre 2022 consid. 3).

5.             La recourante se plaint en premier lieu d’une violation du droit d’être entendu dans la mesure où M. B______ n’avait pas pu se déterminer avant le prononcé de la décision querellée.

6.             Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend, classiquement, le droit, pour l’intéressé, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 149 I 91 consid. 3.2 ; 145 I 167 consid. 4.1).

Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2020 du 5 octobre 2020 consid. 2.2.1).

Dans une procédure initiée sur requête d’un administré, celui-ci est censé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents. Il n’a dès lors pas un droit à être encore entendu avant que l’autorité ne prenne sa décision afin de pouvoir présenter des observations complémentaires (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 509 s n. 1528 ss).

7.             En l’espèce, la demande d’autorisation de séjour et de travail du 26 décembre 2023 a certes été déposée en faveur de M. B______, mais ce dernier n’était pas partie à cette procédure qui a été conduite, conformément aux exigences de l’art. 11 al. 3 LEI, par la recourante. Partant, l’OCIRT n’avait pas à l’interpeller avant de rendre la décision litigieuse.

Au surplus, la procédure ayant été initiée suite à la demande de la recourante, elle se devait de produire tous les éléments utiles pour que l’OCIRT tranche celle-ci. Il n'avait pas à l’entendre à nouveau, et a fortiori d’entendre M. B______, avant de prononcer la décision en cause, étant par ailleurs relevé qu’il l’avait interpellée à deux reprises pour obtenir des précisions avant de rendre la décision querellée.

Ce grief sera par conséquent écarté.

8.             À teneur de l’art. 18 LEI, un étranger peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative salariée aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a), son employeur a déposé une demande (let. b) et les conditions fixées aux art. 20 à 25 LEI sont remplies (let. c), notamment les exigences relatives à l’ordre de priorité (art. 21 LEI), les conditions de rémunération et de travail (art. 22 LEI) ainsi que les exigences portant sur les qualifications personnelles requises (art. 23 LEI). Ces conditions sont cumulatives (ATA/387/2023 du 18 avril 2023consid. 5b et les arrêts cités).

En raison de sa formulation potestative, l’art. 18 LEI ne confère aucun droit à la délivrance d’une autorisation de séjour pour activité lucrative (arrêts du Tribunal fédéral 2C_798/2018 du 17 septembre 2018 consid. 4.1 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b) et les autorités compétentes bénéficient d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de son application (arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.1 ; C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 6.2 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b). De même, un employeur ne dispose d’aucun droit à engager un étranger en vue de l’exercice d’une activité lucrative en Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2D_57/2015 du 21 septembre 2015 consid. 3 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 3).

9.             Un étranger ne peut en outre être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative que s’il est démontré qu’aucun travailleur en Suisse ni aucun ressortissant d’un État avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n’a pu être trouvé (art. 21 al. 1 LEI).

En d’autres termes, l’admission de ressortissants d’États tiers n’est possible que si, à qualifications égales, aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d’un État membre de l’UE ou de l’AELE ne peut être recruté. Le principe de la priorité des travailleurs résidants doit être appliqué à tous les cas, quelle que soit la situation de l’économie et du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 2C_434/2014 du 8 août 2014 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.3.1 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c).

Les conditions d’admission ont matériellement pour but de gérer de manière « restrictive » l’immigration ne provenant pas de la zone UE/AELE, de servir conséquemment les intérêts économiques à long terme et de tenir compte de manière accrue des objectifs généraux relatifs aux aspects politiques et sociaux du pays et en matière d’intégration (ATAF 2011/1 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.3.1 ; C-6198/2014 du 18 mai 2015 consid. 6.1 ; C-857/2013 consid. 5).

10.         Selon les Directives et commentaires du secrétariat d’État aux migrations, Domaine des étrangers, du 25 octobre 2013, état au 1er juin 2024 (ci-après : Directives LEI) - qui, conformément à l’art. 89 de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), ne lient pas le juge mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré, pourvu qu’elles respectent le sens et le but de la norme applicable –, les employeurs sont tenus d’annoncer le plus rapidement possible aux offices régionaux de placement les emplois vacants qu’ils présument ne pouvoir repourvoir qu’en faisant appel à du personnel venant de l’étranger. Les offices de placement jouent un rôle clé dans l’exploitation optimale des ressources offertes par le marché du travail sur l’ensemble du territoire suisse. L’employeur doit, de son côté, entreprendre toutes les démarches nécessaires - annonces dans les quotidiens et la presse spécialisée, recours aux médias électroniques et aux agences privées de placement - pour trouver un travailleur disponible. On attend des employeurs qu’ils déploient des efforts en vue d’offrir une formation continue spécifique aux travailleurs disponibles sur le marché suisse du travail (ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c et les arrêts cités ; directives LEI, ch. 4.3.2.1).

Il revient à l’employeur de démontrer avoir entrepris des recherches à une grande échelle afin de repourvoir le poste en question par un travailleur indigène ou ressortissant d’un État membre de l’UE/AELE conformément à l’art. 21 al. 1 LEI et qu’il s’est trouvé dans une impossibilité absolue de trouver une personne capable d’exercer cette activité (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-6074/2010 du 19 avril 2011 consid. 5.3 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3c). L’employeur doit être en mesure de rendre crédibles les efforts qu’il a déployés, en temps opportun et de manière appropriée, en vue d’attribuer le poste en question à des candidats indigènes ou à des candidats ressortissants de l’UE/AELE. Des ressortissants d’États tiers ne seront contactés que dans le cas où les efforts entrepris n’ont pas abouti. Il convient dès lors de veiller à ce que ces démarches ne soient pas entreprises à la seule fin de s’acquitter d’une exigence. Elles doivent être engagées suffisamment tôt, dans un délai convenable avant l’échéance prévue pour la signature du contrat de travail. En outre, il faut éviter que les personnes ayant la priorité ne soient exclues sur la base de critères professionnels non pertinents tels que des séjours à l’étranger, des aptitudes linguistiques ou techniques qui ne sont pas indispensables pour exercer l’activité en question, etc. (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-3286/2017 du 18 décembre 2017 consid. 6.2 ; ATAF F-1992/2015 du 10 mars 2017 consid. 5.5 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c).

Même si la recherche d’un employé possédant les aptitudes attendues de la part de l’employeur peut s’avérer ardue et nécessiter de nombreuses démarches auprès des candidats potentiels, de telles difficultés ne sauraient à elles seules, conformément à une pratique constante des autorités en ce domaine, justifier une exception au principe de la priorité de recrutement énoncée à l’art. 21 LEI (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-8717/2010 du 8 juillet 2011 consid. 8.1 ; ATA/1368/2018 précité).

La seule publication d’une annonce auprès de l’OCE, bien que diffusée également dans le système EURES, ne peut être considérée comme une démarche suffisante (. Par ailleurs, des démarches intervenues après un refus d’octroi d’autorisation de séjour avec activité lucrative doivent être considérées comme entreprises dans le seul but de s’acquitter des exigences légales (ATA/387/2023 du 18 avril 2023 consid. 5d et les références citées).

11.         En l’espèce, au vu des écritures des parties et des pièces versées à la procédure, le tribunal parvient à la conclusion que l’OCIRT n’a pas violé les dispositions légales énoncées plus haut ou mésusé de son pouvoir d’appréciation en refusant l’octroi de l’autorisation de travail sollicitée par la recourante en faveur de M. B______.

Sous l’angle de l’art. 21 al. 1 LEI, force est d’admettre que la démarche initiée par la recourante avant la signature du contrat de travail avec M. B______ en vue de trouver un COO n’a effectivement de loin pas atteint le niveau de recherches requis par la loi et la jurisprudence. Elle s’est en effet contentée d’annoncer la vacance du poste à l’OCE le 17 décembre 2023, un jour avant ladite signature. La recourante indique certes avoir cherché des candidats pour le poste en cause durant des mois en passant par divers réseaux, mais sans en apporter la moindre preuve. Elle fait également valoir de grandes difficultés à trouver une personne remplissant les conditions requises pour le poste de COO, preuve en est qu’elle avait continué ses recherches même après la signature du contrat de travail avec M. B______. À cet égard, le tribunal doit constater que les recherches ultérieures à la signature du contrat ne peuvent pas être qualifiées d’importantes et que la recourante aurait dû entreprendre des recherches bien plus poussées et de plus grande envergure sur les marchés du travail tant suisse que de l’UE/AELE, par exemple en faisant appel à des agences de recrutement et en publiant des annonces sur des sites internet spécialisés, en Suisse et en Europe, et dans la presse spécialisée. Dans ces conditions, force est de retenir, avec l’autorité intimée, que la recourante n’est pas parvenue à démontrer qu’elle aurait réellement et concrètement été dans l’impossibilité de trouver un travailleur correspondant aux exigences du poste sur le marché local ou européen. Enfin, même en retenant que la recherche d’un candidat ayant le profil souhaité serait particulièrement ardue, cette difficulté ne saurait à elle seule justifier une exception au principe de la priorité dans le recrutement énoncé par la loi. S’il est peut-être difficile de trouver des candidats indigènes répondant aux exigences de la recourante, on peut penser qu’il n’y a pas de réelles difficultés à trouver, dans un certain nombre de pays de l’UE, une personne ayant les qualifications requises.

Dès lors, les démarches effectuées tant avant l’engagement de M. B______ que dans les mois suivants ne suffisent pas, en l’état des règles en vigueur, pour considérer que la société recourante se serait acquittée de ses obligations légales en matière de priorité du marché suisse ou européen. Il sied de préciser que le fait que M. B______ puisse être titulaire d’un permis de séjour français ne modifie pas la présente solution.

Le principe de priorité n’ayant pas été respecté, il n’est pas nécessaire d’examiner si les autres conditions cumulatives posées par l’art. 18 LEI sont réalisées.

12.         Cela étant, le tribunal relèvera encore qu’aucun élément du dossier ne permet de considérer que l’activité de COO que M. B______ serait amenée à déployer au sein de la recourante pourrait réellement avoir des retombées économiques positives pour l’économie suisse et, ainsi, représenter un intérêt pour la Suisse au sens de l’art. 18 let. a LEI, tel que défini par la jurisprudence (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral F-968/2019 du 16 août 2021 consid. 5.3.1 ; ATA/41/2023 du 17 janvier 2023 consid. 3.4), que ce soit en termes de création de places de travail, d’investissements ou de diversification de l’économie régionale. Il sied enfin de rappeler qu’il convient de ne pas confondre l’intérêt économique de la Suisse avec celui de l’employeur à engager une personne particulière.

13.         Au vu de ce qui précède, le tribunal considère que la décision querellée ne viole pas le droit fédéral.

14.         Mal fondé, le recours sera rejeté.

15.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée
(art. 87 al. 2 LPA).

16.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d’État aux migrations.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 15 mars 2024 par A______ Sàrl contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 15 février 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d’État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier