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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3410/2023

JTAPI/810/2024 du 22.08.2024 ( DOMPU ) , IRRECEVABLE

ATTAQUE

Descripteurs : DÉCISION;CONDITION DE RECEVABILITÉ
Normes : LPA.4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3410/2023 DOMPU

JTAPI/810/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 août 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, B______ SA, C______ SA et D______ SA, représentées par Me Fanny ROULET-TRIBOLET, avocate, avec élection de domicile

contre

VILLE DE GENEVE - SERVICE DE L'ESPACE PUBLIC

 


EN FAIT

1.             Les sociétés A______ SA, B______ S.A., C______ S.A. et D______ S.A. (ci-après: les sociétés ou les recourantes) sont toutes quatre des entreprises ayant pour but l'exploitation d'une entreprise de vidanges et travaux annexes.

2.             Dans le cadre de leurs activités, elles ont notamment pour fonction de procéder à la vidange, qui consiste en l'action de vider un réservoir, en l'occurrence des canalisations des bâtiments situés sur la Ville de Genève (ci-après : la ville).

3.             Par courriel du 3 mars 2023, intitulé « nouvelle procédure pour l'occupation du domaine public-occupations ponctuelles. Déménagement-livraison spéciale », le chef de section du Service de l'espace public de la Ville de Genève (ci-après: SEP), a informé certaines catégories d'entreprises de la marche à suivre en lien avec une mise à disposition d'une plate-forme informatique permettant de préserver l'espace public dans le cadre des occupations ponctuelles.

4.             Par courrier du 11 août 2023, sous la plume de leur conseil, les sociétés ont demandé au Conseil administratif de la ville de « bien vouloir renoncer à ce changement de pratique, consistant à requérir qu'elles déposent une demande d'autorisation d'usage accru du domaine public pour chaque intervention ou, à défaut, de bien vouloir leur notifier un acte administratif formel sujet à recours ».

5.             Par courrier du 11 septembre 2023, la ville, soit pour elle le SEP, a répondu qu'elles n'étaient pas concernées par la plate-forme permettant de réserver l'espace public dans le cadre d'occupation ponctuelles. En effet, les activités de vidange et d'assainissement n'étaient pas considérées comme des occupations ponctuelles mais comme des travaux impliquant la nécessité de formuler une demande de chantier, au moins 5 jours avant l'intervention, les cas d'urgence étant réservés, auprès du SEP au moyen du formulaire idoine. Il convenait de rappeler que cela s'inscrivait dans un cadre légal, à savoir l'art. 56 de la Loi sur les routes (LRoutes – L 1 10) et les art. 57 et suivants de règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RUDP - L 1 10.12). Enfin, elles étaient invitées à contacter le chef de la section chantiers du SEP afin d'échanger sur la situation et sur d'éventuelles pistes d'amélioration.

6.             Par acte du 18 octobre 2023, A______ SA, B______ S.A., C______ S.A. et D______ S.A., sous la plume de leur conseil, ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à ce que soit constatée la nullité de la décision du 11 septembre 2023 du SEP, subsidiairement à ce qu'elle soit annulée ; dit et constaté qu'aucune autorisation ne peut être requise de part des sociétés exerçant des activités liées à la vidange, sous suites de frais et dépens. Subsidiairement, au renvoi de la cause au SEP pour nouvelle décision dans le sens des considérants, sous suites de frais et dépens.

À l'appui de leur recours, elles ont joint diverses pièces, en indiquant notamment avoir reçu plusieurs « amendes » à la suite du changement de pratique de la ville, dont elle produisait les copies.

7.             Dans ses observations du 14 décembre 2024, le SEP a conclu à l'irrecevabilité du recours sous suite de frais.

L'acte querellé ne constituait clairement pas une décision administrative. Elle contenait seulement une information ou une prise de position d'ordre général adressée au conseil des recourantes, se bornant à préciser le contexte juridique dans lequel s'inscrivaient les activités de celles-ci, sans toutefois viser des effets juridiques.

Cette correspondance ne réglait en aucun cas la situation concrète des recourantes, de manière impérative et contraignante, et ne tendait pas à modifier leur situation juridique, ni à constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits. Elle ne se rapportait d'ailleurs pas à un contexte de faits particulier. En d'autres termes, elle ne réglait pas une ou des situations individuelles et concrètes.

Contrairement à ce que faisaient valoir les recourantes, le simple fait qu'elles aient « exigé de l'autorité par courrier du 11 août 2023 que celle-ci rende un acte administratif formel, sujet à recours, conformément à l'art. 4A [de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10)] » ne permettait en aucune mesure de retenir que la correspondance qu'elles avaient reçue en retour constituerait une décision administrative. Au demeurant, leur requête ne concernait pas l'une ou l'autre des hypothèses visées à l'art. LPA, puisqu'elles ne requéraient pas que la ville s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir ou les révoque, ni qu'elle élimine les conséquences d'actes illicites, pas plus qu'elle constate le caractère illicite de tels actes.

8.              Par réplique du 26 janvier 2024, sous la plume de leur conseil, les recourantes ont conclu à la recevabilité de leur recours et maintenu l'intégralité de leurs autres conclusions.

On était en présence de la définition même d'un changement de pratique qui « vise en effet tantôt à mieux se conformer à la loi, tantôt à continuer à se conformer à la loi ». Il s'agissait manifestement d'un acte de l'Etat leur imposant de nouvelles obligations. Elles étaient, du simple fait de cette « information », désormais contraintes de mettre en place une procédure extrêmement lourde.

À supposer que ledit courrier ne constituât pas une « décision » au sens strict du terme, il s'agirait en tout état d'un acte matériel positif, portant gravement atteinte à leurs droits fondamentaux, notamment à celui de la liberté économique. Or, un tel acte matériel pouvait également faire l'objet d'un recours.

Le courrier litigieux constituait bien une décision, subsidiairement un acte matériel positif portant gravement atteinte à la liberté économique des recourantes et donc susceptible de recours par-devant le tribunal.

EN DROIT

1.              Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés contre les décisions prises en application de LRoutes ou de ses dispositions d’application, tel, par exemple, que le RUDP (art. 93 al. 1 RUDP cum 96 al. 1 LRoutes).

2.              Parmi les questions que le tribunal doit dans tous les cas trancher lors de l'examen préalable de la recevabilité du recours, se pose celle de savoir si l'acte attaqué constitue une décision susceptible de recours, au sens des art. 4 et 57 LPA

3.              Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c). Ce n’est pas la forme de l’acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/509/2016 du 14 juin 2016 consid. 4c ; ATA/15/2016 du 12 janvier 2016 consid. 2a).

En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (ATA/1656/2019 du 12 novembre 2019 consid. 2b ; ATA/385/2018 du 24 avril 2018 consid. 4b et les références citées). Il ne suffit pas que l'acte querellé ait des effets juridiques, encore faut-il que celui-ci vise des effets juridiques. Sa caractéristique en tant qu'acte juridique unilatéral tend à modifier la situation juridique de l'administré par la volonté de l'autorité, mais sur la base de et conformément à la loi (ATA/1656/2019 précité consid. 2c ; ATA/385/2018 précité consid. 4c). La décision a pour objet de régler une situation juridique, c'est-à-dire de déterminer les droits et obligations de sujets de droit en tant que tels. Ce critère permet d'écarter un certain nombre d'actes qui ne constituent pas des décisions, comme les actes matériels, les renseignements, les recommandations ou les actes internes de l'administration (Benoît BOVAY, procédure administrative, 2e éd., 2015, p. 339 ss).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en droit public, la notion de « décision » au sens large vise habituellement toute résolution que prend une autorité et qui est destinée à produire un certain effet juridique ou à constater l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'une obligation ; au sens étroit, c'est un acte qui, tout en répondant à cette définition, intervient dans un cas individuel et concret (ATF 135 II 328 consid. 2.1 ; 106 Ia 65 consid. 3 ; 99 Ia 518 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 du 4 décembre 2017 consid. 2.1). La notion de décision implique donc un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré. De simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2).

Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 précité consid. 2.1 et les références citées).

4.             Lorsque le besoin de protection juridique l'exige, il peut à la rigueur y avoir une voie de recours même en l'absence de décision formelle. Tel est le cas si une autorité refuse à tort de prendre une décision ou tarde à le faire (déni de justice formel). Suivant les circonstances, la question peut aussi se poser en cas d'actes matériels (Realakte) positifs, par lesquels l'Etat viole des droits fondamentaux sans prendre de décision. Mais, il doit en tout cas s'agir d'actes ou d'injonctions qui ressortissent à l'Etat ou à une personne chargée de tâches publiques et qui fondent un besoin spécial de protection juridique en raison de leur contenu ou des droits fondamentaux touchés(arrêt 2P.96/2000 du 8 juin 2001, consid. 5a).

5.             À teneur de l'art. 4A al. 1 LPA, intitulé « droit à un acte attaquable », toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l'autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque (let. a), élimine les conséquences d'actes illicites (let. b), constate le caractère illicite de tels actes (let. c). L'autorité statue par décision (art. 4A al. 2 LPA). Lorsqu'elle n'est pas désignée, l'autorité compétente est celle dont relève directement l'intervention étatique en question (art. 4A al. 3 LPA).

Selon ses travaux préparatoires, cette disposition vise en particulier à adapter le droit administratif genevois aux exigences posées par la garantie de l'accès au juge ancrée à l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101). (exposé des motifs du projet de loi n° PL 10253 modifiant la LOJ, déposé en mai 2003 par le Conseil d'État, in Mémorial du Grand Conseil [ci-après : MGC] MGC 2007-2008/VIII A - 6520). Selon cette disposition constitutionnelle, toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire (phr. 1). La Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l'accès au juge dans des cas exceptionnels (phr. 2). Lesdits travaux préparatoires précisent que le droit d'accès au juge peut être soumis à des conditions de recevabilité telles que la qualité pour recourir ou la définition de l'objet attaquable (MGC 2007-2008/VIII A - 6527 s). Sur cet élément-ci, lesdits travaux font référence non seulement aux décisions (MGC 2007-2008/VIII A - 6529 s), mais également aux actes matériels (MGC 2007-2008/VIII A - 6530 ss), pour conclure qu'il ressort de la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la doctrine que les cantons sont tenus d'ouvrir la possibilité de demander à l'autorité compétente une décision attaquable et de prévoir une voie de droit analogue à celle de l'art. 25a PA (MGC 2007-2008/VIII A - 6535 ; ATA/141/2020 du 11 février 2020 consid. 1c).

6.             En l'espèce, si les recourantes prétendent que le courrier du 11 septembre 2023 constituerait une décision sujette à recours, force est de constater qu'elle ne remplit pas tous les critères prévus par l'art. 4 LPA et par la jurisprudence précitée, mais constitue une simple communication de l'administration.

En effet, le contenu de ce courrier ne tend à l'évidence pas à modifier la situation juridique ou factuelle des recourantes, mais en substance à leur rappeler la procédure à suivre dans le cadre des activités de vidange et d'assainissement soit l'obligation de formuler une demande de chantier, au moins 5 jours avant l'intervention, les cas d'urgence étant réservées. L'intimée ne prend aucune mesure concrète à l’encontre des recourantes, ni ne règle aucun cas concret, par le biais dudit courrier. Il est ainsi manifeste que ce courrier ne constitue pas une décision administrative, sujette à recours, mais qu'il s'agit au mieux d'un énoncé abstrait de certains de leurs droits et obligations, au même titre que n'importe quelle norme légale ou réglementaire, ou directive, contre laquelle les recourants ne pourraient pas non plus agir devant le tribunal de céans.

Le simple fait que les recourantes ont exigé de l'autorité, par courrier du 11 août 2023, que celle-ci rende un acte administratif formel, sujet à recours, conformément à l'art. 4A LPA ne permet en aucune mesure de retenir que la correspondance qu'elles ont reçue en retour constituerait une décision administrative. De plus l'art. 4A LPA visant à garantir l'accès au juge, il faut que le caractère subsidiaire de la démarche soit démontré. Dans le cas d'espèce, la pratique contestée par les recourantes a donné lieu à des taxes (qualifiées à tort d'amendes par la recourantes) que leurs destinataires auraient pu contester devant le tribunal de céans. Il n'y a dès lors aucune raison d'exiger une décision constatatoire dans le cas d'espèce. La légalité de la nouvelle pratique mise en place par l'autorité intimée pourra être contestée à l'occasion de recours dirigés contre des décisions individuelles et concrètes prises en application de cette pratique.

7.             Partant, le recours dans son ensemble doit être déclaré irrecevable.

8.             En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourantes, prises conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnées au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais de même montant versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 18 octobre 2023 par A______ SA, B______ SA, C______ SA et D______ SA contre le courrier du Service de l'espace public de la Ville de Genève du 11 septembre 2023 ;

2.             met à la charge des recourantes, prises solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

3.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Saskia RICHARDET VOLPI et Patrick BLASER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière