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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/3360/2024

ACST/21/2024 du 11.11.2024 ( ELEVOT ) , REFUSE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3360/2024-ELEVOT ACST/21/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 11 novembre 2024

sur mesures provisionnelles

dans la cause

 

A______

et

B______ recourants

 

contre

 

VILLE DE GENÈVE intimée

 

 


Attendu, en fait, que :

A. a. En date du 7 février 2024, le conseil municipal de la Ville de Genève a validé un crédit de CHF 54'602'000.- destiné à la construction d’un ouvrage dénommé « passerelle piétonne du Mont-Blanc », en parallèle et en amont du pont du Mont‑Blanc, dans la petite rade du lac Léman.

b. Un référendum communal contre la délibération du conseil municipal du 7 février 2024 a abouti, ce qui a fait l’objet d’une publication dans la feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) en date du 31 mai 2024. La date de la votation portant sur le « projet de passerelle piétonne du Mont-Blanc » a été fixée au 24 novembre 2024.

B. a. Le 1er octobre 2024, la Ville de Genève a fait procéder à l’installation de six panneaux d’affichage concernant la passerelle du Mont-Blanc, qui ont été posés sur quatre sites, soit sur les deux rives de la rade ainsi que de part et d’autre du pont du Mont-Blanc.

b. À partir du 2 octobre 2024, la Ville de Genève a lancé une campagne d’information concernant la passerelle du Mont-Blanc ; la presse a été invitée à découvrir les panneaux d’affichage et la présentation du projet a été mise en ligne sur le site Internet de la Ville de Genève.

c. Divers articles de presse ont été publiés, notamment par la « Tribune de Genève », en date du 2 octobre 2024, informant de la pose des panneaux, avec une photo prise depuis la rive gauche, présentant six panneaux d’information, avec en arrière-plan le pont du Mont-Blanc. Le même jour, le quotidien genevois « Le Courrier » a également publié un article concernant les panneaux d’information, avec une photo présentant une partie des panneaux d’affichage avec le lac Léman en arrière-plan.

d. En date du 7 octobre 2024, le parti politique « Le A______ » (ci-après : A______) a adressé au conseil administratif de la Ville de Genève, qui l’a reçu le même jour, un courrier intitulé « Mise en demeure formelle de retrait immédiat de votre propagande » par lequel il critiquait la pose des panneaux d’affichage, qui violait les droits politiques des citoyens, et fixait la date du 9 octobre 2024 pour que la Ville de Genève retire « toutes images de votre propagande, tant en ville que sur votre site Internet ». Passé ce délai, le A______ saisirait la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle).

e. Par courrier du 11 octobre 2024 adressé à la chambre constitutionnelle, les recourants ont demandé la récusation de « chacun des juges de la chambre constitutionnelle affilié à un parti politique » en raison « de l’aspect politique prépondérant » de la cause ainsi que la récusation des juges « employés ou liés, d’une quelconque manière » à l’école d’avocature (ci-après : ECAV), à savoir les juges « C______, D______et E______à tout le moins ».

f. Par courrier du 17 octobre 2024, le conseil administratif a répondu au courrier du 7 octobre 2024 du A______, contestant qu’il se livrait à de la propagande et l’informant de son refus de retirer les panneaux d’affichage, ainsi que les informations figurant sur le site Internet de la Ville de Genève.

C. a. Par acte posté le 10 octobre 2024 et reçu au greffe de la chambre constitutionnelle en date du 14 octobre 2024, le A______ ainsi que B______ ont recouru contre « la décision d’initier le 2 octobre 2024 une campagne de propagande concernant le projet de la passerelle piétonne du pont du Mont-Blanc » prise par la Ville de Genève, soit pour elle le département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité en concluant, sur mesures provisionnelles, à la constatation que les panneaux exposés autour du pont du Mont-Blanc et sur le site de la Ville de Genève violaient la garantie des droits politiques et à ce qu’il soit ordonné au Conseil administratif de « retirer les panneaux de propagande installée autour du Mont-Blanc ainsi que sur le site Internet de la Ville de Genève, sous suite de frais et dépens ».

Selon les recourants, l’autorité s’était livrée à une campagne de propagande unilatérale qui ne mettait en avant que les points forts du projet et illustrait les bénéfices supposés, tout en omettant des aspects cruciaux tels que le coût exorbitant et l’utilité discutable de l’ouvrage. Il s’agissait d’une tentative d’influencer les électeurs avec des images positives et la mise en avant de points forts, alors que l’autorité aurait dû se contenter d’une présentation neutre. Par ailleurs, aucun appel d’offres n’avait été lancé pour ces panneaux et le montant exorbitant de leur coût n’avait absolument pas été justifié.

b. Dans sa réponse sur mesures provisionnelles et sur le fond du 21 octobre 2024, la Ville de Genève a conclu, sur demande de mesures provisionnelles, au rejet de la demande, à ce qu’il soit dit et constaté que la campagne d’affichage de la Ville de Genève et sa page Internet relative à la passerelle piétonne du Mont-Blanc étaient conformes à la législation et à la condamnation des recourants aux frais. L’intimée considérait que la condition de l’urgence était remplie, en raison de la proximité de la date du scrutin fixée au 24 novembre 2024. En ce qui concernait les principes qui devaient être respectés par les autorités communales dans leur communication lors d’un scrutin, la Ville de Genève estimait que les informations figurant tant sur les panneaux que sur le site Internet de la Ville de Genève restaient factuelles, tout en étant positives mais sans exagération aucune. Les panneaux d’affichage ne ciblaient personne en particulier et leur emplacement était limité au lieu-dit considéré. En ce qui concernait les informations figurant sur le site Internet, elles étaient légèrement plus étoffées que ce qui ressortait des panneaux, mais restaient assez factuelles tout en se montrant positives et sans exagération aucune. De surcroît, la page Internet dédiée au projet de la passerelle piétonne du Mont-Blanc n’apparaissait pas d’emblée, en allant sur le site de la ville et l’utilisateur devait tout de même connaître un tant soit peu l’architecture du site pour pouvoir accéder à la page en question. Enfin, en ce qui concernait les moyens investis par la ville pour la campagne d’information, le montant de moins de CHF 50'000.- n’apparaissait pas exagéré ou disproportionné au regard du montant total du projet chiffré à plus de CHF 50'000'000.-. En conclusion, les informations qui figuraient sur les panneaux et sur le site Internet étaient objectives, transparentes et répondaient à une nécessité, compte tenu du prochain scrutin et la Ville de Genève ne discernait pas quelles informations étaient à ce point contraires à la vérité, tendancieuses, inexactes, incomplètes ou disproportionnée, quelles trompaient les citoyens, entravaient ou bloquaient la formation de l’opinion.

c. Par courrier du 21 octobre 2024, la chambre constitutionnelle a fixé aux recourants un délai au 25 octobre 2024 pour une éventuelle réplique et a informé les parties que, passé cette date, la cause serait gardée à juger sur mesures provisionnelles.

d. Dans leur réplique sur mesures provisionnelles du 25 octobre 2024, les recourants ont répété que les panneaux, qui contenaient uniquement les points forts du projet, visaient à influencer la formation de l’opinion des citoyens et dépassaient largement le cadre informatif de la prétendue campagne d’information en utilisant des arguments purement politiques qui ciblaient une tranche particulière de la population. Ils ont cité plusieurs arguments inscrits sur les panneaux tels que : « faciliter les déplacements à vélo : un gain de temps pour les cyclistes », « encourager les déplacements à pied : la passerelle offrira aux piéton-ne-s une traversée pratique et agréable », « réappropriation de la rade », « attractivité touristique et populaire » « œuvre architecturale et d’ingénierie : minimaliste et aérienne […] avec une structure métallique élancée ». En conclusion, en raison de l’urgence, admise par l’autorité, de l’atteinte quotidienne au droit à la libre formation de l’opinion, les recourants persistaient dans leurs conclusions.

e. En date du 28 octobre 2024, la Ville de Genève a fait procéder au démontage et au retrait des panneaux d’affichage concernant la passerelle piétonne du Mont-Blanc, ce dont elle a informé la chambre de céans par courrier du 29 octobre 2024.

Elle a exposé que la demande sur mesures provisionnelles devenait sans objet, tout en précisant que la page Web demeurait active, mais que le téléchargement direct de la page n’était plus possible à partir du code QR qui figurait sur les panneaux. Ladite page était toutefois accessible, via une recherche sur les moteurs de recherche usuels.

 

 

 

 

Considérant, en droit, que :

1. L’examen de la recevabilité du recours est reporté à l’arrêt au fond.

Néanmoins, il sied d’ores et déjà de relever que le recours pose à première vue des problèmes de délai, notamment au regard de la date à partir de laquelle l’installation des panneaux d’affichage a été ou aurait dû être connue.

2. Les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d’urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 8 du règlement interne de la chambre constitutionnelle du 9 octobre 2020).

Selon la jurisprudence, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1047/2021 du 6 octobre 2021 et les références citées). Le juge doit procéder à une pesée des intérêts en présence et éviter, dans toute la mesure du possible, de préjuger de l’issue à donner au recours, l’issue prévisible pouvant néanmoins être prise en considération lorsqu’elle est probable, voire manifeste. En particulier, en matière de votations et d’élections, le juge peut être amené à devoir remédier à temps, même à titre provisionnel, à d’éventuels vices susceptibles d’affecter la validité du scrutin (ACST/18/2021 du 28 avril 2021 ; ACST/31/2019 du 25 octobre 2019).

3. Les recourants demandent la récusation de chacun des juges de la chambre constitutionnelle affilié à un parti politique, et plus particulièrement de trois juges qui auraient un lien avec l'ECAV.

Selon l'art. 15A al. 5 1ère phr. LPA, la décision sur la récusation d’un juge est prise par une délégation de trois juges, dont le président ou le vice-président et deux juges titulaires. Toutefois, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le tribunal dont la récusation est demandée en bloc peut statuer lui-même sur une requête manifestement irrecevable ou dénuée de tout fondement, sans violer l'ordre public procédural, alors même que cette décision incomberait, selon la loi de procédure applicable, à une autre autorité (ATF 129 III 445 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_57/2023 du 3 février 2023 consid. 3).

En l'espèce, la demande de récusation vise tous les juges affiliés à un parti politique, ce qui constitue une demande de récusation en bloc dès lors que tous les juges de la Cour de justice sont affiliés à un parti politique. De plus, au vu de l'art. 118 al. 2 let. c de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ ‑ E 2 05), selon lequel la Cour de justice, lorsqu'elle procède à la répartition des juges, doit tenir compte, en ce qui concerne la chambre constitutionnelle, « de l’équilibre des sensibilités politiques », la demande apparaît prima facie manifestement mal fondée, dès lors qu'une composition « apolitique » pourrait être considérée comme irrégulière. La demande de récusation pourra ainsi être traitée par la chambre constitutionnelle elle-même dans son arrêt final. Quant à la récusation de trois juges ayant un lien avec l'ECAV, la requête ne vise pas le soussigné, qui peut donc, conformément à l'art. 21 LPA déjà cité, statuer sur la demande de mesures provisionnelles.

4. La garantie des droits politiques, ancrée à l’art. 34 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), et, dans une même mesure, à l’art. 44 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), protège la libre formation de l’opinion des citoyens et l’expression fidèle et sûre de leur volonté.

Selon une formule couramment utilisée par le Tribunal fédéral, aucun résultat de votation ou d’élection ne doit être reconnu s’il ne traduit pas de manière fidèle et sûre la volonté librement exprimée du corps électoral, chaque citoyen devant pouvoir exercer ses droits politiques conformément à sa volonté, à l’abri de toute influence extérieure, en fondant sa décision sur un processus de formation de la volonté le plus complet et le plus libre possible (ATF 146 I 129 consid. 5.1 ; ATF 145 I 207 consid. 2.1).

L’art. 34 al. 2 Cst. impose notamment aux autorités le devoir de donner une information correcte et retenue dans le contexte de votations (ATF 145 I 282 consid. 4.1). Lors de scrutins de leur propre collectivité, un rôle de conseil leur incombe. Les collectivités assument ce rôle principalement par la rédaction d’un message explicatif préalable au vote. Elles ne sont pas astreintes à un devoir de neutralité et peuvent diffuser une recommandation. Elles sont en revanche tenues à un devoir d’objectivité, de transparence et de proportionnalité. Les informations qu’elles apportent doivent prendre place dans un processus ouvert de formation de l’opinion, ce qui exclut les interventions excessives et disproportionnées s’apparentant à de la propagande et propres à empêcher la formation de l’opinion (ATF 146 I 129 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_321/2020 du 13 novembre 2020 consid. 4.1).

5. L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ACST/8/2023 du 1er mars 2023 consid. 3b).

5.1 En l’espèce, les panneaux d’affichage ont été retirés en date du 28 octobre 2024 ; il n’est dès lors plus possible d’ordonner leur retrait, ce qui rend ipso facto sans objet la mesure provisionnelle requise.

5.2 S’agissant du site Internet de la Ville de Genève, il ne mentionne plus les panneaux d’affichage et une recherche menée avec la mention « passerelle piétonne du Mont-Blanc » ne permet pas d’aboutir, en tous les cas dans un premier temps, sur une page Web présentant les panneaux en question.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la mesure provisionnelle sollicitée par les recourants, cette dernière étant désormais sans objet.

5.3 En ce qui concerne la conclusion visant à la constatation que les panneaux d’affichage violent la garantie des droits politiques, la question relève du fond et sera examinée dans l’arrêt final.

6. Le sort des frais de la présente procédure sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

dit que la demande sur mesures provisionnelles est sans objet ;

dit qu’il sera statué sur les frais de la présente procédure dans l’arrêt au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à B______, au A______ ainsi qu'à la Ville de Genève.


Le président :

 

Jean-Marc VERNIORY

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :