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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2327/2020

ACST/35/2020 du 23.11.2020 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2327/2020-ABST ACST/35/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 23 novembre 2020

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

CONSEIL D'ÉTAT


EN FAIT

1) En décembre 2019, des médecins chinois ont donné l'alerte sur un nouveau virus inconnu, le SARS-CoV-2, se transmettant par contact direct, indirect ou étroit avec une personne contaminée par le biais de sécrétions infectées telles que la salive et les sécrétions respiratoires ou par des gouttelettes respiratoires qui sont expulsées lorsqu'une personne infectée tousse, éternue, parle ou chante, mais également par des surfaces ou objets contaminés à proximité immédiate d'une telle personne, et provoquant la maladie à coronavirus 2019 (ci-après : Covid-19), laquelle peut se manifester par des difficultés respiratoires pouvant chez certains patients nécessiter une hospitalisation, voire entraîner la mort.

2) Fin janvier 2020, les premiers cas de patients atteints de la Covid-19 ont été découverts en Europe puis, dès fin février 2020, au Tessin et à Genève.

3) Le 28 février 2020, le Conseil fédéral a déclaré l'état de situation particulière au sens de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme du 28 septembre 2012 (loi sur les épidémies, LEp - RS 818.101) et interdit les manifestations publiques ou privées accueillant simultanément plus de mille personnes en adoptant l'ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (aRS 818.101.24).

4) Par arrêté du 11 mars 2020, publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du lendemain et entré en vigueur le même jour, le Conseil d'État a interdit la tenue de manifestations publiques et privées de moins de mille mais de plus de cent personnes sur le territoire cantonal.

5) Le 13 mars 2020, face à la progression de l'épidémie en Suisse, le Conseil fédéral a adopté l'ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ordonnance 2 Covid-19 - aRS 818.101.24) interdisant les rassemblements de plus de cent personnes, ordonnant la fermeture des écoles et réintroduisant les contrôles aux frontières.

6) Le 16 mars 2020, le Conseil fédéral a déclaré la situation comme extraordinaire au sens de l'art. 7 LEp et modifié l'ordonnance 2 Covid-19, ordonnant la fermeture des commerces non essentiels, le déploiement renforcé de l'armée et la fermeture partielle des frontières.

7) Le même jour, le Conseil d'État a adopté un arrêté destiné à mettre en oeuvre les mesures décidées par le Conseil fédéral.

8) En juin 2020, l'Organisation mondiale de la santé (ci-après : OMS) a publié un document intitulé « Conseils sur le port du masque dans le cadre de la Covid-19 », aux termes duquel elle indiquait que le port du masque facial s'inscrivait dans le cadre d'un ensemble de mesures anti-infectieuses propres à limiter la propagation de certaines affections respiratoires virales, dont la Covid-19 faisait partie, comme l'hygiène des mains ou le respect des distances physiques. Il pouvait permettre aussi bien à des sujets sains en bonne santé de se protéger qu'à des sujets porteurs de virus de ne pas les transmettre (p. 1). Notamment à la lumière des études disponibles évaluant la transmission présymptomatique et asymptomatique du SARS-CoV-2, un faisceau croissant d'observations dans plusieurs pays et la difficulté de respecter la distance physique dans de nombreux contextes, elle conseillait aux autorités, pour prévenir efficacement la transmission de la Covid-19 dans les zones de transmission communautaire, d'encourager le port du masque par le grand public dans des situations et lieux particuliers, dans le cadre d'une approche globale de lutte contre la transmission du virus (p. 8). Tel était le cas dans les zones à transmission répandue ou présumée, où la capacité d'appliquer notamment la distance physique était limitée, voire nulle, en particulier les commerces, pour les clients et le personnel de vente (p. 9).

9) Le 19 juin 2020, à la suite d'une diminution du nombre de nouveaux cas, le Conseil fédéral a requalifié la situation extraordinaire en situation particulière, scindé l'ordonnance 2 Covid-19 et restructuré ses mesures au sein de l'ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 en situation particulière (ordonnance Covid-19 situation particulière - RS 818.101.26) et de l'ordonnance 3 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ordonnance 3 Covid-19 - RS 818.101.24).

10) Le 2 juillet 2020, le Conseil fédéral a modifié l'ordonnance Covid-19 situation particulière et a imposé le port du masque facial aux voyageurs dans les véhicules de transports publics (art. 3a de l'ordonnance Covid-19 situation particulière). Ladite modification est entrée en vigueur le 6 juillet 2020.

11) En parallèle, l'office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP) n'a pas recommandé le port de visières en plastique, au motif qu'elles ne pouvaient remplacer un masque facial car ne permettant pas de garantir à son porteur d'être protégé d'une contamination par la bouche ou le nez.

12) À compter du 6 juillet 2020, le canton du Jura a rendu obligatoire le port du masque facial par les clients des commerces situés sur son territoire. Dès le 8 juillet 2020, le canton de Vaud en a fait de même pour les commerces accueillant simultanément plus de dix clients. S'en est également ensuivie la même obligation dans les cantons de Neuchâtel, Fribourg et du Valais fin août 2020.

13) À Genève, entre début mai et mi-juillet 2020, le nombre de cas positifs au SARS-CoV-2 était de moins de dix par jour. À compter du 14 juillet 2020, il a dépassé ce seuil, jusqu'à atteindre plus de quarante cas par jour le 24 juillet 2020, alors que le nombre de tests positifs au niveau national était de cent quarante-huit.

14) Le 24 juillet 2020, le Conseil d'État a adopté un arrêté relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19, publié dans la FAO du 27 juillet 2020, qui comportait notamment les dispositions suivantes :

« Article 2 - Port obligatoire du masque

1 Les prestataires offrant des services impliquant un contact physique rapproché et prolongé avec la clientèle, tels que les salons de coiffure, les salons d'esthétique, les barbiers, etc., doivent porter un masque.

2 Le personnel de service dans les cafés, restaurants, bars, buvettes, dancings, discothèques et établissements assimilés, doit porter un masque.

3 Le port du masque dans les commerces est exigé de la clientèle ainsi que du personnel en contact avec cette dernière s'il ne peut pas être protégé par un dispositif vitré ou équivalent.

(...)

Article 4 - Contravention

Quiconque contrevient intentionnellement aux mesures ordonnées est puni de l'amende.

 

Article 5 - Entrée en vigueur

1 Le présent arrêté entre en vigueur le 24 juillet 2020 et est déclaré exécutoire nonobstant recours.

2 Les mesures prévues aux articles 1 et 2 alinéa 2 entrent en vigueur le 24 juillet 2020 à 20h00.

3 Les autres mesures entrent en vigueur le 28 juillet 2020 à 8h00.

4 Les mesures du présent arrêté s'appliquent jusqu'au 1er octobre 2020 ; elles pourront être prolongées en cas de besoin.

 

Article 6 - Voie de recours

Le présent arrêté constitue une décision susceptible de recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice dans les 30 jours suivant sa publication (...). »

15) Le 27 juillet 2020, Monsieur A______, ressortissant suisse domicilié à Genève, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté au motif que l'obligation « de respirer ses propres miasmes et du gaz carbonique lorsque l'on va acheter des produits de première nécessité viole la Constitution fédérale ».

16) Le 29 juillet 2020, la chambre administrative a invité M. A______ à préciser ses motifs et griefs à l'encontre de cet arrêté, sous peine d'irrecevabilité, attirant également son attention sur la compétence de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) pour connaître de son recours.

17) Le 31 juillet 2020, M. A______ a indiqué que son recours avait trait au contrôle de constitutionnalité de l'arrêté, de sorte qu'il devait être transféré à la chambre constitutionnelle.

18) Le 5 août 2020, la chambre administrative a informé M. A______ de la transmission de son recours, pour raison de compétence, à la chambre constitutionnelle.

19) Le même jour, la chambre constitutionnelle a imparti à M. A______ un délai pour motiver son recours conformément aux exigences légales, faute de quoi il pourrait être déclaré irrecevable.

20) Le 6 août 2020, M. A______ a expliqué que l'arrêté litigieux contrevenait au principe de proportionnalité, dont aucun des sous-principes n'était respecté. La mesure n'était ainsi pas apte à atteindre le but visé, puisque le virus du SARS-CoV-2 était bien plus petit que les tissus d'un masque facial, d'autres moyens moins contraignants, comme soigner et isoler les personnes malades et appliquées pour d'autres maladies, étant envisageables. Il n'était pas non plus raisonnable d'édicter des normes particulières pour la Covid-19, vu les statistiques en lien avec les effets d'autres maladies, comme la grippe saisonnière, et la mauvaise réputation de l'OMS.

21) Le 14 août 2020, le Conseil d'État a adopté un nouvel arrêté relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19, publié dans la FAO du 17 août 2020 et entré en vigueur le lendemain. Abrogeant l'arrêté du 24 juillet 2020, il a repris, à son art. 8, l'obligation du port du masque facial dans les commerces par la clientèle. La durée de validité dudit arrêté, prolongeable au besoin, a été fixée au 30 septembre 2020, date à laquelle il a été prolongé jusqu'au 16 novembre 2020.

22) Le 15 septembre 2020, le Conseil d'État a répondu au recours, concluant à son irrecevabilité, subsidiairement à son rejet.

Le recours ne respectait pas les exigences de motivation accrue, puisque M. A______ se limitait à évoquer une violation du principe de proportionnalité, sur la base de faits prétendument notoires, dénués de fondements et sans autre élément probant, ledit principe ne constituant pas un droit fondamental subjectif susceptible d'être invoqué en tant que tel dans le cadre d'un contrôle de constitutionnalité.

En tout état de cause, le recours était mal fondé, l'arrêté litigieux ayant été adopté sur la base de la LEp, qui autorisait les autorités cantonales à instaurer des mesures permettant de lutter contre une épidémie, y compris celles visant à rendre le port du masque facial obligatoire. Les paramètres à prendre en compte dans le canton étaient en outre propres à sa situation en termes de flux de personnes et de densité démographique, ce d'autant que les nouveaux cas genevois représentaient près du quart des nouvelles contaminations suisses et que le taux d'incidence y était plus élevé que le seuil à partir duquel une zone était jugée à risque.

La mesure litigieuse reposait sur un motif d'intérêt public, au vu de la menace grave et imminente que faisait peser l'épidémie sur la santé de toute la population.

Elle respectait également le principe de proportionnalité, dès lors qu'elle permettait de protéger l'intérêt égal de chacun à la préservation de sa santé, voire de sa vie, la communauté scientifique, dans sa très large majorité, considérant que le port du masque facial permettait dans les lieux à forte densité de personnes de limiter la propagation du virus. D'autres cantons avaient en outre opté pour une mesure similaire. Le port du masque ne constituait pas en soi une atteinte supérieure à la liberté personnelle que le respect des distances interpersonnelles et, même s'il pouvait provoquer un sentiment subjectif d'inconfort temporaire, il n'entravait pas la liberté de mouvement et de déplacement de son porteur, qui n'était alors plus soumis au respect desdites distances. Il avait également moins d'impact sur la liberté économique en permettant à plus de clients de fréquenter les magasins. Il s'agissait dès lors de la mesure portant le moins atteinte aux intérêts privés opposés.

23) Le 17 septembre 2020, la chambre constitutionnelle a accordé à M. A______ un délai pour formuler toute requête complémentaire, après quoi la cause serait gardée à juger.

24) En octobre 2020, le service des maladies infectieuses des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) a actualisé la directive « Nouveau coronavirus : SARS-CoV-2 - Vue d'ensemble et diagnostic » établie en janvier 2020 et régulièrement mise à jour depuis lors. Il y indiquait que la prévention de l'infection Covid-19 passait par l'intermédiaire de mesures de protection telles que le port du masque facial généralisé, l'hygiène des mains et le respect des distances physiques, mesures propres à réduire la transmission du virus (p. 4).

25) Le 18 octobre 2020, le Conseil fédéral a modifié l'ordonnance Covid-19 situation particulière et a notamment imposé le port du masque facial dans les espaces clos accessibles au public des installations et des établissements ainsi que dans les zones d'attente des gares, des arrêts de bus et de tram, dans les gares, les aéroports ou d'autres points d'accès aux transports publics, obligation qu'il a étendue, le 28 octobre 2020, aux espaces publics extérieurs de ces installations et établissements (art. 3b al. 1 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière). Ces modifications sont respectivement entrées en vigueur les 19 et 29 octobre 2020.

26) Le 1er novembre 2020, le Conseil d'État a adopté un arrêté d'application de l'ordonnance Covid-19 situation particulière et sur les mesures de protection de la population, publié dans la FAO et entré en vigueur le lendemain. Abrogeant l'arrêté du 14 août 2020, il a repris, à son art. 12 al. 4, l'obligation du port du masque facial dans les commerces par la clientèle. La durée de validité dudit arrêté, prolongée en cas de besoin, a été fixée au 29 novembre 2020.

27) Les parties ne s'étant pas déterminées à l'issue du délai imparti, la cause a été gardée à juger, ce dont elles ont été informées.

EN DROIT

1) a. La chambre constitutionnelle est l'autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d'application de cette disposition, il s'agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Les arrêtés du Conseil d'État peuvent également faire l'objet d'un contrôle abstrait par la chambre constitutionnelle, pour autant qu'ils contiennent des règles de droit (ACST/24/2020 du 4 août 2020 consid. 2c ; ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 1d), à savoir des mesures générales, destinées à s'appliquer à un nombre indéterminé de personnes, et abstraites, se rapportant à un nombre indéterminé de situations, affectant au surplus la situation juridique des personnes concernées en leur imposant une obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer ou en réglant d'une autre manière et de façon obligatoire leurs relations avec l'État, ou alors ayant trait à l'organisation des autorités (ATF 135 II 328 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1023/2017 du 21 décembre 2018 consid. 2.2).

b. En l'espèce, le recours est formellement dirigé, indépendamment d'un cas d'application, contre l'arrêté relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 du 24 juillet 2020, à savoir un acte édicté par le Conseil d'État contenant, malgré sa dénomination de « décision », des règles de droit, puisqu'il impose en particulier le port du masque facial à l'ensemble des clients de tous les commerces sis sur le territoire cantonal durant sa période de validité, à chaque fois que lesdits clients s'y rendent. La chambre de céans est par conséquent compétente pour connaître de la présente cause.

2) Le recours a été interjeté dans le délai légal à compter de la publication de l'arrêté litigieux dans la FAO, qui est intervenue le 27 juillet 2020, de sorte qu'il est recevable sous cet angle également (art. 62 al. 1 let. d et al. 3, 63 al. 1 let. b et 64 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. Saisie d'un recours, la chambre constitutionnelle contrôle librement le respect des normes cantonales attaquées au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 61 al. 1 LPA). L'acte de recours, formé par écrit (art. 64 al. 1 LPA), contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de l'acte attaqué et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA), ainsi que l'exposé des motifs et l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 LPA). En cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d'État, l'acte de recours doit en sus contenir un exposé détaillé des griefs du recourant (art. 65 al. 3 LPA). Selon l'exposé des motifs relatifs à la loi 11311 modifiant la LOJ, en matière de recours en contrôle abstrait des normes, il est nécessaire de se montrer plus exigeant que dans le cadre d'un recours ordinaire, le recourant ne pouvant se contenter de réclamer l'annulation d'une loi ou d'un règlement au motif que son contenu lui déplaît. Il doit, au contraire, être acheminé à présenter un exposé détaillé de ses griefs (ACST/33/2019 du 21 novembre 2019 consid. 3a). La chambre constitutionnelle n'en a pas moins la compétence d'appliquer le droit d'office, sans être liée par les motifs invoqués par les parties (art. 69 al. 1, 2ème phr., LPA), à la condition toutefois que le recours, voire le grief invoqué, soit recevable.

b. L'exigence de motivation des recours en contrôle abstrait des normes ne saurait être interprétée aussi rigoureusement que ne l'est le principe d'allégation (Rügeprinzip) devant le Tribunal fédéral pour les griefs de violation des droits fondamentaux et des dispositions de droit cantonal et intercantonal (art. 106 al. 2 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; Johanna DORMANN, in Marcel Alexander NIGGLI/Peter UEBERSAX/Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 3e éd., 2018 n. 1 ss ad art. 106 LTF ; Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n. 32 ss ad art. 106 LTF). D'une part, la chambre constitutionnelle statue en première instance (a contrario ATF 140 III 86 consid. 2, où le Tribunal fédéral précise, en lien avec les exigences ordinaires de motivation, qu'il « n'examine pas, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, mais uniquement celles qui sont soulevées devant lui »). D'autre part, le constituant a explicitement souhaité que la chambre constitutionnelle soit plus accessible aux citoyens et administrés que ne peut l'être l'instance judiciaire suprême de la Suisse (BOACG tome XVII, p. 8930, tome XXII, p. 11308 s, p. 11311-11312, p. 11315, p. 13240 s, p. 13248 ; Arun BOLKENSTEYN, Le contrôle des normes, spécialement par les cours constitutionnelles cantonales, 2014, p. 291 ss ; Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341, p. 378 ss). Au demeurant, la LPA ne prévoit pas la sanction d'une motivation insuffisante, en particulier l'irrecevabilité du recours ou du grief (ACST/42/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4b et les références citées).

c. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en lien avec l'arrêté litigieux. L'on comprend toutefois de ses écritures qu'il en demande l'annulation et que son recours porte sur l'art. 2 al. 3 ab initio de l'acte en cause en tant qu'il rend obligatoire le port du masque facial dans les commerces par la clientèle, seule disposition dont la conformité au droit sera examinée (ACST/33/2019 précité consid. 3b). Par ailleurs, même brève, la motivation du recours, telle que précisée par le courrier de l'intéressé du 6 août 2020, apparaît suffisante. Le recourant y a ainsi exposé que la disposition contestée était contraire au principe de proportionnalité, dont il peut au demeurant se prévaloir de manière indépendante (ATF 141 I 1 consid. 5.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_209/2020 du 16 octobre 2020 consid. 2.1), dans chacun de ses sous-principes, étant précisé que la question de la pertinence des griefs invoqués sera analysée lors de l'examen du fond du litige. Le recours satisfait dès lors aux réquisits de l'art. 65 al. 3 LPA, tel qu'interprété par la chambre de céans, de sorte qu'il est également recevable de ce point de vue.

4) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L'art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l'action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu'il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/25/2020 du 27 août 2020 consid. 4a).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n'est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l'acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 145 I 26 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 du 29 août 2019 consid. 1.2).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l'annulation de l'acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2019 du 2 septembre 2020 consid. 6.2.2 ; ACST/22/2019 du 8 mai 2019 consid. 3b). Il est exceptionnellement possible de faire abstraction de l'exigence d'un intérêt actuel lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 142 I 135 consid. 1.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2019 précité consid. 6.2.2).

b. En l'espèce, bien que l'arrêté litigieux ait été abrogé par l'arrêté subséquent du Conseil d'État du 14 août 2020, lequel a, à son tour, également été abrogé par celui du 1er novembre 2020, ce dernier reprend l'obligation du port du masque facial dans les commerces du canton par la clientèle. Dès lors que le recourant, domicilié à Genève, risque de se voir appliquer cette obligation en se rendant dans ces lieux, malgré l'abrogation de l'arrêté litigieux, il se justifie de renoncer à l'exigence de l'intérêt actuel, en présence d'un intérêt public à trancher la question de la conformité du contenu de l'acte entrepris au principe de proportionnalité. Dans ce cadre, en cas d'admission du recours, la chambre de céans ne pourrait alors pas annuler l'acte entrepris, mais seulement en constater l'inconstitutionnalité (ACST/42/2019 précité consid. 10). La question peut toutefois en l'état souffrir de rester indécise, au regard de ce qui suit.

5) À l'instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu'elle se prononce dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, s'impose une certaine retenue et n'annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme - ou non - au droit supérieur. Les explications de l'autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 146 I 70 consid. 4 ; 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 précité consid. 2 ; ACST/26/2020 du 27 août 2020 consid. 5).

6) a. Le principe de proportionnalité garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), dont la violation peut être invoquée directement et indépendamment de celle d'un droit fondamental (ATF 143 I 403 consid. 6.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_209/2020 précité consid. 2.1 ; 8C_336/2019 du 9 juillet 2020 consid. 3.3.2), commande que la mesure étatique soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 et les références citées).

b. En l'espèce, il ressort du dossier que le Conseil d'État a adopté l'arrêté litigieux comportant l'obligation du port du masque facial dans les magasins par la clientèle à la suite d'une augmentation significative du nombre de cas positifs à la Covid-19 sur le territoire cantonal, de plus de dix par jour dès le 14 juillet 2020, allant jusqu'à atteindre plus de quarante cas le 24 juillet 2020, soit plus du quart des cas au niveau national.

Le recourant allègue que cette mesure ne serait pas apte à atteindre le but visé, le virus SARS-CoV-2 passant au travers des tissus des masques faciaux. Comme l'a toutefois relevé l'autorité intimée, la communauté scientifique, dans sa très large majorité, considère que le port d'un tel masque dans les lieux fermés à forte densité de personnes, comme les commerces, permet de limiter la propagation du virus SARS-CoV-2, lequel se transmet par voie aérienne, principalement par gouttelettes. Une telle mesure a été recommandée par l'OMS, l'OFSP ainsi que les HUG. Elle n'apparaît ainsi pas inapte à atteindre le but de santé publique recherché par l'autorité intimée visant à protéger la santé et la vie de la population en empêchant une propagation exponentielle du SARS-CoV-2, la chambre de céans devant, dans ce cadre, faire preuve de retenue s'agissant d'un domaine où elle ne saurait substituer son appréciation à celle des autorités médicales et scientifiques.

Selon le recourant, d'autres mesures, plus ciblées, comme un suivi des personnes malades ou l'isolement de celles-ci, atteindraient le même but. Il perd toutefois de vue que de telles mesures sont déjà pratiquées et qu'elles n'ont pas permis de freiner, à elles seules, la propagation du virus, le port du masque facial étant, dans ce cadre, complémentaire à celles-ci ainsi qu'à l'hygiène des mains et au respect des distances physiques. Le but de santé publique visé par la disposition litigieuse ne pourrait pas non plus être atteint si le port du masque était seulement recommandé, ce qui mettrait en péril son efficacité à freiner la propagation du virus, s'agissant d'une mesure collective à respecter par toute personne et non pas selon le bon vouloir de chacun. Il en est de même du port d'une simple visière, au demeurant non préconisé par l'OFSP. Outre le fait qu'une limitation des clients dans les commerces peut poser des problèmes de mise en oeuvre organisationnelle, notamment au niveau du décompte et du contrôle de leur nombre, elle ne constitue pas une mesure moins incisive que le port du masque facial, puisqu'elle restreint l'accès auxdits magasins, risquant de créer un effet d'entonnoir à leur entrée et de longues files d'attente. Le port du masque facial tend précisément à remédier à de tels inconvénients, en laissant librement les clients entrer dans les commerces, même lorsque les distances physiques ne peuvent pas être respectées en permanence. Le Conseil fédéral a, au demeurant, appliqué la même obligation aux voyageurs dans les véhicules de transports publics et aux personnes se trouvant dans les espaces clos accessibles au public et devant ceux-ci. À cela s'ajoute que la mesure litigieuse a été prise pour une durée déterminée et qu'elle est limitée dans l'espace, puisqu'elle ne s'applique qu'aux lieux accessibles au public. D'autres cantons en ont également fait de même entre les mois de juillet et août 2020, en particulier tous les cantons romands.

La mesure litigieuse respecte également le principe de la proportionnalité au sens étroit, dès lors que le port du masque facial dans les commerces, comme précédemment évoqué, a permis d'en augmenter la fréquentation et ainsi laisser à davantage de personnes, sans devoir effectuer de longues files d'attente, la possibilité d'acheter des produits de première nécessité et d'autres denrées, alimentaires ou non. Dans ce cadre, elle a également permis la réouverture, dans le respect des mesures d'hygiène, de tous les autres commerces dont la fermeture avait été ordonnée par le Conseil fédéral en mars 2020, malgré une augmentation du nombre de cas positifs à la Covid-19. L'obligation litigieuse constitue ainsi la mesure qui porte le moins atteinte aux intérêts privés en cause dans le contexte dans laquelle elle a été prise. En l'état, elle respecte ainsi le principe de proportionnalité.

Il s'ensuit que le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 27 juillet 2020 par Monsieur A______ contre l'arrêté du Conseil d'État relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 du 24 juillet 2020 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mmes Lauber et McGregor, M. Knupfer, juges.

 

 

 

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :