Décisions | Chambre des prud'hommes
ACJC/1565/2025 du 03.11.2025 sur JTPH/198/2025 ( OO ) , CONFIRME
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE C/3876/2022 ACJC/1565/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU LUNDI 3 NOVEMBRE 2025 | ||
Entre
Madame A______, domiciliée ______ (USA), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 19 juin 2025 (JTPH/198/2025), représentée par
Me Carol TISSOT et Me Grace FOLEY, avocates, Eversheds Sutherland SA, rue du Marché 20, case postale 3465, 1211 Genève 3,
et
Madame B______, domiciliée c/o Mme C______, ______ [GE], intimée, représentée par Me Manuel BOLIVAR, avocat, BOLIVAR & BATOU, rue des Pâquis 35,
1201 Genève.
A. Par jugement JTPH/198/2025 du 19 juin 2025, reçu le lendemain par les parties, le Tribunal des prud’hommes a rejeté la requête de restitution de délai formée par A______ le 12 mars 2025 (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais de la procédure à 1'100 fr. (ch. 2), mis entièrement à la charge de A______ (ch. 3), condamné cette dernière à verser ledit montant aux Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 4), dit qu’il n’était pas alloué de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 6).
Il est indiqué au pied de la décision que celle-ci peut faire l’objet d’un appel à déposer dans les 10 jours suivant sa notification.
B. a. Par acte expédié le 30 juin 2025 à la Cour de justice, A______ a appelé de ce jugement, dont elle a sollicité l’annulation. Elle a conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens, principalement, à ce que la Cour ordonne la restitution de délai et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, plus subsidiairement pour instruction complémentaire.
Elle a produit la traduction en français de pièces rédigées en anglais qu’elle avait déposées en première instance.
b. Par réponse du 8 juillet 2025, B______ a conclu à la confirmation du jugement attaqué, sous suite de frais judiciaires et dépens.
c. Par réplique du 21 juillet 2025, A______ a persisté dans ses conclusions.
Elle a produit nouvellement photocopie de sa carte d’identité diplomatique émise le 18 août 2021 par la République de D______ [Etat africain] et son permis diplomatique valable dès le 23 août 2022 émanant du même Etat (pièce 11). Elle a formé des allégués nouveaux (allégués 25 à 37) notamment résultant de cette pièce et relatifs à ses contacts avec le « Senior Legal Advisor » de l’Office des Nations Unies à Genève (cf. ci-dessous let. C.x).
d. Par duplique du 6 août 2025, B______ a persisté dans ses conclusions et conclu à l’irrecevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux allégués dans et produits avec la réplique.
e. Les parties se sont encore déterminées les 25 août et 2 septembre 2025, persistant dans leurs conclusions respectives.
f. Elles ont été informées par la Cour le 18 septembre 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour.
a. A______ a travaillé à Genève au sein de E______ [organisme des Nations Unis] (ci-après : E______) jusqu’en juillet 2021. Elle n’était pas au bénéfice du statut diplomatique en Suisse.
b. Par contrat de travail du 12 août 2014, elle a engagé B______ en qualité de domestique privée, à compter du 1er septembre 2014 pour une durée indéterminée.
Le contrat était régi par le droit suisse et en particulier par l’Ordonnance sur les conditions d’entrée, de séjour et de travail des domestiques privés des personnes bénéficiaires de privilèges, d’immunités et de facilités (ci-après : ordonnance sur les domestiques privés du 6 juin 2011 ; ODPr ; RS 192.126).
Le salaire mensuel net s’élevait à 1'300 fr. pour un horaire de travail hebdomadaire de 44 heures.
Selon l’art. 13 du contrat, en cas de litige, les parties devaient tenter de parvenir à une solution amiable. Elles pouvaient, à cette fin, recourir à toute entité existante de règlement des litiges, telle que le Bureau de l’Amiable Compositeur à Genève.
c. Par courrier du 13 juillet 2021, A______ a indiqué à B______ que conformément à leur discussion du mois précédent 2021, elle s’était vu offrir le poste de conseiller principal en matière de ______ au bureau du Coordinateur résident des Nations Unies en D______. Elle allait ainsi quitter Genève pour déménager dans ledit pays aux alentours du 1er août 2021, date à laquelle elle rendrait sa carte de légitimation.
A______ mentionnait encore que ce courrier avait pour but de confirmer la fin du contrat de travail de B______, dont le salaire serait payé jusqu’à fin août 2021 eu égard au préavis découlant du contrat.
d. Par courrier du même jour, B______ a informé A______ qu’elle cessait de travailler immédiatement « jusqu’à ce que [ses] droits soient rétablis ». Elle sollicitait notamment le versement d’arriérés de salaire et d’heures supplémentaires et se plaignait de maltraitance.
e. En juillet 2021, des échanges ont eu lieu entre [le syndicat] F______, représentant B______, et A______, qui a référé le litige au Bureau de l’Amiable Compositeur, afin de tenter une médiation, laquelle a ensuite été refusée par le syndicat.
f. Par requête déposée en conciliation devant la juridiction des prud’hommes le 28 février 2022, B______ a conclu à la condamnation de A______ à lui verser la somme de 110’0810 fr. 70 avec intérêts moratoires de 5% dès le 1er février 2018 et à lui remettre notamment un certificat de travail.
g. Par courrier du 4 mars 2022, B______ a informé l’Autorité de conciliation de ce que A______ était désormais domiciliée à G______ en D______ et lui a communiqué l’adresse de celle-ci dans ce pays.
h. Par ordonnance du 16 mars 2022, l’Autorité de conciliation a imparti un délai à A______ pour élire un domicile de notification des actes de la procédure en Suisse et dit qu’à défaut, les actes de procédure lui seraient notifiés par voie édictale.
Cette ordonnance a été traduite en anglais le 21 mars 2022.
i. Par courrier du 25 mars 2022, l’Autorité de conciliation a demandé à l’Office fédéral de la justice, Division de l’entraide judiciaire internationale (ci-après : l’OFJ), de notifier l’ordonnance du 16 mars 2022 susmentionnée et sa traduction anglaise à A______ en D______.
j. Par courrier diplomatique du 30 août 2022, l’OFJ a requis de l’Ambassade suisse à H______, I______ [Etat voisin à la République de D______], des informations relatives au traitement de sa demande de notification d’un acte judiciaire à A______, datée du 28 mars 2022, initialement adressée à l’ambassade suisse de J______, K______ [Etat africain], puis transmise à H______ pour question de compétence.
k. Par courrier diplomatique du 14 mars 2023, l'OFJ a procédé à une deuxième demande de notification dudit acte judiciaire à A______ auprès de l'Ambassade suisse à H______.
l. Par courrier diplomatique du 18 juillet 2023, l’OFJ a procédé à une troisième demande de notification dudit acte judiciaire à A______ auprès de l'Ambassade suisse à H______. L’OFJ a constaté que malgré plusieurs rappels de l’Ambassade suisse de H______ au Ministère des Affaires étrangères de D______, la notification de l’acte judiciaire n’avait pas pu être exécutée. L’OFJ priait ainsi l’Ambassade de rappeler une dernière fois cette affaire à l’autorité requise et de lui impartir un délai de 60 jours pour répondre. À défaut de réponse à l’échéance du délai, il serait déduit que la notification par la voie diplomatique était impossible et que l’Autorité de conciliation pourrait procéder par voie de publication édictale.
m. Selon une note verbale du 29 août 2023, l’Ambassade suisse de H______ a requis du Ministère des Affaires étrangères de D______ une réponse aux précédentes notes verbales concernant la notification dudit acte judiciaire à A______.
n. Par courriel du 17 octobre 2023, l’OFJ a informé l’Autorité de conciliation de ce qu’elle n’avait pas obtenu de réponse des autorités de D______ et lui a transmis la note verbale susmentionnée.
o. Le 19 octobre 2023, les parties ont été convoquées à une audience de conciliation fixée au 20 novembre 2023. Vu l’impossibilité de notifier les actes par la voie diplomatique à A______, celle-ci a été citée par voie édictale.
p. A l’issue de l’audience de conciliation du 20 novembre 2023, à laquelle A______ n’était ni présente ni représentée, une autorisation de procéder a été délivrée à B______.
q. Par demande du 5 décembre 2023, complétée le 4 juin 2024, B______ a assigné A______ devant le Tribunal en paiement de la somme totale de 117'460 fr. 70 avec intérêts moratoires moyens à 5% l'an dès le 1er février 2018.
r. Par ordonnance du 18 décembre 2023, notifiée à A______ par voie édictale, le Tribunal a transmis la demande à la précitée et lui a imparti un délai de 30 jours pour déposer sa réponse ainsi que les moyens de preuve dont elle entendait se prévaloir.
A______ n'a pas donné suite à cette ordonnance.
s. Par ordonnance du 6 février 2024, notifiée à A______ par voie édictale, le Tribunal a octroyé à celle-ci un délai supplémentaire de 10 jours pour déposer sa réponse. Il l’a informée que, conformément à l'art. 223 al. 2 CPC, à défaut de réponse dans ce délai supplémentaire, le Tribunal rendrait une décision finale si la cause était en état d'être jugée ou citerait la cause aux débats principaux.
A______ n'a pas donné suite à cette ordonnance.
t. Le 17 avril 2024, une convocation a été notifiée par voie édictale à A______ pour une audience du Tribunal fixée au 10 juin 2024.
u. A______ n’était ni présente ni représentée à cette audience. B______ a confirmé ses conclusions et le Tribunal a gardé la cause à juger.
v. Par jugement JTPH/238/2024 du 16 septembre 2024, le Tribunal a condamné A______ à verser à B______ la somme brute de 117'460 fr. 70 avec intérêts moratoires moyens au taux de 5% l'an dès le 1er février 2018 et à lui remettre les fiches et certificats de salaire pour les années 2016 à 2021, ainsi qu'un certificat de travail daté de l’entrée en force du jugement et ayant la teneur du considérant 9 de celui-ci.
Dans la partie en fait du jugement, le Tribunal a exposé les tentatives de notification des actes judiciaires par voie diplomatique, la décision de procéder par voie édictale et l’absence de A______. Dans les considérants du jugement, le Tribunal a retenu que les ordonnances impartissant un délai pour répondre à A______ lui avaient été valablement notifiées, si bien qu’en ne déposant pas de mémoire réponse, la précitée avait fait défaut. Considérant que la cause n’était pas en état d’être jugée, il avait tenu le 10 juin 2024 une audience de débats, lors de laquelle A______ n’était ni présente ni représentée.
Ce jugement a été notifié à A______ par voie édictale le ______ 2024.
w. Par courrier du 21 novembre 2024, B______ a transmis à la Mission permanente de la Suisse auprès des Nations Unies le jugement précité et sollicité qu’il soit transmis à l’Office des Nations Unies à Genève.
x. Par « mémorandum intérieur » du 20 février 2025, les ressources humaines de E______ ont transmis à A______ ledit courrier ainsi que le jugement du 16 septembre 2024. Elles lui ont rappelé que les privilèges et immunités de l’Organisation ne dispensaient pas les membres du personnel de leur responsabilité de se conformer à leurs obligations juridiques privées.
y. Par courriel du 28 février 2025, A______ a contacté le « Senior Legal Adviser » de l’Office des Nations Unies à Genève, afin d’obtenir des conseils sur les démarches à entreprendre au vu du jugement du 16 septembre 2024, précisant que, compte tenu du retard dans la réception de la décision, elle souhaitait répondre au Tribunal le plus rapidement possible. Le même jour, le « Senior Legal Adviser » lui a conseillé de contacter un avocat suisse.
Il ressort desdits échanges que A______ n’était pas un haut fonctionnaire des Nations Unies au bénéfice d’une immunité diplomatique en Suisse. Elle bénéficiait uniquement d’une immunité fonctionnelle. A cet égard, le « Senior Legal Adviser » a précisé que les questions relatives aux employés nationaux n’étaient pas couvertes par l’immunité fonctionnelle, de sorte que cette dernière n’avait pas à être levée en cas de litige.
z. Le 3 mars 2025, A______ a pris contact avec son Conseil actuel.
D. a. Par requête en restitution de délai expédiée le 12 mars 2025, A______ a conclu, sous suite de frais, à ce que le Tribunal annule le jugement du 16 septembre 2024 et recommence la procédure.
Elle a fait valoir qu’une médiation était en cours quand elle avait quitté la Suisse en juillet 2021. Elle avait été informée de la clôture de celle-ci en avril 2022 et rien ne laissait supposer qu’une procédure judiciaire serait engagée à son encontre. Elle ne devait donc pas s’attendre à une communication judiciaire. A la suite de l’échec des tentatives de notification par voie diplomatique, toutes les notifications avaient été effectuées par voie édictale, de sorte qu’elle n’avait jamais été « formellement informée » de la procédure intentée à son encontre et l’avait ainsi ignorée sans sa faute. Elle avait reçu le jugement du 16 septembre 2024 en date du 20 février 2025 par l’intermédiaire de son employeur. Cela étant, elle n’avait eu connaissance de la possibilité de solliciter une restitution de délai que le 3 mars 2025, lorsqu’elle avait consulté son Conseil. Le délai relatif de 10 jours et le délai absolu de 6 mois étaient ainsi respectées.
b. Par déterminations du 9 avril 2025, B______ a conclu à l’irrecevabilité et au rejet de la requête de restitution, sous suite de frais.
Elle a soutenu que le délai de 10 jours de l’art. 148 al. 2 CPC avait commencé à courir le 20 février 2025 au moment où A______ avait reçu le jugement du 16 septembre 2024, de sorte que ce délai était parvenu à échéance le 3 mars 2025. La requête en restitution était ainsi irrecevable. En outre, la notification par voie édictale, dont les conditions étaient remplies, avait créé une présomption irréfragable de connaissance des actes judiciaires. Il était ainsi présumé de façon irréfragable que A______ connaissait les délais impartis, de sorte qu’elle ne pouvait en solliciter la restitution. Enfin, cette dernière devait se douter qu’une procédure judiciaire aurait lieu après son départ de Suisse et ne pouvait ignorer qu’il était difficile de notifier des actes judiciaires en D______. Il lui incombait de se tenir informée de l’évolution du litige à Genève. Elle avait commis une faute grave, de sorte que les conditions de la restitution n’étaient pas remplies.
D. Dans le jugement querellé, le Tribunal a retenu que A______ avait eu connaissance le 20 février 2025 du jugement rendu à son encontre, lorsque celui-ci lui avait été transmis par E______. Cette date pouvait être considérée comme le dies a quo de la fin de l’empêchement au sens de l’art. 148 CPC. Le délai de 10 jours était ainsi parvenu à échéance le 3 mars 2025 et la requête en restitution de délai du 12 mars 2025 était tardive. La question du respect du délai absolu de 6 mois pouvait ainsi demeurer ouverte, tout comme il n’était pas nécessaire d’examiner le bien-fondé de la demande de restitution et notamment la question de la faute.
1.1 La décision entreprise ayant été communiquée aux parties après le 1er janvier 2025, la présente procédure d'appel est régie par le nouveau droit de procédure (art. 404 al. 1 et 405 al. 1 CPC).
1.2.1 L’appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) dans les affaires patrimoniales, si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10’000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
Selon l’art. 149 CPC, le tribunal donne à la partie adverse l’occasion de s’exprimer et statue définitivement sur la restitution au sens de l’art. 148 CPC, à moins que le refus de restitution n’entraîne la perte définitive du droit.
La possibilité d'attaquer le rejet d'une requête de restitution de délai lorsque cette décision entraîne, pour la partie défaillante, la perte définitive de l'action ou d'un moyen (ATF 139 III 478 c. 1 et 6), désormais codifiée à l'art. 149 CPC dans sa teneur au 1er janvier 2025, se présente lorsque la requête de restitution est déposée alors que l'autorité de conciliation ou le tribunal de première instance a déjà clos la procédure par une décision finale ou en rayant la cause du rôle et que la requête vise à rouvrir la procédure. Pour autant que le refus entraîne la perte définitive de l'action ou d'un moyen d'action, cette décision est alors finale et susceptible d'un appel aux conditions de l'art. 308 CPC ou d'un recours selon l'art. 319 let. a CPC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_868/2024 du 1er mai 2025 consid. 3.1 et 3.2.2).
1.2.2 En l’espèce, la décision de refus de restitution met fin à une instance spécifique; il s’agit donc d’une décision finale aux termes de l'art. 308 al. 1 let. a CPC. En outre, le jugement du 16 septembre 2024 a statué définitivement sur la demande en paiement formée par l’intimée avec autorité de chose jugée, de sorte que le refus de restitution entraîne pour l’appelante, la perte définitive de tout moyen de défense. Il s’ensuit que la voie de l’appel est ouverte (cf. également TAPPY, Le défaut et la restitution, in Dix ans de Code de procédure civile, 2020, p. 135 ss, n. 134-141 et les références citées).
Interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), en temps utile et suivant la forme et le délai prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 311 CPC), dans une cause où la valeur litigieuse minimale est atteinte compte tenu des conclusions patrimoniales de plus de 100'000 fr. formulées dans la demande en paiement de l’intimée, l’appel est recevable.
2. L’appelante allègue des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles.
2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).
2.2 En l’espèce, l’appelante produit les traductions de pièces qu’elle a déposées en première instance. La teneur des titres en question n’est pas nouvelle, de sorte que les traductions seront admises, ce à quoi l’intimée ne s’oppose d’ailleurs pas.
Les autres pièces nouvelles de l’appelante, ainsi que ses allégations nouvelles ne sont en revanche pas recevables, puisqu’elles auraient pu être produites, respectivement formées, en première instance.
3. Dans un premier grief, l’appelante reproche au premier juge d’avoir instruit la cause par voie édictale alors que les conditions fixées à l'art. 141 CPC n'étaient, selon elle, pas remplies. La procédure serait ainsi viciée et la décision du 16 septembre 2024 devrait être annulée.
3.1
3.1.1 Le tribunal notifie aux personnes concernées notamment les ordonnances et les décisions (art. 136 let. b CPC). Celles-ci sont notifiées par envoi recommandé ou d'une autre manière contre accusé de réception (art. 138 al. 1 CPC).
Une notification internationale a lieu lorsqu’elle doit intervenir à l’étranger. L’accord du pays où la notification doit avoir lieu peut être donné par les conventions internationales multilatérales (Convention du 17 juillet 1905 relative à la procédure civile ; Convention du 1er mars 1954 relative à la procédure civile ; Convention du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale) et les conventions internationales bilatérales, ou à défaut par la voie diplomatique (Bohnet, CR CPC, 2ème éd., 2019, n. 3-4 ad art. 138 CPC). En l’espèce, aucun accord international ou bilatéral n’a été conclu entre la Suisse et la D______.
Selon la jurisprudence, la notification d'un document officiel à l'étranger, qu'il s'agisse d'une décision administrative ou d'un acte judiciaire, constitue un acte de souveraineté étatique susceptible de porter atteinte à la souveraineté ou à l'intégrité territoriale de l'État concerné et donc d'enfreindre le droit international public. En l'absence d'une disposition contraire dans un traité international ou d'un autre accord de l'État concerné, la décision doit donc en principe être notifiée par voie diplomatique ou consulaire. Seules font exception les communications à caractère purement informatif qui n'ont pas d'effets juridiques et peuvent donc être envoyées directement par la poste (arrêt du Tribunal fédéral 2C_478/2017 du 9 avril 2018 consid. 4.1 et les références citées).
En l’absence d’accord avec l’Etat concerné, les requêtes suisses destinées à l’étranger doivent être transmises par la voie diplomatique. Dans de tels cas, les requêtes suisses devront être adressées à l’Office fédéral de la justice (OFJ), qui les transmettra à la représentation suisse dans l’Etat de destination. A son tour, celle-ci les transmettra au Ministère des affaires étrangères de l’Etat de destination. Ce dernier fera suivre les requêtes à l’autorité locale compétente. La notification directe par voie postale n'est admise que dans la mesure où l’Etat de destination admet un tel moyen de procéder. Pour la marche à suivre spécifique à chaque pays, l’OFJ renvoie au Guide de l'entraide judiciaire (OFJ, Entraide judiciaire internationale en matière civile, Lignes directrices, éd. 2003 mise à jour le 1er juillet 2024, p.10-11). A teneur de ce guide disponible sur le site internet de l’OFJ, la notification directe par voie postale n’est pas admise en ce qui concerne la D______ (https://www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/rechtshilfefuehrer.html).
3.1.2 La notification par voie édictale est un mode subsidiaire de notification, qui intervient uniquement lorsque les autres formes de notifications ne sont pas possibles. Elle dépend de la réalisation de conditions strictes, à défaut desquelles elle est nulle. Elle est principalement prévue pour des communications devant avoir lieu à l’étranger (ATF 119 III 60 consid. 2; Bohnet, op. cit., nos. 2 et 16 ad art. 141 CPC).
Ce type de notification prévu à l’art. 141 CPC est effectué par publication dans la feuille officielle cantonale [à Genève : la FAO] ou dans la Feuille officielle suisse du commerce lorsque le lieu de séjour du destinataire est inconnu et n'a pu être déterminé en dépit des recherches qui peuvent raisonnablement être exigées (let. a), lorsqu'une notification n'est pas possible ou présente des difficultés extraordinaires (b), ou lorsque la partie domiciliée à l'étranger n'a pas élu de domicile de notification en Suisse malgré l'injonction du tribunal (let. c). L’acte est réputé notifié le jour de la publication (al. 2).
C’est avant tout lorsque la notification doit avoir lieu à l’étranger et que l’Etat de destination refuse d’y procéder en temps utile que l’hypothèse de l’art. 141 al. 1 let. b CPC se présente. Des délais pouvant aller jusqu’à 15 mois ne justifient pas de recourir à une notification par voie édictale (ATF 129 III 556 consid. 4). Des difficultés extraordinaires ne devraient donc être reconnues qu’en cas de difficultés concrètes, soit après une tentative infructueuse, soit dans les cas où l’OFJ qualifie la notification d’impossible (Bohnet, op. cit., n. 7 ad art. 141 CPC et les références citées).
La notification par voie édictale est le moyen ultime auquel le tribunal ne peut avoir recours que lorsque l'une des trois hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 141 al. 1 let. a à c CPC est réalisée. Si le tribunal utilise la notification par voie édictale alors que les conditions n'en sont manifestement pas réunies, la décision souffre d'un vice de procédure d'une gravité telle qu'en règle générale elle apparaît nulle. Il en va ainsi, à tout le moins, dans les cas où le destinataire n'a eu aucune connaissance de la procédure en cours et n'a donc pas eu la possibilité d'y participer. La sanction de la nullité ne s'applique ainsi pas systématiquement en cas de notification viciée par la voie édictale, la nullité apparaissant en définitive limitée aux cas où la partie n'a pas eu connaissance de la procédure. Il convient d'examiner dans chaque cas, d'après les circonstances de l'espèce, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l'irrégularité de communication et a, de ce fait, subi un préjudice. Les règles de la bonne foi, qui fixent une limite à l'invocation d'un vice de forme, sont à cet égard décisives (arrêt du Tribunal fédéral 5A_170/2023 du 13 octobre 2023 consid. 4.1.4 et les références citées).
3.1.3 Dans la mesure où la nullité peut être relevée en tout temps, la personne concernée peut aussi l’invoquer en tout temps, dans le respect des règles de la bonne foi (art. 52 CPC), qui fixent une limite à l’invocation d’un vice de forme (arrêt du Tribunal fédéral 5A_699/2019 du 30 mars 2020 consid. 5.1).
3.2 En l’espèce, il n’est pas contesté que fin juillet 2021, l’appelante s’est installée en D______, ni que son adresse de résidence dans ce pays était connue de l’intimée et du Tribunal.
En l’absence de convention internationale ou de traité bilatéral entre la Suisse et la D______, la notification d’un acte judiciaire suisse ne pouvait se faire en D______ que par l’intermédiaire de l’OFJ. La notification des actes judiciaires par voie postale n’était donc pas admise, pas plus que, a fortiori, une notification via l’employeur de l’appelante. À cet égard, le fait que l’intimée ait effectivement transmis la décision rendue par le Tribunal audit employeur ne change rien à ce qui précède, puisque, n’étant pas une autorité judiciaire, les règles du Code de procédure civile ne lui sont pas applicables.
L’OFJ a tenté à plusieurs reprises de notifier les actes judiciaires à l’appelante par la voie diplomatique, sans y parvenir, aucune réponse n’ayant été obtenue des autorités de D______. Conformément aux constatations de de l’OFJ dans son courrier du 18 juillet 2023, cette absence de réponse permettait de conclure que la notification par voie diplomatique était impossible, autorisant ainsi l’Autorité de conciliation à procéder par voie édictale.
Enfin, dans la mesure où l’appelante n’avait pas le statut diplomatique en Suisse, ses développements en lien avec ce statut sont dépourvus de pertinence.
Il s’ensuit que la notification des actes judiciaires à l’appelante a été effectuée par le Tribunal à juste titre par voie édictale.
Le grief de l’appelante se révèle donc infondé.
4. L’appelante reproche aux premiers juges d’avoir rejeté sa requête en restitution de délai pour cause de tardiveté.
Elle soutient également que le Tribunal aurait dû faire application de la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.
4.1
4.1.1 Une partie est défaillante lorsqu’elle omet d’accomplir un acte de procédure dans le délai prescrit ou ne se présente pas lorsqu’elle est citée à comparaître (art. 147 al. 1 CPC).
Aux termes de l'art. 148 CPC, le tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n'est imputable qu'à une faute légère (al. 1). La requête est présentée dans les dix jours qui suivent celui où la cause du défaut a disparu (al. 2). Si une décision a été communiquée, la restitution ne peut être requise que dans les six mois qui suivent l'entrée en force de la décision (al. 3).
4.1.2 Le point de départ du délai de 10 jours est au plus tôt le jour où le défaillant aurait dû agir ou comparaître, mais parfois plus tard, si la cause qui a entraîné le défaut se prolonge. Si le défaillant rend vraisemblable qu’il a méconnu sans sa faute ou à la suite d’une faute légère seulement le délai de réponse ou la convocation aux débats principaux, en particulier lorsque le délai de réponse ou la citation à comparaître auront été notifiés par voie édictale, il se pourrait que le délai de l’art. 148 al. 2 CPC parte seulement de la communication d’une décision par défaut, voire de sa connaissance effective ultérieure, notamment dans le cas où cette communication elle-même aurait eu lieu par voie édictale. C’est évidemment cette hypothèse qui a fait prévoir à l’art. 148 al. 3 CPC le délai absolu de six mois évoqué plus loin. Le défaillant doit demander la restitution dans les dix jours dès le moment où il apprend effectivement qu’il aurait dû respecter le délai ou comparaître. Il n’est pas nécessaire que ce soit par un avis officiel et cela pourrait même découler d’un courrier ou d’un appel de la partie adverse, mais il doit en avoir une connaissance suffisamment sûre (Tappy, CR CPC, 2ème éd., 2019, nos. 25 et 27 ad art. 148 CPC).
4.1.3 L’art. 16 de la la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (CLaH 65) permet à certaines conditions (ignorance de la convocation sans faute de sa part) à une partie domiciliée dans un autre Etat et convoquée selon cette convention d’être relevée d’une condamnation par défaut si elle en fait la demande dans un délai raisonnable. Une telle demande doit prendre en Suisse la forme d’une requête de restitution selon l’art. 148 CPC et le délai raisonnable prévu conventionnellement, qui dépend des circonstances et peut parfois dépasser 10 jours, l’emporte alors vu la réserve générale de l’art. 2 CPC, sur celui de l’art. 148 al. 2 CPC (Tappy, op. cit., n. 28 ad art. CPC).
4.2 En l’espèce, la notification du jugement du 16 septembre 2024 étant intervenue par voie édictale, le délai de 10 jours a commencé à courir à compter de la connaissance effective ultérieure par l’appelante de la décision rendue par défaut.
L’appelante a eu une connaissance effective de ce jugement le 20 février 2025, lorsqu’elle l’a reçu de E______, étant précisé qu’il n’est pas nécessaire que dite connaissance effective intervienne par avis officiel.
La lecture dudit jugement, le 20 février 2025, a permis à l’appelante de comprendre que la notification des actes judiciaires avait eu lieu par voie édictale, qu’elle n’avait pas répondu à la demande, ni comparu aux audiences, et que le jugement avait été rendu par défaut.
Il s’ensuit que dès la prise de connaissance du jugement le 20 février 2025, l’appelante a appris son défaut dans la procédure prud’homale ouverte à son encontre, et aurait donc dû solliciter la restitution du délai dans les dix jours à compter de cette date.
À cet égard, il ressort des échanges de courriels entre l’appelante et le « Senior Legal Adviser » de l’Office des Nations-Unies à Genève que la précitée avait conscience du fait qu’elle devait agir vite. Or, elle a attendu 8 jours pour solliciter l’avis du « Senior Legal Adviser » de l’Office des Nations-Unies à Genève, et 11 jours pour contacter un avocat suisse.
Enfin, l’appelante ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que la CLaH 65 aurait dû être appliquée par le Tribunal, dès lors qu’elle était domiciliée aux Etats-Unis, soit un Etat partie à la CLaH 65, quand son employeur lui a transmis le 20 février 2025 le jugement du 16 septembre 2024. En effet, l’appelante était domiciliée en D______ au moment où la Suisse, soit l’Autorité de conciliation, devait lui notifier l’ordonnance du 16 mars 2022, les autres actes de procédure et le jugement du 16 septembre 2024. Or, comme déjà relevé, il n’existe pas d’accord entre la Suisse et la D______ dans le domaine de l’entraide judiciaire internationale en matière civile. En particulier, la D______ n’est pas partie à la CLaH 65, de sorte que celle-ci n’était pas applicable à la notification de ladite ordonnance, ni des actes judiciaires ultérieurs.
C’est ainsi à raison que le Tribunal a retenu que la requête en restitution de délai n’avait pas été déposée dans le délai légal de dix jours suivant celui où la cause du défaut a disparu.
Le deuxième grief de l’appelante se révèle ainsi également infondé.
5. L’appelante reproche au Tribunal de ne pas avoir tenu compte du statut diplomatique dont elle bénéficiait, selon elle, en D______ et/ou en Suisse, qui nécessitait, à son avis, une demande de levée de l’immunité de juridiction par voie diplomatique, conformément à l’ordonnance sur les domestiques privés du 6 juin 2011.
Il est superflu d’examiner ce dernier argument de l’appelante, dans la mesure où, en toute hypothèse, l’engagement de personnel de maison par un diplomate constitue une activité commerciale qui n’est pas couverte par l’immunité diplomatique (arrêt du Tribunal fédéral 4A_170/2024 du 25 septembre 2025, destiné à la publication).
6. Les griefs de l’appelante se révélant tous infondés, le jugement attaqué sera confirmé.
7. Au regard de la valeur litigieuse supérieure à 50'000 fr., il y a lieu de percevoir des frais judiciaires pour la procédure d'appel (art. 114 let. c cum 116 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC).
Les frais judiciaires de seconde instance seront arrêtés à 1’000 fr. et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 95 et 106 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC).
Il n'est pas alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes (art. 22 al. 2 LaCC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
A la forme :
Déclare recevable l’appel interjeté le 30 juin 2025 par A______ contre le jugement JTPH/198/2025 rendu le 19 juin 2025 par le Tribunal des prud’hommes dans la cause C/3876/2022.
Au fond :
Confirme le jugement entrepris.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d’appel à 1'000 fr. et les met à la charge de A______.
Condamne A______ à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 1'000 fr.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d’appel.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Monique FLÜCKIGER, Monsieur
Michael RUDERMANN, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.
Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.