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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/24928/2022

ACJC/781/2025 du 06.06.2025 sur JTPH/194/2024 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24928/2022 ACJC/781/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU VENDREDI 6 JUIN 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 26 juillet 2024 (JTPH/194/2024), représentée par Me David AUBERT, avocat, Aubert Spinedi Street & Associés, rue de Saint-Léger 2, case postale 107, 1211 Genève 4,

 

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Yvan JEANNERET, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/194/2024 du 26 juillet 2024, reçu le 29 du même mois par les parties, le Tribunal des prud'hommes (ci-après: le Tribunal) a déclaré recevable la demande formée le 24 avril 2023 par B______ contre A______ SA (ch. 1), condamné A______ SA à verser à B______ la somme nette de 49'500 fr. (quarante-neuf mille cinq cent francs), avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 31 juillet 2020 (ch. 2), débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 3) et dit qu'il ne serait pas perçu de frais, ni alloué de dépens (ch. 4).

B.            a. Par acte déposé le 6 septembre 2024 au greffe de la Cour de justice (ci-après: la Cour), A______ SA a formé appel de ce jugement, sollicitant l'annulation du chiffre 2 de son dispositif. Cela fait, elle a conclu, principalement, à ce que la Cour déboute B______ de ses conclusions, subsidiairement, à ce que la Cour renvoie la cause au Tribunal pour audition des quatre témoins restant et nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. Dans sa réponse du 9 octobre 2024, B______ a conclu au rejet de l'appel.

c. Par courrier du 6 novembre 2024, A______ SA a informé la Cour de ce qu'elle renonçait à répliquer.

d. Par avis de la Cour du 6 novembre 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure:

a. A______ SA a pour but l’exploitation d’une entreprise de pose de carrelage et de revêtements de sols.

Q______ (ci-après: M. Q______) en est l'administrateur avec signature individuelle ainsi que le détenteur de l'entier du capital-actions de 100'000 fr.

b. B______ a été employé par A______ SA dès le 1er janvier 2008 en tant que carreleur A, pour un poste à durée indéterminée à temps plein, sans contrat de travail écrit.

c. Le travail de B______ a pleinement satisfait M. Q______ et une relation de confiance s'est progressivement instaurée entre les deux hommes.

d. A la fin de l'année 2018, M. Q______, dont la retraite approchait, a proposé à B______ de reprendre A______ SA. L'employé a manifesté son intérêt au rachat de l'entreprise sans toutefois disposer des réserves financières nécessaires. Un système de financement a été convenu oralement entre les parties, qui s'opposent quant au contenu dudit accord (cf. let. j et k infra). Le prix de vente de l'entreprise n'a pas fait l'objet d'un accord des parties.

Devant le Tribunal, M. Q______ a déclaré que l'accord oral n'avait pas été formalisé par écrit par manque de temps en raison de son travail puis du COVID-19.

e. Il a été convenu dans le cadre de cet accord que B______ devienne technicien d'entreprise à compter de 2019; son salaire mensuel a en outre été augmenté de 31 fr. 50 à 36 fr. de l'heure. Dès le 1er janvier 2020, l'employé a perçu un salaire mensuel fixe de 7'000 fr. bruts. Un véhicule de fonction a également été mis sa disposition.

Ce nouveau poste était accompagné de nouvelles responsabilités telles que la supervision de chantiers, la tenue de réunions de chantier, le contrôle du personnel, la gestion du matériel et l'organisation des travaux.

Selon les explications de B______ au Tribunal, sa charge de travail a augmenté suite à son changement de poste car il avait désormais du personnel sous sa responsabilité. Il était en outre parfois amené à travailler les samedis pour préparer le matériel et au-delà de 17h00 en semaine à l'occasion de rendez-vous clients.

f. Il ressort, par ailleurs, des fiches de salaire de B______ qu'entre 2019 et 2022, l'employé a perçu, en plus de son salaire mensuel (perçu treize fois l'an), une prime soumise aux cotisations sociales usuelles.

f.a En 2019, B______ a ainsi perçu chaque mois une prime variant entre 1'500 fr. et 3'000 fr., soit un montant annuel de 24'250 fr. Par ailleurs, un "acompte versé" de 1'500 fr. a systématiquement été déduit de son salaire net, soit un montant annuel de 18'000 fr.

Selon son certificat de salaire, l'employé a perçu un montant annuel brut de
82'072 fr.10.

f.b En 2020, B______ a reçu une prime de 1'500 fr. en janvier, février, août et septembre, ainsi qu'une prime de 3'000 fr. en novembre, soit un total de 9'000 fr. Un "acompte versé" du même montant que la prime a été déduit de son salaire net pour ces mêmes mois.

Selon son certificat de salaire, il a perçu un montant annuel brut de 99'306 fr. 20.

f.c En 2021, l'employé a touché chaque mois une prime de 1'500 fr., soit un montant annuel de 18'000 fr., tandis qu'un "acompte versé" d'un montant identique à celui de la prime a été systématiquement déduit de son salaire net.

Il ressort de son certificat de salaire qu'il a perçu un montant annuel brut de 109'000 fr.

f.d Selon ses fiches de salaire de janvier et février 2022, B______ a perçu une prime de 2'250 fr., soit 4'500 fr. pour les deux mois, et un "acompte versé" du même montant a été déduit de son salaire pour les deux mois en question.

g. Les primes correspondantes aux acomptes déduits du salaire n'ont pas été perçues par B______; elles ont été versées sur un compte bancaire ouvert au nom de M. Q______.

h. Par courrier du 21 mars 2022 B______ a démissionné de son poste auprès de A______ SA moyennant un préavis de trois mois.

Devant le Tribunal, B______ a déclaré avoir démissionné parce que M. Q______ lui avait fait savoir qu'il n'envisageait plus le rachat; ce dernier voulait favoriser l'accession de sa fille à la direction de l'entreprise.

De son côté, M. Q______ a expliqué au Tribunal qu'il s'était aperçu que l'employé passait son temps sur les chantiers et ne venait jamais au bureau; il ne s'investissait pas dans les tâches administratives, comme l'établissement de devis. Il s'était finalement rendu compte que B______ ne disposait pas des facultés requises pour reprendre la société. Il l'avait ainsi "remis à la pose de carreaux" mais ne lui avait jamais dit que l’accord était rompu. Le précité avait démissionné quelques semaines plus tard. Sa fille, qui avait rejoint l'entreprise en 2021, allait effectivement reprendre l'entreprise mais il n'était "allé chercher" celle-ci qu'après "l'échec" de B______.

i. Par courrier du 6 mai 2022, B______ a réclamé à A______ SA le versement de 49'500 fr. correspondant à la totalité des primes pour la période du 1er janvier 2019 au 31 mars 2022.

j. Par courrier du 25 mai 2022, A______ SA a répondu à B______ en indiquant que selon leur accord oral concernant le rachat de la société, il avait été convenu qu’elle lui accorde, sous forme de don réparti sur une période de quatre ans, un montant total de 100'000 fr., correspondant au capital-actions de la société, afin de lui permettre d’en acquérir à terme la propriété. La condition était toutefois que l'employé reprenne la société. Ce don conditionnel avait été mis en place afin d’éviter à B______ d'être fiscalement impacté au moment du rachat de la société. Le solde du prix de vente devait être payé sous forme de rentes sur un délai de 10 à 15 ans. La démission de l'employé avait entraîné la rupture de l'accord concernant la reprise de la société, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de restituer quelconque montant à l'employé, qui n'avait pas versé un centime; le montant capitalisé restait acquis à A______ SA.

k. Par courrier du 30 juin 2022, B______ a répondu à A______ SA en lui indiquant qu'en 2019 elle lui avait accordé une hausse de salaire (de 1'500 fr. puis de 2'250 fr.), figurant sur les fiches de salaire et soumise aux cotisations sociales; il s'agissait ainsi d'une prestation salariale qui lui était acquise. De plus, dans le cadre de l'accord oral de reprise de la société, cette part de ladite hausse de salaire était déduite mensuellement de son salaire pour financer le rachat des actions de A______ SA, dont le prix d'acquisition de la société n'avait toutefois jamais été établi. Un montant total de 49'500 fr. avait été déduit de son salaire. Ledit accord était toutefois désormais caduc et il n'avait reçu aucune contre-prestation. Aucun document ne stipulait que les sommes déduites du salaire seraient acquises à la société en cas de rupture de l'accord, de sorte qu'elles devaient lui être restituées.

l. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 décembre 2022, non conciliée le 31 janvier 2023 et introduite le 24 avril 2023, B______ a assigné A______ SA en paiement de la somme totale nette de 49’500 fr. avec intérêts moratoires à 5% l’an dès la date moyenne du 31 juillet 2020.

B______ a fait valoir que les déductions mensuelles opérées sur son salaire avaient pour but de financer le rachat du capital-actions de 100'000 fr. de la société, de sorte qu'il s'agissait d'un plan d'intéressement. Un montant de 49'500 fr. avait été déduit de son salaire et aucun transfert d'actions n'était intervenu.

m. Par réponse du 25 juillet 2023, A______ SA a conclu au déboutement de B______, sous suite de frais.

Elle a soutenu que la prime ne constituait pas un plan d’intéressement, en l’absence de tout plan établi, de transfert d’actions ou de tout autre élément allant en ce sens. Elle n'était pas côtée en bourse et n'avait pas cherché à favoriser un cadre. Le montant de 49'500 fr. n'était pas du salaire mais une donation conditionnée au rachat de l'entreprise par l'intimé, de sorte qu'il n'était pas dû à ce dernier. Le don du capital-social à son employé était conforme à son intérêt, dès lors que M. Q______ vendait sa société et recevait le paiement du prix pendant de nombreuses années, lui garantissant ainsi le financement de sa retraite. De son côté, l'employé bénéficiait d'un prix de vente réduit.

Avec sa réponse, A______ SA a notamment produit trois attestations de C______, D______ et E______, ainsi qu’un courriel de F______, qui seront résumées ci-après (cf. let. u, v et w infra).

n. Par réplique et duplique des 28 septembre et 27 octobre 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

o. Par ordonnance de preuves du 21 décembre 2023, le Tribunal a notamment admis l'audition des témoins C______, D______, F______, E______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______ et N______.

L'audition de ces douze témoins, tous cités par A______ SA, était requise sur les mêmes allégués de fait.

p. Lors de l'audience de débats d'instruction du même jour, le Tribunal a programmé deux audiences les 21 février et 6 mars 2024 pour entendre les témoins C______, K______, F______, D______ et E______. Il a fixé une troisième audience en avril 2024 indiquant que d'autres témoins pourraient y être entendus si besoin.

q. A l'issue de l'audience du 21 février 2024, le Tribunal a précisé qu'en plus de l'audition des témoins, l'audience du 6 mars 2024 porterait sur l'audition des parties et les plaidoiries finales.

r. Les déclarations des parties et les témoignages ont été intégrées dans l'état de fait ci-dessus dans la mesure utile. Il en ressort encore les éléments pertinents suivants:

s. M. Q______ a déclaré au Tribunal que B______ ne disposait pas des capacités financières pour reprendre l’entreprise. Il avait discuté avec C______ et D______ des différentes options susceptibles de permettre cette reprise. Il avait augmenté le salaire de l'employé d'environ 23% et y avait ajouté une prime de 1'500 fr. dans le but de créer un capital de départ pour la reprise de l'entreprise. B______ devait encore verser 500'000 fr. de manière échelonnée pour finaliser ce rachat. La prime devait servir à fournir un capital au rachat et ne constituait pas un élément de salaire, raison pour laquelle les primes n'avaient pas été versées sur un compte ouvert au nom de l'employé et étaient restées en sa possession.

t. De son côté, B______ a déclaré que conformément à l'accord convenu en vue du rachat, il était passé technicien et son salaire avait été augmenté. À compter de 2019, il avait perçu une rémunération composée de son salaire ainsi que d’une prime, qui en faisait partie. Les cotisations sociales étaient d’ailleurs prélevées sur cette prime, et les impôts étaient calculés sur cette base. Une partie de cette augmentation de salaire était mise de côté pour qu'il puisse racheter la société lorsque M. Q______ prendrait sa retraite. Les primes ne lui avaient jamais été versées et il ignorait où elles avaient été transférées. Il supposait toutefois qu'elles avaient été versées sur un compte de M. Q______ ou de l'entreprise. Si l'accord de rachat avait abouti, il aurait acheté le fonds de commerce avec les fonds mis de côté; il aurait en outre dû effectuer, durant plusieurs années, des versements en faveur de M. Q______ pour compléter ce rachat.

u. C______ est secrétaire ______ [statut] de la O______ (ci-après: O______), dont M. Q______ est le président. Il est aussi propriétaire d’une entreprise fiduciaire, qui s'occupe d'établir les fiches de salaire des employés de A______ SA, dont celles de B______. Il connaissait M. Q______ depuis 18 ans et le voyait toutes les deux semaines en raison de leurs fonctions respectives à la O______. Leurs rencontres avaient donné naissance à une forme d'amitié. En revanche, le témoin C______ ne connaissait pas B______, avec qui il n'avait jamais été en contact. Il n'avait ainsi pas été témoin des discussions entre ce dernier et M. Q______ quant au rachat de l'entreprise. Confirmant son attestation datée du 25 août 2022, C______ a déclaré qu'en 2018, M. Q______ l'avait consulté pour mettre en place une transaction permettant à B______ de racheter A______ SA. L'employé ne disposant pas des moyens financiers nécessaires, M. Q______ avait décidé de lui faire don de la valeur nominale du capital-actions à hauteur de 100'000 fr. Le versement d'un don de 100'000 fr. au jour de la signature du contrat de vente aurait toutefois entrainé une charge fiscale insupportable pour l'employé. M. Q______ avait ainsi décidé d’augmenter le salaire de base de M. B______, d’ajouter le don théorique, correspondant au capital-actions divisé par 45 à 48 mois, chaque mois sur le salaire brut et de déclarer ce don aux institutions sociales et fiscales ce, afin que sur la fiche de salaire, le don soit déduit en tant qu'acompte versé. Ainsi, le jour de la transaction, les impôts et charges sociales seraient déjà payés sur le don du capital-actions. La prime de 1'500 fr. ne serait pas versée à l'employé avec le salaire mais sur un compte bancaire ouvert au nom de M. Q______ et remis à l'employé le jour de la signature de l’acte d'achat de l'entreprise. Le solde du prix d'achat, qui n'avait pas été déterminé à sa connaissance, devait être versé sur 4 à 5 ans. Dans l’hypothèse où la vente de l’entreprise n’aurait pas eu lieu, le montant versé sur le compte de M. Q______ revenait à ce dernier, puisque cette somme avait pour finalité la cession de l’entreprise à l’employé.

v. D______ est ______ [statut prof.] au sein de la O______ et du P______ (P______). Elle a déclaré au Tribunal qu'elle collaborait depuis de nombreuses années avec M. Q______ en raison de leurs fonctions professionnelles respectives. Elle avait noué une forme d'amitié avec ce dernier. D______ était au courant du projet de rachat de A______ SA par B______. Elle s'était limitée à conseiller M. Q______ quant au processus qu'il voulait mettre en place concernant le rachat de l'entreprise; elle n'avait pas rédigé de contrats. B______ n'avait participé à aucune séance informelle au sujet du rachat. Lors de son audition par le Tribunal, le témoin D______ a encore confirmé la teneur de son attestation datée du 24 août 2022, de laquelle il ressort que M. Q______ lui avait parlé du plan de financement qu'il avait mis en place afin que B______ puisse racheter A______ SA. Il était notamment question du versement d’une prime mensuelle de 1'500 fr. à l'employé et d’une retenue d’un acompte mensuel du même montant sur le salaire de ce dernier, versé sur un compte ouvert au nom de M. Q______, pour permettre à l'employé d'acquérir le capital-social de la SA. Si la relation professionnelle devait être stoppée avant la reprise effective de l'entreprise, les sommes versées à titre de capital ne seraient pas restituées à B______, dès lors que ce dernier n'apportait pas de contrepartie financière dans ce rachat.

w. Il ressort des déclarations au Tribunal de E______, architecte d'intérieur à la retraite, qu'il a collaboré durant de nombreuses années avec A______ SA, dont il connaissait les employés. Il n'avait jamais discuté des aspects financiers de la reprise de l'entreprise avec l'une ou l'autre des parties. Il n'avait, en particulier, pas eu connaissance d'une donation ou d'un transfert d'argent de M. Q______ envers son employé. Confirmant son attestation du 19 août 2022, le témoin E______ a encore déclaré avoir encouragé M. Q______, qui approchait l'âge de la retraite, à vendre l’entreprise à B______, qui était un ouvrier modèle et excellent professionnel et dont il était convaincu qu'il serait apte à succéder à M. Q______.

x. F______, comptable et propriétaire d'une entreprise fiduciaire, a déclaré au Tribunal qu'il collaborait avec A______ SA depuis une quinzaine d'années, à raison d'une ou deux fois par an. Son lien avec M. Q______ était uniquement professionnel. Il ne connaissait pas B______. Confirmant la teneur de son courriel du 26 août 2022, il a déclaré au Tribunal avoir estimé, à la demande de M. Q______, la valorisation de A______ SA à 600'000 fr. aux fins de rachat. Il a ensuite encore précisé au Tribunal qu'il s'était basé sur des documents trouvés dans l'entreprise et n'avait eu aucun contact avec B______. Il n'avait pas eu connaissance des modalités du règlement du prix de vente de l'entreprise. Il savait uniquement qu'un employé avait reçu une augmentation de salaire et des primes qui devaient constituer un capital pour racheter les actions de l'entreprise. Les primes étaient versées dans le cadre du salaire et correspondaient aux sommes dédiées au rachat de l'entreprise. Il n'était pas intervenu dans le cadre de la transaction et ignorait le sort des primes si le rachat de l'entreprise ne devait pas avoir lieu.

y. Le témoin K______, employé en qualité de carreleur par A______ SA depuis 1999, a déclaré qu'il n'avait pas connaissance de la teneur de l'accord concernant la reprise de l'entreprise par B______.

z. La cause a été gardée par le Tribunal à juger à l'issue de l'audience du
6 mars 2024.

D.           Dans le jugement entrepris, sur les points litigieux en appel, le Tribunal a considéré qu'il ressortait des fiches de salaire de l'employé qu'entre janvier 2019 et février 2022, l'employeur lui avait octroyé des primes de 55'750 fr., dont un montant de 49'500 fr. avait été déduit. Ledit montant n'avait pas été versé à l'employé mais sur un compte de l'administrateur de l'employeur en vue du financement du rachat du capital-actions de A______ SA par l'employé. Ces déductions constituaient ainsi une sorte de plan d'intéressement. Cela étant, faute d'accord clair ou concordant entre les parties quant à la suite à donner aux déductions en cas de fin des rapports de travail, le Tribunal a considéré que les primes figurant sur les fiches de salaire de l'employé faisaient partie intégrante des éléments de son salaire. Aucun élément ne permettait en outre de qualifier les déductions litigieuses de don conditionnel, si ce n'est les dires de l'employeur et des personnes qui l'avaient conseillé. Les déductions devaient donc être restituées à l'employé.

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement attaqué est une décision finale rendue dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

1.2 Interjeté dans le délai et la forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3, 145 al. 1 let. b, 146 al. 1 et 311 CPC) devant l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ, ATF 137 III 32; 137 III 311), l'appel est recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit. En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4;
138 III 374 consid. 4.3.1).

1.4 La valeur litigieuse étant supérieure à 30'000 fr., la procédure ordinaire s'applique et le procès est régi par la maxime des débats, qui prévoit que les parties allèguent les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produisent les preuves qui s'y rapportent (art. 55 al. 1, 243 et 247 al. 2 CPC a contrario).

2.             L'appelante fait grief au premier juge d'avoir procédé à une constatation inexacte des faits sur plusieurs points. L'état de fait présenté ci-dessus a donc été rectifié et complété dans la mesure nécessaire, sur la base des actes et pièces recevables figurant à la procédure, de sorte que ce grief ne sera pas examiné plus avant.

3.             Dans un second grief, l'appelante reproche au Tribunal de n'avoir pas entendu sept des témoins qu'elle a cités sans motiver cette décision. Elle a conclu, à titre subsidiaire, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour audition de quatre des sept témoins en question, renonçant ainsi à l’audition des trois autres.

3.1 Le droit à la preuve, qui se déduit aussi de l'art. 8 CC et trouve une consécration expresse à l'art. 152 CPC (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_397/2022 du 17 mai 2023 consid. 3.1.1; 5A_926/2021 du
19 mai 2022 consid. 4.1.1), implique que toute personne a droit, pour établir un fait pertinent contesté, de faire administrer les moyens de preuve adéquats, pour autant qu'ils aient été proposés régulièrement et en temps utile (ATF 144 II 427 consid. 3.1; 143 III 297 consid. 9.3.2; art. 152 al. 1 CPC).

En revanche, le droit à la preuve n'est pas mis en cause lorsque le juge, par une appréciation anticipée, arrive à la conclusion que la mesure requise n'apporterait pas la preuve attendue, ou ne modifierait pas la conviction acquise sur la base des preuves déjà recueillies (ATF 146 III 73 consid. 5.2.2; 143 III 297 consid. 9.3.2; 140 I 285 consid. 6.3.1; 138 III 374 consid. 4.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_383/2021 du 15 septembre 2021 consid. 4.2).

3.2 En l'espèce, par ordonnance de preuves du 21 décembre 2023, le Tribunal a admis l'audition de douze témoins cités par l'appelante, dont l'audition était requise sur les mêmes allégués de fait. Lors de l'audience du même jour, il a fixé l'audition de cinq desdits témoins en février et mars 2024 et réservé l'audition des sept autres, si besoin, lors d'une troisième audience en avril 2024. A l'issue de l'audience du 21 février 2024, le Tribunal a informé les parties qu'en plus de l'audition des témoins déjà prévue, les plaidoiries finales auraient lieu lors de l'audience suivante du mois de mars.

Il s'ensuit que le Tribunal n'a pas "oublié" de traiter le sort des sept témoins comme le soutient l'appelante mais qu'il a considéré qu'il disposait des éléments suffisants pour statuer et que l’audition de témoins supplémentaires portant sur les mêmes allégués de faits que les témoins déjà entendus ne serait pas de nature à remettre en cause la conviction forgée sur la base des autres éléments de preuve recueillis.

L'appelante n'ignorait ainsi pas que le Tribunal n'entendait pas auditionner ces témoins supplémentaires. Elle n'a toutefois pas réagi en première instance, ni sollicité l'audition desdits témoins alors qu'elle aurait eu le loisir de le faire lors des audiences des 21 février et 6 mars 2024. Son comportement permet de conclure qu'elle a estimé, comme le Tribunal, que l'audition de ces témoins n'était pas nécessaire. Ce n'est qu'après avoir reçu le jugement querellé, la condamnant au paiement du montant litigieux, que l'appelante a modifié sa position.

Par ailleurs, l'appelante n'explique pas en quoi l'audition de ces témoins serait susceptible d'apporter un "éclairage différent" sur le litige ni en quoi elle pourrait influer sur le sort de celui-ci. Elle se contente de soutenir que leur audition aurait permis de confirmer davantage sa thèse, qui n'a pas été suivie par le Tribunal. Or, ceci ne suffit cependant pas à établir une violation de son droit à la preuve par le Tribunal. Il est, quoi qu'il en soit, encore relevé que l'appelante estime devant la Cour qu'il existe déjà de nombreux éléments de preuves allant, selon elle, dans son sens, renonçant même à l'audition des témoins L______, M______ et Q______.

Au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, le grief est infondé.

4.             L'appelante reproche au Tribunal d'avoir considéré qu'elle devait verser le montant de 49'500 fr. à l'intimé.

4.1.1 Sauf disposition contraire de la loi, le contrat individuel de travail n’est soumis à aucune forme spéciale (art. 320 al. 1 CO). Il est réputé conclu lorsque l’employeur accepte pour un temps donné l’exécution d’un travail qui, d’après les circonstances, ne doit être fourni que contre un salaire (art. 320 al. 2 CO).

Le salaire est la rémunération que l'employeur est tenu de payer à l'employé pour le temps ou le travail que celui-ci a consacré à son service, et qui est fixé soit directement par contrat individuel, soit indirectement par un contrat-type de travail ou par une convention collective (art. 322 al. 1 CO; arrêt du Tribunal fédéral 4A_513/2017 du 5 septembre 208 consid. 5.1).

En droit suisse, la rémunération du travailleur obéit, en règle générale, au principe de la liberté contractuelle : le salaire convenu fait foi (Wyler/Heinzer/Witzig, Droit du travail, 5ème éd., 2024, p. 179).

Le salaire est payé au travailleur à la fin de chaque mois, à moins qu'un terme différent ne soit usuel ou convenu entre les parties (art. 323 al. 1 CO).

4.1.2 Selon l'annexe II de la CCT du second-œuvre romand 2019 (ci-après: CCT), le salaire horaire minimum d'un carreleur de classe A est de 29 fr. 60. Il est de
32 fr. 60 de l'heure pour un carreleur de classe CE, soit un travailleur occupant la fonction de chef d’équipe dans l’entreprise et possédant un brevet fédéral de contremaître, un diplôme de chef d’équipe ou travailleur étant considéré comme tel par l’employeur (art. 18 ch.1 CCT).

4.1.3 Le Tribunal fédéral définit les plans d’intéressement comme « les mesures qu’une entreprise prend afin que ses cadres ou collaborateurs puissent se procurer, à intervalles réguliers et sous des modalités spécifiques, des actions de cette entreprise ou des options sur ses actions. Les modalités comportent généralement un délai pendant lequel chaque lot de titres en voie d’acquisition est seulement promis au bénéficiaire du plan, sans que celui-ci puisse en disposer d’aucune manière. Elles comportent aussi une condition suspensive ayant pour objet qu’à l’expiration du délai, le bénéficiaire soit encore au service de l’entreprise ou du groupe auquel celle-ci appartient. Si cette condition s’accomplit, le bénéficiaire reçoit alors les titres concernés, ou leur contre-valeur; dans le cas contraire, il est déchu de toute prétention. Aussi longtemps qu’il conserve des positions dans le plan d’intéressement, le bénéficiaire a donc intérêt à poursuivre les rapports de travail et à accomplir ses tâches de façon à accroître la valeur de l’entreprise et de ses actions; il est ainsi attaché à l’entreprise et associé aux objectifs de la direction et des actionnaires » (ATF 131 III 615 consid. 3; 130 III 495 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_513/2017 du 5 septembre 2008 consid. 6.1; Wyler/Heinzer/Witzig, op. cit., p. 1326).

Ce sont généralement des sociétés cotées en bourse qui mettent en place des plans d’intéressement en faveur de leurs cadres (Wyler/Heinzer/Witzig, ibidem).

4.1.4 Le contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et d'une manière concordante, manifesté leur volonté. Cette manifestation peut être expresse ou tacite (art. 1 al. 1 et 2 CO).

Pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO).

Pour déterminer le contenu d'une clause contractuelle, le juge doit donc rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune volonté des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties, en tant qu'il est propre à établir quelle était leur conception au moment de conclure le contrat. L'appréciation de ces indices concrets par le juge, selon son expérience générale de la vie, relève du fait. Si le juge parvient à la conclusion que les parties se sont comprises ou, au contraire, qu'elles ne se sont pas comprises, il s'agit de constatations de fait (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1 et 5.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2018 du 28 août 2018 consid. 3.1).

Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties – parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes – ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat – ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves –, le juge doit interpréter les déclarations et les comportements selon la théorie de la confiance (interprétation objective), en recherchant comment une déclaration ou une attitude pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2018 du 28 août 2018 consid. 3.1). L'interprétation objective s'effectue non seulement d'après le texte et le contexte des déclarations, mais également sur le vu des circonstances qui les ont précédées et accompagnées, à l'exclusion des événements postérieurs (ATF 133 III 61 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2018 du 28 août 2018 consid. 3.1).

4.1.5 Chaque partie doit prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit (art. 8 CC).

L'employé est tenu de prouver les circonstances qui justifient sa créance, tandis que le débiteur – concrètement l'employeur – doit prouver les circonstances qui la neutralisent (ATF 125 III 78 consid. 3b).

4.1.6 A teneur de l'art. 62 CO, celui qui, sans cause légitime, s'est enrichi aux dépens d'autrui, est tenu à restitution (al. 1). La restitution est due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d'une cause qui ne s'est pas réalisée, ou d'une cause qui a cessé d'exister (al. 2).

Les conditions d'application de cette disposition sont au nombre de quatre, à savoir un enrichissement du débiteur, un appauvrissement du créancier, la connexité entre l'appauvrissement de l'un et l'enrichissement de l'autre, et enfin l'absence de cause légitime à l'enrichissement du débiteur. Ces conditions ne sont pas incontestées, particulièrement celle de l'appauvrissement et, par voie de conséquence, celle du lien de connexité (Chappuis, CR, CO I, 2021, n. 3 ad
art. 62 CO).

4.2 En l'espèce, les parties divergent au sujet de la qualification des primes réclamées par l'employé pour la période du 1er janvier 2019 au 28 février 2022, ainsi que de leur sort à l'issue des rapports de travail.

La Cour relève, à titre liminaire, qu'aucune des parties ne plaide, à juste titre, que les primes, dont le caractère régulier a été démontré, constitueraient une gratification en faveur de l'employé.

Déterminer si les parties ont convenu que les primes constituaient un élément du salaire, comme le soutient l’intimé, ou si, au contraire, ces primes étaient étrangères à l’activité exercée par ce dernier et relevaient d’une donation de l’appelante comme cette dernière le prétend, est affaire d'interprétation de leurs manifestations de volonté, selon les principes jurisprudentiels usuels rappelés supra.

Tout d'abord, il sera relevé que, malgré leurs excellentes relations, les parties entretenaient uniquement un lien professionnel et que les primes ont été attribuées dans le cadre de cette relation de travail. Les primes litigieuses apparaissent par ailleurs sur la fiche de salaire de l'intimé sous l'onglet "salaire et indemnité".

Il n'est pas contesté que les parties ont oralement convenu du rachat de l'entreprise par l'intimé, ni que ce dernier se soit vu accorder dans ce but une augmentation de salaire et un nouveau poste, passant de carreleur à technicien d'entreprise, dès 2019.

En outre, il a été établi que l'intimé a assumé des responsabilités accrues dans l'entreprise et effectué de plus gros horaires, travaillant parfois le week-end.

A teneur des certificats et fiches de salaire de l'intimé, pour un taux de travail à 100%, le montant de son salaire mensuel brut moyen, prime comprise, s'est élevé à 6'300 fr. en 2019 (82'072 fr. 10 de salaire annuel brut/ 13 mois), à 7'600 fr. en 2020 (99'306 fr. 20 de salaire annuel brut/ 13 mois) et à 8'400 fr. en 2021
(109'000 fr. de salaire annuel brut / 13 mois).

Ces montants correspondent aux pratiques habituelles de la branche pour le type d'activité exercé par l'intimé.

En effet, selon le calculateur national des salaires du SECO, le salaire d'un employé carreleur de profession de 46 ans, responsable de l'exécution des travaux, travaillant 41 heures par semaine, avec une quinzaine d'années de service, titulaire d'un CFC, dans la branche économique du carrelage, à Genève, se situe entre 6'810 fr. à 8'190 fr. brut par mois.

Qui plus est, le salaire mensuel d'un carreleur CE, dont les tâches se rapprochent de celles de l'intimé, s'élève à 6'400 fr. brut, étant précisé qu'il s'agit d'un montant minimum.

Bien que l'augmentation de salaire accordée à l'intimé sur quatre ans soit significative, cet élément à lui seul ne permet pas de conclure que les primes ne constituaient pas du salaire, contrairement ce que soutient l'appelante. En effet, les excellentes relations entre les parties, la volonté de l'appelante de motiver l'intimé à reprendre l'entreprise et, surtout, son intérêt à ce que ce rachat ait lieu, relativisent la portée de cet argument.

De surcroît, le fait que l'appelante ait soumis les primes aux cotisations sociales constitue un indice majeur qu'il s'agissait de salaire, les cotisations sociales étant en principe liées à l'exercice d'une activité lucrative (ATF 122 V 178 consid. 3b), alors que les donations donnent uniquement lieu à perception d'impôts. En soumettant les primes aux cotisations sociales, l'appelante a ainsi admis qu'elles faisaient partie du salaire de l'intimé.

Il ressort encore des fiches de salaire émises par l'employeur qu'un montant équivalent à la prime et qualifié d'acompte était déduit mensuellement du salaire. La déduction dudit montant et le choix par l'employeur du terme "acompte versé", qui fait clairement référence à un paiement de la part de l'intimé, constituent d'autres indices en faveur du fait que le financement du rachat de l'entreprise provenait du salaire de l'intimé et non d'un don de l'appelante.

S'agissant du fardeau de la preuve, contrairement à ce que prétend l’appelante en contestant que la prime constitue une partie du salaire – alors qu’elle est clairement mentionnée sur les fiches de paie de l’intimé – c’est à elle qu’incombait la preuve qu’il existait une volonté commune des parties de considérer ces primes non pas comme une rémunération liée à l’activité de l’employé, mais comme un don de l’employeur.

Or, les témoins entendus, qui ont tous été cités par l'appelante, n'ont pas été en mesure de corroborer la thèse de la donation évoquée par l'employeur. En effet, les témoins C______, D______ et F______ n'ont jamais été en contact avec l'intimé, le témoin E______ a indiqué n'avoir jamais discuté du rachat de l'entreprise avec aucune des parties et le témoin K______ n'était pas au courant de la teneur de l'accord de rachat. Ainsi, aucun d'entre eux n'a participé ou assisté à des discussions entre les parties au sujet du rachat ou des modalités de son financement. En particulier, les témoignages ne permettent pas de prouver que le système de financement allégué par l'appelante aurait été dument explicité par M. Q______ à l'intimé, ni que celui-ci l'aurait accepté.

Si les témoins C______ et D______ viennent en soutien de la position de l’appelante, ils ne font cependant que rapporter la vision de celle-ci, mais n'ont pas été témoins de discussions entre les parties, aucun ne connaissant l'intimé. Par ailleurs, en raison de leur proximité avec l’appelante, leurs témoignages et attestations doivent être appréciés avec réserve.

En outre, il ressort au contraire des déclarations du témoin F______, comptable de l'appelante, qui n'est ni un proche de cette dernière ni de l'intimé, que pour racheter les actions de l'entreprise "un employé" avait bénéficié d'une augmentation de salaire et reçu des primes, versées avec le salaire. Ceci ressort d'ailleurs clairement des fiches de salaire de l'intimé.

Enfin, les parties s’accordent sur le fait que les primes étaient destinées à aider l'employé à financer le rachat du capital-actions de la société. Dès lors, le versement de ces sommes sur un compte bloqué ouvert au nom de M. Q______ ne suffit pas, contrairement à ce que soutient l’appelante, à établir l’existence d’un accord excluant leur qualification en tant qu’éléments de rémunération, étant encore rappelé que les deux hommes entretenaient une relation de confiance.

Ainsi, aucun des éléments précédemment mentionnés ne permet de considérer que les primes constituaient un don de capital social, étant encore relevé qu'une donation ne se présume pas (arrêts du Tribunal fédéral 4A_12/2013 du
27 juin 2013 consid. 2.1; 5A_87/2010 du 5 mai 2010 consid. 3.1). Au contraire, ces éléments montrent que les parties avaient convenu que les primes faisaient partie intégrante du salaire de l’intimé afin de lui permettre de financer l’acquisition du capital-actions de l’entreprise.

Dans la mesure où le versement des primes ne poursuivait pas l’objectif de permettre à l’intimé d’acquérir une ou plusieurs actions de l’appelante, mais visait exclusivement à financer le rachat intégral du capital-actions de la société, laquelle n’est par ailleurs pas cotée en bourse, il convient de relever que ces primes ne sauraient être qualifiées de plan d’intéressement, contrairement à la conclusion à laquelle est parvenu le premier juge. En conséquence, les règles légales applicables aux plans d’intéressement ne s'appliquent pas aux primes litigieuses.

Il importe donc d’examiner les circonstances entourant la fin des rapports de travail afin de déterminer le sort à réserver à ces primes au moment de la fin de la relation employeur-employé.

A teneur du dossier, M. Q______ a considéré que l'intimé ne présentait finalement pas les capacités et qualités requises pour reprendre la direction de l'entreprise, ce que ce dernier avait, selon lui, compris ayant été "remis à la pose des carreaux". Ainsi, l'appelante ne souhaitait plus que l'intimé reprenne son capital-actions. L'intimé a, quant à lui, démissionné de son poste, renonçant également de ce fait au projet de rachat de l’entreprise, dont le prix de vente n'avait d'ailleurs fait l'objet d'aucun accord entre les parties. L'appelante, qui ne souhaitait plus le rachat, ne s’est d'ailleurs pas opposée à cette renonciation tacite, étant relevé qu’elle souhaitait dorénavant que la fille de M. Q______ reprenne prochainement la direction de la société.

Il en résulte un accord tacite des parties sur cette renonciation au rachat, ce qui implique la restitution des sommes retenues à cette fin sur le salaire de l'employé, aucune manifestation de volonté contraire, expresse ou implicite, ne permettant de conclure à une intention différente de leur part, étant relevé que les témoignages de C______ et D______ reflètent uniquement la position de l'appelante
(cf. ci-dessus). Dès lors, l’appelante ne saurait conserver, sans contrepartie, cet élément de rémunération sans s’exposer à un enrichissement illégitime, en l'absence de toute discussion et accord sur une autre modalité dans l'hypothèse où le rachat du capital-social de l'appelante par l'intimé ne se produirait pas. Les primes litigieuses faisant partie intégrante du salaire de l'intimé, comme retenu précédemment, sur lesquelles des prestations sociales ont été prélevées, elles doivent être versées à celui-ci.

C'est donc à raison que le Tribunal a jugé que le montant de 49'500 fr. devait être versé à l'intimé.

Le grief est infondé et le jugement querellé sera entièrement confirmé.

5.             La procédure est gratuite et il n’est pas alloué de dépens (art. 116 al. 1 CPC,
art. 24 al. 2 LTPH, art. 19 al. 3 let. c et 22 al. 2 LaCC; 71 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 6 septembre 2024 par A______ SA contre le jugement JTPH/194/2024 rendu le 26 juillet 2024 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/24928/2022.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toute autre conclusion.

Sur les frais:

Dit que la procédure est gratuite et qu’il n’est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Monsieur Claudio PANNO, Madame Karine RODRIGUEZ, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.