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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/12058/2021

CAPH/104/2023 du 16.10.2023 sur OTPH/2254/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.319
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12058/2021-3 CAPH/104/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 16 OCTOBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 22 décembre 2022 (OTPH/2254/2022), représenté par Me Claudio FEDELE, avocat, Saint-Léger Avocats, rue de Saint-Léger 6, case postale 444, 1211 Genève 4,

et

B______ SÀRL, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Marie-Christine BALZAN, avocate, Troillet Meier Raetzo, rue de Lyon 77, 1203 Genève.

 


EN FAIT

A.           a. B______ SARL est une société sise dans le canton de Genève ayant notamment pour but ______ dans le domaine de la beauté.

Cette société est une filiale du groupe américain C______.

b. A______ a commencé à travailler au service du groupe C______ en mars 2018.

c. Par contrat de travail conclu le 30 avril 2018, B______ SARL a engagé A______ en qualité de directeur financier pour l'Europe (ou "Europe CFO", Chief Financial Officer).

d. En septembre 2019, elle a annoncé à ses employés l'adoption prochaine d'un plan de réorganisation ou de restructuration de la société qui comprenait un licenciement collectif.

e. A______ a été licencié par courrier du 22 juillet 2020 pour le 31 janvier 2021.

f. Par acte porté devant le Tribunal des prud'hommes (ci-après : le Tribunal) le 5 octobre 2021, A______ a réclamé à B______ SARL le paiement de 42'189 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er février 2021 à titre de bonus.

A l'appui de ses conclusions, il a notamment fait valoir que l'employeuse s'était expressément engagée à lui verser un "bonus FY21" qui devait être calculé prorata temporis.

g. Par réponse du 8 décembre 2021, B______ SARL a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

h. Lors de l'audience de débats d'instruction du Tribunal du 24 février 2022, A______ a déposé des déterminations écrites sur la réponse de sa partie adverse.

Ses déterminations contiennent des faits nouveaux, soit que le groupe C______ avait versé à son CFO un bonus de 5'000'000 dollars américains pendant la période litigieuse et qu'il avait engagé un nouveau CEO, dont les conditions d'engagement correspondaient à l'équivalent de 108'000'000 dollars américains en actions et un salaire annuel de 3'000'000 dollars américains, pour une durée de trois ans à tout le moins.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a rendu une ordonnance de preuves, par laquelle il a notamment imparti un délai à A______ pour produire la preuve des faits nouveaux figurant ci-dessus, et a ouvert les débats principaux.

i. Le 28 avril 2022, A______ a produit lesdites pièces complémentaires, soit des documents prévoyant la rémunération du Chef des opérations et directeur financier de C______ INC. (D______) et celle de la Directrice générale de C______ INC. (E______).

j. A la demande des parties, le Tribunal a suspendu la procédure par ordonnance du 3 mai 2022.

k. Le 3 juin 2022, B______ SARL s'est déterminée sur les pièces produites par A______ le 28 avril 2022, qu'elle avait reçues après que la procédure ait été suspendue. Elle a notamment allégué des faits nouveaux en lien avec les engagements et rémunérations de E______ et D______ et produit des pièces nouvelles.

l. Le 26 septembre 2022, A______ a sollicité la reprise de l'instruction.

Il a par ailleurs allégué des faits nouveaux en lien avec un prétendu accord collectif que certains employés auraient négocié prévoyant le versement d'une partie du "bonus FY21" (allégués 40 à 48).

m. Par ordonnance du 6 octobre 2022, le Tribunal a notamment ordonné la reprise de la procédure et imparti un délai aux parties pour établir que leurs faits et moyens de preuve nouveaux étaient recevables.

n. Le 21 octobre 2022, A______ a informé le Tribunal qu'il était dans l'impossibilité objective d'établir par pièces que les faits complémentaires qu'il avait exposés le 26 septembre 2022 étaient recevables.

o. Le 25 octobre 2022, B______ SARL a notamment soutenu que les faits et moyens de preuves en question avaient été introduits afin d'apporter la contre-preuve de la position soutenue par sa partie adverse le 24 février 2022. Ils étaient ainsi recevables.

Elle a produit une nouvelle pièce, soit un courrier qu'elle avait adressé le 6 mai 2022 aux employés éligibles afin de les informer de la conclusion d'un accord collectif et du fait qu'une indemnité discrétionnaire pourrait être versée, selon les cas, à condition qu'un accord individuel soit conclu.

B______ SARL était par conséquent persuadée que A______ avait été informé de l'existence de négociations et de la conclusion de l'accord collectif plus de trois mois avant de s'être prévalu de ces faits dans le cadre de la présente procédure. Introduits tardivement, ceux-ci devaient être déclarés irrecevables.

B.            Par ordonnance OTPH/2254/2022 du 22 décembre 2022, reçue par A______ le 29 décembre 2022, le Tribunal, statuant par voie de procédure ordinaire, a déclaré recevables les allégués 1 à 12 et les moyens de preuve figurant dans les déterminations du 3 juin 2022 de B______ SARL (chiffre 1 du dispositif) et irrecevables les allégués 40 à 48 figurant dans l'écriture du 26 septembre 2022 de A______ (ch. 2). Il a pour le surplus réservé la suite de la procédure (ch. 3)

Le Tribunal a relevé que A______ n'avait pas indiqué à quel moment il avait appris l'existence des faits nouveaux qu'il avait allégués le 26 septembre 2022. Quand bien même ces faits s'étaient produits après l'ouverture des débats principaux, celui-ci aurait dû démontrer qu'il les avait amenés dans la procédure sans retard, soit dès qu'il en avait eu connaissance. Il apparaissait, au vu de la pièce produite par B______ SARL à l'appui de son écriture du 25 octobre 2022, que A______ avait allégué les faits en question de manière tardive, de sorte que ceux-ci étaient irrecevables.

Il est indiqué en bas de page que l'ordonnance en question peut faire l'objet d'un recours par devant la Cour de justice dans les 30 jours qui suivent sa notification.

C.           a. Par acte expédié le 30 janvier 2023 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé recours contre cette ordonnance, dont il a sollicité l'annulation du chiffre 2 de son dispositif.

Principalement, il a conclu, sous suite de frais, à ce que la Cour déclare recevables ses allégués 40 à 48 introduits par écriture du 26 septembre 2022 et, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée en première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. Par réponse du 13 février 2023, B______ SARL a conclu à l'irrecevabilité du recours.

c. Les parties ont été informées le 6 mars 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats; elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps. Il en va ainsi notamment lorsque le tribunal fixe des délais ou ordonne des échanges d'écritures (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 14 ad art. 319 CPC). Quant aux "autres décisions", leur prononcé marque définitivement le cours des débats et déploie – dans cette seule mesure – autorité et force de chose jugée à l'encontre des parties ou des tiers concernés. Une telle qualification échoit par exemple aux décisions statuant sur une récusation, une suspension ou sur l'admission de faits et moyens de preuve nouveaux (Jeandin, op. cit., n. 15 ad art. 319 CPC).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a statué sur la recevabilité de certains allégués et moyens de preuves nouveaux introduits par les parties. Il a ainsi rendu une "autre décision", qui peut faire l'objet d'un recours.

Selon Jeandin, la distinction entre "autres décisions" et "ordonnances d'instruction" – qui n'est pas toujours aisée – ne joue véritablement de rôle qu'en vue de calculer le délai de recours (Jeandin, op. cit., n. 16 ad art. 319 CPC). Le recours, écrit et motivé, est en effet introduit auprès de l'instance de recours dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 1 CPC), alors que le délai est de dix jours pour les ordonnances d'instruction (art. 321 al. 2 CPC). En revanche, Hofmann et Lüscher appliquent le délai de recours de dix jours aux ordonnances d'instruction et aux autres décisions, sans distinction entre elles (Hofman/Lüscher, CPC Le Code de procédure civile, 2023, p. 371).

1.3 Le recours, écrit et motivé, a ainsi été introduit selon la forme prescrite.

Il a par ailleurs été expédié dans les trente jours suivant la notification de la décision entreprise (art. 142 al. 3, 321 al. 1 CPC), respectant le délai indiqué en bas de page de celle-ci.

Selon l'intimée, le recours a été introduit tardivement, le délai de dix jours, applicable en l'espèce, n'ayant pas été respecté. La question du délai à respecter peut toutefois demeurer indécise dans la mesure où le recours est, en tout état, irrecevable pour les motifs exposés ci-dessous.

2.             Il convient d'examiner si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant, les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées.

2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n. 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC et références citées).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, ad art. 319 CPC n. 8; Jeandin, op. cit., n. 22a ad art. 319 CPC).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (ACJC/728/2022 du 31 mai 2022 consid. 2.1; CAPH/35/2018 du 19 mars 2018 consid. 2.1; CAPH/172/2017 du 3 novembre 2017 consid. 2.1; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], FF 2006 6841, p. 6984).

2.2 En l'espèce, le chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance attaquée n'est pas de nature à causer un dommage difficilement réparable au recourant.

En effet, quand bien même l'ordonnance entreprise consacrerait une violation des droits procéduraux du recourant, celui-ci pourra en tout état remettre en cause cette décision dans le cadre d'un appel contre le jugement au fond si celui-ci devait lui être défavorable. Ainsi, s'il persiste à considérer que le Tribunal a refusé à tort d'admettre ses allégations présentées le 26 septembre 2022, il pourra diriger ses griefs contre la décision finale par la voie de l'appel prévue par l'art. 308 CPC, l'instance d'appel ayant la possibilité de statuer sur la recevabilité de faits présentés au premier juge (art. 229 CPC), d'administrer des preuves (art. 316 al. 3 CPC) ou de renvoyer la cause en première instance pour complément d'instruction (art. 318 al. 1 let. c CPC), de sorte qu'une violation du principe du double degré de juridiction n'est pas à craindre, contrairement à ce que soutient le recourant.

La procédure en serait certes prolongée, mais ce seul inconvénient ne constitue pas un dommage difficilement réparable. Il en va de même des éventuels frais supplémentaires que cela engendrerait.

Ainsi, conformément aux principes rappelés ci-dessus et en l'absence de circonstances particulières, la prolongation de la procédure due au fait que la recourante ne pourra attaquer l'ordonnance litigieuse qu'avec le jugement au fond ne constitue pas, en tant que telle, un dommage difficilement réparable.

Le recours sera par conséquent déclaré irrecevable

3.             La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., la procédure est gratuite devant l'instance de recours (art. 116 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC).

Il n'est par ailleurs pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 3 :

 

Déclare irrecevable le recours formé le 30 janvier 2023 par A______ contre l'ordonnance OTPH/2254/2022 rendue le 22 décembre 2022 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/12058/2021-3.

Dit qu'il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE CHAVANNE, présidente; Monsieur Claudio PANNO, juge employeur; Madame Agnès MINDER-JAEGER, juge salariée; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

La présidente :

Jocelyne DEVILLE CHAVANNE

 

La greffière :

Fabia CURTI





 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.