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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/22601/2019

CAPH/39/2023 du 06.04.2023 sur JTPH/253/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22601/2019-2 CAPH/39/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU JEUDI 6 AVRIL 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, France, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 11 août 2022 (JTPH/253/2022), comparant par
Me Lezgin POLATER, avocat, Etude Archipel, ruelle du Couchant 11,
case postale 6009, 1211 Genève 6, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SÀRL, sise ______ [GE], intimée, comparant par Me Cyril TROYANOV, avocat, Eversheds Sutherland SA, rue du Marché 20, case postale 3465, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement du 11 août 2022, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des prud'hommes a condamné B______ Sàrl à verser à A______ 11'000 fr. nets et 1'613 fr. 35 bruts, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2019 (ch. 3 et 4), invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales légales et usuelles (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6). Les frais ont été arrêtés à 2'470 fr., compensés avec l'avance opérée acquise à l'Etat de Genève, mis à la charge des deux parties par moitié (ch. 7 à 9), B______ Sàrl étant condamnée à rembourser 1'235 fr. à A______ (ch. 10); il n'a pas été alloué de dépens (ch. 11).

Le Tribunal a notamment retenu que le licenciement de A______ était abusif, en raison de son motif réel, soit la volonté de son supérieur de ne plus avoir à gérer le conflit qui opposait la précitée à un collègue, ce qui était attentatoire à la personnalité de l'employée, que celle-ci avait droit à la rémunération de vacances non prises, qu'elle n'avait pas démontré avoir accompli des heures supplémentaires, et que les prétentions reconventionnelles de l'employeur n'étaient pas fondées.

B.            Par acte du 14 septembre 2022, A______ a formé appel contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation du chiffre 6 de celui-ci, cela fait a repris ses conclusions de première instance, subsidiairement a conclu à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal, avec suite de frais et dépens.

B______ Sàrl a conclu à la confirmation de la décision déférée, avec suite de frais et dépens.

Par avis du 22 décembre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:

a.    B______ Sàrl est une société à responsabilité limitée, inscrite au Registre du commerce genevois depuis ______ 2014, qui a pour but ______, gestion, ______, ______, ______, achat et vente, ______, de tous établissements publics dans le domaine de la restauration et ______, notamment bars, cafés, ______, restaurants et ______; ______ et ______ ainsi que toutes activités y relatives.

Elle a pour associée C______ SA, qui la détient, et pour gérant président D______, avec signature individuelle. S______ en est devenu gérant au bénéfice d'une signature individuelle en mai 2018.

C______ SA, dont l'actionnaire est D______, détient d'autres sociétés à responsabilité limitée qui exploitent divers établissements publics, faisant partie du "groupe" C______.

B______ allègue l'existence d'un mandat entre elle-même et les sociétés du groupe C______ portant sur la gestion du personnel et la comptabilité notamment.

Ces sociétés sont entre autres F______ Sàrl (qui exploite [l'établissement] G______), H______ Sàrl, (qui exploite [l'établissement] I______), et J______ SA (qui exploite [l'établissement] K______), inscrites au Registre du commerce genevois.

b.    A compter du 1er août 2014, A______ s'est engagée au service de B______ en qualité de directrice générale.

Selon le contrat de travail liant les parties, ses fonctions comprenaient la direction des établissements public K______ et G______ "et d'autres", la gestion des achats et du personnel "du groupe", la promotion des établissements et le fonctionnement de ceux-ci. Les vacances étaient de cinq semaines (25 jours ouvrables) par an, et deux jours de repos hebdomadaire "en moyenne [ ] pas forcément consécutifs" étaient prévus. L'employée s'est engagée à pouvoir être atteinte en tout temps.

Il est admis qu'ultérieurement B______ a confié à A______ la responsabilité de créer ou reprendre d'autres établissements publics que le K______ et le G______, et d'en assurer l'exploitation au quotidien, notamment [de] I______, et [de] L______ dès 2017, ainsi que de "s'investir" pour [le] M______, [le] N______, [le] O______, [le] P______ et [le] Q______.

A______ était au bénéfice de l'autorisation d'exploiter, au sens de la LRDBH, des établissements K______, G______, I______, et L______, ayant suivi, aux frais de B______ et avec succès, les cours de cafetier.

A compter du ______ 2014, A______ a été inscrite au Registre du commerce en qualité de directrice avec signature collective à deux de F______ Sàrl.

A compter d'avril 2015, elle a été mise au bénéfice d'une signature collective à deux dans J______ SA.

A compter de juin 2015, elle a été inscrite au Registre du commerce en qualité de gérante avec signature individuelle de H______ Sàrl.

Elle allègue que les décomptes de salaire et déclarations AVS du personnel du groupe ont été effectués par une fiduciaire, jusqu'à fin 2016, puis qu'elle s'en est chargée, au moyen d'un logiciel dénommé "R______".

c.     Il est admis que, dans toute son activité, A______ était la subordonnée de D______.

B______ allègue avoir été satisfaite des prestations de A______ dans la gestion et la direction des établissements du groupe, et insatisfaite s'agissant de la gestion du personnel, en particulier au regard des seize procédures prud'homales intentées contre des sociétés du groupe par divers employés entre août 2014 et décembre 2018.

Le 5 décembre 2016, un avertissement a été donné à A______ pour "non respect de [ses] engagements". B______ allègue qu'il s'agissait de manquements dans la gestion du personnel ainsi que notamment d'absences non excusées à des rendez-vous internes. A______ le conteste, affirmant que l'avertissement était lié à la confection de rideaux pour un des établissements.

D______ a déclaré au Tribunal ne pas se souvenir des raisons précises de l'avertissement, adressé pour marquer le fait que A______ devait tenir ses engagements et venir à un rendez-vous qu'elle avait manqué.

d.    A______ allègue avoir travaillé en moyenne 63 heures par semaine, six jours sur sept, soit du lundi au mercredi de 11h00 à 20h00 dans les bureaux de B______ puis parfois après 20h00 dans les établissements publics, le jeudi de 12h00 à 2h00, le vendredi de 12h00 à 3h00, le samedi "parfois au bureau pendant la journée" et environ de 20h00 à 3h00 dans les établissements publics.

Au Tribunal, elle a déclaré que ses horaires étaient fonction de la charge de travail; elle devait à tout le moins accomplir 15 heures de travail à teneur des prescriptions liées à sa position d'exploitante de trois à quatre établissements. Elle gérait ceux qui étaient nouvellement créés jusqu'à ce que les directeurs engagés prennent le relais, étant précisé qu'elle supervisait ensuite et contrôlait leur bonne gestion. Elle était présente le soir pour les événements. Son rythme était régulier, et elle ne prenait jamais deux jours de congé par semaine, ce que son supérieur connaissait. Elle n'avait pas élevé de réclamation car elle ne se rendait pas compte des heures qu'elle effectuait, à cause de sa surcharge. Elle établissait une fiche de présence pour elle-même, "à titre personnel". Elle avait été empêchée de prendre ses vacances.

Elle a produit des échanges de message avec D______ entre 20h00 et 23h00, notamment le 12 septembre 2018, en particulier l'instruction de celui-ci de "terminer un contrat" avant le lendemain en début d'après-midi (sans qu'elle formule d'allégué sur l'ampleur de la tâche liée audit contrat, ni la date à laquelle cette tâche lui avait été confiée), ainsi qu'un samedi soir en 2017 et un dimanche en 2018, et un message envoyé par le précité le 20 septembre 2017, dans la teneur suivante: "N'oubliez pas de visiter le Prince pendant vos vacances", et sa réponse "Ok j'irai boire un café dans l'après-midi".

B______ conteste ces horaires, dont elle affirme que l'employée ne s'était jamais plainte. Selon elle, A______ prenait "de manière générale" ses jours de congé hebdomadaires, sauf en cas de surcharge de travail ou à certaines périodes telles celle du Salon de l'Auto, et les Fêtes de Genève (en particulier pour le bar Q______ durant l'été 2015 et 2016), où il lui était arrivé de travailler six jours d'affilée. Elle effectuait en moyenne 8 à 9 heures de travail par jour.

Elle a fait mention d'une occasion, le 4 février 2016, où D______ était venu dépanner A______, aux alentours de 21 h00 au bureau pour récupérer ses clés qu'elle avait oubliées en partant.

Au Tribunal, D______ a déclaré que la charge de travail variait selon les jours, et qu'il n'y avait pas eu chaque année la création d'un nouvel établissement; c'était au choix de A______ de se rendre dans l'un ou l'autre établissement qui bénéficiait d'un directeur. A______ gérait ses horaires, il était attendu que le travail soit fait. Elle n'avait jamais dit qu'elle faisait trop d'heures; il lui était arrivé de constater qu'elle était fatiguée et il lui avait proposé de rester chez elle pour se reposer. Il n'était pas souvent à Genève, et communiquait par téléphone ou message, en particulier pour connaître les chiffres de presque chaque jour. Il avait eu conscience de la charge de travail de A______, raison pour laquelle il avait essayé d'engager des collaborateurs pour lui venir en aide, notamment S______.

Il résulte d'échanges de messages entre A______ et D______ qu'ils ont été en contact notamment les dimanche 29 octobre 2017 et samedi 29 septembre 2018 au soir.

A______ était vue au K______ trois fois par semaine environ, à I______ un jour sur deux, et le week-end au L______, dont elle s'occupait à 100% (témoin T______), au L______ tous les soirs du mercredi au samedi (témoin U______), au G______ du lundi au vendredi où elle aidait au bar et en salle notamment et au bureau où elle restait "jusqu'à pas d'heure" avant d'aller au L______, où elle était aussi vue le week-end (témoin V______), au salon de thé W______ de temps en temps et au G______ pour le café du matin et le déjeuner, elle ne faisait pas le service (témoin X______), au L______ tous les week-ends jusqu'à la fermeture à 4h00 du matin, et à 9h00 au bureau, soit "tout le temps" mais elle prenait des week-ends (témoin Y______), au L______ tous les soirs (témoin Z______), au L______ du jeudi au samedi (témoin AA______) au K______, au P______, au moins une ou deux fois par semaine, et "tout le temps" au L______, notamment pour travailler sur son ordinateur parce qu'elle avait des problèmes avec les nouvelles personnes, soit un certain S______ qu'elle avait évoqué sans donner de détails, qu'elle ne voulait pas croiser au bureau; elle travaillait "tout le temps" et devait être disponible 24 heures sur 24; elle avait été sur place à 5h00 lors d'un cambriolage après avoir travaillé tard la veille (témoin AB______). Au L______, elle était tous les soirs, où elle s'occupait de tout, aussi bien de la clientèle que du déroulement du service, voire de servir (témoin Z______).

Elle arrivait tard au bureau, vers 11h00 ou midi et partait tôt (témoin S______).

Elle avait une importante charge de travail, et prenait toutes les décisions (témoin T______). Elle était très impliquée et très engagée (témoin U______). Elle était à fond dans son travail (témoin AB______).

e.     A______ allègue avoir connu des difficultés avec S______, comptable engagé dès juillet 2017 pour le paiement des salaires des employés, de la comptabilité et des aspects fiscaux du groupe.

Elle allègue avoir été chargée de former S______ s'agissant des décomptes salaire et déclarations AVS, et de travailler à ces tâches avec lui jusqu'à fin 2017, date à laquelle il s'en était occupé seul.

B______ allègue avoir engagé ce dernier pour aider A______, étant précisé qu'elle avait déjà pris à son service d'autres personnes dans ce but, lesquelles n'étaient pas restées longtemps; elle avait remarqué la difficulté de A______ à travailler en équipe. S______ était subordonné à A______ (demeurée exclusivement responsable de la gestion du personnel), il avait constaté diverses négligences imputables à celle-ci, soit déclarations AVS non faites, références non retranscrites dans le système informatique, contrats de travail non signés, déclarations d'assurance-maladie ou accidents non faites dans les délais, retards injustifiés dans la transmission de documents requis par les employés notamment à la fin des rapports de travail, dossiers avec prestataires de service et autorités gérés de manière négligente. Aux fins d'opérer les régularisations nécessaires, S______ avait requis des explications de A______, qui soit ne lui avait pas répondu soit l'avait fait de façon incomplète, de sorte qu'il avait dû se montrer insistant.

A______ conteste tout manquement. Selon elle, les déclarations de salaire et AVS de même que la comptabilité étaient effectuées par une fiduciaire jusqu'à fin 2016; elle-même n'était pas chargée du paiement des charges sociales.

Elle allègue avoir fait l'objet d'un mobbing, ou harcèlement psychologique systématique, de la part de S______. Celui-ci l'aurait accusée de négligence dans l'accomplissement de son travail, l'aurait dénigrée et discréditée auprès de son supérieur en portant des accusations mensongères, faisant preuve d'insistance et d'acharnement. En raison de ces difficultés avec le précité, elle avait modifié ses horaires au bureau afin de ne pas l'y croiser, soit en y travaillant de 12h00 à 14h00 puis après 17h30, ou en effectuant le travail administratif dans l'un ou l'autre établissement. Elle a déclaré au Tribunal qu'elle allait au bureau "la boule au ventre". Elle avait beaucoup souffert et avait été meurtrie. La "méchanceté gratuite" de S______ l'avait d'autant plus touchée qu'elle était très fatiguée en raison de l'accumulation d'heures de travail pendant cinq ans. Elle ne comprenait pas son acharnement. Comme D______ n'était pas sur place, il n'avait pas pu se rendre compte de la situation, et n'avait pas voulu faire face au comportement de S______.

Elle s'est notamment référée à divers courriers électroniques qu'elle avait reçus de S______ ou d'échanges avec celui-ci (sans former d'allégués stricts sur leur contenu), soit:

Le 25 avril 2018 : "Salut A______, Pour [ ], je dois lui faire deux feuilles de salaires [ ] il me faudrait son numéro AVS, sa copie d'identité (et permis si étrangère), le formulaire de déclaration à l'impôt à la source. Il me faudrait aussi une liste des procédures ouvertes aux prud'hommes contre nous avec les montants demandés afin de faire des provisions", le 7 mai 2018: "Concernant la poursuite de AC______, il me manque toujours ses documents pour faire une feuille de paie et lui régler son paiement final. Il me faudrait tout ça pour la paie d'avril", et le 15 mai 2018 : "Salut A______, quand penses-tu pouvoir me donner les informations au sujet de AC______?".

Le 26 février 2018: "Bonjour A______, Au sujet des salaires de janvier, [ ] quels sont les autres changements que tu as faits dans R______ sans me tenir informé?".

Le 18 décembre 2017: "Bonjour A______, J'espère que tu as passé un bon week-end. J'ai jeté un premier coup d'œil aux certificats de salaires pour 2017. Afin de corriger rétroactivement R______, j'aurais besoin des véritables dates de sortie des employés suivants: [ ]. Aussi, j'ai un souci avec [ ]. Il est entré le 22.05.2017 et sorti le 23.05.2017 (donc 2 jours de travail). Comment a-t-il pu cumuler 20 jours de vacances payés sur cette période? Quelles sont ses vraies dates d'embauche?".

Le 22 mai 2018 à 10h42: "Bonjour A______, Peux-tu me donner les numéros AVS des employés suivants: [ ]", et à 15h27, après que A______ avait répondu que les numéros étaient en attente "de la part de AD______": "Hello, j'ai demandé à AD______ pourquoi ils avaient autant de retard dans la création des cartes AVS. Ils m'ont dit qu'ils n'avaient pas reçu de demandes pour les employés suivants. Tu peux me confirmer que les demandes ont été envoyées? [ ]".

Le 26 septembre 2018 à 10h14: "Bonjour A______, AE______, Merci de vous renseigner au sujet de l'absence de [ ], en août pour l'instant j'ai comptabilisé 8 jours de congé maladie [ ] la période est encore ouverte, alors je peux transformer ça en congé accident si c'est de l'accident. En septembre, j'ai selon la feuille des salaires 16 jours de congé accident. Selon l'arrêt de travail reçu j'ai une prolongation du congé accident pour une durée de 8 jours. Aussi merci de m'envoyer la copie de la déclaration d'accident. J'attire votre attention sur le fait que les congés accidents et maladies ne sont pas comptabilisés, ni rémunérés, ni déclarés, ni imposés de la même manière. Je ne peux pas me permettre d'avoir des informations aléatoires sur ce sujet. Meilleures salutations", puis à 10h29: "A______, Merci de m'informer qui est responsable de faire les déclarations accidents".

Le 17 septembre 2018, après que S______ avait requis d'une assurance (AF______) des informations relatives à l'ouverture de dossiers s'agissant de trois employés ayant été malades en 2017, que la réponse (aucune annonce concernant deux employés et cas liquidé sans suite pour le troisième au vu de l'absence d'envoi d'un rapport médical) avait été adressée à A______, qui l'avait transmise à son collègue en ces termes: "Quand tu as une question, il me semble plus judicieux que tu me la poses! Pour info, [concernant la première employée] cas liquidé en arrêt pour maternité tu as reçu les documents de AF______, [concernant le deuxième employé] c'est un accident non une maladie donc traité par AG______ et [pour le troisième employé] il [sic] a été liquidé comme le dit [AF______]" : "Bonjour A______, Si j'écris directement aux fournisseurs [sic], c'est pour obtenir une réponse fiable et complète. Donc voici mes questions [ ] [concernant la première employée] merci de m'envoyer la communication avec AF______ relative ainsi que la date de remboursement (si il y en a eu une) [ ] [concernant le deuxième employé] merci de me donner le dossier et la date de remboursement (si il y en a eu une [ ] [concernant le troisième employé] merci de me donner le rapport médical tel que demandé par [l'assurance] (ce rapport médical peut nous rapporter environ CHF 4'000.-)".

Le 24 juillet 2018: "Salut A______, Je vois que AH______ a un passeport brésilien. Je peux avoir sa copie de permis?" et le 13 août 2018: "Bonjour A______, Je n'ai toujours pas reçu la demande de permis de AH______, peux-tu me l'envoyer?".

Le 15 mai 2018: "Bonjour A______, Je vois qu'aucun paiement n'a été fait à la Convention collective de travail de la boulangerie. Quand ces cotisations vont-elles être payées?" et le 22 mai 2018: "Bonjour A______, Es-tu en mesure de répondre à ce mail?".

Le 18 septembre 2018, alors que A______ avait demandé à S______ de faire "ce que l'on te demande" en lien avec des copies de factures requises par le directeur d'établissement AI______ relatives à des travaux: "Je ne comprends pas. AI______ m'a dit que les factures étaient pour toi", étant précisé que A______ a répondu: "S______, apparemment tu as du temps à perdre en te répandant en mails, nous non donc fais ce qu'il t'a demandé que ce soit pour moi ou AI______ peu importe nous t'avons demandé quelque chose, fais le!".

Le 15 août 2018, après que A______ avait requis une "analyse de chiffre des établissements", tenant compte de ce que certains employés travaillaient dans plusieurs établissements et incluant les stocks marchandise par courriel du 13 août 2018, puis adressé un rappel le lendemain, "Bonjour A______, Je suis désolé du retard, on ne fait pas les résultats de 8 sociétés aussi facilement qu'une copie de lettre de licenciement. Ci-joint les résultats du 2ème trimestre avec les éléments en ma possession", puis, après que A______ avait demandé "la même chose par établissement et avec le détail de chaque poste afin de pouvoir changer ce qui ne va pas", le 16 août 2018 (avec copie à D______): "Bonjour A______, Je ne comprends pas ta demande. J'ai fait les résultats par établissement, avec le détail par poste de dépenses.", puis, après que A______ avait indiqué avoir besoin "du détail par poste c’est-à-dire le salaire de chaque employé les noms et montants de chaque facture le détail pour tous les postes", le 21 août 2018: "Merci d'avoir reformulé ta demande de manière à ce que je la comprenne. Voici le compte de pertes et profits ainsi que le journal des recettes et des charges. Voici les coûts des employés".

Le 17 juillet 2017: "Salut A______, au sujet des numéros AVS, voici la liste: peux-tu les ajouter à R______ (ou me montrer comment faire)? Merci, bien cordialement".

Elle a également visé des échanges de messages, auxquels D______ était partie, ou qu'elle avait avec celui-ci:

Le 6 avril 2018: "S______ et moi-même avons eu une conversation un peu compliquée, nous n'avons pas du tout la même vision du travail, il est allé très loin dans ses paroles, pour le bien de l'entreprise j'ai pris sur moi et ferai un effort pour que tout se passe au mieux, vous n'entendrez plus parler de ces histoires".

Le 11 septembre 2018, S______ a signalé au précité qu'il n'était pas sûr que A______ était la bonne personne avec laquelle travailler puisqu'elle ne répondait pas à ses mails ou ses appels téléphoniques pas plus qu'à ses demandes directement adressées, non plus qu'elle ne répondait aux employés requérant des documents, ce qui expliquait qu'il y ait tant de procédures prud'homales. Il a mis D______ en copie d'un mail adressé le même jour à A______ en ces termes: "A______, j'aimerais bien que tu daignes me répondre. Le risque est qu'il aille demande le document aux Prud'hommes (comme beaucoup d'autres). A ce moment, ça couterait bien plus cher que 2 photocopies. Pour rappel, l'employeur est dans l'obligation de donner ces 2 documents aux employés dans les 7 jours après la fin du contrat, ça fait 201 jours". Sur quoi, D______ a rappelé à S______ qu'il savait où se trouvaient les dossiers du personnel ancien et a prié A______ de trouver les documents nécessaires.

Selon B______, les tensions entre ses employés procédaient de difficultés de communication. S______ n'avait pas exercé de pressions sur sa collègue; il s'était montré insistant uniquement pour obtenir les informations qui lui manquaient et régler les irrégularités qu'il avait constatées.

Par courriel du 3 avril 2018, D______ a prié ses deux employés de communiquer entre eux, en s'adressant copie de leurs messages, sans passer par son propre truchement; il a rappelé à A______ que ses subordonnés ne pouvaient pas requérir de S______ de faire quoi que ce soit, seul celle-ci ou lui-même étant habilité à y procéder et a prié le précité de ne pas remettre en question ce qui lui était demandé par A______ ou lui-même.

Par ailleurs, le 14 juin 2018, S______ a requis l'intervention de D______ pour évoquer les problématiques d'AVS, impôt à la source, permis de travail et poursuites avec A______ lors d'une réunion; il a établi une note qui comprend un chapitre "False declaration, 2 attempts to fraud" en lien avec l'assurance chômage et l'impôt à la source, générateur à son sens d'un risque pour l'employeur. Selon B______, la réunion s'est bien passée, mais la communication entre les deux employés ne s'est pas améliorée.

A______ avait évoqué sa mésentente avec S______ (témoin T______). Elle vivait très mal les conflits avec lui (témoins T______, V______, AB______, Z______). Elle n'était pas bien du tout à la fin des rapports de travail (témoin AB______).

S______ a déclaré au Tribunal, lors de son audition en qualité de témoin, qu'il n'avait pas une relation de confiance avec A______, laquelle n'était pas coopérative, et gérait mal en matière de ressources humaines.

f.                       B______ allègue avoir, en été 2018, informé A______ de son intention de restructurer le groupe, ce qui ne justifiait plus l'existence du poste occupé par celle-ci.

g.    Selon A______, S______ avait requis son licenciement, après une réunion en octobre 2018.

Le 11 octobre 2018, S______, "en tant qu'administrateur", a adressé à D______ une "liste des points qui ne sont toujours pas résolus malgré [s]es demandes répétées depuis un an", évoquant de nombreuses erreurs dans la comptabilisation du temps de travail, le montant et le paiement des salaires et des licenciements sans respect des règles de préavis, l'emploi de travailleurs dépourvus de permis sans annonce de postes à l'OCE, des difficultés dans l'emploi d'extras notamment par rapport à l'impôt à la source, des dossiers favorables aux employés s'agissant des procédures prud'homales, un assainissement des comptes nécessaire, des achats de marchandise à l'étranger sans déclaration en douane, des obligations en matière de patente, et la non transparence des informations : "Mes demandes d'informations sont trop souvent ignorées. Le fait que A______ ne réponde quasiment à aucun de e-mails est particulièrement inquiétant. Il n'y a aucune transparence dans son approche professionnelle. Il s'agit de mensonges par omission. Cela cause d'énormes dysfonctionnements. Les cas de maladie et d'accident ne sont pas toujours déclarés aux assurances, cela nous cause des pertes énormes. Elle ne peut pas faire ce qu'elle veut, il y a des lois à respecter". Il a fait observer que les contrôles administratifs s'enchaînaient (TVA, patentes, hygiène) ce qui causait un très gros risque pour l'avenir du groupe à court terme. A son sens, il fallait procéder à des changements d'ici la fin de l'année, ajoutant "Vu le nombre d'erreurs commises dans le passé et dont le groupe paie le prix aujourd'hui (amendes des institutions, dossiers aux Prud'hommes, contrôle TVA, etc. ) il convient de remettre en question l'équipe dirigeante actuelle", et concluant en ces termes: "J'attends votre retour sur ces points, mon rôle d'administrateur y étant lié".

h.   Par lettre du 24 octobre 2018, B______ a licencié A______ pour le 31 décembre 2018, "suite à une réorganisation générale d[u] groupe".

B______ a déclaré au Tribunal, par D______, que l'avis de S______ n'avait pas eu d'effet sur sa décision de licencier A______, puisque cette décision procédait de la suppression du poste arrêtée en été 2018. D______ avait proposé à A______ de collaborer avec lui dans le cadre d'un projet immobilier; cette dernière avait refusé la proposition, et requis un accord de fin des rapports de travail.

B______ allègue que A______, qui avait refusé cette proposition, avait requis un accord de fin des rapports de travail. Après discussion, l'accord consistait en un licenciement à fin 2018, avec une indemnité, qualifiée de solde de vacances fixée à 36'520 fr. 24, un bonus de 5'000 fr. et la voiture de fonction (estimée à environ 45'000 fr.) dont l'employée avait eu l'usage durant les rapports de travail.

A______ conteste l'existence d'un tel accord, et le fait qu'il ait été question du paiement d'un bonus ou de la propriété d'un véhicule.

Elle a déclaré au Tribunal qu'elle était au courant qu'il y aurait une réorganisation du groupe, dont elle n'avait pas connu les détails, mais qu'elle ignorait qu'elle allait être licenciée; si D______ lui avait demandé de s'intéresser à l'immobilier, cela ne voulait pas dire que son poste serait remis en question.

S______ a déclaré n'avoir eu connaissance du licenciement de A______ que le jour où la décision en avait été prise.

i.      Par courriel du 26 octobre 2018, S______ s'est adressé au gérant de B______ en ces termes: "There are so many "fautes graves" committed by A______, it's unbelievable [ ] She is a no brain", étant précisé qu'il se référait en l'occurrence à une formule de questionnaire destinée à tous les employés comportant la question "êtes-vous enceinte ?".

Il a déclaré au Tribunal qu'il avait utilisé l'expression précitée, qu'il a traduite par "il lui manque une case", car à son sens A______ ne respectait pas les règles déontologiques, ce qui n'était pas admissible en sa qualité de responsable des ressources humaines.

j.     Par message du 1er novembre 2018, D______ a requis de A______ l'indication des jours de vacances non pris par année. Sur quoi, celle-ci a répondu "Parce que vous allez faire le calcul par année au montant du salaire par année et non sur le montant actuel?!", puis, alors que son interlocuteur lui avait communiqué que c'était correct ainsi sauf erreur de sa part, elle a indiqué: "C'est une interprétation mais logiquement si vous me le payez maintenant c'est au salaire actuel". Par message du 6 novembre 2018, elle a communiqué le détail requis.

Le 7 novembre 2018, A______ et D______ ont signé un document intitulé "Décompte vacances A______ pour la société B______", portant sur un solde de 104 jours de vacances non pris au 31 décembre 2018 (soit en 2014 18 jours, en 2015 26 jours, en 2016 26 jours, en 2017 26 jours et en 2018 8 jours).

Au Tribunal, A______ a déclaré qu'elle avait établi son décompte sur la base d'un droit de 35 jours de vacances par an et qu'elle avait bénéficié de 9 jours en 2015, 2016 et 2017, qu'elle avait convenu avec D______ que son solde de vacances serait réglé sur la base de son dernier salaire annuel; elle n'avait pas fait mention de la base de calcul dans le décompte précité parce qu'elle avait confiance en son supérieur. Le précité a pour sa part déclaré que le montant versé avait été calculé par le comptable et vérifié par un avocat, en fonction des années pour lesquelles un droit aux vacances était articulé.

k.   A la suite d'un accident, A______ a été totalement incapable de travailler du 4 décembre 2018 au 12 février 2019. Les rapports de travail ont pris fin au 31 mars 2019, A______ ayant été libérée de son obligation de travailler entre la date à laquelle elle a retrouvé sa capacité de travail et la date d'échéance du contrat.

Le 6 décembre 2018, elle a requis de S______ les "numéros d'affiliation des 2 polices AJ______ [caisse maladie] de B______". Ce dernier lui a demandé dans quel but, sur quoi elle a indiqué qu'il s'agissait de sa déclaration d'accident. S______ lui a adressé une déclaration d'accident en la priant de la remplir et de la lui retourner; elle a répondu qu'elle n'avait besoin que du numéro d'adhésion et non de la formule de déclaration. S______ a insisté, sur quoi A______ lui a répondu qu'elle faisait elle-même le nécessaire. S______ a rappelé que l'employé devait informer l'employeur de son accident; A______ a répondu que l'employeur avait été prévenu dès son hospitalisation.

l.      Par courrier de son avocat du 19 mars 2019, A______ a formé opposition à son congé. Elle a évoqué un harcèlement psychologique important et une grave atteinte à sa personnalité, "ce qui a résulté [sic] sur son licenciement en octobre 2018".

Par lettre de son conseil du 21 mars 2019, B______ a répondu notamment que les relations de travail s'étaient interrompues à la demande de A______ qui ne souhaitait pas "poursuivre sa collaboration avec le groupe".

Le 9 mai 2019, A______ a réclamé un certificat de travail rectifié, une attestation d'employeur international corrigée et des bulletins de salaires pour janvier à mars 2019.

Elle allègue que l'attente de l'attestation précitée a eu un effet sur son droit aux indemnités de chômage, sans davantage de précisions sur ce point.

m. Le 27 septembre 2019, A______ a saisi l'Autorité de conciliation du Tribunal des prud'hommes d'une requête de conciliation dirigée contre B______, en paiement de 120'413 fr. 20 avec suite d'intérêts moratoires, et en remise d'un certificat de travail, d'une attestation de l'employeur et de bulletins de salaire.

Au bénéfice d'une autorisation de procéder délivrée le 16 décembre 2019, A______ a expédié au Tribunal des prud'hommes, le 1er mai 2020, une demande par laquelle elle a conclu à la condamnation de B______ à lui verser 68'000 fr. nets, avec intérêts moratoires dès le 1er avril 2019 sur 66'000 fr., et dès le 24 octobre 2018 sur 2000 fr., ainsi que 179'210 fr. 93 bruts avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2019.

B______ a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions, avec suite de frais. Elle a formé une demande reconventionnelle en paiement de 67'278 fr. 45 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 31 août 2020.

A______ a conclu au déboutement de B______ des fins de ses conclusions reconventionnelles.

Aux termes de leurs plaidoiries écrites, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

EN DROIT

1.             L’appel est recevable contre les décisions finales et incidentes lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

En l’espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l’appel est ouverte.

Déposé dans le délai utile de trente jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 311 al. 1 CPC), l’appel est recevable.

2.             La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d’examen en fait et en droit (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l’appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu’il a retenus (art. 157 CPC en lien avec l’art. 310 let. b CPC ; ATF
138 III 374 consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4D_72/2017 du 19 mars 2018 consid. 2).

L'état de fait dressé ci-dessus par la Cour intègre dès lors les faits pertinents que l'appelante reproche au Tribunal d'avoir omis.

3.             L'appelante fait grief aux premiers juges d'avoir fixé une indemnité pour licenciement abusif trop faible et de n'avoir pas retenu l'existence d'un tort moral justifiant l'octroi d'une indemnité de ce chef.

3.1 Selon l'art. 336a al. 1 et 2 CO, la partie qui a résilié abusivement doit à l'autre une indemnité à fixer par le juge et correspondant à six mois de salaire au plus. Le montant doit être évalué selon les règles du droit et de l'équité, conformément à l'art. 4 CC. Il faut notamment prendre en considération la gravité de la faute commise par l'employeur, une éventuelle faute concomitante du travailleur, la gravité de l'atteinte à sa personnalité, son âge, la durée et l'intensité de la relation de travail, les effets du licenciement et les difficultés de réinsertion dans la vie économique (ATF 123 III 391 consid. 3; voir aussi ATF 123 III 246 consid. 6a p. 255).

En réservant, à l'art. 336a al. 2 in fine CO, les dommages-intérêts que la victime du congé pourrait exiger à un autre titre, le législateur a laissé ouvert le droit du travailleur de réclamer la réparation du préjudice résultant d'une cause autre que le caractère abusif du congé. Les indemnités des art. 336a et 337c al. 3 CO couvrent en principe tout le tort moral subi par le travailleur licencié. Le Tribunal fédéral admet toutefois l'application cumulative de l'art. 49 CO dans des situations exceptionnelles, lorsque l'atteinte portée aux droits de la personnalité du travailleur est grave au point qu'une indemnité correspondant à six mois de salaire ne suffit pas à la réparer (ATF 135 III 405 consid. 3.1).

3.2 L'art. 328 al. 1 CO impose à l'employeur de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur.

Le harcèlement psychologique, ou mobbing, constitue une violation de l'art. 328 CO. La jurisprudence le définit comme un enchaînement de propos et/ou d'agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail. La victime est souvent placée dans une situation où chaque acte pris individuellement peut éventuellement être considéré comme supportable, alors que l'ensemble des agissements constitue une déstabilisation de la personnalité, poussée jusqu'à l'élimination professionnelle de la personne visée. Il n'y a pas harcèlement psychologique du seul fait qu'un conflit existe dans les relations professionnelles, qu'il règne une mauvaise ambiance de travail, ou encore du fait qu'un supérieur hiérarchique n'a pas satisfait pleinement et toujours aux devoirs qui lui incombent à l'égard de ses collaborateurs. Le harcèlement est généralement difficile à prouver, si bien que son existence peut être admise sur la base d'un faisceau d'indices convergents, tout en gardant à l'esprit qu'il peut n'être qu'imaginaire, sinon même être allégué abusivement pour tenter de se protéger contre des remarques et mesures justifiées (arrêts du Tribunal fédéral 4A_215/2022 du 23 août 2022 consid. 3.1; 4A_310/2019 du 10 juin 2020 consid. 4.1.1; 4A_714/2014 du 22 mai 2015 consid. 2.2; 4A_381/2014 du 3 février 2015 consid. 5.1; 4A_680/2012 du 7 mars 2013 consid. 5.2; 4A_381/2011 du 24 octobre 2011 consid. 4; 4C.343/2003 du 13 octobre 2004 consid. 3.1).

3.3 En l'occurrence, l'existence d'un licenciement abusif est acquise - puisqu'elle n'a pas été remise en cause par l'intimée - pour les motifs retenus par les premiers juges, à savoir l'atteinte à la personnalité de l'appelante du fait de la non intervention de D______ aux fins d'endiguer le conflit existant avec S______.

Pour arrêter le montant de l'indemnité due du chef de ce licenciement abusif, le Tribunal a pris en compte la durée de l'emploi, de quatre ans et demi, les circonstances que le travail de l'employée donnait satisfaction et qu'un poste lui avait été offert dans le cadre de la restructuration du groupe, ainsi que l'absence d'effets économiques du congé et l'absence d'atteinte à la santé.

Le premier élément retenu par le Tribunal est exact et pertinent dans le cadre de la fixation de l'indemnité. Le deuxième élément ne reflète pas la position complète de l'intimée, puisque celle-ci a souligné que certains pans de l'activité de son employée ne convenaient pas s'agissant de la gestion du personnel, thèse assise par le témoignage S______ (certes à apprécier avec réserve compte tenu de l'hostilité existant entre les deux employés) et les déclarations de D______. Il peut toutefois être compris de cette motivation elliptique que le Tribunal a tenu compte de la manifeste implication importante de l'intimée dans l'accomplissement de ses tâches. Les troisième et quatrième éléments sont conformes au dossier et pertinents, l'appelante ne renvoyant à aucun allégué formulé sur le sujet, encore moins à une preuve concrète que le Tribunal aurait négligée, telle une décision de refus de prestation de chômage ou une constatation médicale venant établir une quelconque atteinte à la santé. Certes, sur ce dernier point, divers témoins ont fait état de plaintes de l'appelante, ce qui n'est pas suffisant pour démontrer la réalité de l'effet néfaste évoqué dans l'appel. Enfin, il est vrai que le Tribunal ne s'est pas arrêté aux circonstances postérieures au congé; celles-ci ne revêtent cependant pas une telle particularité qu'elles commanderaient de leur accorder un poids significatif.

Pour le surplus, le Tribunal n'a pas retenu l'existence d'un harcèlement sur la personne de l'appelante. Ce faisant, il a correctement apprécié les éléments du dossier. S'il est exact que le jugement ne retient pas dans sa partie en fait le contenu des divers échanges de courriels que l'appelante a visés, sans d'ailleurs en alléguer strictement la teneur, il n'en demeure pas moins qu'aucun de ceux-ci ne recèle d'indice constitutif d'un harcèlement psychologique. On n'y trouve en particulier pas trace du dénigrement, de l'insistance et de l'acharnement prétendus par l'appelante. Certes, S______, après avoir identifié plusieurs anomalies voire manquements dans le travail de l'appelante (semble-t-il non sans raison en tant qu'ils compromettaient les intérêts à tout le moins financiers de l'intimée), a clairement montré son opinion, de façon péremptoire voire didactique (cf courriels du 21 août 2018, du 26 août 2018, ainsi que les notes de juin et octobre 2018) et sans précaution de langage, mais toujours dans une rédaction correcte; lorsqu'il n'avait pas reçu de réponse, ou pas la réponse qu'il attendait, il est revenu à la charge (cf courriels des 7 et 15 mai 2018, du 22 mai 2018, du 13 août 2018, du 11 septembre 2018) ou en a fait part à son supérieur, procédé qui n'est pas critiquable en soi, et ne saurait être considéré comme relevant du harcèlement. Il est concevable que l'appelante, dont l'ancienneté et la position hiérarchique étaient supérieures, en ait été offusquée, et surtout qu'elle ait ensuite ressenti avec dépit que l'intimée ait pris parti en sa défaveur, malgré son implication indiscutable et satisfaisante dans d'autres domaines que ceux examinés par S______. Au demeurant, l'appelante était manifestement en position de répondre à celui-ci avec une certaine virulence, comme cela résulte en particulier de l'échange du 17 septembre 2018 et du courriel du 18 septembre 2018. Il ressort par ailleurs des déclarations des parties et du témoin S______, ainsi que des échanges de courriels du 3 avril 2018, que la mésentente et l'absence de communication étaient caractérisées de part et d'autre, et des témoignages AB______, Z______, T______, V______ en particulier que l'appelante s'en plaignait, et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter les interactions, qu'elle redoutait, avec son collègue. Ce dernier a certes, à une reprise, le 26 octobre 2018, usé d'une formule à tout le moins indélicate, mais dans une correspondance directe avec D______, sans copie à des tiers, et dans le cadre de griefs qu'il tentait d'étayer, postérieurement à la notification du licenciement.

Appréciées dans leur ensemble, ces circonstances ne révèlent pas de harcèlement psychologique au sens rappelé ci-dessus.

Ainsi, tout bien considéré, le Tribunal n'a pas mésusé de son pouvoir d'appréciation dans la fixation de l'indemnité de l'indemnité prévue à l'art. 336a CO.

A bien la comprendre, l'appelante, dans sa demande du 1er mai 2020, a fondé sa prétention en indemnité pour tort moral sur les mêmes faits que ceux qu'elle a invoqués à l'appui de ses conclusions en paiement d'une indemnité pour licenciement abusif. Dès lors, et compte tenu des principes rappelés ci-dessus, l'indemnité octroyée couvre tout aspect relevant du tort moral, comme l'ont correctement retenu les premiers juges.

Les griefs de l'appelante sont ainsi infondés.

4.             L'appelante reproche au Tribunal le calcul du montant des jours de vacances. Selon elle, elle aurait droit à 21'906 fr. 35, soit 104 jours à 561 fr. 79 le jour (132'000 fr. x 10,64% / 25 jours), sous déduction de 36'520 fr.

4.1 L'art. 17 al. 1 CCNT prévoit que le collaborateur a droit à 5 semaines de vacances par année (35 jours civils par année, 2,92 jours civils par mois).

A la fin des rapports de travail, les jours de vacances qui n’ont pas encore été pris doivent être indemnisés à raison de 1/30 du salaire mensuel brut (art. 17 al. 5 CCNT hôtellerie).

4.2 En l'espèce, il n'est plus disputé que la CCNT pour l'hôtellerie et la restauration s'applique aux rapports de travail ayant lié les parties.

Il est constant que les parties ont signé un décompte le 7 novembre 2018 établissant un solde de 104 jours à la fin de l'année 2018, sans autres détails relatifs à la rémunération. Il est par ailleurs acquis, de par le jugement, que la base de rémunération devait être celle du dernier salaire, soit 11'000 fr. par mois. Reste seule litigieuse la question de l'application de l'art. 17 al. 5 CCNT.

L'appelante, pour asseoir sa prétention financière liée à 104 jours – chiffre accepté par l'intimée – a pris en considération un droit annuel supérieur aux jours de vacances prévus dans le contrat de travail (25 jours), puisqu'elle a articulé le chiffre de 26 jours dont elle n'aurait pas bénéficié en 2015, 2016 et 2017, et puisqu'elle a allégué avoir eu 50 jours effectifs de vacances environ sur une période (du 1er août 2014 au 31 décembre 2018, soit 4 ans et 5 mois) totalisant un droit aux vacances prétendu de 150 jours. Le calcul qu'elle propose en procédure, fondé sur le droit annuel contractuel de 25 jours (au "tarif" de 561 fr. le jour), ne peut donc logiquement être rapporté au chiffre total de 104 jours, basé, à teneur des allégués de fait, sur un droit annuel de 35 jours qui procède du premier alinéa de l'art. 17 de la CCNT. Or, les deux parties, en souscrivant au décompte du 7 novembre 2018, ont manifesté qu'elles faisaient leur le droit aux vacances dérivant de l'application de la convention.

Dans ces circonstances, le calcul des premiers juges, tenant compte de l'al. 5 de ce même art. 17 de la CCNT, alors même que la prétention articulée se rapporte à des jours de vacances dus à la fin du contrat de travail, n'apparaît pas critiquable. Pour le surplus, l'appelante ne remet pas en cause l'opération arithmétique du Tribunal, de sorte que celle-ci ne sera pas examinée plus avant.

Le grief est ainsi infondé sur ce point.

5.             L'appelante reproche encore aux premiers juges d'avoir écarté sa prétention en rémunération d'heures supplémentaires.

5.1 Il incombe au travailleur de prouver qu'il a effectué les heures supplémentaires au sens de l'art. 321c CO et de prouver la quotité des heures dont il demande la rétribution (art. 8 CC; ATF 129 III 171 consid. 2.; arrêts du Tribunal fédéral 4A_28/2018 du 12 septembre 2018 consid. 3; 4A_482/2017 du 17 juillet 2018 consid. 2.1). S'il n'est pas possible d'établir le nombre exact d'heures effectuées, le juge peut, par application analogique de l'art. 42 al. 2 CO, en estimer la quotité. L'évaluation se fonde sur le pouvoir d'appréciation des preuves (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa; arrêt du Tribunal fédéral 4A_338/2011 du 14 décembre 2011 consid. 2.2, in PJA 2012 282). Si l'art. 42 al. 2 CO allège le fardeau de la preuve, il ne dispense pas le travailleur de fournir au juge, dans la mesure raisonnablement exigible, tous les éléments constituant des indices du nombre d'heures supplémentaires accomplies (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2; 122 III 219 consid. 3a; arrêt 4A_482/2017 précité consid. 2.1).

Lorsque l'employeur n'a mis sur pied aucun système de contrôle des horaires et n'exige pas des travailleurs qu'ils établissent des décomptes, il est plus difficile d'apporter la preuve requise (arrêts du Tribunal fédéral 4A_611/2012 du 19 février 2013 consid. 2.2; 4P.35/2004 du 20 avril 2004 consid. 3.2, in JAR 2005 p. 180); l'employé qui, dans une telle situation, recourt aux témoignages pour établir son horaire effectif utilise un moyen de preuve adéquat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_28/2018 précité consid: 3; 4A_543/2011 du 17 octobre 2011 consid. 3.1.3; 4A_392/2018 du 27 mars 2019 consid. 3).

5.2 En l'espèce, il est constant d'une part qu'aux termes de son contrat de travail, l'appelante avait un cahier des charges important, relatif à plusieurs établissements publics, dont le nombre a encore cru au fil de son emploi, et d'autre part qu'il n'existait aucun contrôle de l'horaire.

L'appelante a elle-même déclaré qu'elle ne se rendait pas compte de sa charge de travail, ce qui, à son sens, l'aurait empêchée de s'en plaindre. Elle n'a pas fait valoir qu'elle aurait noté ses heures de présence et n'a pas produit une telle pièce, bien qu'elle ait déclaré au Tribunal qu'elle établissait une fiche de présence pour elle-même. Quant à son supérieur, il n'était que peu présent à Genève, de sorte qu'il ne pouvait procéder à des constatations sur place, et accordait sa confiance à l'appelante, ce qu'au demeurant celle-ci savait, bien qu'elle ait considéré qu'elle ne bénéficiait pas d'une grande liberté dans l'organisation de son travail. Les épisodes rapportés par D______, qui voyant la fatigue de son employée lui avait proposé de rentrer chez elle, non contestés par cette dernière, démontrent toutefois que l'employeur pouvait s'accommoder d'une présence moins soutenue que celle que l'appelante s'imposait, et donc que l'intensité de son engagement n'était pas requise.

Les témoignages recueillis démontrent incontestablement que l'appelante venait dans les divers établissements, selon les moments, sans que l'on puisse en déduire s'il s'agissait uniquement d'une présence volontaire, voire d'agrément pour y consommer, ou des nécessités de l'exploitation, comme l'ont retenu à raison les premiers juges. En particulier, les déclarations du témoin V______ qui fait allusion à de l'aide au bar et en salle, et celles du témoin Z______ sur le service, dont l'appelante n'a pas allégué qu'il lui incombait de le faire, ne sont pas pertinentes. Les déclarations des témoins Y______, Z______ et AB______ évoquent une présence quasi continue en particulier à l'établissement public L______, dont on ne discerne pas non plus, faute de détails sur ces points, quel travail elle induisait et quelle nécessité d'exploitation elle représentait.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, le fait que les témoins T______, U______, V______, Z______, Y______ l'aient vue durant le week-end dans l'établissement précité ne suffit pas à établir qu'elle n'aurait jamais pris deux jours de congé par semaine durant la totalité de son emploi, comme elle l'a allégué et déclaré. Le témoignage Y______ n'est pas dépourvu de contradiction, puisqu'il évoque aussi bien une présence "tout le temps", en particulier le week-end au L______, que le fait que l'appelant prenait des week-ends.

Les témoignages ne sont ainsi pas suffisamment précis, détaillés et univoques pour représenter des indices véritablement probants des horaires prétendus.

Par ailleurs, le reproche adressé par l'appelante à l'intimée, qui ne lui aurait pas fourni de décharge, ne porte pas, dans la mesure où, en particulier, un tiers a été engagé en la personne de S______, que l'appelante n'a toutefois pas considéré comme une aide mais comme une entrave. Le Tribunal a également retenu à raison que la position d'exploitante de l'appelante n'établissait pas la réalisation effective de l'horaire minimal imposé par la loi, de sorte qu'aucune conclusion précise ne peut en être tirée s'agissant de la quotité d'heures supplémentaires.

Il n'est pas non plus déterminant que l'appelante et l'intimée aient été en contact par messagerie ou téléphone, à certaines reprises le soir un samedi (en 2018) et un dimanche (en 2017), ou entre 20h00 et 23h00 le 12 septembre 2018 (même avec l'instruction de "terminer un contrat", dont on ignore l'ampleur du travail à accomplir, pour le lendemain en début d'après-midi), ou encore durant les vacances, au vu du caractère épisodique de ces faits, et dans le cadre particulier d'établissements publics exploités le soir et le week-end. A propos des vacances, si en effet, le solde restant au terme des relations de travail est très élevé, il est délicat de le prendre en compte à titre d'indice de surcharge de travail, dans la mesure où l'appelante n'a pas formulé d'allégué précis sur la raison qui l'aurait contrainte à renoncer à exercer son droit aux vacances durant plusieurs exercices, et s'est limitée, dans sa déclaration au Tribunal, à faire valoir qu'elle avait été empêchée de les prendre, sans davantage de développements sur le sujet. L'échange de messages du 20 septembre 2018, qui semble comporter une instruction de travail pendant les vacances, n'est pas non plus, à considérer avec la réponse de l'appelante, et en l'absence d'allégués précis sur le contexte, et de déclarations des parties sur le sujet, particulièrement probant.

En définitive, au vu de ce qui précède, l'appréciation des premiers juges, selon laquelle, l'appelante avait échoué à prouver les heures supplémentaires alléguées, sera confirmée.

6.             Les griefs de l'appelante étant infondés, le jugement entrepris sera confirmé.

7.             L'appelante, qui succombe, supportera les frais de son appel, arrêtés à 2'300 fr. (art. 71 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Il ne sera pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 2 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 14 septembre 2022 par A______ contre le jugement JTPH/253/2022 rendu le 11 août 2022 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/22601/2019-2.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toute autre conclusion.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'300 fr, compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Fiona MAC PHAIL, juge employeur; Monsieur Kasum VELII, juge salarié; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.