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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/5033/2019

CAPH/7/2023 du 23.01.2023 sur JTPH/376/2021 ( OO ) , REFORME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5033/2019-2 CAPH/7/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 23 JANVIER 2023

 

Entre

FONDATION A______, sise ______ [BE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 6 octobre 2021 (JTPH/376/2021), comparant par Me O______, avocate, ______, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, comparant par
Me Mirolub VOUTOV, avocat, rue Pierre-Fatio 12, 1204 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/376/2021 du 6 octobre 2021, expédié pour notification aux parties le même jour et reçu par l’appelante le lendemain, le Tribunal des prud’hommes, statuant par voie de procédure ordinaire, a pris acte du fait que FONDATION A______ s’était substituée à SOCIETE COOPERATIVE C______ (sic) en qualité de partie défenderesse dans la procédure (ch. 1), déclare recevable le demande formée le 11 juillet 2019 par B______ (ch. 2), condamné FONDATION A______ à verser à B______ la somme brute de fr. 14'800.35 (ch. 3), invité la partie qui en a la charge à opérer les déductions sociales légales usuelles (ch. 4), condamné FONDATION A______ à verser à B______ la somme nette de fr. 5'000.- (ch. 5), dit que la procédure était gratuite et qu’il n’était pas alloué de dépens (ch. 6) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 7).

B.            a. Par acte daté du 8 novembre 2021 adressé à la Cour le même jour par la voie postale, FONDATION A______ appelle de ce jugement, dont elle sollicite en substance l’annulation complète, la demande de B______ devant être déclarée irrecevable, subsidiairement ce dernier débouté de toutes ses conclusions.

b. Le 13 décembre 2021, B______ a conclu au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Le 19 janvier 2022, FONDATION A______ a répliqué.

d. Sur ce, B______ n’ayant pas fait usage de son droit à la duplique, la cause a été gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivant résultent de la procédure :

a.    FONDATION A______ est une fondation de droit suisse ayant son siège à P______ [BE].

b.   SOCIETE COOPERATIVE C______ a été constituée par entre autres la FONDATION A______. Elle avait son siège dans le canton de Berne.

c.    « CENTRE D______ » est une institution privée d’utilité publique, sans but lucratif, sa structure juridique étant celle, à teneur d’un extrait du site internet de « CENTRE D______ » produit par le demandeur, de « FONDATION A______ », dont le siège est à P______ [BE].

d.   Par contrat de travail 30 janvier 2012, SOCIETE COOPERATIVE C______ a engagé pour une durée indéterminée B______, né le ______ 1967, en qualité d’employé de cuisine à compter du 6 décembre 2011.

e.    Le 27 janvier 2015, B______ a reçu un avertissement, en raison notamment d’un manque de respect envers son responsable et ses collègues, même lorsqu’il était en désaccord avec eux. Il devait mobiliser son énergie pour son travail et non dans l’alimentation de tensions dans l’équipe. Le 13 septembre 2016, B______ s’est vu notifier un « dernier » avertissement, en raison du non-respect des règles au sein de la cuisine et du cadre professionnel défini. Le 1er novembre 2016, un nouvel avertissement pour absence injustifiée a derechef été adressé à l’intéressé.

f.     Le 30 décembre 2017, E______, employée au « CENTRE D______ » âgée de 23 ans à l’époque des faits, a annoncé un incident à son employeur au motif d’une « agression » s’étant déroulée le 28 décembre 2017. En substance, B______ lui avait tenu des propos déplacés (« je peux te faire la bise du nouvel an », « tu es belle, tu deviens une femme », « travailles-tu le 29 décembre, pour que nous puissions refaire mieux cette bise de nouvel an ») puis l’avait tenue par l’épaule et embrassée par surprise sur la bouche, essayant de « mettre sa langue dans [s]a bouche ». Choquée par l’événement, elle en avait parlé à sa collègue F______ qui faisait la nuit avec elle puis, sur indication de la responsable des ressources humaines, établi le formulaire d’annonce d’incident.

g.    E______ indique avoir déposé plainte suite à ces faits [en réalité une main-courante]; elle s’est alors trouvée en arrêt-maladie dès le 10 janvier 2018.

h.   Le Comité de direction s’est réuni par téléphone dès qu’il a été informé, le 28 décembre 2017, des faits précités. Il a alors pris la décision de licencier, avec effet immédiat, B______. Il n’est pas contesté que ce dernier n’a pas été interpellé avant que cette décision ne soit prise.

i.      Après un entretien et par lettre « remise en mains propres » datée du 2 janvier 2018, sur en-tête « CENTRE D______ C______ », à la signature du directeur ad interim G______ et de Mme H______, responsable des ressources humaines, la résiliation « avec effet immédiat pour justes motifs » des rapports de travail noués avec B______ a été signifiée à l’intéressé. Son contrat prenait fin « dès aujourd’hui ».

j.     Le 12 février 2018, Me O______ s’est constituée pour le « CENTRE D______ » avec élection de domicile et indiqué que son « client » ne reviendrait pas sur le licenciement avec effet immédiat. Il avait « de bonnes raisons de croire à la description des évènements donnée par E______ ».

k.   Par jugement définitif rendu en date du 15 janvier 2019 (JPTH/15/2019 ; C/5396/2018), le Tribunal des prud’hommes a déclaré irrecevable une précédente demande formée le 23 mai 2018 par B______ dirigée contre « CENTRE D______ », et basée sur les mêmes faits et conclusions que celles ayant fait l’objet de la présente procédure. Ce jugement se fonde sur l’argumentation soulevée par Me O______, pour le compte de la défenderesse, tirée d’un défaut de légitimation passive, seule SOCIETE COOPERATIVE C______ disposant de cette qualité en l’espèce, contrairement au « CENTRE D______ » qui n’était qu’un établissement.

D.           a. Par requête en conciliation datée du 5 mars 2019 remise au greffe du Tribunal des prud’hommes le même jour, B______ a conclu à ce que la résiliation immédiate de son contrat de travail « conclu avec la C______ » soit constatée et à la condamnation de cette dernière à lui verser les sommes de fr. 14'800.35 à titre de salaire du 2 janvier 2018 au 31 mars 2018 ainsi qu’une indemnité de fr. 30'251.10.

b. Le 13 mars 2019, faisant suite à une demande de l’autorité de conciliation, Me O______ a confirmé être constituée pour la défense des intérêts de la SOCIETE COOPERATIVE C______. Elle annexait une procuration datée du 2 février 2018 établie au nom de « Centre D______ C______ ».

c. A l’issue de l’audience de conciliation du 15 avril 2019, B______ a été autorisé à procéder à l’encontre de la SOCIETE COOPERATIVE C______. Celui-ci a saisi le Tribunal en date du 11 juillet 2019. Le 12 septembre 2019, SOCIETE COOPERATIVE C______ a conclu au rejet de la demande, sans contester sa légitimation passive.

d. Par jugement du 3 février 2020, le Tribunal des prud’hommes a rejeté la requête en récusation soulevée par SOCIETE COOPERATIVE C______ à l’encontre de I______. Il est définitif suite au rejet, par la Chambre de céans, du recours formé à son encontre par arrêt du 16 décembre 2020 (CAPH/223/2020).

e. L’administration des preuves a été conduite lors des audiences des 10 et 17 mai 2021, ainsi que du 7 juin 2021.

H______ était de permanence le 28 décembre 2017. Elle avait reçu un appel de E______ affolée de ce qui venait de lui arriver ; elle pleurait et avait de la peine à s’exprimer. K______, qu’elle avait croisée dans la matinée, lui avait confirmé que E______ était très mal quand elle lui avait raconté ce qui lui était arrivé. Elle reconnaissait qu’elle aurait dû aller parler avec B______.

G______, directeur ad interim à l’époque et depuis lors devenu directeur avec effet au 1er janvier 2019, a précisé que le comité de direction s’était réuni par téléphone. Ce dernier avait trouvé les faits si graves qu’il avait décidé de résilier le contrat avec effet immédiat, et ce sans l’entendre. E______ avait fait son apprentissage au sein de CENTRE D______ et jamais elle n’avait pas été vue dans un tel état.

B______ a indiqué qu’il avait été convoqué le 28 décembre 2017 par L______. Ce dernier, en présence de Mme H______ – ce que cette dernière conteste –, lui avait dit qu’ils avaient été informés d’accusations de la part de E______, qu’il considérait comme un enfant à qui il donnait des conseils ; c’était toujours elle qui venait vers lui. Il lui avait été dit qu’une confrontation serait organisée après les vacances de fin d’année. Il n’avait pas forcé E______ à l’embrasser, lui ayant fait une « bise normale ». Cette dernière était toutefois « restée là », ce qu’il n’avait pas compris. Il lui avait fait « trois bises sur les joues », ne l’ayant pas empoignée. Après coup, il s’était demandé si « elle ne cherchait pas quelque chose ». Il avait eu congé les 30 et 31 décembre 2017, ainsi que le 1er janvier 2018.

M______, collègue de B______ qui était en vacances le 28 décembre 2017, a attesté que ce dernier n’avait jamais eu de gestes déplacés à son égard. Elle n’avait jamais rien remarqué de particulier dans son attitude à l’égard de E______.

E______ a confirmé son rapport d’incident. B______ avait toujours été gentil avec elle jusqu’alors. Il arrivait qu’il fasse des « mmmmh » lorsqu’ils se faisaient la bise avant les faits en cause, ou des remarques du genre « tu es jolie » ou « tu es devenue une femme ». Elle avait consulté son médecin et un thérapeute après les faits.

L______, responsable de la restauration depuis 2013, a indiqué n’avoir été informé des faits survenus le 28 décembre 2017 qu’en date du 2 janvier 2018, quand bien même il travaillait ce jour-là. Le comportement de B______ était resté irrégulier après les avertissements prononcés.

N______, collègue de B______ et employé depuis une douzaine d’années en qualité de cuisinier, a confirmé que ce dernier n’avait pas changé son comportement au travail après les avertissements reçus. Il n’avait rien remarqué de particulier s’agissant du comportement de l’intéressé à l’égard de E______.

F______, employée comme veilleuse de nuit depuis 2015, se souvenait avoir vu E______ arriver vers elle en pleurs ; elle était effondrée et ne pouvait même pas parler. Elle n’avait pas été convoquée par la direction sur ce qu’il s’était passé.

f. Alors que la cause avait été gardée à juger à l’issue de l’audience du 7 juin 2021, le Tribunal a souhaité interpeller les parties au sujet de la désignation de la partie défenderesse, la SOCIETE COOPERATIVE C______ ayant été dissoute et radiée le ______ février 2017, après transfert de ses biens à la FONDATION A______. Un échange a été conduit à ce sujet, cette dernière concluant désormais à l’irrecevabilité de la demande.

E.            Dans le jugement querellé, le Tribunal a déclaré la demande recevable. FONDATION A______ avait la légitimation passive, les parties ayant de facto accepté la substitution de parties. Il a par ailleurs retenu que l’employeur aurait dû entendre l’employé avant la notification du licenciement et procéder à d’autres vérifications. Il avait ce faisant perdu son droit à la résiliation immédiate, si bien que le licenciement était injustifié.

EN DROIT

1.             L’appel est dirigé contre une décision finale de première instance rendue dans le cadre d’un litige portant sur une valeur litigieuse de plus de 10'000 fr. au dernier état des conclusions de première instance (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC). Il a été déposé dans le délai de 30 jours à compter de la notification de la décision et respecte, au surplus, la forme prescrite, même s’il aurait été opportun d’inclure un état de fait au mémoire d’appel (art. 130, 131, 142, 143 et 311 al. 1 CPC. L’appel est par conséquent recevable.

2.             La question de savoir si le Tribunal a procédé à juste titre à une substitution des parties, et si l’attitude de la partie appelante, qui a largement contribué à entretenir le flou sur son identité tout en étant systématiquement atteinte et apte à se défendre, est conforme au principe de la bonne foi en procédure, souffre de demeurer ouverte vu l’issue du présent appel, étant souligné que l’intimé ne conteste pas la substitution des parties.

3.             Le Tribunal a considéré que le licenciement immédiat était injustifié au seul motif que l’intimé n’avait pas été entendu avant que cette mesure ne lui soit notifiée. Étant rappelé qu’il n’existe en principe pas de droit d’être entendu formel dans les rapports de droit privé, les premiers juges ont ce faisant admis un cas d’abus de la résiliation à raison de la façon par laquelle l’employeur avait exercé son droit au licenciement.

3.1 L'abus de la résiliation peut découler non seulement des motifs du congé, mais également de la façon dont la partie qui met fin au contrat exerce son droit (ATF 118 II 157 consid. 4b/bb p. 166, confirmé in ATF 125 III 70 consid. 2b). Lorsqu'une partie résilie de manière légitime un contrat, elle doit exercer son droit avec des égards. Elle ne peut en particulier jouer un double jeu, contrevenant de manière caractéristique au principe de la bonne foi. Ainsi, un comportement violant manifestement le contrat, par exemple une atteinte grave au droit de la personnalité dans le contexte d'une résiliation, peut faire apparaître cette dernière comme abusive. En revanche, un comportement qui ne serait simplement pas convenable ou indigne des relations commerciales établies ne suffit pas. Il n'appartient pas à l'ordre juridique de sanctionner une attitude seulement incorrecte (arrêt 4C_174/2004 du 5 août 2014, consid. 2.1 in fine). Par exemple, le fait pour l'employeur d'avoir affirmé à son collaborateur qu'il ne serait pas licencié et de lui notifier son congé une semaine plus tard est un comportement qui n'est certes pas correct, mais qui ne rend pas à lui seul le congé abusif (ATF 131 III 535, consid. 4.2, et les arrêts et références cités).

3.2 Il faut toutefois souligner que l'interdiction de l'abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC réprime bien davantage que de simples chicanes ; elle ne suppose en revanche pas que celui qui abuse de son droit ait l'intention de nuire ni que le procédé utilisé soit lui-même immoral. Il peut ainsi y avoir abus de droit en cas de disproportion évidente des intérêts en présence, en particulier lorsque la norme applicable a justement pour but de mettre en place une certaine balance des intérêts. Tel est le cas de l'art. 336 CO, dès lors que la résiliation abusive du contrat de travail exprime une limitation légale à la liberté contractuelle de celui qui met fin au contrat, afin de protéger le cocontractant qui a, pour sa part, un intérêt au maintien de ce même contrat. L'idée sous-jacente est avant tout d'offrir une protection sociale au salarié licencié abusivement, dès lors que la protection du congé n'a pas de portée pratique pour l'employeur. Hormis les cas de disproportion des intérêts, l'abus peut aussi résulter de l'exercice d'un droit contrairement à son but. Pour déterminer quel est le but poursuivi par une disposition légale, il convient notamment de tenir compte des intérêts protégés. Chacun peut s'attendre à ce que les droits dont il doit supporter l'exercice n'aillent pas à l'encontre du but visé par la disposition légale qui les met en œuvre. Sous cet angle également, l'intérêt légitime du salarié au maintien du contrat doit donc être pris en compte lors de l'examen du caractère abusif du congé donné par l'employeur. Ainsi, un licenciement pour simple motif de convenance personnelle peut être qualifié d'abusif (cf. AUBERT, L'abus de droit en droit suisse du travail, in L'abus de droit, Saint-Etienne 2001, p. 101 ss, 109). Le fait qu'en droit suisse, l'existence d'une résiliation abusive ne conduise en principe pas à son invalidation, mais seulement à une indemnisation versée à celui qui en est victime ne change pas l'appréciation du point de savoir si le licenciement s'est exercé conformément à son but. Il convient donc d'examiner, à l'aune de ces principes, si le licenciement du demandeur peut être qualifié d'abusif compte tenu des circonstances d'espèce (cf. ATF 131 III 535, consid. 4.2).

3.3 En l’espèce, au vu de ces principes, c’est à tort que les premiers juges ont considéré que l’on se trouvait dans un cas justifiant que l’on retienne un abus dans la résiliation, au simple motif que l’intimé n’aurait pas été formellement entendu avant le 2 janvier 2018, et ce indépendamment de la question de savoir si la décision notifiée ce jour-là avait été définitivement prise avant ou non la séance à l’issue de laquelle son licenciement lui a été notifié en mains propres. A supposer que cette absence d’entretien voire de vérifications ultérieures constitue un vice – étant souligné que nous ne sommes pas en droit public –, il faudrait encore la mettre en balance avec la nature des faits reprochés au recourant, et leur contexte particulier, nécessitant une réaction rapide, au regard de l’art. 328 CO comme des exigences strictes de prises de décision lorsqu’une résiliation immédiate est envisagée (autre étant alors la question de savoir si le motif de résiliation est en lui-même abusif ou fondé). Cet arbitrage plaide également en faveur de l’absence d’abus dans la résiliation, qui n’est donc pas défendable. Le jugement attaqué doit donc être annulé.

4.             Les premiers juges ne se sont pas expressément prononcés sur la réalité du motif de résiliation immédiate, indiquant que les déclarations accusant l’intimé constituaient un indice «non négligeable» dans le sens de leur crédibilité.

4.1 A teneur de l’art. 318 al. 1 let. b CPC toutefois, la Cour peut directement statuer à nouveau. L'instance d'appel dispose en effet d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit. En particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus. La Chambre de céans peut ainsi directement trancher le fond du présent litige.

4.2 L'employeur peut résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (art. 337 al. 1 CO). Sont notamment considérés comme de justes motifs, toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO). Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). Selon la jurisprudence, la résiliation immédiate pour «justes motifs» est une mesure exceptionnelle qui doit être admise de manière restrictive (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1 p. 304). Seul un manquement particulièrement grave de l'employé peut justifier une telle mesure (ATF 142 III 579 consid. 4.2). Par manquement, on entend généralement la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, mais d'autres incidents peuvent aussi justifier une telle mesure (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1 p. 304 s.; 130 III 28 consid. 4.1 p. 31; 129 III 380 consid. 2.2 p. 382). Ce manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l'atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat (cf. arrêt 4A_124/2017 du 31 janvier 2018 consid. 3.1 et les références citées, publié in SJ 2018 I p. 318). En matière de harcèlement au travail, le rapport de confiance est en principe considéré comme détruit (ou atteint profondément) lorsque le harceleur est un cadre avec une position dominante ou avec une certaine influence dans l'entreprise (cf. arrêt 4A_480/2009 du 11 décembre 2009 consid. 6.2). Lorsqu'il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement (ATF 142 III 579 consid. 4.2; 130 III 213 consid. 3.1 p. 220 s.). L'employeur peut toutefois s'en abstenir lorsqu'il ressort de l'attitude de l'employé qu'une telle démarche serait inutile (ATF 127 III 153 consid. 1b p. 155 ss), ce qui est le cas lorsque le travailleur persiste dans son attitude hostile et que celle-ci ne permet pas d'envisager un quelconque amendement ou une prise de conscience de sa part, l'employé continuant en particulier à minimiser les faits en dénigrant sa victime (arrêt 8C_422/2013 du 9 avril 2014 consid. 8.2).

4.3 En l’occurrence, ces conditions doivent être considérées comme réunies. Faisant usage de son pouvoir d’appréciation des preuves, et sur la base des témoignages recueillis, comme des déclarations des parties, la Cour retient que l’intimé s’est bien comporté, en début de matinée du 28 décembre 2017, comme décrit dans le rapport d’incident établi par E______. Les déclarations de l’intimé n’ont jamais sérieusement contesté ce récit, déjà rendu hautement crédible par la réaction de celle-ci immédiatement après les faits, telle qu’objectivée par plusieurs de ses collègues, ce récit étant au reste demeuré constant tout au long de la procédure. L’intimé a au contraire cherché en procédure à dénigrer l’intéressée, de plus de 25 ans sa cadette, en laissant accroire que ce serait elle qui aurait « cherché quelque chose ». On souligne par ailleurs qu’elle entretenait de bons rapports de travail avec l’intimé jusqu’alors – de l’avis unanime de leurs collègues comme de leurs propres déclarations –, si bien qu’on ne voit aucunement quel bénéfice secondaire elle aurait eu à inventer un tel reproche, l’intimé n’affirmant à aucun moment qu’il aurait par exemple éconduit d’hypothétiques avances. Enfin, l’intimé lui-même a allégué que l’intéressée lui faisait confiance, parlant finalement de « trois bises », tout en ayant confirmé avoir évoqué « la bise du Nouvel-An » ; ces éléments terminent d’ôter toute crédibilité à ses vaines dénégations.

4.4 Un tel comportement, qui revient à imposer à un tiers un acte à connotation sexuelle non consenti – soit un baiser lingual – sur son lieu de travail, relève du harcèlement sexuel, prohibé par l’art. 328 CO comme le droit suisse de manière générale. Indépendamment même des plusieurs avertissements adressés à l’intimé par le passé, dont l’un en tout cas pointait déjà une problématique de comportement à l’égard de ses collègues, le licenciement immédiat attaqué ne peut dans ces circonstances qu’être confirmé.

5.             Fondé, l’appel doit être admis et le jugement attaqué annulé dans sa totalité. Statuant à nouveau, la Cour déboutera partant l’intimé, dont le licenciement immédiat a été prononcé à juste titre, de toutes ses conclusions. Compte tenu de la valeur litigieuse, il est statué gratuitement (art. 19 al. 3 let. c LaCC et 71 RTFMC a contrario). Il n’est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

 

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 2:


A la forme
:

Déclare recevable l’appel formé le 8 novembre 2021 par Fondation A______ contre le jugement JTPH/376/2021 rendu le 6 octobre 2021 par le Tribunal des prud’hommes dans la cause C/5033/2019-2.

Au fond :

Annule ce jugement et cela fait, statuant à nouveau :

Déboute B______ de toutes ses conclusions.

Dit que la procédure est gratuite.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens de première instance et d’appel.

Siégeant :

Monsieur Romain JORDAN, président; Madame Fiona MAC PHAIL, juge employeur; Monsieur Kasum VELII, juge salarié; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

Le président :

Romain JORDAN

 

Le greffier :

Javier BARBEITO

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.