Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/1590/2025 du 07.11.2025 sur JTBL/561/2025 ( SBL ) , JUGE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE C/5402/2025 ACJC/1590/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU VENDREDI 7 NOVEMBRE 2025 | ||
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 5 juin 2025, représenté par Me Pascal STEINER, avocat, Schmidt & Associés, rue du Vieux-Collège 10, 1204 Genève,
et
Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé.
A. a. Le 9 octobre 2023, A______, bailleur, a conclu avec B______, locataire, un contrat de bail à loyer portant sur la location d'une chambre non meublée, avec jouissance de la salle de bain, de la cuisine, du salon et d'un jardin, d'une cave et d'un grenier, située au 2ème étage de la maison sise rue 1______ no. ______,
[code postal] C______ [GE].
Le loyer mensuel, hors charge, a été fixé à 1'100 fr.
Le contrat a été conclu pour une durée de cinq mois, du 12 octobre 2023 au 25 mars 2024.
Il stipule, en son article 2:
"Au moins 15 jours avant la fin du bail, les parties doivent s'avertir par écrit de leurs intentions au sujet de la résiliation ou de son renouvellement; leur silence à cet égard sert d'acquiescement à sa continuation, pour une durée de 1 mois, aux conditions en vigueur à l'échéance de bail et ainsi de suite de 1 mois en 1 mois".
b. Par avis officiel du 26 juillet 2024, le bailleur a résilié le bail pour le 23 août 2024.
Ce congé n'a pas été contesté par devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.
c. Par requête en cas clair adressée au Tribunal des baux et loyers le 6 mars 2025, le bailleur a conclu à l'évacuation du locataire, avec exécution directe du jugement d'évacuation.
d. Lors de l'audience du 6 juin 2025 du Tribunal, le bailleur a persisté dans ses conclusions. Il a exposé qu'il souhaitait emménager dans sa maison et que le locataire était le dernier qui y restait. Il vivait actuellement dans un appartement dont ses grands-parents étaient locataires et qu'ils devaient restituer à la fin du mois de juin 2025.
Le locataire a déclaré qu'il vivait seul dans la chambre. Il n'y avait personne d'autre dans la maison. Il était requérant d'asile au bénéfice d'un permis N, de sorte qu'il lui était difficile de trouver à se reloger. Il avait effectué quelques recherches mais avait vite abandonné.
La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.
B. Par jugement JTBL/561/2025 du 5 juin 2025, le Tribunal a déclaré irrecevable la requête en évacuation et exécution directe introduite le 6 mars 2025 par A______ à l'encontre de B______ s'agissant de la chambre non meublée, avec jouissance de la salle de bain, de la cuisine, du salon et d'un jardin, d'une cave et d'un grenier, située au 2ème étage de la maison sise rue 1______ no. ______, [code postal] C______ [GE] (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).
Le Tribunal a considéré que l'objet du bail était une chambre non meublée, de sorte que le bailleur devait observer un préavis de résiliation de trois mois pour la fin d'un trimestre de bail, malgré le préavis de 15 jours stipulé dans le contrat. Par conséquent, le congé notifié le 26 juillet 2024 pour le 23 août 2024 ne respectait pas le délai légal impératif. La situation juridique n'était dès lors manifestement pas claire.
C. a. Par acte expédié le 23 juin 2025 à la Cour de justice, A______ a formé appel, subsidiairement recours, contre ce jugement. Il a conclu, en substance, à son annulation et à la condamnation de B______ à évacuer immédiatement la chambre non meublée qu'il louait et à être autorisé à mandater un huissier pour faire exécuter le jugement d'évacuation.
b. Dans sa réponse datée du 25 juillet 2025, B______ a conclu à la confirmation du jugement entrepris et, dans l'hypothèse où il serait annulé et l'évacuation ordonnée, à ce qu'un sursis humanitaire lui soit accordé, si possible jusqu'au printemps 2026.
c. En l'absence de réplique, les parties ont été avisées le 13 août 2025 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans
(ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid. 1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, 2019, pp. 69-70).
1.2 En l'espèce, le congé n'a pas été contesté, de sorte que la valeur litigieuse devrait représenter six mois de loyer. Le Tribunal a toutefois fondé son jugement sur le fait que le congé ne respectait pas le délai légal impératif. La question de la validité du congé est donc litigieuse, de sorte que la valeur litigieuse correspond au montant du loyer pendant trois ans.
La valeur litigieuse est dès lors supérieure à 10'000 fr. et la voie de l'appel est ouverte.
1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.
1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
2. L'appelant soutient que, conformément à la jurisprudence, le congé notifié le 26 juillet 2024, qui n'a pas été contesté, aurait dû produire ses effets à l'échéance du terme légal, soit au plus tard le 31 décembre 2024. A la date du dépôt de la requête, le bail avait ainsi pris fin et le jugement attaqué faisait preuve de formalisme excessif en considérant que le cas n'était pas clair.
2.1
2.1.1 Selon l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a) et que la situation juridique est claire (let. b). Le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (art. 257 al. 3 CPC).
La recevabilité de la procédure de protection dans les cas clairs est donc soumise à deux conditions cumulatives.
Premièrement, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée: le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).
Secondement, la situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in
ATF 138 III 620).
2.1.2 L'art. 266c CO dispose qu'une partie peut résilier le bail d'une habitation en observant un délai de congé de trois mois pour le terme fixé par l'usage local ou, à défaut d'un tel usage, pour la fin d'un trimestre de bail, alors que l'art. 266e CO prévoit que le bail d'une chambre meublée, d'une place de stationnement ou d'une autre installation analogue louée séparément peut être résilié moyennant un délai de congé de deux semaines pour la fin d'un mois de bail.
Les préavis légaux des art. 266b à 266e CO sont relativement impératifs pour les deux parties en ce sens qu'ils peuvent être contractuellement prolongés (art. 266a al. 1 CO), mais ils ne peuvent pas être valablement abrégés.
Un congé donné pour une date qui ne correspond pas au terme contractuel ou légal est inefficace et dénué d'effet. Toutefois, selon l'art. 266a al. 2 CO, lorsque le délai ou le terme de congé n’est pas respecté, la résiliation produit effet pour le prochain terme pertinent. Un congé qui ne respecte pas les termes et délais auxquels il est soumis est ainsi inefficace pour la date à laquelle il a été donné, mais il l'est pour celle à laquelle renvoie l'art. 266 al. 2 CO (Bohnet/Dietschy-Martenet, Commentaire pratique, Droit du bail à loyer et à ferme, 2ème éd., 2017, n. 40 ad art. 266a CO; Siegrist, Les congés inefficaces, CdB 1996 1ss, p. 5).
2.2 En l'espèce, l'appelant soutient que, conformément à la jurisprudence, en dépit du fait que le congé ne respectait pas formellement les exigences de l'art. 266e CO, il aurait déployé ses effets au terme du délai légal puisqu'il n'a pas été contesté. Il cite à l'appui de son affirmation un arrêt du Tribunal fédéral 4A_505/2017, consid. 3.2, qui concerne une question d'arbitrage international qui ne lui est d'aucun secours. La référence à l'arrêt "ATF 144 III 64" cité paraît également erronée. En tant que l'appelant entendait se prévaloir de l'ATF 144 III 54, celui-ci examine la question des exigences formelles en matière d'allégation et ne traite pas d’un problème de bail. L'appelant se réfère également à un arrêt 4A_126/2018, consid. 2.1, lequel traite, là encore, d'une question étrangère au présent litige puisqu'il porte sur un problème de récusation et ne comporte, au surplus, pas de consid. 2.1. La dernière référence citée, soit un arrêt du Tribunal fédéral 4A_254/2019 n'a pas davantage de pertinence puisqu'il concerne une question d'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie et ne comporte au surplus pas le consid. 4.3.2 mentionné. Ainsi, aucun des arrêts cités par l'appelant ne traite de la question du report des effets d'un congé à une date ultérieure et n'est pertinent pour l'issue du litige.
Cela étant, le report des effets d'un congé ne résulte pas de la jurisprudence, mais de la loi. En effet, en application de l'art. 266a al. 2 CO, même si le congé ne respectait pas le délai de trois mois et le terme légal, de sorte qu'il était inefficace, il produit ses effets pour le prochain terme pertinent, à savoir le 31 décembre 2024. L'intimé n'a d'ailleurs pas contesté que la résiliation déployait ses effets et que le bail n'était plus en vigueur à la date du dépôt de la requête en évacuation.
La situation juridique, qui découle de la loi, peut donc être qualifiée de claire à cet égard.
3. Le congé n'étant pas inefficace ou dépourvu d'effet, l'intimée ne disposait plus d'aucun titre juridique l'autorisant à rester dans les locaux loués à la date du dépôt de la requête en évacuation et, a fortiori, à la date du jugement attaqué. En continuant à les occuper, il viole l'art. 267 al. 1 CO. La situation juridique peut également être qualifiée de claire sur ce point.
Il sera ainsi statué à nouveau dans le sens que l'évacuation requise sera prononcée.
4. L'appelant a également réclamé l'exécution de l'évacuation.
4.1 Conformément à l'art. 236 al. 3 CPC, sur requête de la bailleresse qui a obtenu gain de cause, le Tribunal qui a prononcé l'expulsion peut également ordonner les mesures d'exécution nécessaires, à savoir l'évacuation forcée prévue à
l'art. 343 al. 1 let. d CPC.
Le Tribunal des baux et loyers exerce les compétences que le Code de procédure civile attribue au tribunal de l’exécution, pour les jugements ordonnant l’évacuation d'un locataire rendus par le Tribunal des baux et loyers et par la chambre des baux et loyers de la Cour de justice (art. 89 al. 2 LOJ). Lorsqu’il est appelé à statuer sur l’exécution d’un jugement d’évacuation d’un logement, il siège en présence des représentants du département chargé du logement et de représentants des services sociaux (art. 30 al. 3 LaCC).
4.2 La Cour n'est pas compétente pour statuer sur les mesures d'exécution, de sorte que la cause sera renvoyée au Tribunal pour qu'il statue sur ce point.
5. À teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 23 juin 2025 par A______ contre le jugement JTBL/561/2025 rendu le 5 juin 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/5402/2025.
Au fond :
Annule ce jugement et cela fait, statuant à nouveau:
Condamne B______ à évacuer immédiatement de sa personne, de ses biens et de tout tiers, la chambre non meublée située au 2ème étage de la maison sise rue 1______
no. ______, [code postal] C______ [GE].
Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour statuer sur les mesures d'exécution sollicitées.
Déboute les parties de toutes autres conclusions d’appel.
Dit que la procédure est gratuite.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Victoria PALLUD, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.