Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/1559/2025 du 24.10.2025 sur JTBL/584/2025 ( OBL ) , RENVOYE
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE C/15408/2024 ACJC/1559/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU VENDREDI 24 OCTOBRE 2025 | ||
Entre
A______, p.a. ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 10 juin 2025, représentée par Me Boris LACHAT, avocat, rue des Deux-Ponts 14, case postale 219, 1211 Genève 8,
et
Madame B______, sans domicile connu, intimée.
A. Par jugement JTBL/584/2025 du 10 juin 2025, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure simplifiée, a condamné B______ à payer 3'997 fr. 50 plus intérêts à 5% l’an dès le 30 avril 2024 à titre de restitution du profit illicite (ch. 1 du dispositif), ainsi que 17'847 fr. 70 plus intérêts à 5% l’an dès le 31 octobre 2023 (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).
Le dispositif du jugement n'indique pas à qui les montants précités doivent être versés.
Ce jugement a été reçu par la [commune] A______ le 12 juin 2025 et communiqué à B______ par publication dans la Feuille d’Avis Officielle (ci-après : FAO) le ______2025.
B. a. Le 26 juin 2025, la [commune] A______ (ci‑après : la bailleresse ou l'appelante) a formé appel contre ce jugement. Elle a conclu, préalablement, à ce que la Cour de justice ordonne à B______ de produire l’intégralité des contrats conclus avec des tiers en lien avec l’appartement de trois pièces situé au 3ème étage de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève. Principalement, elle a conclu à ce que la Cour annule les chiffres 1 à 3 du dispositif du jugement attaqué et condamne sa partie adverse à lui verser 9'225 fr. et 17'847 fr. 70 avec intérêts à 5% l’an dès le 31 octobre 2023.
b. Par publication dans la FAO du ______ 2025, un délai de trente jours a été imparti à B______ pour répondre à l'appel.
Aucune réponse n'a été déposée.
c. Par pli du 10 septembre 2025 adressé à l’appelante, respectivement par publication FAO du ______ 2025, le greffe de la Cour a avisé les parties de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. Le 29 novembre 2006, la Fondation HBM C______, en qualité de bailleresse, et B______, en qualité de locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de trois pièces situé au 3ème étage de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ [code postal] Genève.
Le montant du loyer, charges comprises, a été fixé en dernier lieu à 1'085 fr. par mois.
b. La [commune] A______ a, par la suite, acquis la propriété de l’immeuble susvisé.
c. Il ressort d'un rapport d’enquête du 26 juillet 2023 établi par la société D______, mandatée par la bailleresse, que l’appartement litigieux est sous-loué de manière régulière depuis plusieurs années, notamment à un certain E______ depuis le 1er juin 2023. Le nom de ce dernier et celui de B______ figuraient sur l’étiquette de la boîte aux lettres située en bas de l’immeuble et sur celle de la porte palière.
Le rapport d’enquête mentionnait, par ailleurs, que B______ se nommait B______ [nom de naissance], qu’à teneur du registre de l’Office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), elle était officiellement domiciliée – au jour du rapport d’enquête et depuis 2006 – rue 1______ no. ______, et qu’elle était néanmoins très régulièrement absente de Genève, selon les recherches effectuées sur son compte Instagram.
d. Par avis officiel du 3 août 2023 envoyé à B______ au no. ______ rue 1______, la [commune] A______ a résilié le bail pour le 31 mai 2024.
La résiliation n’a pas été contestée.
e. Par avis officiel du 13 octobre 2023 envoyé à la même adresse, la A______ a résilié le bail pour le 30 novembre 2023, au motif qu’à l’échéance du délai comminatoire imparti par courrier de mise en demeure du 22 août 2023, le compte locataire présentait un solde d’arriérés de loyers de 3'255 fr.
Cette résiliation n’a pas non plus été contestée.
f. Par acte du 28 juin 2024, introduit en temps utile devant le Tribunal après l'échec de la tentative de conciliation, la [commune] A______ a assigné B______ en paiement. Elle a pris, en dernier lieu, les mêmes conclusions que celles figurant dans son appel
Elle a fait valoir que le montant de 9'225 fr. correspondait au profit réalisé illicitement par la locataire en raison de sous-locations de juin 2023 à août 2024 et que celui de 17'847 fr. 70 était dû par celle-ci à titre d’arriérés de loyers et d’indemnités pour occupation illicite de janvier 2023 à janvier 2025.
g. Par ordonnance du 25 février 2025 adressée par courrier recommandé du même jour à B______, rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, le Tribunal a transmis à cette dernière la demande en paiement formée par la bailleresse, lui impartissant un délai au 6 mai 2025 pour y répondre par écrit, et l’a citée à comparaître à une audience de débats fixée au 20 mai 2025.
La convocation à l’audience susmentionnée lui a en outre été adressée par pli simple du 25 février 2025.
L'envoi recommandé a été retourné au Tribunal le 11 mars 2025 par la poste avec la mention « non réclamé ».
h. Par pli simple du 11 mars 2025, le Tribunal a adressé, à nouveau, l’ordonnance du 25 février 2025, la demande en paiement ainsi que la citation à comparaître à l’audience de débats à B______.
La poste a retourné le pli susmentionné au Tribunal le 18 mars 2025, avec la mention « destinataire introuvable à l’adresse indiquée ».
i. Par ordonnance du 26 mars 2025, la cause a été réattribuée à une autre chambre du Tribunal, ce dont les parties ont été avisées par pli recommandé du 27 mars 2025.
Le pli recommandé susvisé adressé à B______ a été retourné au Tribunal par la poste le 31 mars 2025, avec la mention « destinataire introuvable à l’adresse indiquée ».
j. Une audience de débats s’est tenue le 20 mai 2025, lors de laquelle B______ n’était ni présente, ni représentée.
La cause a été gardée à juger par le Tribunal à l’issue de l’audience.
k. Des copies du procès-verbal de l’audience susvisée et des pièces produites par la bailleresse ont été envoyée à B______ par pli simple du 21 mai 2025.
Ledit pli a été retourné au Tribunal le 28 mai 2025 avec la mention « destinataire introuvable à l’adresse indiquée ».
l. Avant que son dispositif ne soit publié dans la FAO du ______ 2025, le jugement entrepris a été adressé à B______ par pli recommandé du 11 juin 2025.
Ce pli a été retourné au Tribunal le 17 juin 2025 avec la mention « destinataire introuvable à l’adresse indiquée ».
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 13 ad art. 308 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013).
1.2 En l'espèce, les dernières conclusions en paiement prises par l’appelante en première instance étaient supérieures à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.
1.3 Interjeté dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131,
311 al. 1 CPC), l'appel est recevable de ces points de vue.
1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
2. Aux termes du jugement entrepris, le Tribunal a retenu que la locataire avait fait défaut en procédure de première instance, bien qu’elle ait été valablement atteinte et convoquée à l’audience de débats. Les premiers juges ont ainsi considéré que les allégués et pièces produites par la bailleresse leur permettaient de rendre leur décision sur le fond, au sens de l’art. 234 CPC, sans instruction complémentaire.
2.1.1 A teneur de l’art. 138 al. 1 CPC, les citations, les ordonnances et les décisions sont notifiées par envoi recommandé ou d’une autre manière contre accusé de réception.
L’acte est réputé notifié en cas d’envoi recommandé, lorsque celui-ci n’a pas été retiré, à l’expiration d’un délai de sept jours à compter de l’échec de la remise, si le destinataire devait s’attendre à recevoir la notification (art. 138 al. 3 let. a CPC).
La fiction de la notification à l’échéance du délai de garde suppose que l’avis de retrait a été déposé dans la boîte aux lettres du destinataire et qu’il soit arrivé par conséquent dans sa sphère privée; elle ne peut s’appliquer que s’il existe un rapport procédural entre les parties, qui ne prend naissance qu’avec la litispendance (ATF 138 III 225 consid. 3.2; 130 III 396 consid. 1.2.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_825/2022 du 7 mars 2023, consid. 4.5.1; 5A_838/2017 du 19 mars 2018 consid. 3.2.1; 5A_28/2015 du 22 mai 2015 consid. 3.1.2; 5A_466/2012 du 4 septembre 2012 consid. 4.1.1).
2.1.2 En vertu de l'art. 141 al. 1 let. a CPC, la notification est effectuée par publication dans la feuille officielle cantonale ou dans la Feuille officielle suisse du commerce lorsque le lieu de séjour du destinataire est inconnu et n'a pas pu être déterminé en dépit des recherches qui peuvent raisonnablement être exigées.
La voie édictale n'est ouverte que si le demandeur ignore, de bonne foi, la résidence ou le domicile du destinataire de l'acte, après avoir accompli toutes les démarches utiles pour le localiser; l'ignorance ne suffit pas, il faut encore que le requérant ait procédé, en vain, aux investigations que l'on peut raisonnablement exiger de lui. La diligence du demandeur pour découvrir le domicile de son adverse partie s'apprécie au regard de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Si l'autorité doit intervenir d'office pour vérifier la réalisation des conditions légales de l'art. 141 al.1 CPC, c'est toutefois au demandeur qu'il incombe de justifier préalablement par pièces avoir entrepris des recherches, qui se sont avérées infructueuses (Bohnet, CPC Augmenté, 2025, n. 3 ad
art. 141 CPC).
Le demandeur peut par exemple produire une communication de la commune du dernier domicile connu du débiteur certifiant que le débiteur est parti sans laisser d’adresse (ATF 128 III 465 consid. 2 non publié). De son côté, le tribunal ou l’autorité ne devrait pas admettre trop facilement que le domicile du défendeur est inconnu, il devra vérifier les indications fournies par le demandeur, sans toutefois être tenu d’investiguer de manière excessive (ATF 119 III 60 consid. 2c; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 4 ad art. 141 CPC et les références citées).
La notification édictale constitue un mode subsidiaire de notification; si le Tribunal procède par notification édictale alors que les conditions fixées par l'art. 141 al. 1 CPC n'étaient manifestement pas réunies, la décision est affectée d'un vice de procédure grave entraînant sa nullité (ATF 136 III 571 consid. 6.3; 129 I 361 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_170/2023 du 13 octobre 2023 consid. 4.1.1; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019,
n. 2 ad art. 141 CPC; Bohnet, CPC Augmenté, 2025, n. 1 ad art. 141 CPC).
La nullité est toutefois limitée aux cas où la partie n'a pas eu connaissance de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_699/2019 du 30 mars 2020 consid. 5.1).
2.1.3 A teneur de l’art. 245 al. 2 CPC, dans le cadre de la procédure simplifiée, si la demande est motivée le Tribunal fixe un délai à la partie défenderesse pour se prononcer par écrit; s’il cite les parties à une audience de débats, l’art. 234 CPC s’applique par analogie en cas de défaut.
En vertu des art. 29 al. 2 Cst et 53 CPC, les parties ont le droit d’être entendues. Le droit d'être entendu accorde notamment aux parties le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à leur détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves et de se déterminer à leur propos
(ATF 136 I 265 consid. 3.2; 135 II 286 consid. 5.1; 129 II 497 consid. 2.2).
Les règles de la citation, permettant aux parties d'assister à l'audience, visent à garantir au débiteur son droit d'être entendu, institué par les art. 29 al. 2 Cst. et 53 CPC (ATF 131 I 185 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_37/2010 du 21 avril 2010 consid. 3.1).
L’atteinte causée par le défaut de citation valablement notifiée est d’une gravité telle qu’elle ne peut pas être réparée devant l’instance de recours; si cette atteinte est réalisée, la cause doit être renvoyée à l’autorité de première instance
(ATF 138 III 225 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_466/2012 du 4 septembre 2012 consid. 4.1.2).
La nullité doit être constatée d’office, en tout temps et par l’ensemble des autorités étatiques; elle peut aussi être constatée en procédure de recours
(ATF 137 III 217 consid. 2.4.3; 132 II 342 consid. 2.1; 122 I 97 consid. 3a).
2.2 En l’espèce, l'ordonnance du Tribunal du 25 février 2025 transmettant à l'intimée la demande formée par l'appelante, lui impartissant un délai pour y répondre et la convoquant à l'audience du 20 mai 2025 n'a pas été valablement notifiée à l'intimée.
En effet, conformément à l'art. 138 al. 3 CPC, un envoi recommandé non réclamé n'est considéré comme notifié à l'issue du délai de garde que si son destinataire devait s'attendre à recevoir une notification. Or tel n'était pas le cas de l'intimée, puisqu'il n'existait, en février 2025, aucun lien procédural entre les parties.
Il résulte par ailleurs du dossier que, par la suite, l'intimée a quitté l'appartement litigieux, puisque la poste a renvoyé au Tribunal tous les actes envoyés à l'adresse de la rue 1______ no. ______ en indiquant que la destinataire y était introuvable. Le bail de l'intimée ayant été résilié avec effet au 30 novembre 2023, il n'est d'ailleurs pas surprenant que celle-ci ne réside plus dans l'appartement visé.
Il résulte de ce qui précède que l'intimée n'a jamais eu valablement connaissance de l'existence de la procédure et qu'elle n'a pas pu faire valoir ses moyens de défense avant le prononcé du jugement querellé. Celui-ci est dès lors nul.
A cela s'ajoute que le Tribunal a, à tort, considéré que le jugement querellé pouvait être notifié à l'intimée par voie édictale. En effet, une telle notification n'est valable que lorsque le lieu de séjour du destinataire est inconnu et n'a pu être déterminé en dépit des recherches pouvant être raisonnablement exigées
(art. 141 al. 1 let. a CPC).
Or l'intimée, à qui incombait cette tâche, n'a effectué aucune recherche récente en vue de trouver l'adresse actuelle de l'intimée et le Tribunal n'a pas sanctionné cette omission, alors même qu'il était tenu de s’assurer que les conditions posées par la loi étaient remplies, avant de notifier le jugement querellé par voie édictale.
La Cour constatera dès lors que le jugement rendu par le Tribunal le 10 juin 2025 est nul.
La cause sera retournée au Tribunal pour qu'il reprenne ab initio l'instruction du dossier, conformément à la loi.
Dans ce cadre, il lui incombera notamment d'impartir un délai à l'appelante pour qu'elle justifie des recherches effectuées – par exemple auprès de l'OCPM – pour déterminer l'adresse actuelle de l'intimée, en Suisse ou à l'étranger, étant relevé qu’en juillet 2023 celle-ci se nommait B______ [nom de naissance] comme cela ressort du rapport d'enquête fourni par l'appelante.
3. À teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers.
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La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 26 juin 2025 par [la commune] A______ contre le jugement JTBL/584/2025 rendu le 10 juin 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/15408/2024.
Au fond :
Constate la nullité de ce jugement.
Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Victoria PALLUD, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.