Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/904/2025 du 25.06.2025 sur ACJC/346/2025 ( OBL ) , MODIFIE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/27061/2019 ACJC/904/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU MERCREDI 25 JUIN 2025 |
Entre
A______ AG, sise c/o B______ AG, ______ (ZH), requérante et citée en rectification de l'arrêt ACJC/346/2025 rendu par la Cour de justice le 12 février 2025, représentée par Me Olivier ADLER, avocat, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6,
et
C______ SA, sise c/o D______ SA, ______ [GE] et Monsieur E______, domicilié ______ [GE], cités et requérants en rectification, représentés par Me Philippe COTTIER, avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève.
A. Par jugement JTBL/203/2024 du 19 février 2024, le Tribunal des baux et loyers a réduit le loyer net du restaurant de 161 m2 situé au rez-de-chaussée et du dépôt de 116 m2 situé au 1er sous-sol de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève de 10% du 27 novembre 2018 au 9 janvier 2019 et du 20 au 31 mars 2019 et de 100% du 1er avril 2019 au 31 mars 2023 (ch. 1 du dispositif), a condamné A______ AG – bailleresse – à verser à C______ SA et E______ – locataires – la somme de 2'409'205 fr. 50, avec intérêts à 5% l’an dès le 17 décembre 2019 sur un montant de 459'205 fr. 50 et dès le 1er août 2021 (date moyenne) sur un montant de 1'950'000 fr. (ch. 2), a condamné A______ AG à verser à C______ SA et E______ la somme de 11'000 fr. avec intérêts à 5% l’an dès le 11 août 2022 (ch. 3), a validé la consignation de loyer, compte 14L2019 2______ auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 4), a ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de libérer les loyers consignés en faveur de C______ SA et E______, ces sommes venant compenser le montant dû sous chiffre 2 du dispositif à titre de réduction de loyer (ch. 5), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 7).
En substance, il a admis l’existence de plusieurs défauts ayant perduré jusqu’à leur élimination dans le cadre de divers travaux effectués dans le bâtiment. Le loyer devait être réduit en conséquence, pendant la période entachée par les défauts, en fonction de leur nature et de leur gravité, à savoir de 10% du 27 novembre 2018 au 9 janvier 2019 et du 20 au 31 mars 2019, ainsi que de 100% du 1er avril 2019 au 31 mars 2023.
B. Par arrêt ACJC/346/2025 du 12 février 2025, la Cour de justice a annulé les chiffres 1 et 2 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau, sur ces points, a réduit le loyer net de 10% du 27 novembre 2018 au 9 janvier 2019, de 10% du 20 au 31 mars 2019, de 30% du 1er avril au 6 mai 2019, de 100% du 7 mai 2019 au 28 septembre 2021 et de 100% du "4 juillet au 2 octobre 2022", condamnant ainsi A______ AG à verser à C______ SA et E______ la somme de 1'908’465 fr. 75, avec intérêts à 5% l’an dès le 17 décembre 2019 sur un montant de 396’000 fr. et dès le 1er août 2021 (date moyenne) sur un montant de 1'512’465 fr. 75. Elle a encore ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire la libération des loyers consignés à concurrence de la réduction octroyée ci-dessus en faveur de C______ SA et E______ et du solde en faveur de A______ AG et confirmé le jugement attaqué pour le surplus.
Elle a notamment retenu, dans la partie "EN FAIT", que le loyer annuel avait été de 600'000 fr., charges non comprises, du 1er décembre 2014, date du début du contrat, jusqu'au 31 décembre 2022, et de 621'796 fr. 20 dès le 1er janvier 2023 et que les travaux de réfection de la chose louée avaient été définitivement achevés à la fin du mois de mars 2023.
Dans la partie "EN DROIT", la Cour a considéré que le défaut d'étanchéité des sols justifiait une réduction de loyer de 30% du 1er avril au 6 mai 2019 (17'753 fr. 40, soit 30% x 600'000 fr. /365 x 36 jours). Le défaut de portance des sols justifiait une réduction de loyer de 100% du 7 mai 2019 au 28 septembre 2021 (2 ans, 3 mois et 53 jours) mais aucune réduction de loyer ne devait être accordée pour la période du 29 septembre 2021 au 4 juillet 2022 en raison de l'interdiction émise par les locataires de pénétrer dans les locaux, l'accès à ceux-ci ayant été accordé à la bailleresse le 5 juillet 2022. En revanche, une réduction de 100% du loyer devait être accordée du 5 juillet 2022 au 31 mars 2023, soit jusqu'à l'achèvement des travaux (8 mois et 27 jours). Par conséquent, pour les deux périodes de réductions de 100% du loyer, c'était une somme de 1'881’506 fr. 85 (2 ans x 600'000 fr. + 11 mois x 50'000 fr. + 600'000 fr./365 x 80 jours) qui devait être prise en considération.
La somme totale de la réduction de loyer comprenait ainsi 7'232 fr. 90 pour la période du 27 novembre 2018 au 9 janvier 2019, 1'972 fr. 60 pour la période du 20 au 31 mars 2019, 17'753 fr. 40 pour la période du 1er avril au 6 mai 2019 et 1'881’506 fr. 85 pour les périodes du 7 mai 2019 au 28 septembre 2021 et du 5 juillet 2022 au 31 mars 2023, soit 1'908'465 fr. 75.
Conformément à ce qu’avait retenu le Tribunal, les intérêts dus seraient décomptés dès le 17 décembre 2019, date de notification de la requête de conciliation à l’appelante, pour les prétentions jusqu’à cette date, qui s’élevaient à 396’000 fr. Pour le surplus, la date moyenne serait ensuite retenue entre le 17 décembre 2019 et l’élimination du défaut, "soit le 1er mai 2021".
C. A______ AG a formé recours auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Cour du 12 février 2025, lequel a informé la Cour par ordonnance du 13 mai 2025 que la cause était suspendue jusqu'à droit connu sur les requêtes de rectification.
D. a. Par demande déposée le 25 mars 2025 à la Cour, A______ AG a sollicité la rectification de l'arrêt ACJC/346/2025 de sorte que la réduction de loyer totale était de 1'560'794 fr. 50 et non de 1'908'465 fr. 75. La réduction de loyer ne devait commencer que le 5 juillet 2022, et non le 4. En outre, selon le dispositif, la réduction de loyer était accordée jusqu'au 2 octobre 2022, ce qui était confirmé par la date moyenne retenue au 1er mai 2021 dans les considérants. Cette erreur de calcul devait donc être corrigée.
b. Dans leur réponse du 4 avril 2025, C______ SA et E______ ont admis que le dispositif de l'arrêt devait être modifié en ce sens que la réduction de 100% n'était pas accordée du 4 juillet au 2 octobre 2022 mais du 5 juillet 2022 au 31 mars 2023. En revanche, le calcul auquel la Cour avait procédé était exact, de sorte que la modification du montant arrêté par la Cour à titre de réduction du loyer n'était pas fondée.
C______ SA et E______ ont conclu à la rectification de l'arrêt concluant à ce que la bailleresse soit condamnée à leur verser 1'913'913 fr. 90, les intérêts de 5% l'an courant dès le 1er août 2021 portant sur une somme de 1'517'913 fr. 90. La Cour avait omis de tenir compte dans ses calculs du fait que le loyer avait augmenté de 600'000 fr. par année à 621'796 fr. 20 par année dès le 1er janvier 2023. Le dispositif du jugement devait donc être corrigé.
c. Dans son écriture du 5 mai 2025, A______ AG a fait valoir que l'absence de prise en compte de l'augmentation du loyer ne constituait pas une erreur de calcul, mais relevait éventuellement d'une mauvaise appréciation des faits, de sorte qu'il n'y avait pas lieu à rectification sur ce point.
d. Le 13 mai 2024, C______ SA et E______ ont persisté dans leurs conclusions.
e. Les parties ont été avisées par plis du greffe du 14 mai 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
1. Le changement de composition de la Cour entre l'arrêt du 12 février 2025 et le présent arrêt s'explique par le fait que la juge assesseur F______ est en congé maternité jusqu'au mois de septembre 2025.
2. Les parties sollicitent une rectification/interprétation de l'arrêt de la Cour du 12 février 2025 au sens de l'art. 334 CPC.
2.1 A teneur de l'art. 334 al. 1 CPC, si le dispositif de la décision est peu clair, contradictoire ou incomplet, ou s'il ne correspond pas à la motivation, le Tribunal procède, sur requête, ou d'office, à l'interprétation ou à la rectification de la décision.
Le but de l'interprétation et de la rectification n'est pas de modifier la décision du tribunal, mais de la clarifier ou de la rendre conforme avec le contenu réellement voulu par celui-ci. La rectification ne peut donc être exigée que si le dispositif est contradictoire en soi ou s'il y a une contradiction entre les considérants et le dispositif. L'objet de la rectification est de permettre la correction des erreurs de rédaction ou de pures fautes de calcul dans le dispositif. De telles erreurs doivent résulter à l'évidence du texte de la décision, faute de quoi l'on en viendrait à modifier matériellement celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 4A_393/2023 du 9 janvier 2024 consid. 4.1.2 et les arrêts cités).
En revanche, la correction d'erreurs qui procèdent d'une mauvaise application du droit ou d'une constatation inexacte des faits doit être effectuée par la voie du recours (Herzog, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2024, n. 8 ad art. 334 CPC). L'interprétation et la rectification ne tendent pas à modifier le jugement rendu, mais à le clarifier (Jeandin, Commentaire romand CPC, 2019, n. 20 ad Intro art. 308-334 CPC).
En vertu du principe de dessaisissement, le juge ne peut corriger sa décision une fois celle-ci prononcée, même s'il a le sentiment de s'être trompé. Une erreur de fait ou de droit ne peut être corrigée que par les voies de recours. La voie de l'interprétation ou de la rectification permet toutefois au juge de corriger une décision déjà communiquée. En principe, l'interprétation ou la rectification a uniquement pour objet la formulation du dispositif de l'arrêt qui serait peu claire, incomplète, équivoque ou contradictoire en elle-même ou avec les motifs. Un dispositif est peu clair, et doit être interprété, lorsque les parties ou les autorités qui doivent exécuter la décision risquent subjectivement de comprendre celle-ci autrement que ce que voulait le juge lorsqu'il s'est prononcé. Une requête d'interprétation ou de rectification n'a ainsi pour but que de clarifier ou rendre une décision conforme avec le contenu réellement voulu par le juge. Son objet est de permettre la correction des erreurs de rédaction ou de pures fautes de calcul dans le dispositif qui résultent à l'évidence du texte de la décision, soit des inadvertances ou omissions qui peuvent être corrigées sans hésitation sur la base de ce qui a déjà été décidé. Une requête en rectification ou en interprétation ne peut jamais tendre à une modification matérielle de la décision concernée. Pour cela, seules les voies de l'appel ou du recours sont ouvertes (ATF 143 III 520 consid. 6.1; 143 III 420 consid. 2.1 et 2.3; 139 III 379 consid. 2.1 et 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_776/2019 du 27 octobre 2020 consid. 3.1 et 5A_79/2019 du 21 novembre 19 consid. 4.4.2).
2.2.1 En l'espèce, il existe une contradiction entre les considérants et le dispositif de l'arrêt du 12 février 2025.
En effet, dans sa motivation, la Cour a considéré qu'une réduction du loyer de 100% devait être accordée entre le 5 juillet 2022 et le 31 mars 2023 alors que le dispositif de l'arrêt, mentionne les dates des 4 juillet et 2 octobre 2022.
Les dates exactes sont celles des considérants, puisque la date du 5 juillet 2022 a été retenue comme celle à laquelle la bailleresse a accédé aux locaux et la date du 31 mars 2023 comme celle de la fin des travaux, le 2 octobre 2022 ne correspondant à aucun fait pertinent.
Par conséquent, le dispositif de l'arrêt sera rectifié en ce sens que la réduction de loyer de 100% est accordée pour la période du 5 juillet 2022 au 31 mars 2023. Cette rectification opérée, il n'existe plus de contradiction entre les considérants de l'arrêt et son dispositif, la Cour ayant effectué son calcul en tenant compte de la période du 5 juillet 2022 au 31 mars 2023.
2.2.2 C'est à tort que les locataires considèrent que le dispositif de l'arrêt devrait être rectifié en raison d'une omission de tenir compte dans ce calcul du fait que le loyer ne s'élevait plus à 600'000 fr. par année, mais à 621'796 fr. 20, après le 1er janvier 2023, de sorte que la réduction du loyer devait être plus importante.
Contrairement à ce que plaident les locataires, l'absence de prise en considération du nouveau loyer ne relève pas d'une erreur de calcul, mais cas échéant d'une constatation inexacte des faits qui ne peut pas être corrigée dans le cadre de l'action en rectification, et devait être critiquée par la voie du recours.
Par conséquent, la requête en rectification des locataires doit être rejetée.
3. Les frais de la présente décision seront laissés à la charge du canton (art. 107 al. 2 CPC).
Il ne sera pas alloué de dépens, l'art. 107 al. 2 CPC ne le permettant pas (ATF 140 III 385 consid. 4.1).
* * * * *
La Chambre des baux et loyers :
Statuant sur rectification :
Admet partiellement la requête de rectification de l'arrêt ACJC/346/2025 rendu par la Cour le 12 février 2025 formée par A______ AG le 25 mars 2025 et rejette la requête de rectification de l'arrêt ACJC/346/2025 rendu par la Cour le 12 février 2025 formée par C______ SA et E______ le 4 avril 2025.
Cela fait :
Rectifie le chiffre 1 du dispositif de l'arrêt ACJC/346/2025 rendu par la Cour le 12 février 2025, en ce sens qu'une réduction de 100% du loyer est due pour la période du 5 juillet 2022 au 31 mars 2023.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Dit que les frais de la présente décision sont laissés à la charge du canton.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Sibel UZUN, Monsieur Nicolas DAUDIN, juges-assesseurs; Madame Victoria PALLUD, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.