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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/14503/2023

ACJC/923/2024 du 16.07.2024 sur JTBL/11/2024 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14503/2023 ACJC/923/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 16 JUILLET 2024

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ SA, ______, et Madame C______, domiciliée ______, appelantes d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 2 novembre 2023, représentées par Me Lionel BUGMANN, avocat, MMVR Avocats, rue du Nant 6, case postale 6509, 1211 Genève 6,

et

Monsieur D______, domicilié ______, intimé, représenté par
Me Bénédict FONTANET, avocat, Fontanet & Associés, Grand-Rue 25, case
postale 3200, 1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/11/2024 du 2 novembre 2023, reçu par les parties le 9 janvier 2024, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné C______ et A______ SA à évacuer immédiatement de leur personne et de leurs biens ainsi que de tout tiers l'arcade commerciale composée d'un local de restaurant au rez-de-chaussée et d'un dépôt principal au 1er sous-sol, sis rue 3______ no. ______ à Genève (chiffre 1 du dispositif), autorisé D______ à requérir l'évacuation par la force publique de C______ et A______ SA dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), condamné conjointement et solidairement C______ et A______ SA à verser à D______ les sommes de 277'311 fr. 35, à titre d'arriérés de loyer, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er février 2023, et la somme de 48'785 fr. 25 à titre d'indemnité pour occupation illicite, avec intérêts à 5% à compter du 1er mai 2023 (date moyenne) (ch. 3), autorisé la libération de la garantie loyer constituée auprès de E______ SA (référence n° 1______) au nom de F______ SA en faveur de D______ à concurrence de 70'800 fr., le montant ainsi libéré venant en déduction de la somme due figurant sous chiffre 3 du dispositif (ch. 4), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5) et dit que la procédure était gratuite (ch. 6).

En substance, les premiers juges ont retenu qu'aucun paiement n'était intervenu dans le délai imparti par les avis comminatoires adressés aux locataires le 15 juin 2022. Les congés, envoyés le 23 décembre 2022, avaient été valablement notifiés. Les locataires n'avaient pas invoqué la compensation dans le délai comminatoire, ni consigné les loyers, motif pris de défauts entachant la chose louée. Ils n'avaient pas non plus établi avoir obtenu du bailleur ou des tribunaux une baisse de loyer fondée sur des éventuels défauts, de sorte qu'une éventuelle créance de ce chef n'était pas exigible. Les locataires ne disposaient plus d'un titre les autorisant à demeurer dans les locaux, de sorte qu'il devait être fait droit à la requête d'évacuation.

B. a. Par acte expédié le 19 janvier 2024 à la Cour de justice, A______ SA et C______ (ci‑après : les locataires ou les appelantes) forment appel contre ce jugement, dont elles sollicitent l'annulation. Elles concluent, cela fait, au renvoi de la cause "au Juge de première instance, pour que celui-ci complète l'état de fait sur les points essentiels et statue à nouveau", et au déboutement de D______ de toutes autres conclusions. A titre subsidiaire, elles concluent à la suspension de la procédure d'appel dans l'attente de droit connu sur le sort de la procédure en contestation de congé C/2______/2023.

b. Dans sa réponse du 5 février 2023, D______ (ci-après: le bailleur ou l'intimé) a conclu à l'irrecevabilité de l'appel, et subsidiairement à son rejet.

c. Les parties ont été avisées le 8 mars 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a.      Le 19 juillet 2019, D______, en qualité de bailleur, d'une part, et F______ SA, représentée par C______, en qualité de locataire, d'autre part, ont signé un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un local au rez-de-chaussée et d'un dépôt principal au 1er sous-sol, sis rue 3______ no. ______ à Genève.

Les locaux sont destinés à l'exploitation d'un restaurant.

Le contrat a été conclu pour une durée de 10 ans, du 1er août 2019 au 30 septembre 2029, renouvelable ensuite tacitement de 5 ans en 5 ans. Le préavis de résiliation était de douze mois pour fin septembre, dite résiliation ne pouvant intervenir avant la première échéance du 30 septembre 2029.

Le loyer annuel a été fixé par le contrat à 138'000 fr. et les charges à 3'600 fr. par an.

Une garantie de loyer n° 1______, sous forme de certificat de cautionnement auprès de E______ SA, d'un montant de 70'800 fr. a été constituée le 8 octobre 2019. Le preneur d'assurance était la société F______ SA, représentée par C______ et G______.

b.      La société A______ SA, active notamment dans l'exploitation de restaurants, a été inscrite au registre du commerce du canton de Genève le ______ 2017. C______ en est la directrice avec signature collective à deux, et H______ administrateur, également avec signature collective à deux.

c.       Par avenant du 23 septembre 2020, signé le 26 octobre 2020, le contrat de bail à loyer du 15 juillet 2019 a été transféré, dès le 1er octobre 2020, par F______ SA, représentée par C______, à A______ SA et C______.

F______ SA ayant accumulé à cette date du retard dans le paiement du loyer, il était par ailleurs convenu dans l'avenant que le solde de loyers ouvert de 19'600 fr. était payable, par les reprenants, par cinq mensualités de 3'920 fr.

d.      Les locataires ont cessé de payer le loyer depuis le mois d'avril 2021.

e.       En juillet 2021, un important dégât d'eau est survenu dans les locaux.

f.        Par courrier du 13 juillet 2021, I______, la régie en charge des locaux, rappelait à H______, avec copie à D______, que les loyers ouverts à ce jour se montaient à 95'000 fr., précisant que l'assurance bâtiment allait établir un décompte "pour voir si une indemnité doit être comprise et à quel pourcentage (une indemnité à 100% du loyer est impossible)".

Le même jour, H______ s'adressait directement à D______ pour l'informer que les travaux d'assainissement avaient commencé, que la rénovation prendrait du temps, et l'invitait à prendre contact avec son assurance pour le paiement des loyers depuis la date du sinistre jusqu'à la réouverture du restaurant.

g.      Deux jours plus tard, le 15 juillet 2021, la régie informait H______ qu'elle allait entamer des poursuites à son encontre, ainsi qu'à celle de C______ et de F______ SA et qu'une résiliation de bail pour défaut de paiement leur serait également adressée d'ici la fin du mois.

h.      Le 28 juillet 2021, H______ écrivait à D______ concernant les loyers en retard et la résiliation du bail en ces termes: "Je suis prêt à trouver un compromis avec toi mais sache que si nous devions recevoir un courrier de [la régie] I______ avant de trouver un accord, je le contesterai fermement et je mettrai les futurs loyers en consignation en invoquant les nombreux problèmes (…)". Il proposait une réduction des loyers en retard de 95'000 fr. à 50'000 fr., la prise en charge par son assurance des loyers pendant la fermeture due aux dégâts d'eau, et la renégociation du loyer à partir de la date de réouverture, à 9'000 fr. par mois plus charges.

i.        H______ et D______ ont échangé de nombreux messages entre juin et novembre 2021, en lien avec les travaux dans les locaux et un projet d'accord, le paiement des loyers étant cependant réclamé par le second.

j.        Le 28 mars 2022, D______ mentionnait dans un courriel à H______ "les points de la convention à signer entre [eux]", à savoir une participation du premier de 300'000 fr. sur l'investissement global nécessaire à la réouverture, une entrée dans le capital de A______ SA à hauteur de 45%, et la réduction du loyer à 10'000 fr. par mois, plus charges, dès le mois suivant la signature de la convention.

H______ a immédiatement répondu qu'il n'était pas d'accord avec les points susmentionnés, lesquels ne correspondaient pas à leurs discussions. Il précisait que les loyers impayés étaient essentiellement dus à l'étendue des travaux et qu'ils ne pouvaient dès lors pas lui être "imputés de cette manière".

k.      Le 24 mai 2022, H______ a fait parvenir à D______ un projet de convention de partenariat ainsi qu'un pacte d'actionnaires. Ce dernier a immédiatement répondu qu'il n'était pas d'accord avec le contenu de ces documents, en particulier la perte des loyers pendant toute la durée des travaux, la prise en charge de la majorité des travaux et la baisse de loyer importante. Il faisait une contre-proposition. Si celle-ci n'était pas acceptée, il "laisserait la régie prendre les mesures adéquates".

l.        Par avis comminatoires du 15 juin 2022, D______, représenté par la régie, a mis en demeure A______ SA et C______ de lui régler dans les 30 jours le montant de 159'900 fr., à titre d'arriéré de loyers pour les mois d'avril 2021 à juin 2022, et les a informées de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'article 257d CO.

m.    Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, le bailleur a, par avis officiels du 23 décembre 2022, résilié le bail de A______ SA et C______ pour le 31 janvier 2023.

n.      Par requête du 24 janvier 2023 à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, A______ SA, agissant seule, a conclu à l'annulation de la résiliation et l'octroi d'une réduction totale de loyer pour la période comprise entre le 1er juillet 2021 et le 31 janvier 2023. L'autorisation de procéder a été délivrée le 6 avril 2023 à l'issue de l'audience de conciliation à laquelle C______ n'a pas comparu.

Le 19 mai 2023, A______ SA et C______ ont saisi le Tribunal des baux et loyers d'une requête en contestation de congé, reprenant les conclusions soumises à la Commission de conciliation, prolongeant toutefois la période pour laquelle elles sollicitaient une réduction totale de loyer au 31 mai 2023. Subsidiairement, elles ont conclu à une prolongation de bail pour une durée de six ans. Elles ont fait valoir que le congé était intervenu alors que des discussions étaient en cours, de sorte qu'il était contraire à la bonne foi et abusif. La cause a été enregistrée sous n° C/2______/2023. Elle a été suspendue jusqu'à droit jugé dans la présente cause par ordonnance du Tribunal du 8 mai 2024.

o.      Selon attestation de la Direction des finances du Pouvoir judiciaire du 29 juin 2023, il n'y avait aucune consignation en cours au nom de A______ SA ou C______ à cette date.

p.      Au 26 juin 2023, le compte "Locataire" de A______ SA et C______ faisait apparaître un montant dû de 330'511 fr. 35.

q.      Par requête en protection du cas clair déposée le 10 juillet 2023, D______ a conclu à l'évacuation de A______ SA et C______ des locaux loués, avec mesures d'exécution directe, et à leur condamnation au paiement de 357'311 fr. 35 au total, à titre d'arriérés de loyer avec intérêts à 5% dès le 1er février 2023 et d'indemnités pour occupation illicite pour les mois de février 2023 à juillet 2023, avec intérêts à 5% à compter du 1er mai 2023 (date moyenne). Il a également conclu à la libération en sa faveur du certificat de garantie n° 1______ de 70'800 fr.

r.       Lors de l'audience du 2 novembre 2023, D______ a persisté dans sa requête, en indiquant que le montant dû par les locataires s'élevait à 326'096 fr. 60 au 31 octobre 2023, amplifiant ses conclusions en paiement à hauteur de l'arriéré.

Le conseil de A______ SA et de C______ a déposé un chargé de pièces et contesté le caractère clair de la cause, vu l'existence de la procédure de contestation de congé. Il a en outre exposé que de nombreuses discussions avaient eu lieu entre les parties pour trouver une solution, afin de prendre en compte des travaux suite à des dégâts d'eau. Il a confirmé l'absence de consignation des loyers.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans
(ATF
144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 = JdT 2019 II 235; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).

En l'espèce, la validité de la résiliation du bail est contestée de sorte qu'au vu du montant du loyer annuel des locaux, charges comprises, la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 L'intimé soutient que l'appel serait irrecevable, dans la mesure où il ne contient pas de conclusions réformatoires permettant à l'instance d'appel de statuer sur le fond en reprenant les conclusions de l'appel. De plus, quand bien même le grief tiré de l'établissement inexact des faits soulevé par les appelantes serait recevable, cela ne justifierait pas un renvoi de la cause au Tribunal, la Cour disposant d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit.

1.2.1 Selon l'art. 318 al. 1 CPC, l’instance d’appel peut confirmer la décision attaquée (let. a), statuer à nouveau (let. b), ou renvoyer la cause à la première instance (let. c), lorsqu'un élément essentiel de la demande n’a pas été jugé (ch. 1) ou l’état de fait doit être complété sur des points essentiels (ch. 2).

La juridiction d'appel décide certes elle-même si elle statue en réforme ou en cassation. Ceci ne dispense cependant pas l'appelant de son obligation de formuler en principe des conclusions sur le fond dans les conclusions de l'acte d'appel lui-même (arrêt du Tribunal fédéral 5A_929/2015 du 17 juin 2016 consid. 3.1 et réf.) ou en tout cas, d'exprimer de manière suffisamment claire et précise dans la motivation de l'appel la mesure dans laquelle la décision de première instance doit être réformée. Cela découle de la nature réformatrice de l'appel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_467/2023 du 14 novembre 2023 consid. 4.3.4).

1.2.2 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.2.3 Pour satisfaire à son obligation de motivation de l'appel prévue à l'art. 311 al. 1 CPC, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée par une argumentation suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre aisément, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 141 III 569 consid. 2.3.3). L'appelant doit donc tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner à simplement reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. A défaut, l'appel est irrecevable (ATF 147 III 176 consid. 4.2.1; parmi plusieurs: arrêts du Tribunal fédéral 4A_462/2022 du 6 mars 2023 consid. 5.1.1, publié in RSPC 2023 p. 268; 5A_453/2022 du 13 décembre 2022 consid. 3.1).

1.2.4 En l'espèce, les appelantes n'ont pas pris de conclusions réformatoires, se contentant de solliciter le renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il complète l'état de fait, alors que la Cour dispose d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit.

Compte tenu de l'issue du litige, il n'y a pas lieu de se prononcer plus avant sur la recevabilité de l'appel, qui a, par ailleurs été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 314 al. 1 CPC), étant rappelé que la procédure sommaire s'applique à la procédure de cas clairs (art. 248 let. b CPC). Il sera ainsi déclaré recevable.

1.3 La maxime des débats est applicable (art. 55 al. 1 CPC).


 

3. Les appelantes se plaignent d'une constatation inexacte des faits par le Tribunal.

L'état de faits retenu par le Tribunal a été complété et précisé dans la mesure utile à la solution du litige. Il n'y a donc pas lieu d'examiner plus avant les griefs de constatation inexacte des faits soulevés par les appelantes.

4. Les appelantes font grief au Tribunal d'avoir considéré que le cas était clair. Il aurait omis de retenir un certain nombre d'éléments et de prendre en considération certains faits, lesquels seraient pourtant pertinents pour l'issue du litige. A cet égard, les appelantes font valoir l'existence de défauts, liés à un dégât d'eau survenu le 7 juillet 2021, aux travaux entrepris et pris en charge par elles, et aux discussions qui s'en sont suivies entre les parties dans le but de trouver un accord financier global. La résiliation serait intervenue alors que les discussions étaient en cours, en violation des règles de la bonne foi.

L'intimé relève que les appelantes n'ont pas contesté, lors de l'audience du 2 novembre 2023 devant le Tribunal, les faits ressortant de la requête en cas clair qu'il a déposée le 6 juillet 2023, en particulier le fait qu'aucune compensation n'était intervenue, ni n'avait été invoquée, pendant le délai comminatoire. De plus, le grief de l'appréciation inexacte des faits pertinents serait formulé de manière toute générale, sans indiquer précisément chaque fait établi ou apprécié de manière incorrecte par le Tribunal, et partant, serait irrecevable.

4.1.1 Aux termes de l'art. 257 al. 1 et 3 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire (al. 1); le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).

Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les arrêts cités). Si le juge parvient à la conclusion que ces conditions sont remplies, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire (ATF 138 III 620 consid. 5.1.1). Si elles ne sont pas remplies et que le demandeur ne peut donc obtenir gain de cause, le juge ne peut que prononcer l'irrecevabilité de la demande. Il est en effet exclu que la procédure puisse aboutir au rejet de la prétention du demandeur avec autorité de la chose jugée (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 140 III 315 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 4A_600/2017 du 7 janvier 2019 consid. 3.3).

L'action en contestation du congé formée par les locataires ne fait pas obstacle à l'action postérieure en expulsion selon l'art. 257 CPC, intentée par le bailleur (ATF 144 III 462 consid. 3.3.1).

4.1.2 Le débiteur peut opposer la compensation, même si sa créance est contestée (art. 120 al. 2 CO).

La possibilité d'opposer en compensation une contre-créance contestée existe aussi pour le locataire mis en demeure de payer un arriéré de loyer (art. 257d CO); la déclaration de compensation doit toutefois intervenir avant l'échéance du délai de grâce (ATF 119 II 241 consid. 6b/bb p. 248; arrêt 4C_212/2006 du 28 septembre 2006 consid. 3.1.1, in CdB 2007 22).

Le locataire peut opposer à la créance de loyer une autre créance qu'il a lui-même contre le bailleur si, parmi d'autres conditions, la créance compensante est échue et exigible (cf. art. 120 al. 1 CO) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_422/2020 du 2 novembre 2020 consid. 4.2).

La compensation présuppose une déclaration de compensation (art. 124 al. 1 CO). Le locataire doit informer le bailleur de manière non équivoque, de préférence par écrit et sous pli recommandé, de sa décision d'invoquer la compensation. La déclaration du locataire doit exprimer clairement sa volonté de procéder à la compensation et permettre au bailleur de comprendre quelles sont la créance compensée et la créance compensante, et quel est le montant de cette dernière (LACHAT, in Le bail à loyer, Edition 2019, ch. 3.6 et note 87, pp. 380-381).

Le locataire qui oppose la compensation doit alléguer et prouver que, sommé de payer son loyer sous menace de résiliation, il a fait la déclaration de compensation avant l'échéance du délai de grâce de l'art. 257d al. 1 CO (ATF 119 II 241 consid. 6b/bb et cc; arrêts du Tribunal fédéral 4A_157/2021 du 15 juin 2021 consid. 7.2; 4A_422/2020 du 2 novembre 2020 consid. 4.2 et les arrêts cités). Il doit également alléguer sa contre-créance et être en mesure de la prouver sans délai. Pour que soit respectée la volonté du législateur lors de l'adoption de l'art. 257d CO, le juge doit en effet pouvoir se prononcer sur l'existence et le montant de la contre-créance rapidement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_140/2014 du 6 août 2014 consid. 5.2). Il doit en aller de même lorsque le locataire prétend seulement à une réduction de son loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_385/2022 du 14 février 2023 consid. 3.4).

Il ne suffit pas que la contre-créance ne soit pas sans fondement ("nicht haltlos"). Il ne suffit pas non plus que le locataire tente d'éviter une résiliation pour demeure de paiement, à laquelle ferait suite une expulsion par la voie du cas clair (art. 257 CPC), en prétextant des défauts de l'objet loué et sur la base de ceux-ci, invoque en compensation des créances non chiffrées et non établies ("unbezifferte, nicht feststehende Forderungen"; cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_333/2022 du 9 novembre 2022 destiné à la publication, consid. 5.2, arrêt résumé et analysé par ECKLIN, Newsletter bail.ch janvier 2023).

Le locataire doit invoquer en compensation une créance certaine dans le délai comminatoire de l'art. 257d al. 1 CO. A défaut, il ne pourra pas faire obstacle à la résiliation anticipée du bail (LACHAT, op. cit., ch. 3.7, p. 381).

Une demande (partielle) de réduction de loyer ou l'annonce par le locataire de sa volonté de consigner une partie des loyers échus ne valent pas invocation de la compensation (arrêt du Tribunal fédéral 4C.65/2003 du 23 septembre 2003).

4.1.3 Le locataire qui prétend avoir une créance en réduction de loyer ou en dommages-intérêts pour cause de défauts de l'objet loué n'est pas en droit de retenir toute ou partie du loyer échu; il n'a en principe que la possibilité de consigner le loyer, l'art. 259g CO étant une lex specialis par rapport à l'art. 82 CO. Il est donc dans son tort s'il retient le loyer, ce qui a même conduit une fois le Tribunal fédéral à exclure la possibilité d'opposer en compensation une créance fondée sur les défauts de la chose louée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_472/2008 du 26 janvier 2009 consid. 4.2.3, in RtiD 2009 II 681). Si le locataire passe outre, il peut toujours, à réception de l'avis comminatoire, éviter la résiliation du bail en payant le montant dû ou en le consignant et ainsi éviter le congé et la procédure judiciaire en contestation de ce congé. S'il se décide néanmoins à compenser avec une contre-créance contestée, il fait ce choix à ses risques et périls (arrêt du Tribunal fédéral 4A_140/2014 et 4A_250/2014 du 6 août 2014 consid. 5.2).

4.1.4 Le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

La jurisprudence admet que le congé prononcé conformément à l'art. 257d CO peut, à titre très exceptionnel, contrevenir aux règles de la bonne foi; la notion doit être interprétée très restrictivement, afin de ne pas mettre en question le droit du bailleur à recevoir le loyer à l'échéance (ATF 140 III 591 consid. 1). L'annulation entre en considération notamment dans les cas suivants: le bailleur réclame au locataire, avec menace de résiliation du bail, une somme largement supérieure à celle en souffrance, alors qu'il n'est pas certain du montant effectivement dû et invite son locataire à vérifier le montant réclamé; il contrevient aux règles de la bonne foi s'il maintient cette menace après avoir réduit sensiblement ses prétentions à la suite d'une contestation du locataire relative au montant réclamé (ATF 120 II 31 consid. 4b); ou encore, l'arriéré est insignifiant, ou a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai comminatoire, alors que le locataire s'était jusque-là toujours acquitté du loyer à temps; ou enfin, le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l'expiration de ce même délai. Le fardeau de la preuve d'une résiliation contraire à la bonne foi incombe au locataire (ATF 140 III 591 consid. 1 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_550/2020 du 29 avril 2021 consid. 8.2).

4.2.1 En l'espèce, la question de savoir si les griefs soulevés par les appelantes sont suffisamment motivés peut demeurer indécise, compte tenu des considérations qui suivent.

Dans son courrier du 28 juillet 2021, alors que l'administrateur de la société avait reçu de la régie un rappel concernant les loyers non payés, une menace de poursuite et de résiliation de bail pour défaut de paiement, celui-ci s'est contenté d'annoncer à l'intimé qu'à défaut d'accord il consignerait les loyers, et a suggéré une réduction partielle de loyer. Conformément à la jurisprudence susmentionnée, cela ne saurait valoir déclaration de compensation.

De plus, quand bien même l'administrateur de la société et le bailleur ont échangé de nombreux messages entre juin et novembre 2021 (soit près d'un an avant l'avis comminatoire), en lien avec les travaux dans les locaux et un projet d'accord, le second a continué de réclamer le paiement des loyers en retard, sans que ne lui soit opposé une quelconque créance en compensation ni que les appelantes ne procèdent à la consignation du loyer. Comme justement retenu par les premiers juges, et par ailleurs admis par les appelantes lors de l'audience devant le Tribunal, aucune objection de compensation n'a jamais été soulevée, en particulier pendant le délai comminatoire, pas plus que le montant en souffrance consigné ou payé. C'est ainsi à bon droit que le Tribunal a considéré que la situation juridique était claire, que le dépôt d'une action en contestation du congé (au demeurant par la seule A______ SA) ne suffisait pas à considérer qu'il en allait autrement et que l'absence de consignation des loyers, motif pris des prétendus défauts entachant la chose louée, permettait également de parvenir à cette conclusion.

4.2.2 Par ailleurs, il ressort clairement des échanges entre l'administrateur de la société et le bailleur que ceux-ci n'étaient pas parvenus à un accord en mai 2022, le second n'étant pas disposé à renoncer aux loyers pendant toute la durée des travaux. C'est seulement après ce constat qu'aucune solution amiable ne pouvait être trouvée que l'intimé a mis les appelantes en demeure de s'acquitter des loyers en retard, sous menace de résiliation. Il sera relevé par surabondance que l'administrateur de la société, seul interlocuteur du bailleur, n'avait pas le pouvoir d'engager celle-ci sous sa seule signature. Ainsi, l'allégation selon laquelle les parties étaient en discussion au moment de la résiliation du bail (qui, partant, aurait été donnée de mauvaise foi) n'est fondée sur aucune pièce probante. Les autres situations énumérées par la jurisprudence pour retenir un congé contraire à la bonne foi sont sans rapport avec la présente espèce, étant relevé que l'arriéré de loyer était de plusieurs centaines de milliers de francs au moment de l'avis comminatoire et qu'aucun versement n'est intervenu depuis avril 2021.

5. À teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 19 janvier 2024 par A______ SA et C______ contre le jugement JTBL/11/2024 rendu le 2 novembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/14503/2023.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Sibel UZUN, Madame
Cosima TRABICHET-CASTAN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.