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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/8525/2021

ACJC/646/2024 du 23.05.2024 sur JTBL/719/2023 ( OBL ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8525/2021 ACJC/646/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 23 MAI 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 12 septembre 2023, représenté par Me Antoine E. BÖHLER, avocat, rue des Battoirs 7, case postale 284, 1211 Genève 4,

 

 

et

Monsieur B______ et Madame C______, p.a. Me B______, ______ [GE], intimés.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/719/2023 du 12 septembre 2023, expédié aux parties le 15 septembre 2023, le Tribunal des baux et loyers a déclaré recevable la requête en diminution de loyer formée par B______ et C______ (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et a ordonné une audience de débats d’instruction avec comparution personnelle des parties (ch. 3).

B. a. Par acte reçu par le greffe de la Cour de justice le 13 octobre 2023, A______ a formé appel contre ce jugement, dont il a sollicité, principalement, l'annulation et, cela fait, a conclu à ce que la requête formée par B______ et C______ soit déclarée irrecevable. Subsidiairement, il a conclu au renvoi de la cause à l’autorité précédente après annulation du jugement.

b. Dans leur réponse du 23 novembre 2023, B______ et C______ ont conclu à la confirmation du jugement entrepris.

c. A______ a répliqué le 4 janvier 2024, persistant dans ses conclusions.

d. B______ et C______ n’ont pas dupliqué.

e. Les parties ont été avisées le 21 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. En date du 12 juin 2008, A______, bailleur, et D______, locataire, ont signé un contrat de bail portant sur la location d’une arcade d’environ 18 m2 au rez-de-chaussée de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève. Le bail a été conclu pour le durée initiale de cinq ans, du 1er septembre 2008 au 31 août 2013, renouvelable tacitement d’année en année, sauf résiliation respectant un préavis de six mois. Le loyer annuel, hors charges, a été fixé à 14'400 fr. dès le 1er septembre 2008.

b. Par avenant du 21 décembre 2020, le bail a été transféré à B______ et C______ avec effet au 1er janvier 2021, toutes les clauses restant par ailleurs inchangées.

c. Le 25 février 2021, B______ et C______ ont adressé un courrier à la régie E______ (ci-après : la régie), en charge de la gérance de l’immeuble, pour solliciter une baisse de loyer de 240 fr. par mois pour la première échéance utile, au plus tard le 1er septembre 2021.

d. Par courrier recommandé posté le 23 mars 2021, la régie a accordé aux locataires une baisse de loyer de 996 fr. par année, soit 83 fr. par mois, calculée selon la méthode relative.

e. L’invitation à retirer le courrier recommandé précité a été déposée par la Poste dans la case postale des locataires le 24 mars 2021. Ledit courrier a été retiré par ces derniers le 31 mars 2021.

f. Par requête déposée le 30 avril 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non-conciliée le 13 juin 2022 et portée devant le Tribunal le 12 juillet 2022, B______ et C______ ont conclu à la diminution du loyer concernant l’arcade au rez-de-chaussée de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève à hauteur de 240 fr. par mois, soit 2'880 fr. par année dès le 1er septembre 2021.

g. Lors de l’audience du Tribunal du 25 avril 2023, la représentante de A______ a demandé que les locataires démontrent la recevabilité de leur requête, sur quoi le Tribunal a fixé à ces derniers un délai au 31 mai 2023 pour produire leurs pièces concernant la recevabilité de la demande et a réservé la suite de la procédure.

h. Le 28 juin 2023, B______ et C______ ont transmis au Tribunal notamment l'enveloppe contenant le pli du 23 mars 2021.

i. Par courrier du 10 mai 2023, A______ a conclu à l’irrecevabilité de la demande pour cause de tardiveté du dépôt de la requête en conciliation.

j. Par courriers des 31 mai, 16 juin et 28 juin 2023, les locataires ont conclu à la recevabilité de leur demande.

 

EN DROIT

 

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, Bâle, 2ème éd. 2019, n. 13 ad art. 308 CPC).

S'agissant d'un contrat de bail reconductible tacitement, soit de durée indéterminée (ATF 114 II 165 consid. 2b), la valeur litigieuse déterminante doit être calculée en fonction de la baisse de loyer requise, fixée annuellement et multipliée par vingt (art. 92 al. 2 CPC; ATF 139 III 209 consid. 1.2; 137 III 580 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4C_169/2002 du 16 octobre 2002).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse s'élève à 19'920 fr. (996 fr. x 20). De sorte qu'elle est supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit ; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.  L’appelant fait grief aux premiers juges d’avoir considéré, à tort selon lui, que la requête en diminution de loyer formée par les intimés est recevable, en faisant application de la théorie de la réception dite relative, soit en admettant que le délai de 30 jours pour saisir l’autorité compétente court dès la prise de connaissance effective de la manifestation de volonté du bailleur, ou, au plus tard, à l’expiration du délai de garde de sept jours de la Poste.

2.1 Selon, l'art. 270a al. 1 et 2 CO, le locataire peut contester le montant du loyer et en demander la diminution pour le prochain terme de résiliation, s’il a une raison d’admettre que la chose louée procure au bailleur un rendement excessif au sens des art. 269 et 269a, à cause d’une notable modification des bases de calcul, résultant en particulier d’une baisse des frais (al. 1).

Le locataire doit adresser par écrit sa demande de diminution au bailleur, qui a un délai de 30 jours pour se déterminer.

Si le bailleur ne donne pas suite à la demande, qu’il ne l’accepte que partiellement ou qu’il ne répond pas dans le délai prescrit, le locataire peut saisir l’autorité de conciliation dans un délai de 30 jours (al. 2).

Le délai de saisine de l’art. 270a al. 2 CO est un délai de péremption, qui ne peut être ni prolongé ni suspendu et dont l’observation est soulevée d’office par le Juge (ATF 131 III 566 consid. 3,2)

2.2 Lorsque la communication d'une manifestation de volonté constitue le moment à partir duquel court un délai de droit matériel fédéral, il faut appliquer la théorie de la réception dite absolue (ATF 118 II 42 consid. 3; 107 II 189 consid. 2; Kramer, Commentaire bernois, 1986, n° 88 ad art. 1 CO; Gauch et al., Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, vol. I, 9e éd. 2008, ch. 196/196a p. 37; Hohl, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 2003, n° 5 ad art. 77 CO).

Selon cette méthode, le point de départ du délai correspond au moment où la manifestation de volonté est parvenue dans la sphère d'influence du destinataire ou de son représentant, de telle sorte qu'en organisant normalement ses affaires, celui-ci soit à même d'en prendre connaissance.

S'agissant d'un pli ordinaire communiqué par la poste, la manifestation de volonté est reçue lorsqu'elle est déposée dans la boîte ou la case postale du destinataire si l'on peut escompter qu'il lève le courrier à ce moment-là. Savoir si le destinataire prend effectivement connaissance de l'envoi n'est pas déterminant. Un tel envoi simple ne fait cependant pas la preuve de sa réception.

En ce qui concerne une lettre recommandée, si l'agent postal n'a pas pu la remettre effectivement au destinataire ou à un tiers autorisé à prendre livraison de l'envoi et qu'il laisse un avis de retrait dans sa boîte aux lettres ou sa case postale, le pli est reçu dès que le destinataire est en mesure d'en prendre connaissance au bureau de la poste selon l'avis de retrait. Il s'agit soit du jour même où l'avis de retrait est déposé dans la boîte aux lettres, si l'on peut attendre du destinataire qu'il retire aussitôt, soit en règle générale le lendemain de ce jour (ATF 137 III 208
consid. 3; 107 II 189 consid. 2; Bohnet/Montini, Droit du bail à loyer 2010, n°4 ad art. 266a CO).

2.3. La jurisprudence du Tribunal fédéral a dérogé à la théorie de la réception absolue dans deux cas en matière de bail. Il s'agit d'une part de la communication, par pli recommandé, de l'avis de majoration de loyer au sens de l'art. 269 d CO (ATF 107 II 189 consid. 2), et d'autre part de celle de la sommation de payer instituée par l'art. 257 d al. 1 CO (ATF 119 II 147 consid. 2). Pour ces deux éventualités, à l'instar de ce qui prévaut pour les délais de procédure (cf. art. 138 al. 3 CPC; ATF 130 III 396 consid. 1.2.3; ATF 111 V 99 consid. 2b p. 101), si le courrier recommandé ne peut pas être remis directement au destinataire, et qu'un avis de retrait mentionnant le délai de garde postale a été mis dans sa boîte aux lettres ou sa case postale, l'acte est reçu au moment où le destinataire le retire effectivement au guichet postal ou, à supposer qu'il ne soit pas retiré dans le délai de garde de sept jours, le 7ème et dernier jour de ce délai. Cette théorie de la réception est dite relative.

Prenant appui sur cette jurisprudence, certains auteurs préconisent, lorsque la notification de la manifestation de volonté est effectuée au destinataire sous pli recommandé avec dépôt d'un avis de retrait postal, une application de la théorie relative de la réception à d'autres actes du droit du bail que l'avis de majoration de loyer (art. 269d CO) et l'avis comminatoire (art. 257d CO), en particulier à la notification du congé, voire prônent même une application uniforme de cette théorie de la réception pour tous les actes de droit civil (Bohnet/Montini,
op. cit., n° 21 ad art. 257d CO; Lachat, in Commentaire romand, Code des obligations, vol. I, 2003, n° 5 ad art. 266a CO). Ils invoquent les horaires d'ouverture des guichets postaux, la clarté et la cohérence du droit ainsi que la protection de la partie faible.

Cette opinion minoritaire ne convainc pas le Tribunal fédéral, qui rappelle l'application de la théorie relative de la réception lorsque le locataire reçoit un avis de hausse de loyer afin qu'il bénéficie effectivement du délai de réflexion de dix jours de l'art. 269d al. 1 CO et de la possibilité de résilier le contrat s'il n'entend pas accepter la hausse ou la contester. La juridiction fédérale en a fait de même pour la communication de l'avis comminatoire dans l'intention que le locataire de baux d'habitations ou de locaux commerciaux jouisse de l'entier du délai de
30 jours pour réunir les fonds lui permettant de régler son loyer échu. Notre Haute Cour juge ainsi que ces considérations particulières ne sauraient valoir pour d'autres actes (ATF 137 III 208 consid. 3.1.3).

En outre, le système de la réception absolue tient compte de manière équitable des intérêts antagonistes des deux parties, à savoir ceux de l'émetteur et du destinataire. L'expéditeur supporte le risque de transmission du pli jusqu'au moment où il parvient dans la sphère d'influence du destinataire, alors que celui-ci supporte le risque, à l'intérieur de sa sphère d'influence, de prendre connaissance tardivement, respectivement de ne pas prendre connaissance du support de communication. Cet équilibre serait rompu si la théorie relative de la réception devait s'appliquer sans limite (ATF 137 III 208 consid. 3.1.3).

2.4 En cas d'envoi par pli recommandé, la preuve que le destinataire a bel et bien reçu l'avis de retrait appartient à l'auteur de celui-ci. La preuve de la remise par confirmation de type «track and trace» est admise par le Tribunal fédéral comme moyen de preuve suffisant. Le fait que l'avis de retrait a été déposé dans la boîte aux lettres ou la case postale du destinataire est présumé aussi longtemps qu'il n'existe pas de circonstances propres à retenir un comportement incorrect de l'employé de La Poste. Il appartient dès lors au destinataire d'établir l'absence de dépôt régulier de l'avis (arrêt du Tribunal fédéral dans la cause 4A_39/2007 du 9 mai 2007).

2.5 En l'espèce, la régie s’est déterminée quant à la demande de baisse de loyer des intimés du 25 février 2021 par courrier recommandé posté le 23 mars 2021; l’invitation à retirer ledit courrier a été déposée par la Poste dans la case postale de ces derniers le 24 mars 2021.

Ainsi, selon la théorie absolue de la réception, applicable au cas d’espèce, le délai de 30 jours de l’art. 270a al. 2 CO pour saisir l’autorité de conciliation a commencé à courir le 25 mars 2021; en application des art. 142 et suivants CPC, il est arrivé à échéance le lundi 26 avril 2021.

Ainsi, la requête des intimés, postée à l’intention de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers le 30 avril 2021, est tardive.

Il en va de même de la requête introduite le 12 juillet 2022 devant le Tribunal, par voie de conséquence.

2.6 Par conséquent, le jugement entrepris sera annulé (art. 318 al. 1 let. b CPC). Il sera statué à nouveau sans le sens que la requête en baisse de loyer des intimés sera déclarée irrecevable.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 13 octobre 2023 par A______ contre le jugement JTBL/719/2023 rendu le 12 septembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/8525/2021.

Au fond :

Annule ce jugement. Cela fait :

Déclare irrecevable la demande de baisse de loyer du 12 juillet 2022 formée par B______ et C______ concernant l’arcade au rez-de-chaussée de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Zoé SEILER et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2