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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/18977/2023

ACJC/388/2024 du 22.03.2024 sur JTBL/968/2023 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18977/2023 ACJC/388/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 22 MARS 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 16 novembre 2023, représentée par ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représentée par Me Maud VOLPER, avocate, boulevard Georges-Favon 14, 1204 Genève.

 


EN FAIT

A. Par jugement motivé JTBL/968/2023 du 16 novembre 2023, reçu par les parties le 8 décembre 2023, le Tribunal des baux et loyers a condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec elle l'appartement de 3 pièces au rez-de-chaussée de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______, [code postal] C______ [GE], ainsi que le parking n° 2______ au sous-sol et la cave dépendante se trouvant dans ledit immeuble (ch. 1 du dispositif), autorisé B______ à requérir l'évacuation par la force publique de A______ dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), condamné A______ à verser à B______ la somme de 28'540 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 1er août 2023 (date moyenne) (ch. 3), autorisé la libération de la garantie loyer constituée auprès de D______ SA (certificat n° 3______), en faveur de B______, le montant ainsi libéré venant en déduction de la somme due figurant sous chiffre 3 du dispositif (ch. 4), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5) et dit que la procédure était gratuite (ch. 6).

En substance, les premiers juges ont retenu que la bailleresse était fondée à donner congé, les conditions de l'art. 257d CO étant réalisées. En continuant d'occuper les locaux, la locataire violait son obligation de restituer les locaux, de sorte que son évacuation devait être prononcée. Compte tenu du comportement adopté par la locataire (absence non justifiée lors de l'audience de comparution personnelle, impossibilité de notifier des commandements de payer à l'adresse des locaux loués, poursuites de l'Hospice général, production d'un extrait de poursuite falsifié et mise en location de l'appartement sur [la plateforme en ligne] E______), il n'était pas admissible de sursoir à son évacuation pour des raisons humanitaires.

B. a. Par acte expédié le 18 décembre 2023 à la Cour de justice, A______ (ci‑après : la locataire ou l'appelante ou la recourante) forme appel, subsidiairement recours, contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, principalement, à ce que la Cour déclare irrecevable la requête en évacuation et demande de paiement du 5 septembre 2023 et, subsidiairement, à l'annulation du chiffre 2 du dispositif du jugement entrepris et à l'octroi d'un sursis humanitaire jusqu'au 30 avril 2024.

Elle allègue nouvellement un fait, à savoir que la personne majeure qui vit avec elle est sa fille.

b. Dans sa réponse du 22 décembre 2023, B______ (ci-après : le bailleur ou l'intimé) a conclu à la confirmation du jugement entrepris.

c. Par arrêt présidentiel ACJC/10/2024 du 5 janvier 2024, la Cour a constaté la suspension de la force jugée et le caractère exécutoire du jugement querellé et rejeté la requête de B______ d'exécution anticipée dudit jugement.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

e. Les parties ont été avisées par pli du greffe du 25 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Les parties ont conclu le 3 février 2022 un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 3 pièces au rez-de-chaussée de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______, [code postal] C______, ainsi que le parking n° 2______ au sous-sol et la cave dépendante se trouvant dans ledit immeuble.

Le montant du loyer a été fixé en dernier lieu à 2'550 fr. par mois, plus 180 fr. par mois pour le parking et 120 fr. à titre d'acomptes pour les charges.

Une garantie de loyer de 7'650 fr. a été constituée auprès de D______ SA (certificat n° 3______), en faveur de B______.

b. Par avis comminatoire du 16 juin 2023, le bailleur a mis en demeure la locataire de lui régler dans les 30 jours le montant de 17'150 fr., à titre d'arriéré de loyer et de charges pour la période de janvier à juin 2023, ainsi qu'un solde de 50 fr. pour décembre 2022, et l'a informée de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

c. Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, le bailleur a, par avis officiel du 27 juillet 2023, résilié le bail pour le 30 août 2023.

d. Par requête en protection du cas clair, déposée le 6 septembre 2023 au Tribunal, le bailleur a conclu à l'évacuation de la locataire des locaux loués, avec mesures d'exécution directe et à la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 22'840 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2023, ainsi qu'à la libération de la garantie de loyer.

e. Lors de l'audience du 16 novembre 2023, le bailleur a persisté dans ses conclusions et amplifié ses conclusions à 28'540 fr. Il a expliqué, pièces à l'appui, que la locataire louait son appartement sur la plateforme E______ et qu'il doutait qu'elle vive dans ledit appartement. Il ressort en outre des pièces versées que l'extrait de poursuites fourni par la locataire au moment de la conclusion du bail était un faux, celle-ci faisant l'objet de nombreuses poursuites et plusieurs actes de défaut de biens ayant été délivrés à son encontre. Il était aux abois avec la banque, vu l'absence de tout revenu locatif.

La locataire n'était pas présente, mais représentée par son conseil, qui a déposé des pièces. Celui-ci a expliqué que la situation de cette dernière était catastrophique, qu'elle avait subi un accident en France, survenu en 2021 selon les pièces produites, et faisait l'objet de nombreuses poursuites avec des actes de défaut de biens. Elle vivait dans l'appartement avec deux enfants mineurs et une majeure, F______, dont copie des cartes d'identité ont été produites. Elle avait également eu des démêlés avec l'Hospice général et n'avait plus droit à l'aide sociale. Le conseil de la locataire a sollicité un délai humanitaire de trois mois.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; LACHAT, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).

En l'espèce, compte tenu du loyer mensuel de 2'550 fr., la valeur litigieuse de 10'000 fr. est atteinte en toute hypothèse. La voie de l'appel est donc ouverte contre le prononcé de l'évacuation.

1.2 La voie du recours est ouverte contre la décision du Tribunal relative à l'exécution de l'évacuation.

1.3 Lorsque la décision de première instance a été rendue en procédure sommaire, le délai pour l'introduction de l'appel ou du recours est de dix jours (art. 311 al. 2 et 321 al. 2 CPC). La procédure sommaire s'applique à la procédure de cas clair (art. 248 let. b CPC).

L'appel et le recours ont été interjetés dans le délai prescrit par la loi (art. 311 al. 1 CPC).

Le recours, qui respecte la forme prévue par la loi est recevable.

La question de la recevabilité de l'appel se pose en revanche eu égard à sa motivation.

1.4 En vertu de l'art. 311 al. 1 CPC, il incombe à l'appelant de motiver son appel. Selon la jurisprudence, il doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique. Ainsi, si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêts du Tribunal fédéral 4A_621/202130 août 2022, consid. 3.1, 5A_438/2012 du 27 août 2012 consid. 2.2; 4A_97/2014 précité consid. 3.3).

En l'espèce, l'appelante ne critique pas le raisonnement du Tribunal quant au prononcé de l'évacuation. En particulier, elle ne prétend pas que les conditions de l'art. 257d CO ne seraient pas remplies ni qu'elle disposerait encore d'un titre l'autorisant à demeurer dans les locaux.

Elle se plaint essentiellement d'une violation de son droit au logement garanti par l'art. 38 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE ‑ A 2 00) et de l'article 11 du Pacte ONU 1.

1.4.1 Le principe de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 49 Cst.) fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive. En matière de législation sur le logement, il est interdit aux cantons d'intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat de bail, car ces rapports sont réglés exhaustivement par le droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 1P.664/1999 et 1P.686/1999 du 1er septembre 2000 consid. 2a et réf. citées).

Selon la jurisprudence, l'art. 11 par. 1 Pacte ONU I comprend des lignes directrices à mettre en œuvre par l'Etat et non du droit directement applicable.

1.4.2 D'une part, l'article constitutionnel précité s'invoque dans le cadre de l'exécution de l'évacuation et n'a pas trait au congé lui-même. D'autre part, en tout état, il ne saurait faire obstacle à l'application du droit fédéral.

L'art. 11 par. 1 Pacte ONU I n'est pas d'application directe de sorte que l'appelante ne peut en tirer aucun droit dans le cadre de son appel.

Ainsi, l'appel est irrecevable. Serait-il recevable qu'il serait infondé, au vu des principes susmentionnés.

2. La recourante sollicite l'octroi d'un délai humanitaire jusqu'au 30 avril 2024, auquel le bailleur s'oppose.

2.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).

En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une nouvelle prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b p. 339; arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).

Selon l'art. 30 al. 4 LaCC, le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire ou du fermier lorsqu'il est appelé à statuer sur l'exécution d'un jugement d'évacuation d'un logement, après audition des représentants du département chargé du logement et des représentants des services sociaux ainsi que des parties.

2.2 En l'espèce, le Tribunal a fait une juste application des principes ci-dessus en autorisant l'exécution de l'évacuation dès le prononcé du jugement.

En effet, même à admettre que la recourante vivrait avec sa fille majeure (ce que le bailleur conteste, cette allégation, nouvelle, étant par ailleurs irrecevable tant au regard de l'art. 317 al. 1 CPC que 326 CPC) et deux enfants mineures, les autres éléments pris en considération par le Tribunal (fausse attestation de poursuites, location sur [la plateforme en ligne] E______, doute sur l'occupation des locaux), non contestés et que la Cour fait siens, faisaient obstacle à tout sursis. Le montant dû au titre des arriérés de loyer et indemnités pour occupation illicite est important et met le bailleur dans une situation financière délicate. Les chances pour celui-ci de récupérer ce qui lui est dû sont minces, au vu de la situation financière catastrophique de la recourante. Ainsi, l'intérêt de l'intimé à récupérer les locaux loués le plus rapidement possible pour pouvoir les relouer mérite protection. Par ailleurs, la recourante n'allègue pas avoir entrepris la moindre démarche en vue de se reloger, de sorte qu'il ne peut être retenu qu'elle se soumettra spontanément au jugement d'évacuation à l'échéance d'un sursis de trois mois tel que sollicité. Enfin, du fait de la procédure, la recourante a déjà bénéficié d'un sursis de plusieurs mois.

Comme déjà relevé le droit au logement invoqué par la recourante ne saurait faire obstacle à l'application du droit fédéral et n'autorise en tous les cas pas un locataire à demeurer dans des locaux sans s'acquitter du moindre loyer.

Le recours, infondé, sera rejeté.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare irrecevable l'appel interjeté le 18 décembre 2023 par A______ contre le jugement JTBL/968/2023 rendu le 16 novembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/18977/2023.

Déclare recevable le recours formé le 18 décembre 2023 par A______ contre ledit jugement.

Au fond :

Rejette le recours.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Nevena PULJIC, Madame Cosima TRABICHET-CASTAN, juges assesseurs, Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 


Indication des voies de recours
:

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.