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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1347/2022

ATAS/518/2025 du 30.06.2025 ( AVS ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1347/2022 ATAS/518/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 juin 2025

Chambre 4

 

En la cause

A______

représenté par Maître Sébastien COLLART, avocat

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION

 

 

intimé

 


EN FAIT

A. a. B______ (ci-après : la société) a été inscrite au registre du commerce de Genève le 26 novembre 2014. Elle a pour but la gestion de fortune et toute activité de conseil et d’assistance dans les domaines financiers, du crédit mobilier et immobilier, de l’assurance-vie et non-vie, de la prévoyance professionnelle et privée et la négociation immobilière. La société a été dissoute par suite de faillite prononcée par décision du Tribunal de première instance du 9 avril 2028. La procédure de faillite a été clôturée par jugement du 20 juin 2019 et la société a été radiée d’office le 4 juillet 2019.

A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant) a été associé gérant-président de la société, avec signature individuelle, du 26 novembre 2014 au 20 mars 2017, puis il est resté associé de la société, sans signature, jusqu’au 10 avril 2017.

C______ (ci-après : le directeur) était associé-gérant avec signature collective à deux lorsque A______ était associé-gérant président et, comme lui, il est resté associé sans signature pendant la même période.

D______ (ci-après : le gérant) a été gérant de la société avec signature individuelle dès le 20 mars 2017 et E______ en a été directeur du 15 mai 2017 au 6 février 2018, avec signature individuelle.

b. La société a été affiliée en qualité d’employeuse auprès de la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimé) du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.

B. a. Le 23 octobre 2019, la caisse a adressé une décision de réparation du dommage à l’intéressé lui réclamant le paiement de CHF 150'206.80, représentant le solde des cotisations paritaires 2015 et 2016, y compris les frais et les intérêts moratoires. Il s’agissait des sommes dues et exigibles lorsqu’il avait pris ses fonctions et échues au cours de son mandat et dont il était solidairement responsable avec le gérant et le directeur. Actuellement, la caisse ne pouvait pas notifier de décision de réparation du dommage au directeur, car elle n’avait pas connaissance de son adresse privée. Il était demandé à l’intéressé de la communiquer par écrit à la caisse s’il la connaissait.

b. Le 20 novembre 2019, l’intéressé, assisté d’un conseil, a formé opposition à la décision de la caisse, faisant valoir qu’il n’avait jamais eu accès aux informations relatives aux cotisations sociales et qu’il n’était pas tenu de versé le montant réclamé. Il avait été approché par le directeur dans le courant de l’année 2014 pour créer une structure active, notamment, dans le conseil et la gestion de fortune. L’activité de la société avait effectivement commencé le 1er janvier 2015. Le directeur ne parlant pas le français, il avait principalement fait appel à lui car il avait besoin d’une personne locale et francophone pour faciliter la création de la structure et, en particulier, pour obtenir les autorisations et affiliations nécessaires et permettre à la société de déployer ses activités.

Dès la création de la société, le directeur était chargé des aspects commerciaux et financiers et l’intéressé des ressources humaines et en particulier de la formation des employés de la société. Seul le directeur avait accès aux comptes de la société et procédait aux paiements. Par la suite, son homme de main et employé de la société, F______, effectuait également des paiements et des transferts de fond, vraisemblablement sur la base d’une procuration bancaire de la société et sur instruction du directeur. Ce dernier était l’unique et véritable animateur de la société. Il avait une certaine emprise psychologique sur l’intéressé dont il avait abusé impunément. Grâce à cela, il était subtilement parvenu à éviter de le renseigner sur la situation financière réelle de la société. L’intéressé n’avait jamais reçu le moindre extrait des comptes bancaires de la société, des bilans ou d’autres documents comptables ou financiers, bien qu’il en ait fait la demande à plusieurs reprises.

Les relations entre le directeur et l’intéressé étaient détériorées à partir de la fin de l’année 2016, lorsque l’intéressé avait commencé à poser de plus en plus de questions sur la situation financière de la société. Il avait sollicité en particulier les bilans, les extraits de compte bancaire, les copies des contrats entre la société et ses clients ainsi que tout autre document comptable de la société. Le directeur avait systématiquement et catégoriquement refusé de lui transmettre ces documents. L’intéressé avait également exigé que les assemblées générales usuelles de la société soient tenues, mais en vain. Le 12 juin 2017, le directeur avait évincé l’intéressé de manière abusive. À la suite d’âpres échanges, une convention de fin de rapport de travail avaient été signée le 22 septembre 2017.

Ensuite, le directeur avait pris de nombreuses mesures à l’encontre de l’intéressé dans l’intention de lui nuire. Il avait intenté à son encontre une poursuite injustifiée pour un montant de CHF 1'700'000.-. Le prétendu créancier était la société que le directeur contrôlait de toute évidence. Suite à l’opposition de l’intéressé, la poursuite avait été retirée en janvier 2017.

Le 20 décembre 2017, l’intéressé et son épouse avaient reçu des menaces de mort par téléphone d’un homme, qui était vraisemblablement commandité par le directeur. Ils avaient déposé plainte pénale pour menaces à la police de Nyon le 21 décembre 2017.

Une plainte pénale signée par F______, représentant le directeur, avait été déposée à Genève en octobre 2017 contre l’intéressé et d’autres ex-employés de la société pour appropriation illégitime, vol de voiture, instigation à soustraire des données, méthodes déloyales, incitation à violer ou résilier un contrat de travail, violation des secrets d’affaire et inobservation des conditions de travail.

L’intéressé avait été entendu par une inspectrice de la brigade financière le 15 mars 2018 en qualité de prévenu. Il avait immédiatement été démontré que la plainte pénale était sans fondement, ce que la police pourrait confirmer.

Le 14 mars 2018, une requête en conciliation avait été déposée auprès du Tribunal des prud’hommes, à Genève, par la société G______, succursale de Genève, et la société H______ (anciennement I______) pour une prétendue violation de la prohibition de faire concurrence par l’intéressé. Une audience de conciliation avait été tenue le 4 juin 2018, lors de laquelle il avait été démontré qu’une telle action n’avait aucun fondement. L’autorisation de procéder avait été délivrée le même jour, mais les requérants n’avaient jamais déposé d’action au fond, ce qui illustrait leur seule volonté de léser l’intéressé.

À la lumière de ce qui précédait, la caisse se trompait de toute évidence de cible. Elle devait rechercher en priorité les véritables animateurs de la société, soit le directeur, qui s’était vraisemblablement réfugié à Dubaï, ainsi que son équipe, soit en particulier E______, F______ et D______. Ceux-ci étaient les seuls responsables des aspects financiers et commerciaux de la société et de tous les manquements à ses obligations légales.

L’opposant attirait l’attention de la caisse sur le fait qu’il était actionnaire et administrateur unique de J______, sise à Nyon, et enregistrée auprès de la FER-CIAM depuis le 1er novembre 2017 pour les problématiques de cotisations sociales dans le canton de Genève. Cette société s’acquittait de toutes les factures dans les délais et n’avait aucune dette. Il gérait sa société avec sérieux, contrairement à ce qu’avait fait le directeur.

c. Par décision du 17 mars 2022, la caisse a rejeté l’opposition de l’intéressé, considérant qu’en tant qu’administrateur pendant la période en cause, celui-ci avait commis une négligence grave en ne s’acquittant pas des charges sociales de la société. Il n’y avait pas de motif objectif susceptible de justifier le défaut de paiement des cotisations et de l’exonérer du règlement du dommage subi par la caisse.

La caisse précisait qu’elle imputerait du montant exigé les sommes qui correspondaient aux cotisations « AMAT » comptabilisées dans les décisions de cotisations paritaires en conformité à l'arrêt de la chambre des assurances sociales rendue à ce sujet.

C. a. Le 2 mai 2022, l’intéressé a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice concluant à son audition et à l’annulation de la décision, avec suite de frais et dépens. Il reprenait en substance les griefs développés dans son opposition. Il a encore fait valoir que l’intimée avait rendu sa décision trois ans après son opposition, sans même l’interpeller ni l’auditionner. Dans sa décision, l’intimée constatait qu’elle n’avait aucune nouvelle des différentes procédures évoquées dans l’opposition sur les prétendus agissements des ex-associés du recourant dans le cadre de la gestion de la société. Elle considérait que lesdits agissements, qui n’étaient pas supportés par des éléments concrets et des preuves pertinentes, ne constituaient pas des facteurs d’exculpation de sa responsabilité.

Le recourant estimait que l’intimée lui faisait ainsi porter le fardeau de la preuve des agissements délictueux de ses ex-associés, ce qui était contraire au principe de la maxime d’office. Il n’avait pas à prendre contact lui-même avec l’administration concernant les procédures évoquées dans l’opposition.

De plus, il n’avait jamais été entendu sur les faits invoqués dans son opposition concernant l’impossibilité d’avoir accès aux états financiers de la société et à ses comptes. L’intimée ne relevait pas non plus ses demandes répétées d’informations sur la santé financière de la société et de pouvoir accéder à ses comptes et le fait qu’il s’était fait abusivement évincer de la société par le directeur. L’intimée avait omis de prendre en compte les mesures coercitives prises par le directeur à son encontre après son licenciement. Bien que ces agissements soient postérieurs à la période pendant laquelle il était gérant, ils témoignaient du comportement du directeur pendant que le recourant était en fonction. Le recourant estimait en outre que la décision sur opposition n’était pas suffisamment motivée et qu’elle devait donc être annulée. En effet, elle ne tenait pas compte des circonstances du cas d’espèce en se contentant de soutenir que son comportement constituait une négligence grave sans exposer le raisonnement sur lequel se fondait son appréciation. Il ne se déterminait pas sur le fait qu’il était impossible au recourant d’accéder aux comptes de la société ni de pouvoir verser les cotisations puisqu’il n’avait pas eu connaissance du fait que celles-ci n’étaient pas versées.

La motivation ne permettait pas au recourant de comprendre les raisons pour lesquelles l’intimée retenait une négligence grave ni de vérifier si elle avait bien examiné ses arguments développés dans l’opposition.

Par sa constatation incomplète des faits et en mettant à sa charge la preuve de ces mêmes faits sans procéder à des actes d’instruction, l’intimée avait violé les art. 19 et 20 LPA. De plus, elle aurait dû prendre des mesures légales contre le directeur, qui était le véritable animateur de la société.

Dans un arrêt du 25 juillet 2000 portant sur la responsabilité de l’administrateur d’une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation, le Tribunal fédéral avait jugé que le président du conseil d’administration trompé par les agissements délictueux du directeur de la société, notamment en ce qui concernait les cotisations en souffrance, ne pouvait être tenu pour responsable du dommage subi par l'assurance.

Le Tribunal fédéral avait précisé dans un arrêt de principe que l’obligation de réparer le dommage intervenait en principe seulement si la personne intéressée avait un pouvoir de disposer des cotisations non payées et pouvait effectuer les paiements à la caisse de compensation (FRETZ Mélanie, p. 242 ; arrêt du Tribunal Fédéral H 119/97 du 5 juin 1998, consid. 5b, H 319/99 du 25 juillet 2020, consid. 5.bb, ATF 134 V 401 consid. 5.1)

Dans le courant de l’année 2016, lorsque le recourant avait, avec insistance et de manière répétée, sollicité des informations détaillées sur la santé financière de la société et un accès aux comptes de celle-ci, les relations avec le directeur avaient commencé à se détériorer.

Le directeur avait systématiquement et catégoriquement refusé de transmettre les pièces financières de la société. Ses demandes avaient mené à son licenciement. Il n’avait ainsi pas commis de négligence grave et ne pouvait pas être tenu responsable de la réparation du dommage.

b. Le 29 mai 2022, la caisse a sollicité la suspension de la procédure pour lui permettre de récolter des informations complémentaires auprès de toutes les personnes qui gravitaient autour de la société en cause.

c. Le 15 juin 2022, le recourant ne s’est pas opposé à la suspension de la procédure qu’il avait lui-même requis.

d. Par ordonnance du 16 juin 2022, la chambre de céans a suspendu l’instruction de la cause.

e. Par ordonnance du 23 juin 2023, elle a prolongé la suspension de la cause, vu la demande en ce sens des parties.

f. Le 12 juin 2024, la caisse a informé la chambre de céans qu’elle n’avait pas reçu d’autres informations concernant la recherche d’éléments auprès de certaines institutions bancaires en relation avec la gestion de la société.

g. Le 12 juin 2024, le recourant a demandé une nouvelle suspension de la procédure.

h. Le 13 juin 2024, la chambre de céans a demandé au recourant quels étaient les résultats des recherches accomplies depuis mai 2022.

i. Le 3 juillet 2024, le recourant a indiqué qu’en raison d’une surcharge de travail particulièrement élevé, il demandait une prolongation du délai pour répondre à sa demande du 13 juin 2024. Il avait reçu les relevés de compte pour la société. Cela étant, certains virements interpellaient et nécessitaient l’examen des relevés de compte des autres sociétés du groupe, soit :

-          H______ ;

-          K______ ;

-          G______, succursale de Genève.

La banque UBS refusait pour l’heure de fournir les relevés pour ces trois structures intrinsèquement liées à la société. Elle exigeait une autorisation formelle de l’office des faillites pour accéder à sa demande. Il allait approcher celui-ci dans la semaine. Dès l’obtention des documents sollicités auprès de l’UBS et après examen de ceux-ci, il serait en mesure de fournir des informations à l’intimée.

j. Le 4 juillet 2024, l’intimée a demandé à la chambre de céans de reprendre la procédure.

k. Le 10 juillet 2024, l’intimée a transmis à la chambre de céans un document qui attestait de l’avancement de la procédure ouverte contre D______. Il s’agissait d’un acte de défaut de biens mentionnant en lien avec la réparation du dommage subi dans la faillite de la société selon décision du 23 octobre 2019. Le montant de la créance était de CHF 150'206.80, les frais de CHF 1'072.32, le produit de la poursuite de CHF 2'942.51, soit un montant total du découvert de CHF 148'336.60.

l. Le 29 juillet 2024, l’intimée a constaté que dans le délai accordé au recourant, de juillet 2022 à juin 2024, les recherches de celui-ci pour produire des preuves relatives à un état de fait hypothétique n’avaient donné aucun résultat. En conséquence, elle demandait la reprise définitive de la procédure.

m. Le 3 octobre 2024, le recourant a expliqué être confronté à des blocages de l’UBS dans le cadre de ses recherches. Il avait seulement reçu les relevés de compte de la société concernée. Certains virements nécessitaient l’examen des relevés de compte des autres sociétés du groupe. La banque UBS avait refusé de les lui fournir. Ses recherches auprès de l’office des faillites avaient permis de récolter certains relevés relatifs à K______ seulement. Ces pièces étaient transmises ce jour à la chambre de céans. L’office des faillites indiquait ne détenir aucun document pertinent pour les deux autres sociétés. Il ne pourrait fournir son analyse circonstanciée au sujet desdits dossiers qu’en examinant les pièces sollicitées pour les trois autres sociétés du groupe, ce qui nécessitait que l’UBS lui fournisse l’entier du dossier en sa possession. Il avait relancé cette dernière a plusieurs reprises sans succès.

Afin de débloquer la situation, il sollicitait la chambre de céans qu’elle ordonne à l’UBS de fournir les documents et relevés concernés et qu’elle ordonne la suspension de la procédure pour six mois complémentaires.

n. Le 29 octobre 2024, l’intimée a relevé que le recourant n’avait jamais évoqué quels seraient les faits qu’il tentait de démontrer en obtenant les détails des transactions financières effectuées par la société pendant une certaine période. Elle estimait que ces dernières ne pouvaient pas apporter d’éléments pouvant interrompre le lien de causalité adéquat entre les manquements du recourant et ses devoirs d’administrateur découlant de l’art. 52 LAVS.

Les autres administrateurs n’avaient pas, par de faux documents ou en utilisant des subterfuges particuliers, présenté au recourant des livres comptables ou une facturation pouvant lui faire croire de bonne foi que les créances de cotisation AVS avaient été réglées. Des plaintes pénales n’avaient pas été déposées à l’époque et le recourant n’avait pas contacté la caisse pour savoir si les cotisations paritaires étaient payées.

Par conséquent, même si d’éventuelles malversations ou d’autres faits pénalement répréhensibles dans la gestion financière de la société devaient être démontrés, ces dernières n’avaient aucune influence sur la responsabilité du recourant en tant qu’administrateur de la société pour le dommage de l’intimée.

En conclusion, l’intimée s’opposait une nouvelle fois à la demande de suspension.

o. Le 11 décembre 2024, le recourant a fait valoir qu’il avait fait preuve de la transparence la plus totale avec l’intimée dès le début du dossier et qu’il avait fourni à celle-ci tous les documents utiles lui permettant de vérifier ses allégations. L'intimée avait pris le parti d'ignorer les faits de la cause pour adopter une position inutilement rigide.

Elle affirmait contre toute attente que les autres administrateurs de la société n'auraient pas utilisé de subterfuges particuliers pouvant faire croire au recourant, de bonne foi, que les créances de cotisations AVS avaient été réglées.

Pourtant, elle savait pertinemment que les cotisations AVS avaient été systématiquement prélevées sur les salaires du recourant et que celui-ci, qui n'avait pas accès aux comptes bancaires, ne pouvait pas se douter, de bonne foi, que les montants prélevés n'étaient pas versés à la caisse.

Celle-ci était ainsi parfaitement au courant des menaces et mesures coercitives initiées par le directeur contre le recourant.

Le recourant a produit notamment un échange de courriels entre son conseil et l’UBS.

p. Le 19 mars 2025, l’intimée a persisté dans sa position.

q. Le 23 mai 2025, le recourant a également persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

1.3 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s'appliquent aux art. 1 à 97 LAVS, à moins que la loi n'y déroge expressément.

1.4 Selon l'art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

La société ayant eu son siège dans le canton de Genève jusqu'au moment de sa faillite, la chambre de céans est également compétente ratione loci.

1.5 Le délai de recours est de 30 jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la demande en réparation du dommage adressée par l’intimée au recourant pour le préjudice causé par le défaut de paiement des cotisations sociales (AVS/AI/APG, AC et AF) par la société pour les années 2015 et 2016.

3.              

3.1 L'art. 14 al. 1 LAVS en corrélation avec les art. 34 ss du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101), prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 137 V 51 consid. 3.2 et les références).

Selon l’art. 52 LAVS (dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019), l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation (al. 1). Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L'employeur peut renoncer à invoquer la prescription. Si le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est applicable (al. 3). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).

4.             À titre liminaire, il convient d'examiner si la prétention de l’intimée est prescrite.

4.1 Le 1er janvier 2020 est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS (RO 2018 5343 ; Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription] du 29 novembre 2013, FF 2014 221). Cette disposition prévoit désormais que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites.

Selon l’art. 60 CO, dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2020, l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé (al. 1). Si le fait dommageable résulte d’un acte punissable de la personne tenue à réparation, elle se prescrit au plus tôt à l’échéance du délai de prescription de l’action pénale, nonobstant les alinéas précédents. Si la prescription de l’action pénale ne court plus parce qu’un jugement de première instance a été rendu, l’action civile se prescrit au plus tôt par trois ans à compter de la notification du jugement (al. 2).

Jusqu’au 31 décembre 2019, l’art. 52 al. 3 aLAVS prévoyait que le droit à la réparation se prescrivait deux ans après que la caisse de compensation compétente avait eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. En renvoyant désormais aux dispositions du CO sur la prescription des actions introduites en cas d’acte illicite, le délai de prescription relatif se trouve porté de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. De plus, la prescription plus longue de l’action pénale visée à l’art. 60 al. 2 CO est applicable. Le délai de prescription ne commence plus à courir à la survenance du dommage mais le jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé. Les autres aspects de la prescription, notamment les motifs d’empêchement ou de suspension et les actes interruptifs, sont régis par les art. 130 ss CO (FF 2014 221, p. 260).

L’art. 49 Titre final du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) règle de manière générale les questions de droit transitoire en matière de prescription et a été réécrit lors de la révision du droit de la prescription (FF 2014 221, pp. 230 et 231). Depuis le 1er janvier 2020, cet article dispose notamment que lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1). L’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effet sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3). Au surplus, la prescription est régie par le nouveau droit dès son entrée en vigueur (al. 4).

Le principe est que le nouveau droit s’applique dès lors qu’il prévoit un délai plus long que l’ancien droit, mais uniquement à la condition que la prescription ne soit pas déjà acquise. En d’autres termes, les délais de prescription en cours sont allongés par le nouveau droit. A contrario, une créance déjà prescrite demeure prescrite (FF 2014 221, p. 231). Par ailleurs, même si la prétention bénéficie d’un nouveau délai plus long de prescription, cela n’influence pas le point de départ de la prescription, c’est-à-dire que le délai ne recommence pas à courir au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit. Pour les questions de droit de la prescription autres que celles du début et de la longueur du délai, par exemple les (nouveaux) motifs de suspension et d’interruption, la renonciation à la prescription ou le droit transitoire, seul le nouveau droit est applicable dès son entrée en vigueur pour la période suivant celle-ci et non rétroactivement. Ainsi, les déclarations de renonciation à la prescription valablement faites sous l’ancien droit restent valables sous l’empire du nouveau droit (FF 2014 221, p. 254).

Les délais prévus par les art. 52 al. 3 aLAVS et 60 al. 1 CO sont des délais de prescription, de sorte qu'ils ne sont pas sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

S'agissant de la prescription absolue, selon la jurisprudence rendue à propos de l'ancien droit, le dommage survient dès que l'on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; 126 V 443 consid. 3a). Ainsi, en matière de cotisations, un dommage se produit au sens de l'art. 52 LAVS lorsque l'employeur ne déclare pas à l'AVS tout ou partie des salaires qu'il verse à ses employés et que, notamment, les cotisations correspondantes se trouvent ultérieurement frappées de péremption selon l'art. 16 al. 1 LAVS. Dans un tel cas, le dommage est réputé survenu au moment de l'avènement de la péremption (ATF 112 V 156 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral H 35/06 du 4 octobre 2006 consid. 6). Ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai de cinq ans (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; 123 V 12 consid. 5c). Un dommage se produit également en cas de faillite, en raison de l'impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite (ATF 129 V 193 consid. 2.2).

S'agissant de la prescription relative, le nouveau droit n'a pas modifié son point de départ ; il faut entendre par moment de la « connaissance du dommage », en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l'attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d'exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l'obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.1). En cas de faillite, le moment de la connaissance du dommage correspond en règle générale à celui du dépôt de l'état de collocation, ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d'actif (ATF 129 V 193 consid. 2.3), la date de la publication de cette mesure dans la FOSC étant déterminante (arrêt du Tribunal fédéral H 142/03 du 19 août 2003 consid. 4.3 ; ATF 129 V 193 consid. 2.3).

S’agissant des actes interruptifs de prescription, il résulte de la jurisprudence rendue à propos de l’art. 52 al. 3 aLAVS les éléments qui suivent. Les délais de prescription sont interrompus par les actes énumérés à l’art. 135 CO (applicable par analogie) ainsi que par tous les actes de procédure relatif au droit invoqué et susceptible de faire progresser l'instance (ATF 141 V 487 consid. 2.3 p. 48 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_641/2020 du 30 mars 2021 consid. 5.3 et la référence ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_400/2020 du 19 octobre 2020 consid. 3.2.1 et la référence). Tant la décision que l’opposition interrompent les délais de prescription (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

4.2 En l'espèce, en application du droit transitoire, la question du point de départ des délais de prescription doit être tranchée à la lumière de l'ancien droit, les faits étant antérieurs à l'entrée en vigueur de l'actuel art. 52 al. 3 LAVS, intervenue le 1er janvier 2020.

Concernant le délai absolu, le dommage est survenu le jour du prononcé de la faillite, soit le 9 avril 2018, date à laquelle ce délai a donc commencé à courir.

S'agissant du délai relatif, en application de la jurisprudence fédérale précitée, le moment de la connaissance du dommage par l'intimée est survenu le 18 avril 2019, date à laquelle l’intimée a reçu les actes de défaut de bien après faillite pour les montants de CHF 147'123.79 et CHF 3'520.-. Le délai de prescription relative n’étant pas atteint lors de l'entrée en vigueur du nouveau droit de la prescription, le 1er janvier 2020, les délais plus longs de prescription de trois ans et de dix ans prévus par la nouvelle loi se sont par conséquent substitués aux anciens et s'appliquent en l'occurrence.

Il en résulte que le délai de prescription relative trois ans n’était pas atteint le 23 octobre 2019, ni le délai de prescription absolue de dix ans.

Par la suite, les délais de prescription ont été valablement interrompus par l'opposition du 20 novembre 2019, par la décision sur opposition du 17 mars 2022, le recours du 2 mai 2022 et les écritures de l’intimée du 19 mars 2025 s’opposant à une nouvelle suspension de la procédure et demandant la reprise de celle-ci, soit un acte de procédure susceptible de faire progresser l’instance, de sorte qu'à ce jour, la prescription n'est pas acquise.

Par conséquent, l'action en réparation du dommage n'est pas prescrite.

5.              

5.1 Il convient à présent d'examiner si les conditions de la responsabilité de l'art. 52 LAVS sont réalisées et en premier lieu de déterminer si le recourant peut être considéré comme étant « l'employeur » tenu de verser les cotisations à l'intimée.

5.2 À teneur de l'art. 52 al. 2 LAVS, si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

S’agissant de la notion d’« employeur », la jurisprudence considère que, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n’existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l'organe d'une personne morale directement débiteur de cotisations d'assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu'il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

La notion d'organe selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1 CO.

En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a ; Thomas NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 403).

S’agissant plus particulièrement du cas d'une Sàrl, les gérants qui ont été formellement désignés en cette qualité, ainsi que les personnes qui exercent cette fonction en fait, sont soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues, dont le non-respect peut engager leur responsabilité (art. 827 CO en corrélation avec l'art. 754 CO). Ils répondent selon les mêmes principes que les organes d'une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation ensuite du non-paiement de cotisations d'assurances sociales (ATF 126 V 237 consid. 4 ; arrêts du Tribunal fédéral H 252/01 du 14 mai 2002 consid. 3b et d, in VSI 2002 p. 176 ; 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2). Ils ont l'obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations sociales paritaires ; ils sont tenus en corollaire de prendre les mesures appropriées lorsqu'ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance d'irrégularités commises dans la gestion de la société (ATF 114 V 219 consid. 4a ; voir également arrêt du Tribunal fédéral 9C_152/2009 du 18 novembre 2009
consid. 6.1, in SVR 2010 AHV n° 4 p. 11).

5.3 En l'espèce, le recourant était inscrit au registre du commerce en qualité de gérant président de la société du 26 novembre 2014 au 20 mars 2017 avec signature individuelle. Il disposait ainsi de la qualité d'organe formel de la société alors que les cotisations en cause étaient déjà échues

Conformément aux dispositions précitées, il peut être recherché à ce titre par l'intimée pour le non-paiement des cotisations litigieuses.

6.             Reste à examiner si le recourant a commis une faute ou une négligence grave au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS.

6.1 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).

Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189). Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient bien plutôt d'examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l'entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l'entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

L’art. 716a al. 1 CO énumère les attributions intransmissibles et inaliénables des membres d’un conseil d’administration. En font partie l’exercice de la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, pour s’assurer notamment qu’elles observent la loi, les statuts, les règlements et les instructions données
(ch. 5). Dans le cadre de l’exercice de cette haute surveillance, l’administrateur répond de la cura in custodiendo. C’est ainsi qu’il a non seulement le devoir d’assister aux séances du conseil d’administration, mais également l’obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires. Il est tenu de prendre les mesures appropriées lorsqu’il a connaissance ou aurait dû avoir connaissance d’irrégularités commises dans la gestion de la société. Ce devoir de surveillance incombe à tous les membres du conseil d’administration, nonobstant le mode de répartition interne des tâches au sein du conseil d’administration
(ATF 114 V 219 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du
27 avril 2010 consid. 4.3.3 et les références).

Commet notamment une faute ou une négligence grave, l'organe qui verse des salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlent de par la loi ne sont pas couvertes (arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.2 et les références). Commet également une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu'il se trouvait, en raison de l'attitude du tiers, dans l'incapacité de prendre les mesures qui s'imposaient s'agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l'incapacité d'exercer son devoir de surveillance (voir par exemple : arrêts du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3 ; 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).

La négligence grave est également donnée lorsque l'administrateur n'assume pas son mandat dans les faits. Ce faisant, il n'exerce pas la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, attribution incessible et inaliénable du conseil d'administration conformément à l'art. 716a CO. Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur tout en sachant qu'elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l'angle de l'art. 52 LAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Un administrateur, dont la situation est à cet égard proche de celle de l’homme de paille, ne peut s'exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2). La faute de l'homme de paille réside précisément dans le fait qu'il s'accommode de ne pouvoir exercer ses fonctions (ATF 122 III 195 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral
H 126/04 du 8 septembre 2005 consid. 4).

La jurisprudence exige de l'organe factuellement exclu de la gestion de la société qu'il se soucie sérieusement de remplir ses obligations contractuelles, parmi lesquelles figure le paiement des cotisations sociales. Dans les cas où l'organe risque d'engager sa responsabilité, il doit démissionner (Marco REICHMUTH,
op. cit., p. 133, n. 563 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_446/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.2 et 9C_ 289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).

La responsabilité d'un administrateur dure en règle générale jusqu'au moment où il quitte effectivement le conseil d'administration et non pas jusqu'à la date où son nom est radié du registre du commerce. Cette règle vaut pour tous les cas où les démissionnaires n'exercent plus d'influence sur la marche des affaires et ne reçoivent plus de rémunération pour leur mandat d'administrateur (ATF 126 V 61 consid. 4a). En d'autres termes, un organe engage sa responsabilité pour les cotisations sociales qui sont venues à échéance entre le moment de son entrée en fonction et celui de sa sortie effective de la société, ainsi que pour les cotisations qui étaient déjà échues lors de son entrée en fonction, soit pendant la durée où il a exercé une influence sur la marche des affaires. Demeurent réservés les cas où le dommage résulte d'actes qui ne déploient leurs effets qu'après le départ du conseil d'administration (arrêt du Tribunal fédéral H 263/02 du 6 février 2003 consid. 3.2).

La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

Le lien de causalité adéquate entre le comportement fautif – soit la rétention des cotisations alors même que les salaires sont versés – et le dommage survenu ne peut pas être contesté avec succès lorsque les salaires versés sont tels que les créances de cotisations qui en découlent directement ex lege ne sont plus couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral des assurances H 167/05 du 21 juin 2006 consid. 8 et H 74/05 du 8 novembre 2005 consid. 4).

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a réitéré la portée de l'art. 52 LAVS et la jurisprudence y relative dans le cadre de l'examen de la responsabilité d'un gérant d'une Sàrl dans le préjudice subi par la caisse de compensation en raison de cotisations paritaires restées impayées par la Sàrl. Le Tribunal fédéral a rappelé qu'en sa qualité de gérant, il incombait au recourant de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux salaires versés fussent effectivement payées à la caisse de compensation, nonobstant le mode de répartition interne des tâches au sein de la société. Un gérant d'une Sàrl ne peut se libérer de cette responsabilité en se bornant à soutenir qu'il faisait confiance à un associé chargé de régler les cotisations sociales à la caisse de compensation, car cela constitue déjà en soi un cas de négligence grave. En reconnaissant qu'il faisait confiance à l'associé gérant, à qui était confiée la tâche de régler les paiements et les cotisations sociales, le recourant admet implicitement qu'il n'a pas exercé à satisfaction son devoir de surveillance (cura in custodiendo) et fait preuve de passivité, au lieu d'intervenir directement, ce qui relève d'une négligence qui doit, sous l'angle de l'art. 52 LAVS, être qualifiée de grave. Le Tribunal fédéral a également retenu que cette passivité est de surcroît en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation. En effet, si le recourant avait correctement exécuté sa charge de gérant, notamment en exigeant de consulter tous les documents comptables pertinents (pièces bancaires, correspondance avec l'AVS, etc.), il aurait pu veiller à ce que les cotisations sociales fussent régulièrement versées et ceci l'aurait amené à constater que les retards dans les paiements des cotisations s'accumulaient et à prendre les mesures idoines (arrêt du Tribunal fédéral 9C_463/2023 du 22 mai 2024
consid. 3.21).

6.2 En l'occurrence, il n'est pas contesté ni contestable que l'intimée a subi un dommage dû au non-versement par la société des cotisations paritaires relatives aux années 2015 et 2016.

Sur la base du dossier, la chambre de céans considère comme établi, au degré de la vraisemblance prépondérante requis, que le recourant, certes inscrit comme gérant-président au registre du commerce pendant la période en cause, ne disposait dans les faits d’aucun pouvoir décisionnel ni d’aucun accès aux comptes de la société. Cela étant, il ne peut s'exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société. Il a allégué avoir demandé l’accès aux comptes, sans produire de pièces l’attestant. Il n’a pas pris contact avec l’intimée pour savoir si les cotisations paritaires étaient payées et il n’a pas démissionné, ce qu’il devait faire si, comme il l’allègue, le directeur ne lui permettait pas de s’assurer du paiement des cotisations sociales. Il a ainsi commis une négligence grave entraînant l’obligation de réparer le dommage au sens de l’art. 52 LAVS.

Le recourant n’a pas rendu vraisemblable que le directeur de la société l’aurait trompé par des agissements délictueux, notamment en ce qui concernait les cotisations en souffrance, ne pouvait être tenu pour responsable du dommage subi par l'assurance.

Les manquements du recourant relatifs au défaut de paiement des cotisations paritaires sont en rapport de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par l’intimée. Le recourant s’est contenté, pour tenter de s’exonérer de ses responsabilités, d’émettre tardivement des hypothèses sur des transactions entre les sociétés du groupe qui pourraient interrompre le lien de causalité entre ses manquements à ses devoirs d’administrateurs et le dommage subi par l’intimée, indiquant notamment soupçonner le directeur d’avoir soustrait les liquidités de la société avant de prendre la fuite. Ces allégations ne sont pas rendues vraisemblables par le recourant et il ne se justifie pas de procéder à d’autres mesures d’instruction à ce sujet.

S’agissant du montant du dommage, le recourant ne remet pas en cause la somme réclamée de CHF 150'206.80. Conformément à la jurisprudence de la chambre de céans, il convient cependant de déduire du montant réclamé par l’intimée le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la LAMat (ATAS/79/2020 du 30 janvier 2020) ainsi que des éventuels montants versés en déduction de la dette, notamment CHF 1'870.-, selon ce qui ressort de l’acte de défaut de biens relatif au débiteur D______, qui fait état d’un montant total du découvert de CHF 148'336.60.

7.             Eu égard à ce qui précède, le recours est très partiellement admis, la décision sera annulée et sera renvoyée à l’intimée pour nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées découlant de la LAMat, les intérêts moratoires et frais administratifs afférents à ces montants, et nouvelle décision sur ce point.

Le recourant obtenant très partiellement gain de cause et ayant agi en personne, il ne se justifie pas de lui octroyer des dépens (art. 61 let. g LPGA et art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA, dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2020, applicable selon l’art. 83 LPGA).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet très partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 17 mars 2022.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour nouveau calcul du dommage, au sens des considérants.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le