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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2733/2024

ATAS/376/2025 du 22.05.2025 ( LPP ) , ADMIS PARTIEL

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : VERSEMENT ANTICIPÉ;ACTION EN ENRICHISSEMENT ILLÉGITIME
Normes : LPP.26.al1; LPP.30c.al1; LPP.30d.al2.letb; LPP.30e.al6; CO.62; CO.63.al1; CO.67.al1; RCPEG-23.33.al1; RCPEG-23.33.al3; RCPEG-23.60.al2.letB; RCPEG-23.60 .al3
Résumé : Après avoir constaté que contrairement aux dispositions légales et réglementaires, l’assurée avait effectué le remboursement du versement anticipé après la survenance de son invalidité, ce que la défenderesse et l’intéressée ignoraient dès lors que la décision de l’assurance-invalidité n’avait alors pas encore été rendue, la chambre de céans a estimé que toutes les conditions de la répétition de l’indu (au sens des art. 62 ss CO) étaient remplies, de sorte que l’institution de prévoyance était tenue de restituer aux héritières de l’assurée l’avance de CHF 216'201.80.
En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2733/2024 ATAS/376/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 mai 2025

 

En la cause

A______ et B______
représentées par Me Aliénor WINIGER, avocate

 

demanderesses

 

contre

CAISSE DE PRÉVOYANCE DE L'ÉTAT DE GENÈVE (CPEG)

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. C______, née le ______ 1961 et décédée le ______ 2021 (ci-après : l’assurée ou la défunte), était la sœur de A______ et de B______, nées respectivement les ______ 1956 et ______ 1959 (ci-après : les demanderesses) et de D______, née le ______ 1964.

b. Par testament, l’assurée, qui n’avait ni conjoint, ni enfant, a institué héritières ses deux sœurs aînées, soit A______ et B______.

c. Employée par les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) en tant que commise administrative à 80% depuis le 1er août 1981, l’assurée a été affiliée à la CAISSE DE PRÉVOYANCE DU PERSONNEL DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS MÉDICAUX DU CANTON DE GENÈVE puis à la CAISSE DE PRÉVOYANCE DE L’ÉTAT DE GENÈVE (ci-après : CPEG ou défenderesse), ensuite de fusion.

d. Le 24 octobre 2008, l’assurée a obtenu de son institution de prévoyance un versement anticipé à titre d’encouragement à la propriété d’un montant de CHF 216’201.80.

e. Dès le 1er avril 2019, l’assurée a été en incapacité de travail complète durable pour cause de maladie. En lieu et place de son salaire, l’assurée a reçu, dès cette date, une indemnité pour incapacité de travail versée par son employeur, conformément aux statuts du personnel des HUG.

f. Le 27 novembre 2019, l’assurée a demandé l’octroi d’une rente d’invalidité à l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI).

g. Le 18 juin 2020, l’assurée a remboursé par virement bancaire le montant de CHF 216'201.80 avancé par la caisse le 24 octobre 2008.

h. Par courrier du 28 juillet 2020, l’employeur de l’assurée a indiqué à cette dernière que son droit aux prestations en cas de maladie prendrait fin le 21 avril 2021.

i. La CPEG a établi un certificat d’assurance au 31 juillet 2020 ne mentionnant pas le remboursement de CHF 216’201.80.

j. Le 20 octobre 2020, l’OAI a octroyé une rente entière d’invalidité à l’assurée avec effet au 1er mai 2020. L’OAI a reconnu que l’assurée, dont le statut était celui d’une personne active à 80%, était en incapacité totale de travail dès le 1er avril 2019 (début du délai d’attente) et que son incapacité de gain était entière dès le 1er avril 2020 (après le délai d’attente, l’incapacité de travail durable ayant débuté le 1er avril 2019). L’assurée n’ayant déposé sa demande qu’en date du 27 novembre 2019, elle ne pouvait prétendre à une rente qu’après l’échéance du délai de six mois prévu par la loi, soit dès le 1er mai 2020.

k. L’employeur de l’assurée a adressé à la défenderesse, par pli du 27 janvier 2021, tous les documents relatifs à une demande de prestations provisoires et lui a indiqué qu’il y avait une décision « de rente AI du 20.10.2020 ». Le droit au salaire de l’employeur arrivait à échéance le 21 avril 2021, conformément à son règlement, selon le formulaire rempli par ce dernier et annexé audit pli.

l. La CPEG a indiqué à son assurée, le 15 février 2021, qu’elle refusait de verser des prestations provisoires d’invalidité, au motif que l’OAI n’avait pas encore statué sur sa demande de rente d’invalidité. Elle l’a confirmé par courrier du 23 avril 2021, en précisant que l’assurée pourrait prétendre à des prestations provisoires si son droit aux indemnités de maladie était interrompu.

m. Le 24 février 2021, l’assurée est décédée des suites de sa maladie.

n. Le 3 mai 2021, l’une des sœurs de l’assurée a transmis à la CPEG le certificat de décès de sa sœur.

o. Le 10 juillet 2021, les demanderesses ont transmis le certificat d’héritiers demandé par la CPEG en indiquant que leur sœur était décédée d’une maladie et qu’il n’y avait pas de demande de prestations d’invalidité en cours auprès de l’OAI.

p. Le 30 octobre 2021, les demanderesses ont sollicité la CPEG afin de connaître leurs droits en tant qu’héritières instituées.

q. Lors d’un entretien téléphonique subséquent, les sœurs de l’assurée ont été informées par la CPEG du fait qu’en raison de la décision de l’OAI qui reconnaissait leur sœur invalide, il n’existait pas de droit à un capital décès.

r. Sur demande de précision, la CPEG a, par courrier du 27 septembre 2022, indiqué au conseil constitué par les sœurs de l’assurée qu’une demande de prestations d’invalidité avait été déposée par leur défunte sœur et que l’OAI avait alloué à cette dernière une pleine rente par décision du 20 octobre 2020, en admettant l’invalidité dès le 1er mai 2020. De ce fait, la CPEG considérait que la défunte était un membre pensionné invalide au jour de son décès, ce qui privait ses héritières de leur droit à un capital décès de la CPEG, seuls les proches d’un salarié pouvant prétendre à ce capital, sous certaines conditions. En outre, puisque l’assurée avait été reconnue invalide dès le mois de mai 2020, les héritières de la défunte ne pouvaient pas prétendre à une rente de la prévoyance professionnelle puisque la défunte avait encore perçu des indemnités pour incapacité de travail de son employeur jusqu’à son décès. En revanche, les cotisations payées pour les mois écoulés depuis mai 2020, d’un montant de CHF 2’401.80, leur seraient remboursées.

B. a. Par acte du 22 décembre 2022, les demanderesses ont saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’une demande en paiement envers la CPEG. Elles concluaient à ce que la CPEG produise un certificat d’assurance au 31 décembre 2020 avec mention du remboursement de CHF 216’201.80 et à la condamnation de la CPEG à leur verser un capital décès de CHF 361’761.60 avec intérêts à 5% l’an dès le 28 février 2021, sous suite de frais et dépens.

b. La CPEG a conclu au rejet de la demande en paiement et a produit un certificat d’assurance actualisé avec mention du remboursement de CHF 216'201.80.

c. Par arrêt du 28 mars 2024 (ATAS/208/2024), la chambre de céans a rejeté la demande en paiement après avoir considéré, d’une part, que l’invalide au regard de la loi instituant la Caisse de prévoyance de l'Etat de Genève (LCPEG - B 5 22) du 14 septembre 2012 et du règlement général de la Caisse de prévoyance de l'Etat de Genève (RCPEG) du 23 mars 2013 est celui qui s’est vu reconnaître comme tel par l’assurance-invalidité, indépendamment du versement effectif d’une pension d’invalidité, laquelle devant être différée tant que l’assuré est au bénéfice, comme dans le cas d’espèce, d’une indemnité pour incapacité de travail. D’autre part, elle a considéré qu’en l’absence d’une base règlementaire à cet effet dans le RCPEG, le capital décès ne pouvait pas être versé lorsque les éventualités « retraite » ou « invalidité » étaient survenues, le texte même de l’art. 30 RCPEG visant exclusivement les membres salariés, au contraire des membres pensionnés, qu’ils soient retraités ou invalides. Dès que l’âge de la retraite était survenu, il n’existait en effet plus de droit au capital décès quand bien même l’assuré avait reporté sa retraite et n’avait ainsi pas perçu de rente. Le fait que le capital de prévoyance restait entier n’y changeait rien, le règlement excluant le droit au capital décès. Il en allait de même lorsque l’invalidité était reconnue (art. 33 RCPEG), que des prestations soient ou non allouées. Dans ces deux cas, le capital restait acquis à la caisse (art. 29 al. 6 par analogie RCPEG). Cela fait, la chambre de céans a jugé que la défunte était déjà au bénéfice d’une décision d’AI la reconnaissant invalide au jour de son décès ce qui était suffisant pour la considérer invalide au sens de l’art. 12 LCPEG (art. 33 RCPEG) et la dispenser du paiement des cotisations dès la survenance de l’invalidité, soit rétroactivement dès le mois de mai 2020. La chambre de céans a en conséquence donné raison à la défenderesse, en ce sens que l’assurée était un membre invalide au jour de son décès et non une salariée, de sorte que ses sœurs - héritières instituées - ne pouvaient pas prétendre au capital décès, le principe contraire étant énoncé à l’art. 30 RCPEG.

C. a. S’appuyant sur cet arrêt, les sœurs de l’assurée ont sollicité de la CPEG, par pli du 24 avril 2024, le versement du montant remboursé par leur défunte sœur le 18 juin 2020, au motif que ce remboursement était contraire au règlement en vigueur et devait leur être restitué par la caisse.

b. La CPEG a refusé de rembourser ce montant le 23 mai 2024, au motif que le remboursement d’une avance pouvait intervenir jusqu’à la naissance du droit aux prestations d’invalidité selon l’art. 27 al. 1 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 (LPP - RS 831.40). Le remboursement fait le 18 juin 2020 l’avait été avant le prononcé de la décision de l’assurance-invalidité. L’on ne pouvait pas reprocher à la CPEG d’avoir accepté « à tort » ce versement, au motif qu’a posteriori l’assurance-invalidité avait reconnu l’invalidité avec effet au 1er mai 2020. Une fois le remboursement anticipé reçu, la CPEG avait rétabli les droits de l’assurée. Ainsi, si le décès de l’assurée n’était pas survenu avant la fin du droit au salaire, l’assurée aurait eu droit à une rente augmentée. Si l’on considérait que la caisse devait restituer le remboursement à l’assuré reconnu invalide avec effet rétroactif remontant avant le remboursement, elle priverait l’assuré d’une amélioration de ses droits. La caisse attirait enfin l’attention de l’hoirie sur le fait que si son assurée n’avait pas remboursé l’avance, les héritières de cette dernière aurait dû le rembourser au vu de son règlement.

D. a. Les sœurs de la défunte ont saisi la chambre de céans, le 23 août 2024, d’une demande en paiement à l’encontre de la CPEG d’un montant de CHF 216'201.80 avec intérêts à 5% l’an dès le 18 juin 2020, dépens en sus.

b. La CPEG a conclu au rejet de la demande pour les motifs déjà invoqués.

c. Par acte du 17 octobre 2024, les demanderesses ont persisté dans leurs conclusions, en précisant renoncer à une audience de comparution personnelle.

d. À l’issue de l’échange d’écritures, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations [CO - RS 220] ; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la LPP ; ancien art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

En matière de prévoyance professionnelle, le for de l'action est au siège ou au domicile suisse du défendeur (art. 73 al. 3 LPP), soit Genève en l'espèce.

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 L'ouverture de l'action prévue à l'art. 73 al. 1 LPP n'est soumise, comme telle, à l'observation d'aucun délai (Raymond SPIRA, Le contentieux des assurances sociales fédérales et la procédure cantonale, Recueil de jurisprudence neuchâteloise 1984, p. 19 ; Hans Rudolf SCHWARZENBACH-HANHART, Die Rechtspflege nach dem BVG, SZS 1983, p. 182). Respectant la forme prévue à l'art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), la demande est recevable.

2.             Le litige porte sur la question du droit des demanderesses à la restitution du montant de CHF 216'201.80 de la part de la défenderesse sur la base d’un enrichissement illégitime, car contraire à la LPP et au RCPEG.

3.              

3.1 Les demanderesses soutiennent que la défenderesse n’aurait pas dû accepter, le 18 juin 2020 (cf. A.g ci-dessus), le remboursement du montant de CHF 216'201.80, octroyé à leur défunte sœur le 24 octobre 2008 (cf. A.d ci-dessus), le cas de prévoyance invalidité étant survenu le 1er mai 2020.

La défenderesse le conteste, au motif que l’invalidité n’était pas encore survenue à cette date.

3.2 À teneur de l’art. 30c al. 1 LPP, l’assuré peut, au plus tard trois ans avant la naissance du droit aux prestations de vieillesse, faire valoir auprès de son institution de prévoyance le droit au versement d’un montant pour la propriété d’un logement pour ses propres besoins.

Le versement entraîne simultanément une réduction des prestations de prévoyance calculée d’après les règlements de prévoyance et les bases techniques des institutions de prévoyance respectives (art. 30c al. 4, 1ère phr. LPP).

Si un cas de prévoyance se produit sous forme de vieillesse ou d'invalidité de l'assuré, la créance s'éteint ; l'assuré reçoit une rente réduite, mais le versement anticipé lui est définitivement acquis (DESCHENAUX/STEINAUER/BADDELEY, Les effets du mariage, 2009, p. 476 et 478 n. 1016 et 1016e et références ; Pierre-Henri STEINAUER, Deuxième pilier, versement anticipé et régimes matrimoniaux, dans Deuxième pilier et épargne privée en droit du divorce ; symposium du droit de la famille, 2010, p. 24). Si le cas de prévoyance ultérieur est le décès de l'assuré, il faut examiner si ce dernier laisse ou non un ou des bénéficiaires au sens de la prévoyance (art. 19 ss LPP). Si c'est le cas, le ou les bénéficiaires voient leurs prétentions contre l'institution de prévoyance s'actualiser ; le versement anticipé pour l'acquisition du logement doit alors être considéré comme une partie de la prestation qui leur est due, leur rente étant réduite en conséquence (art. 30c al. 4 LPP).

3.3 L’assuré peut rembourser l’avance jusqu’à la survenance d’un autre cas de prévoyance que la retraite (art. 30d al. 2 let. b LPP).

3.4 L’art. 60 al. 2 let. b RCPEG reprend la loi en indiquant que la ou le membre salarié·e peut rembourser le montant perçu jusqu'à la survenance d'un cas de prévoyance autre que la retraite.

Le rétablissement du droit aux prestations consécutif à un remboursement se calcule suivant les règles du rachat volontaire de prestations (art. 60 al. 3 RCPEG).

3.5 L’art. 30e al. 6 LPP prévoit expressément que l’obligation et le droit de rembourser subsistent jusqu’à la naissance du droit réglementaire à la rente de vieillesse, jusqu’à la survenance d’un autre cas de prévoyance ou jusqu’au paiement en espèces.

Le Tribunal fédéral a été amené à plusieurs reprises à préciser la notion de survenance du cas de prévoyance invalidité au sens des dispositions précitées. Dans les ATF 134 V 28 consid. 3.4.2 et 135 V 13 consid. 2.6 à 2.9, il a uniformisé et précisé sa jurisprudence, en ce sens que la survenance du cas de prévoyance invalidité coïncide du point de vue temporel avec la naissance du droit à des prestations d'invalidité (art. 26 al. 1 LPP). Ce droit prend naissance au même moment que le droit à une rente de l'assurance-invalidité pour la prévoyance professionnelle obligatoire (ATF 123 V 269 consid. 2a), et pour la prévoyance plus étendue lorsque la notion d'invalidité définie par le règlement correspond à celle de l'assurance-invalidité.

Lorsque le règlement de la caisse diffère le droit à ses prestations d’invalidité au moment où l’assuré a épuisé son droit au salaire ou aux indemnités compensatoires, seule est pertinente la survenance de l’invalidité reconnue par l’assurance-invalidité qui coïncide avec le début du droit à la rente d’invalidité fondée sur la LAI (cf. ATF 135 V 13 précité dans lequel le règlement prévoyait comme dans le cas d’espèce que la rente de la prévoyance professionnelle était différée jusqu'à la fin du droit au salaire, de sorte que l’instance cantonale avait considéré à raison selon le Tribunal fédéral que la survenance de l’invalidité coïncidait avec la date de l’octroi des prestations de l’AI et non avec l’ouverture du droit à la rente de la prévoyance professionnelle, cf. également l’ATF 129 V 15 consid. 5b).

L’art. 33 al. 1 RCPEG prévoit, d’une part, que la ou le membre salarié·e reconnu·e invalide par l'assurance-invalidité fédérale (AI) l'est également par la Caisse pour autant qu’elle ou il ait été assuré·e auprès de la Caisse lorsqu'est survenue l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité. La CPEG est dès lors liée par la notion d’invalidité (art. 26 LPP ; ATF 126 V 311 consid. 1 in fine).

En revanche, l’art. 33 al. 3 RCPEG prévoit que le droit à la pension naît en même temps que le droit à la rente de l'AI, mais que son versement est différé jusqu’à la cessation du paiement du traitement ou l’épuisement des indemnités journalières en cas de maladie ou accident, pour autant que ces dernières représentent au moins 80% du salaire dont l’assuré·e est privé·e et qu’elles aient été financées au moins pour moitié par l’employeur ou l’employeuse.

4.             En l’espèce, l'invalidité donnant droit à une rente d’invalidité de l’assurance-invalidité est survenue le 1er mai 2020, conformément à la décision de l’OAI du 20 octobre 2020 qui lie la défenderesse et comme cela a été retenu dans l’ATAS/208/2024.

Le fait que le RCPEG a prévu de différer le versement de la rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle jusqu’à la cessation du paiement du traitement ou l’épuisement des indemnités journalières en cas de maladie ou accident ne modifie en rien la date de la survenance de l’invalidité, dans ce cas le 1er mai 2020 (cf. consid. 3.5, 2e par. ci-dessus).

Le remboursement en date du 18 juin 2020 du versement anticipé à la défenderesse a donc eu lieu après la survenance du cas de prévoyance.

Ce remboursement était dès lors contraire aux art. 30d al. 3 let. b LPP et 60 al. 2 let. b RCPEG.

Certes, la défenderesse ignorait, le 18 juin 2020, que la survenance de l’invalidité serait fixée au 1er mai 2020 par une décision de l’OAI du 20 octobre 2020. Cependant, il en allait de même dans les arrêts précités (ATF 134 V 28 et 135 V 13).

Dans l’arrêt 135 V 13, la caisse de prévoyance s’était d’ailleurs prévalue de son ignorance dans le cadre du versement d’une prestation de sortie alors que l’invalidité était déjà survenue, mais pas encore connue des parties, la décision de l’assurance-invalidité ayant été rendue après le versement. Dans ce cas, le Tribunal fédéral avait alors distingué le cas du remboursement de l’avance, lequel était totalement exclu après la survenance de l’invalidité (consid. 2.9), du versement d’une prestation de sortie dont le sort était régi par la loi fédérale sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 17 décembre 1993 (loi sur le libre passage, LFLP - RS 831.42) (consid. 3.4).

Le Tribunal fédéral a conclu que contrairement à la situation juridique concernant le versement anticipé, le remboursement de la prestation de libre passage prévue à l'art. 3 al. 2 LFLP (qui n’aurait pas dû être versée par l’institution si elle avait su que l’invalidité était survenue, mais qui ne l’avait appris qu’après ledit versement lors du prononcé de la décision de l’assurance-invalidité) était encore possible après la survenance du cas de prévoyance, faute de quoi cette disposition resterait lettre morte, car la condition de l'ancien régime de prévoyance, selon laquelle l'ancienne institution de prévoyance doit fournir des prestations de survivant ou d'invalidité, présuppose précisément qu'un cas de prévoyance est survenu. En outre, une assurance n'était pas conclue en quelque sorte après la réalisation du risque assuré. Elle ne faisait que rétablir la situation qui aurait été celle de l'ancienne institution de prévoyance et de l'assuré au moment du départ si l'obligation de prise en charge avait déjà été connue à l'époque (cf. supra consid. 3.3) : l'institution de prévoyance recevait le capital de couverture nécessaire pour fournir les prestations dues (ATF 135 précité et l’arrêt cité : B 20/98 du 14 août 1998, consid. 3c, in : SZS 2000, p. 65).

Au vu de ce qui précède, l’ignorance de la défenderesse ne permet pas de considérer que le remboursement de l’avance le 18 juin 2020 était légal, ni de l’admettre pour ce motif.

5.             La défenderesse ne saurait davantage être suivie lorsqu’elle prétend qu’en l’absence de remboursement par sa défunte assurée, elle aurait dû solliciter le remboursement de celui-ci des héritières sur la base des art. 60 al. 1 let. c RCEPG et 30d al. 1 let. c LPP.

5.1 L’art. 60 al. 1 let. c RCPEG prévoit que la ou le membre salarié·e ou ses héritières ou héritiers doivent, sauf exceptions légales, rembourser à la Caisse le montant perçu si aucune prestation de prévoyance n'est exigible en cas de décès de la ou du membre salarié·e.

Cette disposition pose le même principe que la loi, à savoir l’art. 30d al. 1 let. c LPP qui prévoit qu’en dehors du droit de l'assuré de rembourser en tout temps le montant perçu, sous certaines conditions (art. 30d al. 2 et 3 LPP vu ci-dessus), le versement anticipé perçu par l'assuré doit être remboursé à l'institution de prévoyance si, en cas de décès de l'assuré, aucune prestation de prévoyance n'est exigible (let. c).

S’il ressort des travaux préparatoires de l'art. 30d al. 1 let. c LPP que l'obligation de rembourser prévue par cette disposition a été conçue comme une dette « dévolue à la succession », soit une dette de l'assuré qui passe à son décès à la communauté héréditaire selon les règles du droit successoral (FF 1992 VI p. 229 ss, p. 262), il a été rappelé ci-dessus (consid. 3.2 ci-dessus) que si un cas de prévoyance se produit sous forme de vieillesse ou d'invalidité de l'assuré, la créance s'éteint.

La loi l’exprime d’ailleurs à l’art. 30e al. 6 LPP, en ce sens que l’obligation et le droit de rembourser subsistent jusqu’à la naissance du droit réglementaire à la rente de vieillesse, jusqu’à la survenance d’un autre cas de prévoyance ou jusqu’au paiement en espèces.

5.2 En l’espèce, si la défunte assurée n’avait pas remboursé le montant avancé à titre d’encouragement à la propriété au 1er mai 2020, la défenderesse n’aurait plus été en droit de solliciter le remboursement de cette avance. En effet, le cas de prévoyance étant survenu le 1er mai 2020, la défenderesse n’était plus en droit d’exiger le remboursement de l’avance de son assurée de son vivant ou des héritières de celle-ci à son décès, sa créance étant éteinte.

En d’autres termes, si la défenderesse n’avait pas reçu le remboursement de la part de son assurée ou refusé celui-ci en date du 18 juin 2020, le montant de CHF 216'201.80 serait resté acquis à l’assurée respectivement aux héritières de cette dernière. La défenderesse n’aurait pas de créance en restitution contre les demanderesses.

6.             Le remboursement ayant été fait contrairement à la loi et au règlement de la CPEG, les héritières de l’assurée sollicitent sa restitution en se prévalant des règles sur l’enrichissement illégitime.

6.1 L’art. 35a LPP instaure l’obligation de restituer des prestations indues (al. 1, 1re phrase). Cependant, cette disposition s’applique aux seules prestations de prévoyance et doit être délimitée par rapport à diverses règles visant d’autres cas de restitution (Bettina KAHIL-WOLFF, Commentaire des assurances sociales suisses, Lois fédérales sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité et sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité, l’introduction de l’art. 35a LPP, 2e éd, 2020, ad art. 35a n. 1, 4 et 18 à 20).

Ainsi, l’art. 35a LPP ne vise pas des transferts de patrimoines effectués par l’assuré vis-à-vis de l’institution de prévoyance ; il ne s’applique ainsi par exemple pas au remboursement de sommes affectées à un rachat ou au remboursement fondé sur l’art. 30d LPP (cf. KAHIL-WOLFF, op. cit., n. 3).

Ce sont les règles sur l’enrichissement illégitime qui régissent ainsi les cas de restitution auxquels l’art. 35a LPP ne s’applique pas (cf. KAHIL-WOLFF, op. cit., n. 3, n. 18 et n. 20).

6.2 L’art. 62 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) prévoit que celui qui, sans cause légitime, s’est enrichi aux dépens d’autrui, est tenu à restitution. La restitution est due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d’une cause qui ne s’est pas réalisée, ou d’une cause qui a cessé d’exister.

À teneur de l’art. 63 al. 1 CO, celui qui a payé volontairement ce qu’il ne devait pas ne peut le répéter s’il ne prouve qu’il a payé en croyant, par erreur, qu’il devait ce qu’il a payé.

L'art. 67 al. 1 CO prévoit deux délais de prescription : le premier délai d'un an, relatif, court à partir du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit de répétition ; le second délai de dix ans, absolu, court dès la naissance de ce droit. À la suite de la révision du droit de la prescription, entrée en vigueur le 1er janvier 2020, le délai de prescription relatif de l'action en enrichissement illégitime a été porté à trois ans, l'art. 67 al. 1 CO demeurant pour le reste inchangé (RO 2018 5343 ; s'agissant du droit transitoire, cf. l'art. 49 Tit. fin. CC).

6.3 Dans le cas d’espèce, le remboursement opéré le 18 juin 2020 était contraire à la loi et au règlement et a enrichi sans cause la défenderesse, laquelle n’a au demeurant jamais été amenée à verser des prestations d’invalidité à son assurée décédée avant la fin de ses indemnités pour incapacité de travail due par son employeur.

Il n’est pas allégué que la défunte assurée aurait remboursé l’avance en sachant qu’elle n’y était pas tenue. Au contraire, il apparaît au degré de la vraisemblance prépondérante attendue en droit des assurances sociales qu’elle croyait, par erreur, pouvoir rembourser ce montant à la défenderesse qui l’a accepté et qui était également, à ce moment-là, dans l’ignorance de la survenance de l’invalidité.

La défenderesse n’a pas soulevé la question de la prescription. En toute hypothèse, les demanderesses ont initialement agi en paiement contre la défenderesse en sollicitant le versement d’un capital-décès par acte du 22 décembre 2022. Cette prétention ayant été écartée par la chambre de céans dans l’ATAS/208/2024 du 28 mars 2024, les demanderesses ont alors agi en enrichissement illégitime contre la défenderesse pour obtenir la restitution du versement indû opéré par leur défunte sœur après la date de la survenance de son invalidité, laquelle a été définitivement arrêtée au 1er mai 2020 par la chambre de céans dans l’arrêt du 28 mars 2024. En saisissant la chambre de céans le 23 août 2024 pour faire valoir leur droit de répétition, les demanderesses ont agi dans les délais de prescription relatif et absolu précités.

Toutes les conditions de la répétition de l’indû étant remplies, il se justifie de commander la défenderesse à restituer aux demanderesse l’avance de CHF 216'201.80.

6.4 S’agissant des intérêts, en matière de prévoyance professionnelle, il est admis que des intérêts moratoires sont dus par le débiteur en demeure, à la différence de la situation qui prévalait avant l'entrée en vigueur de la LPGA dans d'autres domaines de l'assurance sociale (voir ATF 119 V 131). La demeure survient par l'interpellation (art. 102 al. 1 CO), soit, dans le cadre des art. 62 ss CO, par la déclaration du créancier manifestant clairement sa volonté de se voir restituer l'indu (Gilles PETITPIERRE in : THÉVENOZ/WERRO, Commentaire romand, Code des obligations I, n. 30 ad art. 64 CO). La date de réception de cette déclaration de volonté est déterminante (Luc THÉVENOZ in : THÉVENOZ/WERRO, Commentaire romand, Code des obligations I, ad art. 102 n. 19). Par ailleurs, à défaut de disposition réglementaire topique, le taux d'intérêt moratoire est de 5% (art. 104 al. 1 CO ; ATF 119 V 135 consid. 4d, et 115 V 37 consid. 8c).

6.5 En l’occurrence, les demanderesses ont interpellé la défenderesse le 24 avril 2024 afin d’obtenir le remboursement de l’avance dans un délai de dix jours. Il faut ainsi admettre que la défenderesse se trouvait en demeure dès cette dernière date. Il convient de s'y référer pour fixer les intérêts moratoires dus aux demanderesses.

7.             Au vu de ce qui précède, la demande est admise pour l’essentiel, sous réserve des intérêts qui ne sont dus qu’à partir du 24 avril 2024 et non pas comme sollicités dès le 18 juin 2020.

 

 

8.              

8.1 Contrairement aux autres branches des assurances sociales, la législation en matière de prévoyance professionnelle ne contient aucune disposition relative à la fixation des dépens pour la procédure devant le tribunal cantonal désigné pour connaître des litiges en matière de prévoyance professionnelle (art. 73 al. 2 LPP). Il appartient par conséquent au droit cantonal de procédure de déterminer si et à quelles conditions il existe un droit à une indemnité de dépens (arrêt du Tribunal fédéral 9C_590/2009 du 26 mars 2010 consid. 3.1). Selon l’art. 89H al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE – E 5 10), une indemnité est allouée au recourant qui obtient gain de cause. Les dépens sont fixés en fonction du nombre d’échanges d’écritures, de l’importance et de la pertinence des écritures, de la complexité de l’affaire et du nombre d’audiences et d’actes d’instruction (ATAS/1041/2023 du 19 décembre 2023).

8.2 En l’espèce, les demanderesses, qui ont obtenu gain de cause sur la majeure partie de leurs conclusions, par l’intermédiaire d’un avocat, se verront allouer une indemnité à titre de dépens de CHF 2’000.-, à charge de la défenderesse.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare la demande en paiement recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Condamne la caisse défenderesse à verser aux demanderesses CHF 216'201.80 avec intérêts à 5% l’an dès le 24 avril 2024.

4.        Alloue aux demanderesses une indemnité de procédure à charge de la défenderesse de CHF 2'000.-.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le