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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3636/2023

ATAS/24/2025 du 21.01.2025 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3636/2023 ATAS/24/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 janvier 2025

Chambre 15

 

En la cause

A______
représenté par Me Sarah BRAUNSCHMIDT SCHEIDEGGER, avocate

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1973, d’origine espagnole, est arrivé en Suisse en 2014, où il a toujours travaillé en tant qu’ébéniste-menuisier à plein temps.

b. Le 10 juillet 2017, l’assuré a eu un accident et a souffert d’une rupture d’un tendon de l’épaule gauche.

c. Le 17 août 2017, l’assuré a été opéré par arthroscopie pour une suture du tendon du sus-épineux par le docteur B______. Il a été en arrêt de travail et a perçu des indemnités journalières de la SUVA dès le 8 août 2017.

d. L’assuré a fait une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI), le 28 mai 2018.

e. Entre le 28 août 2018 et le 19 septembre 2018, l’assuré a été hospitalisé à la Clinique romande de réadaptation (CRR). Le bilan de sortie indiquait : « le patient a été évalué sur des périodes allant jusqu'à 4h consécutives dans des activités de menuiserie, au début avec un niveau de charge léger, puis, celui-ci est progressivement augmenté pour atteindre un niveau moyen à lourd. Au vu de la bonne évolution des capacités fonctionnelles, le pronostic de retour dans un métier en lien avec sa formation initiale d'ébéniste est favorable. Actuellement, il peine encore à réaliser des travaux lourds. À terme, la reprise d'un poste de menuisier-poseur nous semble compromise car trop contraignante. Par contre, un travail en atelier respectant les limitations fonctionnelles est possible à moyen terme et pourra être envisagé une fois sa situation médicale stabilisée.

Les limitations fonctionnelles provisoires suivantes sont retenues : port de charges > 20kg, port de charges répétés > 15kg. Travaux au-dessus du plan des épaules et mouvements répétitifs avec le membre supérieur gauche. Pas de limitation dans les travaux fins. La situation n'est pas stabilisée du point de vue médical et des aptitudes fonctionnelles. La poursuite d'un traitement de physiothérapie ambulatoire à visée d'amélioration de la force du membre supérieur gauche pourrait permettre d'améliorer les aptitudes fonctionnelles du patient.

Une stabilisation médicale est attendue dans un délai de 2 mois.

Aucune nouvelle intervention n'est proposée. Le patient est vu par notre consultant en chirurgie de l'épaule qui ne retient aucune indication à une nouvelle chirurgie.

Le pronostic de réinsertion dans l'ancienne activité est favorable mais une adaptation du poste serait à privilégier si possible. Le patient se dit confiant quant à la possibilité de retrouver un travail en atelier. Il déclare en avoir déjà discuté avec son dernier employeur ». 

f. Le service médical régional AI (ci-après : SMR), après avoir retenu dans un avis du 9 septembre 2019, une capacité de travail définitivement nulle dans l'ancienne activité de menuisier, et pleine dans une activité strictement adaptée aux limitations fonctionnelles d'épargne de l'épaule gauche depuis le 23 avril 2018, a indiqué dans un avis du 9 janvier 2020, qu’il fallait considérer que l'état de santé de l'assuré n’était stabilisé qu'à partir du mois de décembre 2018 (soit deux mois après la sortie de la CRR, lettre de sortie du 15.10.2018).

g. Sur cette base, l’OAI a annoncé à l’assuré, dans un projet du 24 janvier 2020, qu’il entendait lui allouer une rente entière du 1er novembre 2018 au 28 février 2019, soit trois mois après la stabilisation.

h. L’assuré s’est opposé à ce projet. Il a ensuite été mis au bénéfice d’une mesure d’orientation professionnelle, laquelle n’a pas abouti faute d’activité adaptée à l’état de santé de l’assuré.

i. Par décision du 3 octobre 2023, l’OAI a maintenu son projet de décision.

B. a. Par acte du 7 novembre 2023, complété le 6 février 2024, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre des assurances sociales) d’un recours contre cette décision en contestant la date de fin de la rente (28 février 2019).

b. Par acte du 18 mars 2024, l’OAI a maintenu sa décision et conclu au rejet du recours, en se fondant sur un avis du Dr C______ du 14 juin 2018 pour retenir une stabilisation de l’état de santé au 1er décembre 2018.

c. L’assuré a répliqué que ne figurait pas au dossier d’avis du Dr C______ du 14 juin 2018. Dans tous les cas, il voyait mal comment un avis de juin 2018 pouvait retenir une stabilisation en décembre suivant. Il maintenait pour le surplus que sa capacité de travail dans une activité adaptée ne pouvait être retenu avant le mois de septembre 2019.

d. À l’issue de l’échange d’écritures, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

2.             Le litige porte sur la date à partir de laquelle il faut retenir que le recourant avait recouvrer une pleine capacité de travail dans une activité adaptée et celle à partir de laquelle l’intimé pouvait mettre fin à la rente entière.

3.              

3.1 Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.

3.2 En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).

3.3 En l’occurrence, la décision querellée a certes été rendue postérieurement au 1er janvier 2022. Toutefois, le litige porte sur la date de suppression de la rente d’invalidité, dont il n’est pas contesté que le droit est né antérieurement à cette date, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021.

3.4 L'art. 8 LPGA prévoit qu'est réputée invalidité l'incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée. L'art. 4 LAI précise que l'invalidité peut résulter d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident.

3.5 Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

3.6 À teneur de l'art. 28 al. 1 LAI, l'assuré a droit à une rente aux conditions suivantes : sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a) ; il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b) ; au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). L'art. 28 al. 1bis LAI précise qu'une rente n'est pas octroyée tant que toutes les possibilités de réadaptation au sens de l'art. 8 al. 1bis et 1ter n'ont pas été épuisées.

3.7 La rente est échelonnée selon le taux d’invalidité : 40% au moins un quart de rente, 50% au moins une demie rente, 60% au moins trois quarts de rente, 70% au moins une rente entière.

3.8 En vertu de l'art. 88a al. 1 RAI, si la capacité de gain ou la capacité d’accomplir les travaux habituels de l’assuré s’améliore ou que son impotence ou encore le besoin de soins ou le besoin d’aide découlant de son invalidité s’atténue, ce changement n’est déterminant pour la suppression de tout ou partie du droit aux prestations qu’à partir du moment où on peut s’attendre à ce que l’amélioration constatée se maintienne durant une assez longue période. Il en va de même lorsqu’un tel changement déterminant a duré trois mois déjà, sans interruption notable et sans qu’une complication prochaine soit à craindre.

4.             En l’espèce, en application de l'art. 88a al. 1 RAI, l'intimé a supprimé le droit à la rente d'invalidité du recourant au 28 février 2019, après avoir retenu une capacité entière de travail entière de sa part dans une activité adaptée dès le 1er décembre 2018.

4.1 Il ressort du dossier que l’intimé a initialement retenu en se fondant sur l’avis du SMR que l’état de santé du recourant était stabilisé dès le mois d’avril 2018. Il a ensuite retenu la date du 1er décembre 2018 en se fondant sur un nouvel avis du même médecin du SMR lequel se fondait sur un rapport de sortie de la CRR selon lequel l’état n’était pas stabilisé en septembre 2018, mais pouvait l’être deux mois après la sortie du recourant.

4.2 Il existe cependant au dossier un avis médical complet et plus récent que ceux mentionnés par le médecin du SMR, à savoir le rapport d’examen final par le médecin d'arrondissement de la SUVA, le Dr D______, du 24 mai 2019. Dans ce rapport, le médecin indique que sur le plan thérapeutique, le recourant, qui avait été licencié par son employeur, prenait encore un traitement par Dafalgan qui ne lui faisait pas beaucoup d'effet et suivait toujours deux séances de physiothérapie chaque semaine par période. Il était toujours suivi chaque mois par son chirurgien traitant. Il n'y avait pas de traitement complémentaire prévu par le Dr B______. À l'examen de l'épaule gauche, il ne notait pas d'amyotrophie musculaire. La palpation de l'articulation acromio-claviculaire n’était pas douloureuse. En conclusion, le médecin retenait qu’à ce jour, le résultat était très satisfaisant avec une mobilité articulaire quasiment complète en abduction, l'élévation restait un peu douloureuse. Selon l'assuré, la principale difficulté relevait dans le port de charge du côté gauche qui déclenchait des douleurs. Il exerçait avant cet événement, une activité très physique de poseur de fenêtres. Cette activité nécessitait la manipulation de charges répétées de l'ordre d'une trentaine de kilos. L'état clinique à ce jour était stabilisé. Il n'y avait pas de nouvelle intervention chirurgicale à envisager d'ailleurs ni de nouvelles investigations radiologiques au vu de l'examen clinique de ce jour. L'ancienne activité de menuisier poseur de fenêtres n'est plus exigible. Dans une activité professionnelle réalisée indifféremment en position assise ou debout, sans limitation de port de charge du côté droit, avec un port de charge limité à 15 kilos de façon ponctuelle, sans nécessité de porter le bras gauche de façon répétée en hauteur, sans mouvements de rotation répétés de cette épaule ; dans ces conditions, on pouvait s'attendre à une activité professionnelle réalisée la journée entière sans baisse de rendement. Sur le plan de la prise en charge des traitements ultérieurs, le médecin indiquait accepter une séance hebdomadaire de physiothérapie afin d'aider au retour dans l'activité professionnelle et une consultation tous les trois mois pendant la prochaine année auprès de son chirurgien traitant afin d'assurer le suivi.

Ce rapport médical complet établi à la suite d’une consultation avec le recourant le 24 mai 2019 est le seul à établir une date de stabilisation de l’état de santé de ce dernier, l’avis rendu à la sortie de la CRR ne faisant que prévoir une stabilisation à deux mois et des séances de physiothérapie dans l’intervalle. Le suivi d’une physiothérapie ne contre-indique pas nécessairement la reprise d’une activité professionnelle. Cela étant, dans le cas de l’assuré, le seul médecin qui a pu constater par lui-même la stabilisation est bien le Dr D______. Le médecin du SMR s’est uniquement référé à l’avis de sortie de la CRR, sans constatation propre ni discussion sur l’avis du Dr D______, retenu par la SUVA pour établir définitivement la date de stabilisation au 24 mai 2019.

L’intimé s’est fondé sur l’instruction menée par la SUVA et les pièces récoltées par cette dernière sans toutefois retenir la même date de stabilisation. La chambre de céans constate qu’il n’existe pas de pièces probantes permettant de s’écarter de l’avis du Dr D______, le simple avis du SMR ne faisant en effet que résumer la lettre de sortie de la CRR et se référant à un document du Dr C______ ne figurant pas au dossier et datant d’une période (juin 2018) où le recourant n’avait pas encore été hospitalisé à la CRR.

Dans ces conditions, seule peut être retenue la date du 24 mai 2019 comme date de stabilisation de l’état de santé du recourant.

Aussi, en application de l’art. 88a RAI, ce dernier a droit à une pleine rente d’invalidité jusqu’au 31 août 2019.

La décision attaquée sera annulée en tant qu’elle supprime la rente au 28 février 2019.

5.             Le recours est admis.

5.1 La rente est due jusqu’au 31 août 2019.

5.2 Le recourant a droit à des dépens de CHF 1'500.- à la charge de l’intimé, lequel est tenu de verser un émolument de procédure de CHF 200.-.


 

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision du 3 octobre 2023, en tant qu’elle supprime la rente au 28 février 2019.

4.        Dit que le recourant a droit à une pleine rente d’invalidité jusqu’au 31 août 2019.

5.        La confirme pour le surplus.

6.        Alloue au recourant des dépens de CHF 1'500.- à charge de l’intimé.

7.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le