Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/975/2024 du 04.12.2024 ( LCA ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/698/2024 ATAS/975/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 4 décembre 2024 Chambre 8 |
En la cause
A______ représenté par le Cabinet juridique et de médiation EM, soit pour lui Madame E______
| demandeur |
contre
AXA ASSURANCES SA représentée par Me Michel BERGMANN, avocat | défendeur |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : le demandeur), né le ______ 1965, a travaillé à compter du 1er octobre 2021 auprès de B______ (ci-après : l’employeur) à Genève en tant que « project manager » avec un salaire annuel brut de CHF 231'081.-.
b. L’employeur a conclu une police prévoyant le versement d’indemnités journalières en cas de maladie auprès d’AXA Assurances SA (ci-après : AXA ou la défenderesse). Ce contrat prévoyait en particulier qu'en cas de maladie d'un assuré, l'assurance versait des indemnités journalières correspondant à 100%, du salaire assuré pour la catégorie à laquelle appartenait le demandeur et renvoyait à des conditions générales d’assurance (ci-après : les CGA) dans leur version d’octobre 2018.
c. Le 22 novembre 2021, le demandeur a été licencié avec un préavis de quatre mois, soit au 31 mars 2022.
d. Le demandeur a été en incapacité de travail totale à compter du 1er février 2022, puis à 50% à compter du 1er février 2023 et ce jusqu’au 22 février 2023, selon certificats établis par les docteurs C______, spécialiste FMH en médecine interne générale, puis D______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.
e. Compte tenu du délai de protection, le contrat de travail du demandeur a pris fin au 30 septembre 2022 conformément au courrier de l’employeur du 21 septembre 2022.
B. a. Par courrier du 23 décembre 2022, la défenderesse a informé le demandeur que, suite à l’examen médical réalisé, son état de santé justifiait l’incapacité totale de travail. Cependant, dès le 1er février 2023, une capacité de travail de 50% serait exigible dans son activité habituelle. Dès le 22 février 2023, celle-ci serait complète. Il en résultait une diminution des indemnités journalières de 50% à compter du 1er février 2023. Elle mettrait un terme à leur versement au 21 février 2023.
b. Par un second courrier du même jour, la défenderesse a indiqué au demandeur que, son incapacité de travail étant survenue après son licenciement, elle l’indemniserait à compter de la fin du contrat de travail en prenant en compte comme base de calcul la somme de CHF 148'200.-, montant correspondant au maximum assuré selon la loi fédérale sur l’assurance-chômage.
c. Selon le décompte rectificatif du même jour, la défenderesse a ainsi réduit l’indemnité journalière de CHF 633.10 (CHF 231'081.-/ 365) à CHF 406.03 (CHF148’200.-/ 365) à compter du 1er octobre 2022.
d. Par courrier de son représentant du 5 décembre 2023, le demandeur a contesté le changement de gain assuré. Il a conclu au versement des prestations dues selon son salaire, se réservant le droit d’agir en justice pour le solde.
e. À défaut de réponse, le demandeur a relancé la défenderesse par courrier du 16 janvier 2024. Il développait que le gain annuel assuré était de CHF 231'081.- et non de CHF 148'200.-. Après prise en compte des montants versés par la défenderesse du 1er octobre 2022 au 21 février 2023, il restait un solde en sa faveur de CHF 47'164.09 dont il était requis le paiement d’ici le 15 février 2024.
f. Par courriel du 6 février 2024, la défenderesse a répondu que, selon les éléments au dossier, le demandeur avait été licencié avec effet au 31 mars 2022, l’effet du licenciement avait été reporté au 30 septembre 2022 compte tenu de l’arrêt de travail dès le 1er février 2022. Conformément à l’article B1.1 de ses conditions générales d’assurance (CGA), elle servait des prestations pour les conséquences économiques de l’incapacité de travail due à une maladie. Elle devait donc se baser pour fixer le préjudice économique sur la situation qui aurait prévalu en l’absence de maladie. Le demandeur ayant été licencié avant d’être en arrêt maladie, il fallait considérer qu’à l’issue du délai de congé, il aurait dû soit être dans l’obligation de retrouver du travail, soit s’inscrire au chômage. Dès lors, sauf à démontrer qu’il aurait retrouvé un travail au 1er octobre 2022 s’il avait été en bonne santé, la défendresse ne pouvait pas verser des prestations supérieures à celles qu’il aurait pu obtenir au chômage car cela conduirait à le placer dans une situation économique plus favorable du fait de sa maladie. Elle se référait à l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_424/2020.
C. a. Le 26 février 2024, le demandeur a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la Cour de céans) d’une demande en paiement dirigée contre la défenderesse, concluant au versement de CHF 27'536.99. Ce montant correspondait à la différence entre les indemnités journalières en cas de maladie versées sur la base du gain maximal assuré de l’assurance-chômage, soit CHF 148'200.-, et celles qui étaient dues selon son salaire de CHF 231'081.- du 1er octobre 2022 au 21 février 2023. Il contestait la prise en compte du revenu maximal assuré par l’assurance-chômage à compter du 1er octobre 2022. Son préjudice économique au sens de l’art. B1.1 n’avait été que partiellement couvert. Il avait travaillé de manière continue ces vingt dernières années à des postes en adéquation avec ses qualifications et son salaire brut annuel s’était élevé en moyenne à CHF 270'000.- sur ces quinze dernières années. Selon l’expérience générale de la vie, il pouvait vraisemblablement bénéficier de la présomption selon laquelle il aurait continué à travailler pour un employeur s’il n’avait pas été malade. Le raisonnement de la défenderesse contrevenait au principe d’équivalence qui devait prévaloir entre les prestations et les primes encaissées selon la masse salariale. Or, son salaire était nettement supérieur au gain assuré maximal de l’assurance-chômage. Par ailleurs, l’argumentation de la défenderesse était contraire aux clauses des conventions collectives de travail car les conditions générales d’assurances garantissaient une indemnisation allant de 80 à 100% du dernier salaire AVS durant 730 jours sans prévoir d’exception en fonction du jour du licenciement.
b. Dans sa réponse du 14 juin 2024, la défenderesse a conclu au rejet de la demande, sous suite de frais et de dépens. Elle faisait valoir qu’elle avait versé des indemnités journalières supérieures à celles qui étaient dues. En effet, suite à une erreur, elle avait calculé les indemnités journalières sur la base du 100% du salaire maximal assuré en matière d’assurance-chômage alors qu’elles auraient dû être fixées en tenant compte du 70 ou du 80% dudit salaire conformément aux dispositions légales en la matière. Tombé malade après avoir été licencié, le demandeur ne bénéficiait pas de la présomption permettant le maintien du salaire au-delà de la fin du contrat conformément à l’ATF 147 III 73. Le fait d’avoir travaillé de manière continue durant les vingt dernières années ne suffisait pas à retenir au degré de la vraisemblance prépondérante que, s’il n’avait pas été malade, il aurait retrouvé rapidement un travail pour un salaire équivalent à celui qu’il avait auprès de l’employeur.
c. La réponse a été transmise au demandeur avec un délai pour se prononcer.
Sans nouvelles, la Cour de céans l’a relancé. Le demandeur n’a pas donné suite.
1.
1.1 Conformément à l'art. 7 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) et à l'art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale prévue par la LAMal, relevant de la loi fédérale sur le contrat d'assurance, du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA - RS 221.229.1).
La compétence de la chambre de céans à raison de la matière pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Selon l’art. 31 CPC, le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou celui du lieu où la prestation caractéristique doit être exécutée est compétent pour statuer sur les actions découlant d’un contrat, étant précisé que l’art. 17 al. 1 CPC consacre la possibilité d’une élection de for écrite.
Aux termes de l’art. 18 CPC, sauf disposition contraire de la loi, le tribunal saisi est compétent lorsque le défendeur procède sans faire de réserve sur la compétence.
En l’occurrence, selon l’art. A9.2 CGA, les tribunaux suisses ordinaires sont compétents pour juger les litiges relevant du contrat d’assurance.
La prestation caractéristique visant le versement d’indemnités journalières, il s’agit d’une dette portable qui doit être exécutée au lieu du domicile de l’ayant droit.
Ce dernier est domicilié sur le canton de Vaud. Toutefois, dès lors que la défenderesse n’a pas soulevé d’exception d’incompétence et a procédé sur le fond sans réserve, elle a tacitement accepté le for à Genève.
Partant, la compétence de la chambre de céans est établie tant à raison de la matière que du lieu.
2. Les litiges relatifs aux assurances complémentaires à l'assurance-maladie ne sont pas soumis à la procédure de conciliation préalable de l'art. 197 CPC lorsque les cantons ont prévu une instance cantonale unique selon l'art. 7 CPC (ATF 138 III 558 consid. 4.5 et 4.6), étant précisé que le législateur genevois a fait usage de cette possibilité à l’art. 134 al. 1 let. c LOJ.
Par conséquent, la demande, déposée dans la forme prévue à l'art. 244 CPC, est recevable.
3. Sur le plan matériel, la LCA a fait l’objet d’une révision entrée en vigueur le 1er janvier 2022 (modification du 19 juin 2020 ; RO 2020 4969 ; RO 2021 357).
En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle qui était en vigueur lors de réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).
Selon la disposition transitoire relative à cette modification, seules les prescriptions en matière de forme (let. a) et le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b (let. b) s’appliquent aux contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de cette modification. S’agissant des autres dispositions de la LCA, elles s’appliquent uniquement aux nouveaux contrats (Message concernant la révision de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, FF 2017 4812).
En l'occurrence, le contrat d'assurance a été conclu avant le 1er janvier 2022 et l’objet du litige ne porte ni sur des prescriptions en matière de forme, ni sur le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b LCA. En outre, le litige porte sur le point de savoir le montant des indemnités journalières dues du 1er octobre 2022 au 22 février 2023.
Ainsi, les modifications de la LCA du 19 juin 2020, entrées en vigueur le 1er janvier 2022 (RO 2020 4969 ; FF 2017 4767), ne sont pas applicables au présent litige de sorte que les dispositions de la LCA applicables seront citées dans leur ancienne teneur.
4. Le litige porte uniquement sur le montant des indemnités journalières du 1er octobre 2022 au 21 février 2023.
5.
5.1 En matière d'assurance privée, les parties peuvent convenir d'une assurance de personnes (dite aussi assurance de sommes) ou d'une assurance contre les dommages. La première se distingue de la seconde par sa nature non indemnitaire: il s'agit d'une promesse de capital indépendante du montant effectif du préjudice subi par le preneur ou l'ayant droit. En bref, on est en présence d'une assurance de personnes lorsque les parties n'ont subordonné la prestation de l'assureur - dont elles ont fixé le montant lors de la conclusion du contrat - qu'à la survenance de l'événement assuré, sans égard à ses conséquences pécuniaires ; on est en revanche en présence d'une assurance contre les dommages lorsque la perte patrimoniale effective constitue une condition autonome du droit aux prestations. Lorsque le contrat d'assurance prévoit le versement à l'assuré d'une indemnité journalière forfaitaire en fonction du seul degré de l'incapacité de travail de l'assuré, il s'agit d'une assurance de sommes. Lorsque le droit à l'indemnité est subordonné à la survenance d'une perte effective sur le plan économique et que le montant de l'indemnité dépend des conséquences économiques réelles du sinistre pour l'assuré, il s'agit d'une assurance contre les dommages (arrêt du Tribunal fédéral 4A_332/2010 et 4D_126/2010 du 22 février 2011 consid. 5.2.3 et les références citées). Dans les assurances de sommes, la surindemnisation de l'ayant droit est possible et les prestations versées par un assureur social ne peuvent pas être imputées sur les allocations journalières dues par l'assureur privé, à moins que les conditions générales d'assurance ne prévoient exceptionnellement une telle imputation (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5).
5.2 Toute assurance vise à parer à d'éventuels revers de fortune. Le critère de distinction ne réside donc pas dans le but, mais bien dans les conditions de la prestation d'assurance (cf. entre autres ATF 119 II 361 consid. 4 p. 364 s. ; ATF 104 II 44 consid. 4c ; arrêts 4A_367/2016 du 20 mars 2017 consid. 3.2 ; 4A_53/2007 du 26 septembre 2007 consid. 4.4.2).
5.3 L'assurance de sommes permet à l'assuré de cumuler les prétentions en versement des indemnités journalières prévues par le contrat d'assurance avec d'autres prétentions découlant du même événement dommageable. La surindemnisation est possible ; conformément à l'art. 96 LCA , les droits que l'ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l'assureur (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5). L'assurance de dommages, en revanche, est gouvernée par le principe indemnitaire ; pour éviter le cumul, l'art. 72 LCA a institué un droit de recours de l'assureur à l'encontre du tiers responsable (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2).
5.4 Savoir si l'on est en présence d'une assurance de sommes ou de dommages dépend en définitive du contrat d'assurance et des conditions générales. L'expression « incapacité de gain » n'est pas déterminante dans la mesure où elle est parfois utilisée comme un synonyme de l'incapacité de travail (cf. arrêt 4A_332/2010 du 22 février 2011 consid. 5.2.4). Les règles usuelles d'interprétation des contrats sont applicables (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2). Lorsque l'interprétation ainsi dégagée laisse subsister un doute sur leur sens, les conditions générales doivent être interprétées en défaveur de leur auteur, conformément à la règle dite des clauses ambiguës (Unklarheitsregel, in dubio contra stipulatorem ; ATF 124 III 155 consid. 1b p. 158 ; ATF 122 III 118 consid. 2a ; arrêt 4A_177/2015 du 16 juin 2015 consid. 3.2).
5.5 Divers auteurs constatent en outre que les assurances collectives conclues par une entreprise pour le personnel sont typiquement des assurances de dommages (Ivano RANZANICI, Les effets de l'incapacité de travailler pour cause d'une maladie successive à la résolution du contrat de travail, in Regards croisés sur le droit du travail : Liber Amicorum pour Gabriel AUBERT, 2015, p. 276). L'employeur a en effet l'obligation de verser, pour un temps limité, le salaire du travailleur empêché de travailler pour cause de maladie (art. 324a loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). Pour autant qu'elle offre des prestations équivalentes, une assurance collective couvrant tout le personnel de l'entreprise peut libérer cette dernière d'une telle obligation, le risque lié à l'incapacité de travail étant alors assumé par l'assureur (art. 324a al. 4 CO ; entre autres RANZANICI, op. cit., p. 272-274; Vincent BRULHART, L'assurance collective contre la perte de gain en cas de maladie, in Le droit social dans la pratique de l'entreprise, 2006, p. 99 s. ;ATF 141 III 112 consid. 4.1-4.3). Le fait que l'assurance couvre des personnes non nommément désignées comme le fait qu'elle se réfère au dernier salaire AVS touché dans l'entreprise plaident en faveur d'une assurance de dommages (Hans-Rudolf MÜLLER, Grundlagen der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in Krankentaggeldversicherung : Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 29-31).
6. Selon l'art. 8 du Code civil suisse (CC - RS 210), le demandeur doit prouver les faits qui fondent sa prétention, tandis que sa partie adverse doit prouver les faits qui entraînent l'extinction ou la perte du droit. En principe, un fait est tenu pour établi lorsque le juge a pu se convaincre de la vérité d'une allégation. La loi, la doctrine et la jurisprudence ont apporté des exceptions à cette règle d'appréciation des preuves (ATF 132 III 715 consid. 3.1).
7. Dans les litiges portant sur des assurances complémentaires à l'assurance-maladie sociale, le tribunal établit les faits d'office (art. 247 al. 2 let. a CPC en lien avec l'art. 243 al. 2 let. f CPC). En d'autres termes, ces différends sont régis par la maxime inquisitoire sociale, laquelle vise à protéger le cocontractant faible, à garantir l'égalité entre parties et à favoriser le déroulement rapide de la procédure. Les parties restent tenues de soumettre au tribunal la trame factuelle sur laquelle portera son jugement. Le juge, en particulier lorsqu'il est confronté à des parties représentées par des avocats, n'a pas à investiguer dans les pièces pour tenter d'y trouver un argument favorable à celle qui l'a produite. En présence de personnes assistées, il doit bien plutôt faire preuve de retenue, à l'instar de ce qui prévaut dans un procès ordinaire (ATF 141 III 569 consid. 2.3.1). La portée de la maxime inquisitoire sociale s'apprécie aussi en considération du principe de disposition ancré à l'art. 58 al. 1 CPC, prolongement procédural de l'autonomie privée gouvernant le droit civil. Ce dernier précepte implique, en particulier, que le juge intervient à la seule initiative des parties, auxquelles il échoit de définir le cadre du procès et de déterminer dans quelle mesure elles veulent faire valoir les moyens et prétentions qui leur appartiennent (arrêt du Tribunal fédéral 4A_563/2019 du 14 juillet 2020 consid. 4.2 et les références).
8. Le principe de la libre appréciation des preuves est ancré à l'art. 157 CPC, qui dispose que le juge établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées. Ce faisant, le juge décide d'après sa conviction subjective personnelle si les faits se sont produits ou non, c'est-à-dire s'ils sont prouvés ou non (HOHL, Procédure civile, Tome I, 2ème éd., 2016, n. 2008). Malgré ce qui précède, l'art. 168 al. 1 CPC énumère les moyens de preuve admissibles : il s'agit du témoignage, des titres, de l'inspection, de l'expertise, des renseignements écrits, de l'interrogatoire et de la déposition de partie. Cette énumération est exhaustive, le droit de la procédure civile institue ainsi un numerus clausus des moyens de preuve. Cela semble à première vue contredire les principes fondamentaux que sont le droit à la preuve et sa libre appréciation, mais la sécurité et l'équité requièrent que la loi détermine clairement quand et par quel moyen la preuve peut être rapportée (Message du Conseil fédéral relatif au code de procédure civile suisse du 28 juin 2006, FF 2006 I p. 6929).
9. En l’espèce, le demandeur fait valoir que la défenderesse doit maintenir le montant de l’indemnité journalière tel que fixé au moment du début de l’incapacité de travail et ce même après la fin du contrat de travail afin de couvrir son préjudice, car à défaut il y a violation du principe d’équivalence entre les prestations assurées et les primes encaissées ainsi que des clauses d’assurance en lien avec les conventions collectives. En tout état de cause, ayant travaillé les vingt dernières années de manière continue en percevant un salaire moyen de CHF 270'000.- depuis les quinze dernières années, il devait bénéficier de la présomption qu’en bonne santé, il aurait trouvé un nouvel emploi à la fin du contrat de travail. De son côté, la défenderesse s’est référée à la jurisprudence fédérale et invoque qu’elle doit uniquement indemniser la perte de gain découlant de l’incapacité de travail, de sorte qu’à la fin du contrat de travail, à défaut d’éléments rendant vraisemblable que sans maladie le demandeur aurait retrouvé un emploi avec un salaire équivalent à celui perçu auprès de l’employeur, elle doit tenir compte du salaire maximum assuré auprès de l’assurance-chômage.
10. En l'occurrence, l’assurance en cause est une assurance perte de gain collective en cas de maladie prévoyant le versement d’indemnités journalières, correspondant au 100% du salaire assuré.
De par sa nature, une telle assurance est en principe conclue sous la forme d'une assurance de dommage conformément aux principes rappelés ci-dessus.
Cela est par ailleurs confirmé, dans le cas présent, par le fait que le personnel assuré, et le demandeur en particulier, n'a pas été nommément désigné dans la police d'assurance et que les CGA prévoient que les indemnités journalières sont calculées sur la base du dernier salaire AVS perçu dans l'entreprise assurée avant le début de la maladie (art. B4.2 CGA). Ainsi, pour calculer l'indemnité journalière, le salaire est converti en gain annuel puis divisé par 365 (art. B8.3 CGA).
En outre, lorsque, sur constatation du médecin, l'assuré est dans l'incapacité de travailler, l'assurance paie l'indemnité journalière à l'échéance du délai d'attente convenu et, tout au plus, pendant la durée des prestations indiquée dans la police (art. B8.1 CGA). Lorsque l'assuré est totalement dans l'incapacité de travailler, l'assurance paie l'indemnité journalière mentionnée dans la police. En cas d'incapacité de travail partielle, l'indemnité est fixée proportionnellement au degré de cette incapacité ; toutefois, si l'incapacité de travail est inférieure à 25%, elle ne donne pas droit au versement d'une indemnité (art. B8.2 CGA).
Par ailleurs, selon l'art. B1.1 CGA, la défenderesse sert les prestations mentionnées dans la police pour les conséquences économiques de l'incapacité de travail due à une maladie.
Les prestations de tiers sont prises en compte sauf en cas d’assurance de sommes (art. B13).
Il apparaît ainsi que le droit à une indemnité journalière prévu par la police d'assurance litigieuse est subordonné à ce que la personne assurée subisse une perte effective sur le plan économique. En effet, le montant de l'indemnité journalière dépend de l'importance de l'incapacité de travail, elle peut être diminuée en cas de surindemnisation et son montant est calculé sur la base du salaire effectif.
Il s'agit donc bien d'une assurance de dommage.
Or, dans le cadre d’une assurance d’indemnités journalières conçue comme une assurance de dommage, ledit dommage – soit la perte de gain – doit être démontré au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 141 III 241 consid. 3.1).
S’agissant du droit aux indemnités journalières de personnes sans emploi, deux éventualités sont à distinguer : lorsqu’un assuré perd son emploi en raison d’une résiliation notifiée alors qu’il était déjà incapable de travailler en raison d’une maladie, il est présumé – en l’absence de preuve contraire – qu’il aurait un travail sans sa maladie. Lorsque l’incapacité de travail survient après le chômage, on doit admettre, à défaut de preuve contraire, que l’intéressé serait sans emploi, même sans être atteint dans sa santé (arrêts du Tribunal fédéral 9C_311/2010 du 2 août 2010 consid. 1.3 et 1.4 et 9C_332/2007 du 29 mai 2008 consid. 2.2). Les personnes dont le droit à l'indemnité de chômage a pris fin, ou qui n'ont pas droit à cette indemnité parce qu'elles ne remplissent pas les conditions relatives à la durée de cotisations, ne peuvent prétendre à une indemnité journalière de l'assurance-maladie, faute de perte de gain (de remplacement). Elles subissent toutefois une perte de gain si elles démontrent, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu'elles auraient pris un emploi si elles n'avaient pas été malades (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 121/06 du 16 août 2007 consid. 2). Le Tribunal fédéral a précisé sa jurisprudence en ce sens que lorsque la personne assurée n’était pas encore sans emploi lors de la survenance de son incapacité de gain, elle bénéficie de la présomption qu’elle serait active professionnellement sans atteinte à la santé (ATF 141 III 241 consid. 3.2.3).
Tranchant le droit aux indemnités journalières d’un assuré tombé malade consécutivement à la résiliation de son contrat de travail, le Tribunal fédéral a précisé que le moment de la résiliation du contrat de travail est déterminant pour la présomption en faveur d’une activité lucrative. Celle-ci s’applique si l'assuré est devenu incapable de travailler pour cause de maladie avant qu'il ne perde son emploi par résiliation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_563/2019 du 14 juillet 2020 consid. 5.3.2 non publié à l’ATF 146 III 339). Il a confirmé cette analyse dans un arrêt de principe du 19 janvier 2021. Il n’existe pas de présomption factuelle selon laquelle l’assuré continuerait à percevoir son revenu antérieur lorsque l’incapacité de travailler est postérieure à la notification du licenciement – contrairement à la situation où l’incapacité de travail précède la notification du licenciement (ATF 147 III 73 consid. 3.3). Par arrêt 4A_417/2023 du 1er octobre 2024, consid. 6.3, le Tribunal fédéral a encore confirmé cette jurisprudence.
11. En l’espèce, il y a lieu d’examiner si le montant des indemnités journalières à partir du 1er octobre 2022 – soit après la fin des rapports de travail – doit être déterminé en fonction des indemnités de chômage ou du salaire perçu durant la relation contractuelle avec l’employeur.
Compte tenu de la jurisprudence fédérale précitée, les arguments soulevés par le demandeur ne sont pas pertinents pour trancher l’affaire.
En l’occurrence, l’employeur a résilié les rapports de travail par courrier du 22 novembre 2021. Dès lors, le demandeur était en pleine capacité de travail au moment où son congé lui a été donné, l’incapacité ayant débuté le 1er février 2022, ce qui est admis. Conformément aux principes développés par la jurisprudence, la perte de gain en cas de maladie correspond dans un tel cas non pas au salaire convenu, mais à l’indemnité de chômage à laquelle le demandeur aurait pu prétendre à la fin des rapports de travail s’il avait été en bonne santé sauf à rendre vraisemblable qu’il aurait retrouvé un emploi à la fin du contrat de travail, lequel lui aurait procuré un salaire équivalent à celui auprès de l’ancien employeur.
Or, le demandeur n’a pas démontré au degré de la vraisemblance prépondérante que, sans maladie, il aurait eu un nouvel emploi avec un salaire équivalent au 1er octobre 2022.
En effet, la simple allégation de nombreuses années d’activité professionnelle sans interruption par le passé avec un salaire moyen de CHF 270'000.- sans l’apport du moindre élément concret ne suffit pas à retenir au degré de la vraisemblance prépondérante que le demandeur aurait retrouvé un travail au 1er octobre 2022 avec un salaire équivalent s’il avait été en bonne santé.
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de présumer que sans incapacité de travail, le demandeur n’aurait pas exercé d’activité lucrative à la fin des rapports de travail, à défaut de tout indice contraire. Sa perte de gain correspond ainsi aux indemnités de chômage dont il se voit privé dès le 1er octobre 2022 en raison de son état de santé.
Par conséquent, conformément aux principes précités, la défenderesse s’est, à juste titre, référée au montant maximal de l’assurance-chômage afin de déterminer le préjudice économique qu’il lui appartenait d’indemniser.
En application de l’art. 23 de la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 (LACI - RS 837.0), est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence, y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail. Le montant maximum du gain assuré (art. 18 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) correspond à celui de l’assurance-accidents obligatoire.
Aux termes de l’art. 22 al. 1 de l'ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202), le montant maximum du gain assuré s’élève à CHF 148'200.- par an et CHF 406.- par jour.
Par ailleurs, selon l’art. 22 LACI, l’indemnité journalière de l’assurance-chômage pleine et entière s’élève à 80% ou 70% du gain assuré.
Il apparaît dès lors que les indemnités journalières versées au demandeur à compter du 1er octobre 2022 sont supérieures à ses droits, puisque la demanderesse a fixé l’indemnité journalière à CHF 406.03, ce qui correspond au versement en plein du montant maximum du gain assuré et non au 80% ou au 70% de celui-ci.
Au vu de ce qui précède, la chambre de céans disposant de tous les éléments nécessaires pour statuer, il est superflu, par appréciation anticipée des preuves (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2), d'organiser une audience de débats, étant souligné que le demandeur représenté n’a même pas souhaité faire des observations suite à la réponse de la défenderesse (dans ce sens : ATAS/408/2024 du 3 juin 2024 consid. 10 ; ATAS/1016/2023 du 19 décembre 2023 consid. 9.2.2).
Il en résulte que la demande doit être rejetée.
Pour le surplus, il n'est pas alloué de dépens à la charge du demandeur
(art. 22 al. 3 let. b de la loi d'application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 [LaCC - E 1 05]), ni perçu de frais judiciaires (art. 114 let. e CPC).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare la demande recevable.
Au fond :
2. La rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (Tribunal fédéral suisse, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14), sans égard à sa valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoqués comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente
Marie-Josée COSTA |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) par le greffe le