Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/906/2024 du 21.11.2024 ( LAA ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/2506/2019 ATAS/906/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 21 novembre 2024 Chambre 5 |
En la cause
A______ représenté par Me Cécé David STUDER, avocat
| recourant |
contre
SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS représentée par Me Jeanne-Marie MONNEY, avocate | intimée |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en 1968, a été employé par l’entreprise A______ dès le 21 février 2012. À ce titre, il était assuré contre les risques d’accidents et de maladies professionnelles auprès de la SUVA Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : la SUVA).
b. Le 20 décembre 2012, alors que l’assuré travaillait au marquage de routes, il a été pris de vertiges. Il a perdu connaissance et s’est effondré sur le sol, ce qui a entraîné un violent choc sur le crâne.
c. Les premiers soins ont été prodigués aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci‑après : HUG). Un scanner cérébral a été réalisé en raison d’une indication de crise d’épilepsie selon les témoins, sous forme de mouvements cloniques. Cet examen a conclu à une hypodensité linéaire sous-lenticulaire gauche évoquant une séquelle, à corréler aux anciens comparatifs et éventuellement à une IRM. Il n’y avait pas d’autre foyer épileptogène visible.
Un électroencéphalogramme (ci-après : EEG) a également été réalisé et a révélé une encéphalopathie diffuse discrète, sans focalisation ni élément épileptogène, avec des variations de la vigilance.
d. Le 23 janvier 2013, une IRM cérébrale a mis en évidence un kyste de la fissure choroïdienne gauche, exerçant une compression sur l’hippocampe, et une atrophie temporale gauche.
e. Selon le rapport du 21 février 2013 de la professeure C______ et du docteur D______ du service de neurologie des HUG, l’assuré avait présenté lors de l’accident un épisode avec une perte de connaissance, précédé d’une sensation de vertiges rotatoires, puis une chute et un traumatisme crânien suivi de mouvements toniques plus que cloniques des quatre membres d’environ deux minutes, spontanément résolutifs, puis un état post critique d’environ 30 minutes. Cet épisode était survenu au moment où il s’était penché en avant afin de tremper son pinceau dans le liquide utilisé pour faire des marquages sur la route. Sur le plan étiologique, les antécédents de crises tonico-cloniques généralisées pendant l’enfance étaient plutôt en faveur d’une origine épileptique. Toutefois, selon l’assuré, le neurologue n’avait à l’époque pas vraiment retenu une origine épileptique, et le traitement antiépileptique avait surtout été instauré à la demande de sa mère. Les médecins des HUG n’avaient pas non plus d’argument pour une épilepsie active à l’EEG standard et à l’enregistrement vidéo-EEG de nuit. Le délai entre les épisodes de l’enfance et l’épisode actuel ne suggérait pas forcément une origine commune. Quant au kyste de la fissure choroïdienne gauche, il était qualifié de bénin. L’atrophie temporale gauche était également très discrète. L’assuré subissait beaucoup de stress dans sa vie psychosociale et craignait de perdre la garde de son fils, autiste, dont il s’occupait régulièrement. Il n’arrivait pas à expliquer son anxiété, qui perturbait fortement son sommeil. À ces soucis s’ajoutait une situation professionnelle précaire. L’assuré avait admis qu’une origine psychogène était tout à fait possible, au vu de sa fatigue psychique assez importante. Les médecins concluaient qu’il n’y avait actuellement pas assez d’arguments pour introduire à nouveau un traitement antiépileptique et conseillaient une prise en charge psychiatrique ambulatoire.
f. Le 11 mars 2013, l’employeur a annoncé à la SUVA un accident de l’assuré, en indiquant que celui-ci avait inhalé du toluène avant sa perte de connaissance.
Le 23 avril 2013, l’assuré a informé la SUVA qu’il avait involontairement inhalé du solvant pour peinture en nettoyant une cuve de toluène. Il était ensuite parti au chantier de l’aéroport où il avait été pris de vertiges et avait perdu connaissance. Son chef d’équipe pouvait en témoigner. Depuis l’accident, il était en incapacité totale de travailler.
g. Le 17 juillet 2014, l’assuré a fait l’objet d’une évaluation neuropsychologique par Madame E______, du Centre Hospitalier Alpes Léman (ci-après : CHAL) en France. Ce bilan a mis en évidence des troubles mnésiques épisodiques visuo-verbaux, sans désorientation temporo-spatiale associée ni problème d’accès en mémoire rétrograde, un défaut d’élocution se manifestant par un bégaiement et un manque du mot en discours spontané, une altération des capacités de mémoire de travail, un trouble attentionnel auditivo-verbal, une baisse des capacités d’attention sélective et un discret déficit des capacités de planification. Une réadaptation neuropsychologique était à envisager.
h. Par décision du 13 août 2014, la SUVA a refusé l’octroi de prestations à l’assuré, niant la survenance d’un accident. Même si les troubles au crâne étaient apparus en inhalant une substance toxique, rien de particulier ne s’était produit à ce moment, mis à part l’apparition de douleurs.
i. Dans son rapport du 11 septembre 2014, la docteure F______, médecin au CHAL, s’est déterminée sur le bilan neuropsychologique. Elle a ajouté que l’assuré se plaignait également de vertiges et qu’il bégayait depuis quelques mois. Il semblait stressé. Cliniquement, la marche était ralentie. Il se plaignait aussi de céphalées de tension et d’acouphènes. Les céphalées de tension, les troubles de la concentration et l’anxiété pouvaient entrer dans le cadre du syndrome des traumatisés crâniens. Si aucune cause ORL n’était retrouvée aux vertiges, ceux-ci pouvaient également rentrer dans ce cadre. Une rééducation cognitive serait très bénéfique.
j. Par courrier du 16 septembre 2014, l’assuré a formé opposition à la décision de la SUVA.
k. Par courrier du 16 juin 2015, la SUVA a informé l’assuré qu’elle indemniserait l’incapacité de travail attestée du 20 décembre 2012 au 1er février 2013. Pour la période postérieure, elle investiguerait si les troubles étaient encore en relation de causalité avec l’événement du 20 décembre 2012.
l. Par courrier du 23 novembre 2015, la docteure G______, du Centre ressources pour personnes cérébro-lésées à Seynod (France), a fait part au docteur H______, généraliste à I______ (France), des résultats de son évaluation. Après la chute, les céphalées, vertiges, la fatigabilité générale et les difficultés de concentration avaient persisté et entraîné une gêne fonctionnelle importante dans les activités du quotidien, ainsi qu’une incapacité de travail. Une IRM réalisée au CHAL n’avait pas mis en évidence d’éléments pathologiques particuliers. L’assuré avait également bénéficié de séances de rééducation vestibulaire, qui n’avaient pas amélioré la symptomatologie. Cette praticienne a rappelé les résultats de l’évaluation neuropsychologique. Il y avait au premier plan une sensation de fatigabilité physique et intellectuelle avec effort de concentration important pour les moindres tâches, des difficultés dans toutes les activités en double tâche, et un bégaiement survenant dans les situations anxiogènes et stressantes. La symptomatologie correspondait à celle observée dans environ 10% des traumatismes crâniens modérés pour lesquels l’imagerie était sans particularité.
m. La SUVA a soumis le dossier médical à son médecin-conseil, le docteur J______, spécialiste FMH en neurologie. Dans son rapport traduit le 3 décembre 2015, celui-ci a conclu au degré de la vraisemblance prépondérante à la survenance d’une crise épileptique tonique lors de l’événement du 20 décembre 2012. On ignorait si cet épisode résultait de l’inhalation d’un solvant. Lors de la chute, l’assuré n’avait pas souffert de lésions cérébrales structurelles objectivables. Les maux de tête et les troubles neuropsychologiques n’étaient pas consécutifs à la chute, au degré de la vraisemblance prépondérante. En toute hypothèse, une lésion cérébrale traumatique lors de la chute, non établie avec certitude, n’était que légère et ne justifiait pas une incapacité de travail prolongée. L’atteinte à la santé n’était plus due à l’accident du 20 décembre 2012 au plus tard le 11 février 2013, soit à la date de la consultation au service de neurologie des HUG.
n. Dans son rapport du 27 juillet 2016, le docteur K______, médecin au service d’otho-rhino-laryngologie (ORL) des HUG, a fait état chez l’assuré d’épisodes de vertiges dans le noir, d’environ cinq minutes, sans mouvement déclenchant. Ces épisodes pouvaient aussi se manifester dans un environnement lumineux. Ils se produisaient trois fois par semaine. L’assuré souffrait aussi d’acouphènes bilatéraux qui fluctuaient en intensité selon l’état de fatigue, et de céphalées en casque avec photophobie pouvant durer plusieurs heures. À la marche, il se plaignait d’oscillopsies et d’une légère instabilité. Il avait aussi des difficultés à s’orienter spatialement, et sa mémoire était moins bonne qu’auparavant. Enfin, il avait des douleurs et des sensations bizarres dans les mains et les pieds, une sensation d’hypoacousie, et par moments des bégaiements. Le Dr K______ a procédé à un bilan vestibulaire, lequel a mis en évidence une très discrète atteinte périphérique limitée à la fonction du canal semi-circulaire latéral droit dans le domaine des basses fréquences, qui n’expliquait pas la symptomatologie de l’assuré.
o. Le 7 septembre 2016, le Dr J______ s’est prononcé sur le bilan du Dr K______. Il a retenu qu’il n’était pas prouvé que le trouble vestibulaire était imputable à la chute du 20 décembre 2012, et que ce trouble n’expliquait pas la symptomatologie de l’assuré.
p. Par décision du 12 octobre 2016, la SUVA a mis un terme aux prestations versées à l’assuré à compter du 11 février 2013, au motif que l’incapacité de travail n’était plus en relation de causalité avec l’accident dès cette date.
q. Par courrier du 22 octobre 2016, l'assuré s’est opposé à cette décision.
r. Par décision sur opposition du 14 mars 2017, la SUVA a rejeté l’opposition de l’assuré, sur la base des appréciations du Dr J______. Elle a également relevé que des facteurs psychiques pesaient sur la situation, raison pour laquelle une prise en charge psychiatrique avait été conseillée à l’assuré. Or, la responsabilité de la SUVA n’était pas engagée pour la composante psychique, s’agissant d’un accident de caractère banal.
s. Par décision du 23 mars 2017, l’office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après : l’OAIE) a alloué une rente entière d’invalidité à l’assuré dès le 1er juillet 2016.
t. Saisie d’un recours de l’assuré contre la décision de la SUVA, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) l’a partiellement admis par arrêt du 19 octobre 2017 (ATAS/935/2017) et a renvoyé la cause à celle-ci, à charge pour elle de procéder à une instruction complète sur la question de la maladie professionnelle due à des substances nocives et, ceci fait, de rendre une nouvelle décision.
La chambre de céans a nié un lien de causalité adéquate entre l’accident et le traumatisme crânio-cérébral du recourant, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un accident de gravité moyenne mais d’une chute banale. De plus, seul un des critères d’adéquation pourrait être admis, à savoir l'importance de l'incapacité de travail, ce qui serait en toute hypothèse insuffisant pour admettre un lien de causalité adéquate. En effet, les circonstances concomitantes de l'accident n'étaient pas particulièrement dramatiques, et cet événement n’était pas particulièrement impressionnant. Les lésions n’étaient pas graves ou d'une nature particulière, et il n’y avait pas eu de long traitement médical spécifique et pénible. Les douleurs n'étaient pas particulièrement intenses, et aucune erreur médicale entraînant une aggravation notable des séquelles de l'accident ne s'était produite. Il n'y avait pas non plus de difficultés particulières apparues au cours de la guérison ni de complications importantes.
Après avoir analysé les différents rapports médicaux, la chambre de céans a exclu qu’une crise épileptique fût à l’origine de la perte de connaissance de l’assuré, et que le kyste de la fissure choroïdienne gauche et l’atrophie temporale gauche, pas plus que la très discrète atteinte ORL, aient provoqué l'épisode du 20 décembre 2012.
Cependant, au vu de l’exposition répétée du recourant au toluène, et du fait que ses plaintes correspondaient au tableau clinique typique d’une intoxication à cette substance, il existait un fort indice que ses atteintes soient dues à une substance nocive, question qu’il appartenait à la SUVA d’instruire.
B. a. Dans un rapport du 6 septembre 2018, le service de sécurité au travail (ci-après : SR) de la SUVA a notamment mentionné qu’en principe, la cuve de la distilleuse ne devait pas pouvoir être ouverte avant que la pression ne soit équilibrée à l’intérieur de la cuve, grâce à un système de sécurité. Il n’avait toutefois pas été possible de retrouver la distilleuse utilisée sur le chantier lors de l’accident. Il était encore précisé que les expositions aux solvants n’étaient pas problématiques pour les activités pratiquées en plein air, les valeurs limites d’exposition étant rarement dépassées, en raison de la volatilité des produits et de la distance entre la zone d’application et l’appareil respiratoire. Une exposition chronique à des produits nocifs ne pouvait être évaluée, l’assuré ayant travaillé de nombreuses années dans le marquage routier sans qu’il soit possible d’identifier les produits utilisés et procédures de travail. En conclusion, les informations obtenues ne permettaient pas d’exclure une exposition aiguë de l’assuré au toluène, et il était essentiel d’organiser une rencontre entre l’assuré et le service spécialisé afin d’obtenir des compléments d’information et de lever certaines contradictions dans le dossier. Diverses fiches toxicologiques, notamment de l’agence française nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) étaient jointes au rapport.
b. La docteure L______, médecin d’arrondissement de la SUVA spécialisée en médecine du travail, a rendu une appréciation le 12 février 2019. Se fondant notamment sur le rapport du SR, elle a retenu que les activités de peinture représentaient quatre à cinq heures au maximum par jour, comprenant aussi bien la peinture que le nettoyage après utilisation. Elle a exclu l’incident décrit par l’assuré, soit le « giclage » du toluène à l’ouverture de la cuve de la distilleuse, car aux dires des professionnels, de tels incidents n’avaient pas été rapportés. De surcroît, même si un tel accident était arrivé, la quantité de toluène qui avait touché le visage ne pouvait être importante. Dans le cas contraire, il y aurait eu une contamination des vêtements, qui n’avait pas été rapportée. La Dre L______ concluait que l’assuré avait été vraisemblablement exposé au toluène dans le cadre de son activité, mais à un niveau probablement très faible par rapport aux normes reconnues. Cette exposition ne pouvait donc pas être à l’origine d’un syndrome psycho-organique, soit une intoxication chronique liée au toluène, d’autant moins que l’activité était effectuée en permanence en extérieur avec des appareils de protection respiratoire adaptés. Par conséquent, il n’était pas possible de retenir au degré de la vraisemblance prépondérante une exposition au toluène d’un niveau suffisant, pendant une longue période, pour être à l’origine du tableau clinique présenté par l’assuré depuis 2013. Les conditions pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle n’étaient ainsi pas réalisées.
c. Par décision du 9 avril 2019, la SUVA, se fondant notamment sur le rapport de la Dre L______, a considéré que l’exposition de l’assuré au toluène n’avait pas atteint un niveau suffisant pour être à l’origine du tableau clinique de l’assuré. Partant, elle a nié le droit à des prestations.
d. L’assuré s’est opposé à cette décision le 15 mai 2019, alléguant qu’il était constamment en contact avec du toluène, contrairement au temps retenu dans le rapport de la Dre L______. Il regrettait notamment que cette dernière ne l’ait pas auditionné et s’est référé à une lettre de son ancien collègue du 7 mai 2019, qui donnait des détails sur l’exposition au toluène.
e. Par décision du 28 mai 2019, la SUVA a écarté l’opposition, se référant derechef aux conclusions de la Dre L______. Le nombre d’heures d’exposition était contesté.
C. a. Par écriture du 28 juin 2019, l’assuré a interjeté recours contre la décision de la SUVA. Il a conclu, sous suite de dépens, principalement à son annulation, à la constatation de l’existence d’une maladie professionnelle provoquée par inhalation de substances nocives, à la condamnation de la SUVA à allouer les prestations dues au-delà du 11 février 2013 ; et subsidiairement, à l’annulation de la décision du 28 mai 2019, à ce qu’une expertise judiciaire pluridisciplinaire soit ordonnée afin de déterminer l’existence de la maladie professionnelle, à la constatation de l’existence d’une maladie professionnelle provoquée par inhalation de substances nocives, à ce que son droit aux prestations au-delà du 11 février 2013 soit constaté, et à ce que l’intimée soit condamnée à lui allouer les prestations dues au-delà du 11 février 2013.
Le recourant a soutenu que l’instruction de l’intimée sur la survenance d’une maladie professionnelle avait été conduite sans sa participation. L’appréciation de la Dre L______ n’avait ainsi pas de valeur probante. De plus, un certain nombre de faits concernant l’exposition au toluène n’avait pas été pris en compte, pas plus que les témoignages de ses collègues de travail. Dès lors, les conditions de travail décrites dans le rapport de la Dre L______ ne correspondaient pas à son activité professionnelle quotidienne.
b. Dans sa réponse du 12 septembre 2019, la SUVA a conclu au rejet du recours. Le recourant ne pouvait se prévaloir de ne pas avoir pu se déterminer sur le choix de la Dre L______, dès lors que le rapport de celle-ci ne relevait pas d’une expertise indépendante. Le recourant avait eu amplement l’occasion de décrire son environnement de travail et les circonstances de l’accident, et savait qu’une appréciation médicale avait été demandée par l’intimée à ce médecin, dont le rapport devait se voir reconnaître une pleine valeur probante. L’exposition au toluène ne suffisait pas à établir un lien de causalité avec les troubles du recourant.
c. La chambre de céans a entendu les parties et a procédé à l’audition de la Dre L______, ainsi que de Monsieur M______, lors de l’audience du 17 septembre 2020.
Le recourant a exposé le déroulement de l’accident. Il a indiqué que la cuve de la machine servant à nettoyer les solvants était vide, mais les résidus formant des gaz qui y étaient contenus s’en étaient échappés lors de l'ouverture du couvercle, entraînant des gouttelettes de liquide resté dans la cuve, et cette masse à la fois gazeuse et liquide l’avait frappé au visage. Il arrivait fréquemment à ses collègues de recevoir des « giclées » de résidus de solvants lorsqu'ils ouvraient le couvercle de la cuve, raison pour laquelle ils portaient des combinaisons, bien que le port du masque ne fût pas systématiquement observé. Des masques munis de cartouches filtrantes étaient nécessaires, mais son employeur ne les fournissait pas et distribuait uniquement des masques anti-poussières et des masques en caoutchouc, utilisés exceptionnellement car inconfortables. Le recourant a dit travailler entre huit et dix heures par jour. Comme l’odeur des solvants imprégnait le chantier, les machines etc., il avait l’impression de sentir des solvants toute la journée. Il estimait y être exposé de manière directe au minimum six heures par jour. Il avait travaillé en France au marquage des routes quelque quatorze ans, puis avait travaillé dans ce domaine en Suisse dès 2011.
M______, entendu en qualité de témoin, a déclaré que le recourant était allé chercher quelque chose dans un véhicule, puis était tombé tout d'un coup. Le matin de l’accident, le recourant avait manipulé la distilleuse, dont les émanations étaient fréquentes lors de l’ouverture du couvercle de la cuve, avec un dégagement d'éléments chimiques au niveau du visage. Le marquage en Suisse s’accomplissait avec plus de résine, laquelle devait être appliquée à la main. Les ouvriers avaient toujours le visage à 30 ou 40 cm. La durée hebdomadaire de travail était de 45 heures, mais en pratique, les horaires étaient plus longs. Le recourant avait eu son malaise dans un parking à ciel ouvert.
La Dre L______ a déclaré que la question déterminante n’était pas une giclée de toluène lors de l’ouverture de la cuve, mais de savoir si le recourant avait pu être intoxiqué par le toluène qui aurait pu pénétrer dans sa peau ou ses voies respiratoires, sous forme liquide ou gazeuse. L'intoxication à ce type de solvant se traduisait généralement par des signes extérieurs proches de l'ivresse, c'est-à-dire un comportement exubérant, qui pouvait dans les cas graves aller jusqu'à un arrêt cardio-respiratoire. De tels signes n’avaient pas été remarqués chez le recourant. De plus, la cuve de la distilleuse ne pouvait contenir qu’un maximum de 25 litres, ce qui excluait une intoxication aiguë au solvant. La Dre L______ admettait que le recourant avait dû respirer du toluène lors de l’ouverture du couvercle de la distilleuse. Pour l’établissement de son rapport, elle s’était demandé si un employé de marquage portant les équipements adéquats pendant le temps d'exposition correct serait exposé à des émanations de toluène qui puissent déclencher une maladie chronique. Elle n’avait pas interrogé le recourant, par choix technique, et s’était fondée sur les documents écrits. Elle n’avait pu obtenir la version de l’employeur, qui n’existait plus. Des analyses toxicologiques fiables étaient possibles sur les personnes exposées aux solvants en milieu clos, mais ces analyses étaient extrêmement difficiles lors de travail à l’extérieur avec des quantités peu importantes, et leurs résultats pouvaient être perturbés. Lors de mesures du toluène en cas de travaux à l'extérieur, il pouvait y avoir un pic soudain retombant immédiatement, et la mesure atmosphérique des valeurs maximales d’exposition était extrêmement faible. La Dre L______ ne pensait pas, sur la base du dossier, que le recourant ait des prédispositions à être plus sensible que d'autres personnes au toluène.
À l’issue de l’audience, la chambre de céans a informé les parties qu’elle allait ordonner une expertise judiciaire et les a invitées à se concerter afin de proposer des experts.
d. Après divers échanges de correspondances avec les parties au sujet des experts proposés de part et d’autre, la chambre de céans, par ordonnance du 18 novembre 2021 (ATAS/1174/2021) a mandaté les docteurs N______, spécialiste FMH en médecine du travail, et O______, spécialiste FMH en neurologie, pour procéder à une expertise en médecine du travail et en neurologie.
Elle a retenu que la Dre L______ s’était fondée sur un état de fait incomplet, voire partiellement erroné, en postulant que le recourant avait reçu une projection légère de liquide au visage, alors que les dépositions révélaient qu’il s’agissait d’un nuage gazeux comprenant des éléments liquides qui s’échappaient de la cuve de la distilleuse lors de son ouverture. La Dre L______ avait exclu une telle hypothèse en raison du système de sécurité de la cuve et s’était fondée sur des hypothèses de travail en plein air avec port d’un masque en caoutchouc avec cartouches, alors qu’une partie du travail était effectuée dans des parkings souterrains, ce qui ne permettait pas de conclure à une évaporation aussi rapide qu’en plein air. De plus, seuls des masques anti-poussières étaient portés. La Dre L______ n’avait en outre pas procédé à l’audition du recourant, alors que le SR l’avait préconisée. Partant, l’instruction complémentaire menée par l’intimée n’avait pas permis de répondre, d’établir ou d’écarter l’existence d’une maladie professionnelle due à l’exposition à des substances nocives.
e. La chambre de céans a, par la suite, eu plusieurs entretiens téléphoniques avec la Dre N______, laquelle a indiqué qu’elle estimait les coûts de l’expertise entre CHF 78'000.- à CHF 80'000.- et son délai d’établissement à 12 mois, ce qu’elle a confirmé par courrier du 15 juin 2022.
f. Par courrier du 21 décembre 2022, la chambre de céans a informé les parties de ses différents échanges avec la Dre N______, dont le devis ne pouvait être accepté. Celle-ci avait évoqué la possibilité que l’expert neurologue se prononce avant elle, ce qui permettrait de réduire l’ampleur de sa mission. La chambre de céans a soumis cette proposition aux parties, ce qui permettrait de procéder sans plus attendre au volet neurologique de l’expertise.
g. Les parties se sont ralliées à cette proposition par courriers respectivement datés des 11 et 18 janvier 2023. L’intimée a, en particulier, ajouté que la Dre N______ avait indiqué qu’elle entendait se fonder sur l’exposition alléguée du recourant, de sorte que son expertise reposerait sur des hypothèses et non sur le cas concret. Elle suggérait un mandat d’expertise, à confier au centre P______, sous la supervision d’un hygiéniste du travail, afin de procéder concrètement aux mesures et évaluations des expositions.
h. Le Dr O______ a rendu son rapport le 2 janvier 2024.
Il a relaté les circonstances de l’accident et les plaintes du recourant, avant de poser les diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail de syndrome post-traumatique et de probable intoxication aiguë au toluène apparus en décembre 2012.
S’agissant de savoir si l’exposition aux substances nocives avait conduit à une maladie professionnelle, l’expert a noté un lien temporel entre l'exposition au toluène et la survenance du malaise. Celui-ci avait entraîné une chute avec un trauma crânien.
L’expert a retenu que les limitations fonctionnelles du recourant étaient consécutives au syndrome post-traumatique. Elles se caractérisaient par des troubles de mémoire, des troubles de l'élocution se manifestant par un bégaiement et un manque du mot, des difficultés de concentration, des maux de tête, des vertiges et des troubles d'équilibre, une importante anxiété ainsi que des troubles du sommeil. Il a conclu à une capacité de travail nulle dans toute activité. Il a émis plusieurs propositions thérapeutiques, éventuellement susceptibles d’améliorer la capacité de travail, même s’il était difficile de l’affirmer.
Il a estimé l’atteinte à l'intégrité à la suite du trauma crânien à un taux global de 60%, les troubles modérés de l’équilibre impliquant un taux de 25% et les troubles cognitifs et psychiques, également modérés, de 35%.
i. Dans ses déterminations du 17 janvier 2024, l’intimée a persisté dans ses conclusions. Elle a soutenu que l’expert avait écarté une intoxication chronique au toluène, retenant a contrario une intoxication aiguë, laquelle avait entraîné la chute avec traumatisme crânien à l'origine des troubles du recourant. Elle s’est référée à l’avis de son médecin-conseil, le docteur Q______, spécialiste FMH en médecine du travail, qu’elle a produit. Selon celui-ci, dès lors qu’une intoxication chronique au toluène était écartée, des mesures de l'exposition professionnelle au toluène étaient inutiles et l’expertise envisagée par la Dre N______ n’avait plus lieu d’être. Les troubles persistants ne reposaient pas sur un substrat organique objectivable. La chambre de céans avait déjà considéré dans son arrêt du 19 octobre 2017 que le traumatisme crânio-cérébral ne pouvait fonder un droit aux prestations, dès lors qu’il s’agissait d’un accident banal. Il n’y avait pas lieu de revenir sur ce point.
j. Le recourant s’est déterminé le 30 janvier 2024. Il a soutenu que l’expert avait reconnu au degré de la vraisemblance prépondérante une maladie professionnelle à la suite d'une intoxication aiguë au toluène le 20 décembre 2012. Son diagnostic était convaincant, et son rapport révélait une incapacité de travail totale depuis décembre 2012, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l'intégrité de 60%, que la chambre de céans devrait reconnaître. Le recourant estimait une expertise en médecine du travail inutile au vu des conclusions de l’expert neurologue et des éléments matériels manquants, la distilleuse n’étant plus accessible, et il priait la chambre de céans de renoncer à cette mesure. Il conviendrait plutôt de mettre en œuvre une expertise psychiatrique, au vu des troubles psychiques, si la chambre de céans l’estimait nécessaire.
k. Le 7 février 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions et s’est déterminé sur les observations de l’intimée. Il a soutenu que celle-ci admettait les conclusions de l’expert, qui devaient se voir reconnaître valeur probante. L’arrêt de la chambre de céans du 19 octobre 2017 avait pour objet de savoir si les atteintes du recourant pouvaient être imputées à une lésion crânio-cérébrale dans un contexte d'accident professionnel, ce qui avait été nié en raison de l’absence de causalité adéquate. Ledit arrêt n’avait en revanche pas tranché l’existence d’une maladie professionnelle. Celle-ci – soit l’intoxication aiguë au toluène à l’origine de la chute – avait été confirmée par l’expertise par la suite, et l’intimée devait prendre en charge ses suites, y compris celles du traumatisme crânien.
l. La chambre de céans a entendu le Dr O______ le 30 mai 2024.
Celui-ci a confirmé la séquence des événements décrite dans son expertise, à savoir que la chute du recourant était probablement à plus de 50% due à l'inhalation de toluène. Ses troubles de la santé étaient les conséquences du choc du crâne sur la route lors de la chute. La chute avait ainsi causé un traumatisme crânien, qui avait entraîné ensuite un syndrome post-traumatique. L’expert avait retenu l’exposition au toluène comme cause de la chute par élimination. Une crise d’épilepsie était possible mais n’avait pas causé sa chute, car la dernière crise d'épilepsie remontait à 1990, et ses symptômes étaient différents de ceux décrits par le recourant lors de l’événement de décembre 2012. Une perte d'équilibre par atteinte de l'oreille interne avait aussi été écartée, car ses symptômes étaient généralement progressifs et non soudains. L’expert a confirmé qu’il ne considérait pas que le toluène avait déclenché une maladie professionnelle chronique.
m. L’intimée s’est déterminée le 7 juin 2024, persistant dans ses conclusions. Le Dr O______ avait retenu une intoxication aiguë au toluène, et la chute qui en avait résulté ne relevait pas d’une maladie professionnelle. Elle a répété que la chambre de céans avait déjà statué sur les suites de l’accident dans son arrêt du 19 octobre 2017.
n. Le recourant s’est déterminé le 17 juin 2024, persistant dans les termes de son recours. L’intimée perdait de vue qu'elle répondait de toutes les conséquences dommageables en rapport de causalité naturelle et adéquate avec un évènement assuré. L'expert avait retenu une intoxication aiguë au toluène, soit une maladie professionnelle assimilée à un accident. Le traumatisme crânien à l'origine de la majeure partie de ses troubles et limitations fonctionnelles était en lien de causalité naturelle et adéquate avec l'intoxication au toluène, respectivement la chute entraînée par cette intoxication. En effet, sans l'intoxication au toluène, il ne serait pas tombé et n'aurait pas été victime d'un traumatisme crânien.
o. Par ordonnance du 20 août 2024, la chambre de céans a requis l’apport du dossier de l’OAIE concernant le recourant. Cet office a déféré à cette requête le 9 septembre 2024.
Il ressort du dossier de l’OAIE que le service médical régional (ci-après : le SMR) de l’assurance-invalidité, dans un avis du 17 janvier 2017, a retenu les limitations fonctionnelles suivantes : troubles de l'équilibre ne permettant pas de travail en hauteur, sur des terrains accidentés ou des déplacements rapides, déficit d'attention et de concentration associé à des troubles d'élocution, nécessitant des conditions de travail calmes, avec un seul interlocuteur pour des tâches simples et répétitives. Partant, il a conclu à une capacité de travail nulle dans une activité adaptée.
p. Le recourant s’est déterminé le 18 octobre 2024, persistant dans ses conclusions.
q. Dans ses déterminations du 23 octobre 2024, l’intimée a souligné qu’elle n’était pas liée par l’évaluation de l’assurance-invalidité, laquelle allouait ses prestations indépendamment de la cause de l’atteinte invalidante. Elle a répété que le recourant ne souffrait pas d’une maladie professionnelle.
r. Après avoir transmis copie de cette écriture au recourant, la chambre de céans a gardé la cause à juger, ce dont les parties ont été informées.
1. La compétence de la chambre de céans et la recevabilité du recours ont déjà été admises dans l’ordonnance du 18 novembre 2021. On peut donc y renvoyer.
Ladite ordonnance a également circonscrit le litige à la question de savoir si le recourant souffre d’une maladie professionnelle due à l’exposition à des substances nocives.
2. L’art. 3 al. 1 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) définit la maladie comme toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité de travail.
Aux termes de l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.
3. L’art. 9 de la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA ‑ RS 832.20) dispose que sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux. Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent (al. 1). Sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle (al. 2). Sauf disposition contraire, la maladie professionnelle est assimilée à un accident professionnel dès le jour où elle s’est déclarée. Une maladie professionnelle est réputée déclarée dès que la personne atteinte doit se soumettre pour la première fois à un traitement médical ou est incapable de travailler (art. 6 al. 3 LPGA) (al. 3).
3.1 Aux termes de l’art. 14 de l’ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202), les substances nocives et les maladies dues à certains travaux au sens de l’art. 9 al. 1 LAA sont énumérées à l’annexe 1.
Au ch. 1 de ladite annexe figure le toluène.
Selon la littérature médicale, certains solvants, incluant le toluène, peuvent en fonction de leur concentration mener à des atteintes du système nerveux central ou périphérique (encéphalopathie, polyneuropathie), même en cas de durées d’exposition brèves (arrêt du Tribunal fédéral U 297/05 du 16 août 2006 consid. 3.2.1)
3.2 Les atteintes à la santé dues à des agents physiques réputées maladies professionnelles selon l'annexe 1 ch. 2 let. a (par exemple éraflures, lésions de l’ouïe, maladies dues au travail dans l’air comprimé, gelures, coups de chaleur) peuvent présenter une certaine proximité avec des événements accidentels. Elles s’en distinguent dans la mesure où elles résultent généralement d'une exposition prolongée, et non d’un événement ponctuel. Une qualification à la fois d'accident et de maladie professionnelle d’un événement est exclue, puisque dans le cas contraire, la responsabilité de l’assureur-accidents en cas de survenance de l’atteinte lors du travail – entraînant ainsi la priorité de la qualification de maladie professionnelle – ne serait admise que si cette atteinte était en lien de causalité prépondérante avec l’exercice de la profession, alors qu’elle le serait dans tous les cas si elle apparaissait hors du cadre professionnel. Or, tel n’est manifestement pas le but de la loi. Si une affection due à des agents physiques de la liste devait généralement être considérée comme un accident dans certaines constellations, son inclusion dans ladite liste deviendrait sans objet (Andreas TRAUB in Commentaire bâlois, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n. 48 ad art. 9 LAA). S’agissant des coups de soleil, insolations, et coups de chaleur énumérés à l’annexe 1 de l’OLAA, le Tribunal fédéral a retenu qu’ils ne surviennent pas à la suite d’un facteur extérieur extraordinaire, et ne correspondent ainsi généralement pas à la notion d’accident. Ce n’est que dans des circonstances extraordinaires qu’une telle atteinte peut être considérée comme un accident. On peut citer à titre d’exemple un assuré qui, s’étant cassé la jambe, reste exposé au soleil car il ne peut plus bouger, et subit une atteinte à sa santé en raison de cette exposition. On peut dans un tel cas exceptionnellement retenir que cette atteinte est un accident (ATF 98 V 165).
4. Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose notamment qu'il y ait un lien de causalité naturelle et adéquate entre l'évènement assuré d'une part et l'atteinte à la santé, le traitement médical et l'incapacité de travail de la personne assurée d'autre part (arrêt du Tribunal fédéral 8C_459/2019 du 11 septembre 2020 consid. 5.2.1).
4.1 L'exigence de la causalité naturelle est remplie lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Pour admettre l'existence d'un lien de causalité naturelle, il n'est pas nécessaire que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte à la santé ; il faut et il suffit que l'évènement dommageable, associé éventuellement à d'autres facteurs, ait provoqué l'atteinte à la santé physique ou psychique de l'assuré, c'est-à-dire qu'il se présente comme la condition sine qua non de celle-ci (ATF 142 V 435 consid. 1).
La jurisprudence retient une causalité indirecte, et partant une causalité naturelle, lorsque le fait initial (par exemple un accident) n'a pas produit lui-même le dommage, mais a donné naissance à une ou plusieurs conditions (par exemple une opération) dont le dommage a été le résultat final (arrêt du Tribunal fédéral 5C.125/2003 du 31 octobre 2003 consid. 3.3 et 3.4). Une causalité indirecte suffit ainsi à établir l’existence d’une causalité naturelle (arrêt du Tribunal fédéral 8C_171/2023 du 17 janvier 2024 consid. 6.5). On doit également ici rappeler la notion de causalité dépassante, qui vise des situations où un premier fait est susceptible d'entraîner un certain dommage, mais où ce dommage est causé par un second fait avant que le premier ne le fasse ; le premier est dans ce sens « dépassé » par le second. Ce n'est pas l'enchaînement chronologique des événements qui est à lui seul déterminant, mais la survenance du dommage (ATF 135 V 269 consid. 5.3).
4.2 Pour reconnaître l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'accident et l'atteinte à la santé, il faut que d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, l'accident soit propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_628/2007 du 22 octobre 2008 consid. 5.1), au point que le dommage puisse encore équitablement être mis à la charge de l'assurance-accidents, eu égard aux objectifs poursuivis par la LAA (arrêt du Tribunal fédéral 8C_336/2008 du 5 décembre 2008 consid. 3.1).
4.2.1 Dans le domaine de l'assurance-accidents, en cas d'atteinte à la santé physique, la causalité adéquate se recoupe largement avec la causalité naturelle, de sorte qu'elle ne joue pratiquement pas de rôle (arrêt du Tribunal fédéral 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 3.2).
En revanche, il en va autrement lorsque des symptômes, bien qu'apparaissant en relation de causalité naturelle avec un événement accidentel, ne sont pas objectivables du point de vue organique (arrêt du Tribunal fédéral 8C_890/2012 du 15 novembre 2013 consid. 3.5). La notion de séquelles organiques objectivables d’accident – en tant que critère de distinction nécessitant l’examen d’une causalité adéquate – est définie par le Tribunal fédéral comme suit : sont considérés comme objectivables les résultats de l'investigation médicale susceptibles d'être confirmés en cas de répétition de l'examen, lorsqu'ils sont indépendants de la personne de l'examinateur ainsi que des indications données par le patient. On ne peut ainsi parler de lésions traumatiques objectivables d'un point de vue organique que lorsque les résultats obtenus sont confirmés par des investigations réalisées au moyen d'appareils diagnostiques ou d'imagerie et que les méthodes utilisées sont reconnues scientifiquement (ATF 138 V 248 consid. 5.1, cf. également arrêt du Tribunal fédéral 8C_614/2020 du 7 septembre 2021 consid. 2.2).
Dans un tel cas, il y a lieu d'examiner le caractère adéquat du lien de causalité en se fondant sur le déroulement de l'événement accidentel, compte tenu, selon les circonstances, de certains critères en relation avec cet événement (arrêt du Tribunal fédéral 8C_727/2016 du 20 octobre 2017 consid. 9.3 et les références).
4.2.2 En matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme crânio-cérébral sans preuve d'un déficit fonctionnel organique, l'existence d'un lien de causalité naturelle entre l'accident et l'incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d'un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.) (ATF 134 V 109 consid. 6.2.1 et 9.1). Pour l'examen de la causalité adéquate, la situation dans laquelle les symptômes, qui peuvent être attribués de manière crédible au tableau clinique typique, se trouvent toujours au premier plan doit être distinguée de celle dans laquelle l'assuré présente des troubles psychiques qui constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes en cause. Dans le premier cas, cet examen se fait sur la base des critères particuliers développés pour les cas de traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de traumatisme crânio-cérébral, lesquels n'opèrent pas de distinction entre les éléments physiques et psychiques des atteintes (arrêt du Tribunal fédéral 8C_204/2019 du 12 mai 2020 consid. 6.1 et les références). Dans le second cas, il y a lieu de se fonder sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c'est-à-dire en excluant les aspects psychiques (arrêt du Tribunal fédéral 8C_400/2020 du 14 avril 2021 consid. 2.3).
4.2.3 La jurisprudence a dégagé des critères objectifs qui permettent de juger du caractère adéquat du lien de causalité entre des troubles non objectivés et un accident. Elle a tout d'abord classé les accidents en trois catégories, en fonction de leur déroulement : les accidents insignifiants, ou de peu de gravité ; les accidents de gravité moyenne et les accidents graves. En présence d'un accident de gravité moyenne, il faut prendre en considération un certain nombre de critères, dont les plus importants sont les suivants :
- les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident ;
- la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu notamment du fait qu'elles sont propres, selon l'expérience, à entraîner des troubles psychiques ;
- la durée anormalement longue du traitement médical ;
- les douleurs physiques persistantes ;
- les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable des séquelles de l’accident ;
- les difficultés apparues au cours de la guérison et des complications importantes ;
- le degré et la durée de l'incapacité de travail due aux lésions physiques.
Tous ces critères ne doivent pas être réunis pour que la causalité adéquate soit admise. De manière générale, lorsque l'on se trouve en présence d'un accident de gravité moyenne, il faut un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l'un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante pour l’accident (arrêt du Tribunal fédéral 8C_729/2016 du 31 mars 2017 consid. 5.2 et les références).
4.2.4 Un second événement accidentel, non assuré, peut donner lieu à une obligation de prester de la part de l'assureur-accidents compétent pour le premier accident pour autant que le second constitue la conséquence adéquate du premier. Tel n’est par exemple pas le cas lorsqu’un assuré paraplégique, en fauteuil roulant à la suite d’un premier accident, en tombe lorsque ce fauteuil se coince dans un meuble. Dans ce cas, il a été jugé que l’accident initial et la paraplégie n’étaient pas de nature à provoquer la nouvelle chute, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie. Celle-ci était une conséquence non pas du premier accident, mais du fait que le fauteuil était resté accroché au bord du lit (ATF 148 V 356 consid. 7.4).
4.3 Conformément à l’art. 9 al. 1 LAA, la maladie doit être due exclusivement ou de manière prépondérante aux substances nocives ou aux travaux considérés pour être reconnue comme une maladie professionnelle. Dès lors, l’exigence d’une relation prépondérante est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action de la substance nocive ou à l’un de ces travaux (ATF 133 V 421 consid. 4.1 ; Jean-Maurice FRÉSARD / Margit MOSER-SZELESS, L'assurance-accidents obligatoire in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], 3e éd. 2016, n. 157 et 158). Aux termes de l'art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu'elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l'exercice de l'activité professionnelle. Il s'agit là d'une clause générale visant à combler les lacunes qui pourraient résulter de ce que la liste dressée par le Conseil fédéral à l'annexe 1 de l'OLAA ne mentionne pas une substance nocive qui a causé une maladie ou une maladie qui a été causée par l'exercice de l'activité professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 8C_626/2021 du 19 janvier 2022 consid. 3.3).
4.3.1 La seule exposition à une substance nocive ne saurait présumer l'existence d'un lien de causalité entre celle-ci et l'affection, et encore moins établir l'exigence d'une relation prépondérante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_306/2014 du 27 mars 2015 consid. 5.2). Lorsqu’un diagnostic précis ne peut être posé, il est pratiquement impossible de considérer que l’atteinte a été causée exclusivement ou de manière prépondérante par l’activité professionnelle (arrêts du Tribunal fédéral U 48/05 du 22 février 2006 consid. 3.5 et U 2/00 du 12 avril 2002 consid. 2b/bb).
En revanche, en présence d’une maladie professionnelle, l’assureur-accidents répond du dommage même si celui-ci n’a pas été causé de manière prépondérante ou exclusive par la maladie professionnelle et qu’elle n’en est que la cause partielle (arrêt du Tribunal fédéral 8C_474/2010 du 29 juillet 2010 consid. 2.3).
4.3.2 Le Tribunal fédéral a considéré que l’application des critères d’adéquation entre accidents et troubles psychiques n’était pas appropriée en cas de maladies professionnelles, notamment car cela impliquerait de reprendre un raisonnement schématique, qui est adapté pour la classification des accidents (de peu de gravité, de gravité moyenne ou graves) mais ne l’est pas pour les maladies professionnelles. Dans un tel cas, la causalité est adéquate si la maladie professionnelle ou les événements en relation avec celle-ci sont propres, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner des troubles psychiques du genre de ceux qui sont apparus (ATF 125 V 456 consid. 5, cf. également arrêt du Tribunal fédéral 8C_282/2020 du 3 septembre 2020).
Il y a rupture du lien de causalité adéquate, l'enchaînement des faits perdant sa portée juridique, si une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime du dommage ou celui d'un tiers – propre au cas d'espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas, en soi, à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_126/2014 du 13 mai 2014 consid. 3.1).
4.4 Savoir si l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l'administration, ou le cas échéant le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale (ATF 142 V 435 consid. 1). En revanche, l’existence d’un rapport de causalité adéquate entre l'événement assuré et l'atteinte à la santé est une question de droit (arrêt du Tribunal fédéral 8C_649/2019 du 4 novembre 2020 consid. 6.1.3).
5. L'assureur-accidents n'est pas lié par l'évaluation de l'invalidité de l'assurance-invalidité (ATF 131 V 362 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_493/2022 du 8 mars 2023 consid. 4.5), tout comme l'évaluation de l'invalidité par l'assurance-accidents n'a pas de force contraignante pour l'assurance-invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_90/2024 du 5 août 2024 consid. 4.4). Cela se justifie notamment lorsque l’assurance-invalidité alloue des prestations pour des troubles dont l’assureur-accidents ne répond pas.
6. Pour pouvoir trancher le droit aux prestations, l'administration ou l'instance de recours a besoin de documents que le médecin ou d'autres spécialistes doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4, 115 V 133 consid. 2).
6.1 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales, le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 351 consid. 3a, 122 V 157 consid. 1c).
6.2 Le juge ne s'écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (arrêt du Tribunal fédéral 8C_612/2023 du 13 mars 2024 consid. 3.2).
7. L'autorité de la chose jugée (ou force de chose jugée au sens matériel) interdit de remettre en cause, dans une nouvelle procédure entre les mêmes parties, une prétention identique à celle qui a été définitivement jugée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_685/2019 du 9 juin 2020 consid. 5.1.2). L'autorité de chose jugée signifie que l’arrêt est obligatoire et ne peut plus être remis en question ni par les parties, ni par les autorités judiciaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_346/2007 du 23 janvier 2008 consid. 4.2). En règle générale, seul le dispositif d'un jugement est revêtu de l'autorité de chose jugée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_20/2020 du 5 mai 2020 consid. 1.4). Toutefois, lorsque le dispositif se réfère expressément aux considérants, ceux-ci acquièrent eux-mêmes la force matérielle (arrêt du Tribunal fédéral 9C_58/2012 du 8 juin 2012 consid. 4.2 et les références citées). De plus, la portée du dispositif ne peut souvent se déterminer qu’en fonction des motifs (ATF 123 III 16 consid. 2a ; 116 II 738 consid. 2a).
8. En l’espèce, il convient en premier lieu d’analyser si l’expertise du Dr O______ satisfait aux réquisits jurisprudentiels rappelés plus haut.
8.1 Ce médecin a retenu que le lien de causalité entre les atteintes et l’exposition aux substances nocives était probable (plus de 50%), car c’était à la suite de l'exposition au toluène que le recourant décrivait un vertige qui l’avait fait chuter en arrière.
Parmi les autres hypothèses diagnostiques, il fallait mentionner le vertige paroxystique bénin, qui pouvait se manifester par un vertige rotatoire intense. Ce type de vertige pouvait occasionner une chute, mais c’était relativement rare, et apparaissait plutôt lors d'un mouvement de la tête vers un côté, et n’entraînait pas de perte de connaissance. Il était de plus limité dans le temps. Une neuronite vestibulaire (atteinte de l'oreille interne) pouvait également être évoquée. Le bilan ORL en 2016 avait mis en évidence une atteinte limitée au canal semi-circulaire droit. Toutefois, cette atteinte ne permettait pas d'expliquer les vertiges et les problèmes d'équilibre du recourant. Enfin, une épilepsie se manifestant par des vertiges était également une hypothèse diagnostique. Le recourant avait présenté dans le passé des crises épileptiques possiblement induites par un kyste au niveau de l'hippocampe. Une épilepsie pouvait rester silencieuse durant de nombreuses années, puis récidiver pour différentes raisons. Toutefois, en règle générale, les manifestations cliniques restaient similaires. Or, le recourant n’avait jamais présenté d'épisodes vertigineux précédant les crises épileptiques par le passé, de sorte que cette hypothèse était peu probable. L’enregistrement vidéo-EEG durant 24 heures n’avait montré aucune anomalie de nature épileptique, de sorte que la lésion kystique ne pouvait être la cause du malaise. Par ailleurs, le bilan électroencéphalographique du 20 décembre 2012 montrait une encéphalopathie diffuse, discrète, qui pouvait aller de pair avec l'état post critique secondaire à l'épisode de perte de connaissance. Une intoxication aiguë au toluène engendrant un vertige, une chute en arrière suivie d’une crise d'épilepsie avec trauma crânien, restait l'hypothèse la plus probable pour expliquer l'épisode aigu. La maladie professionnelle s’était probablement déclarée entre le moment de l'ouverture de la cuve à toluène et le moment de marquage de la route. En effet, quinze minutes environ s’étaient écoulées avant le malaise avec perte de connaissance entraînant le trauma crânien.
Une exposition à la fois aiguë et chronique au toluène pouvait avoir des effets délétères au niveau cérébral général, entraînant des troubles du comportement ainsi que des troubles cognitifs allant jusqu'à la démence. La toxicité pouvait aussi toucher les muscles et les nerfs périphériques et induire une faiblesse ou une polyneuropathie. Une intoxication aiguë, même à des concentrations basses, pouvait entraîner des troubles neurologiques dont des maux de tête, une fatigue, des paresthésies, des troubles d'équilibre ainsi qu'une perte de connaissance selon la littérature. Une intoxication chronique au toluène pouvait engendrer un trouble psycho-organique, mais l’IRM n’était dans un tel cas pas normale et montrait des signes de souffrance au niveau de la substance blanche cérébrale (leuco‑encéphalopathie au toluène), ce qui n’était pas le cas du recourant. Celui-ci avait eu deux IRM cérébrales, l'une en 2013 et l'autre en 2015. Partant, le diagnostic d'intoxication chronique au toluène ne pouvait être affirmé avec certitude. En revanche, le recourant avait pu présenter une forme d'intoxication aiguë au toluène engendrant principalement des vertiges, puis une perte de connaissance avec une chute et un traumatisme crânien.
Le recourant présentait des troubles persistants (vertiges, céphalées, troubles cognitifs, anxiété et troubles du sommeil), malgré une amélioration des troubles mnésiques entre 2018 et 2023, avec toutefois un temps de réaction qui s’était davantage ralenti. Les plaintes correspondaient à un substrat organique objectivable, soit un syndrome post-traumatique. En effet, il y avait de toute évidence eu un traumatisme crânien, que l’expert pensait sans doute responsable de l'état clinique ultérieur et actuel du recourant. Les symptômes du syndrome post-commotionnel étaient fréquents pendant la semaine après la commotion, et se résolvaient généralement pendant la deuxième semaine. Ils pouvaient toutefois perdurer des mois ou, plus rarement, plusieurs années dans environ 15 à 20% des cas, même légers. Il s'agissait alors d'un syndrome post-traumatique, se caractérisant entre autre par des symptômes somatiques incluant céphalées, sensations vertigineuses, fatigue et des plaintes cognitives dont des troubles de la mémoire et de l'attention. Le patient pouvait aussi présenter des modifications émotionnelles ou comportementales comprenant irritabilité, labilité émotionnelle, anxiété, humeur dépressive ainsi que des troubles du sommeil. Il existait un chevauchement entre le syndrome post-traumatique et le syndrome de stress post-traumatique. Selon la classification internationale, le diagnostic de syndrome post-traumatique était retenu si au moins trois symptômes, parmi lesquels céphalées, vertiges, fatigue, irritabilité, insomnie, difficultés de concentration/mémorisation et intolérance au stress, apparaissaient dans les trois mois suivant un traumatisme crânien. L’expert a précisé qu’après un trauma léger à modéré responsable d'un syndrome post-traumatique, il n'y avait pas nécessairement une lésion cérébrale visible à l'IRM.
L’expert s’est également déterminé sur les avis des Drs L______ et J______. L’expert ne partageait pas l’avis du Dr J______ sur une crise épileptique lors de l’évènement du 20 décembre, en l’absence de séquelles traumatiques structurelles et objectivables à l’IRM et au scanner. Les syndromes post-commotionnels ne présentaient pas nécessairement des lésions à l'IRM cérébrale et relevaient d’un diagnostic clinique et non radiologique. Parmi les hypothèses pathogéniques, des microtraumatismes des axones étaient évoqués, qui ne se voyaient pas à l'IRM cérébrale conventionnelle.
Le Dr O______ s’est prononcé sur les différents critères d’adéquation. Il considérait que les lésions étaient graves et propres à entraîner des troubles psychiques, au vu du chevauchement entre syndrome post-traumatique et syndrome de stress post-traumatique. Le recourant présentait des douleurs persistantes et des séquelles, sous forme de maux de tête fréquents, de vertiges et de troubles d'équilibre, de troubles de mémoire, de troubles d'élocution ainsi que de troubles de l'attention. Le pronostic était réservé. Des mesures de réadaptation professionnelle seraient envisageables si elles étaient mises en œuvre après une ou plusieurs des thérapies préconisées par l’expert, soit la physiothérapie, la thérapie vestibulaire, la réadaptation cognitive ainsi que la thérapie cognitivo-comportementale, l’EMDR et l'hypnose. La combinaison de ces différentes thérapies pourrait effectivement améliorer la capacité de travail, même s’il était difficile de l’affirmer. Sans thérapie préalable, le bénéfice de mesures de réadaptation serait faible.
8.2 Le rapport du Dr O______ contient tous les éléments nécessaires selon la jurisprudence, et il a répondu de manière complète aux questions qui lui ont été soumises. Il a motivé de manière détaillée ses diagnostics en exposant les éléments sur lesquels il les fondait, et il a discuté les rapports de ses confrères en expliquant pour quels motifs il s’en écartait le cas échéant.
Partant, l’expertise de ce neurologue doit se voir reconnaître valeur probante, sous les réserves suivantes.
En préambule, on relève que l’expert a exclu à satisfaction de droit une maladie professionnelle liée à une intoxication chronique au toluène comme cause des troubles du recourant. Son expertise retient en revanche une intoxication aiguë au toluène comme cause de la chute ayant entraîné le traumatisme crânien, et indique que cette « maladie professionnelle » s’est probablement déclarée entre l'ouverture de la cuve à toluène et le moment de marquage de la route. Cela étant, si les explications du Dr O______ emportent la conviction s’agissant de l’origine du malaise, il n’est en revanche pas évident que l’intoxication aiguë au toluène relève d’une maladie professionnelle. En effet, s’il n’est pas contesté que cette intoxication a eu lieu dans le cadre de l’activité professionnelle, il convient d’une part de rappeler que conformément à la jurisprudence, l’exposition à une substance nocive ne suffit pas à retenir une maladie professionnelle. D’autre part, on peut douter de la qualification de maladie, au sens de la loi, de cette intoxication, puisqu’elle n’a en elle-même pas entraîné de traitement, d’examen ou d’incapacité de travail, pas plus que la perte de connaissance qui en a directement résulté. En effet, l’expert ne mentionne aucun besoin de traitement spécifique ou aucune séquelle en lien avec ces éléments. De plus, on peut se demander si les notions d’exposition au toluène et de malaise ou perte de connaissance répondent à l’exigence de précision dans les diagnostics qui est de rigueur pour l’admission d’une maladie professionnelle.
La reconnaissance d’une maladie professionnelle par l’expert sous forme d’intoxication aiguë au toluène n’est toutefois pas déterminante dans le cas d’espèce, pour les raisons suivantes.
Certes, on peut considérer comme établi au vu des conclusions de l’expert que la chute que le recourant a subie est en lien de causalité naturelle indirecte avec l’inhalation de toluène, et à la perte de connaissance qui en a résulté. Cela ne suffit cependant pas à assimiler la chute et à en imputer les conséquences à une maladie professionnelle. Selon le Dr O______, les troubles du recourant résultent en réalité du traumatisme crânien subi lors de la chute, soit à un autre processus causal. Il s’agit là d’un second événement distinct de l’exposition au toluène, qui au vu de son caractère soudain, involontaire et extraordinaire, correspond à la définition de l’accident.
Malgré le lien de causalité naturelle de l’accident avec l’intoxication aiguë au toluène, on se trouve ainsi ici dans une constellation proche dans ses conséquences juridiques d’un cas de causalité dépassante, au sens où le dommage n’est pas rattaché à l’événement initial qui consiste en l’exposition à une substance nocive, mais au second facteur dommageable, soit la chute, de nature accidentelle.
Dans ce cadre, la chambre de céans relève que contrairement à ce que semble soutenir l’expert, les troubles du recourant ne reposent pas sur un substrat organique. Le Dr O______ souligne en effet l’absence de lésion visible à l’IRM, tout en évoquant l’hypothèse de microtraumatismes des axones invisibles à l’imagerie. Or, une simple hypothèse ne suffit pas à démontrer au degré de la vraisemblance prépondérante requis l’existence d’un substrat physique aux troubles d’une part, et ne répond pas aux exigences dégagées par la jurisprudence constante quant au caractère objectivable de ces troubles.
Par conséquent, le droit du recourant aux prestations selon la LAA suppose que soit établi un lien de causalité adéquate à l’aune des critères établis par le Tribunal fédéral en matière de traumatisme crânien.
Or, la chambre de céans a déjà réfuté dans son arrêt du 19 octobre 2017 l’existence d’un tel lien de causalité adéquate entre les troubles du recourant et la chute, qu’elle a qualifiée de banale. Son analyse sur ce point ne fait pas l’objet du dispositif de son arrêt et ne revêt ainsi pas force de chose jugée, conformément à la jurisprudence. Il n’en reste cependant pas moins que l’appréciation à laquelle elle a procédé ne prête pas le flanc à la critique. On pourrait éventuellement discuter la classification de la chute, qui devrait peut-être être considérée comme étant de gravité moyenne, compte tenu du fait que le recourant a perdu connaissance et est lourdement tombé sur la tête, comme l’ont confirmé les mesures d’instruction complémentaires entreprises à la suite de cet arrêt. Cela étant, la chambre de céans avait déjà relevé que, même si tel était le cas, seul le critère de l’incapacité de travail de longue durée pouvait être retenu, ce qui serait, en toute hypothèse, insuffisant pour fonder un lien de causalité adéquate. Il n’existe aucun motif de revenir sur l’examen par la chambre de céans des critères d’adéquation, celui-ci étant conforme au droit. On ajoutera, en particulier, que le fait que le recourant n’ait pu se soumettre à certains traitements en raison de ses difficultés financières ne permet pas de retenir que le critère lié aux complications médicales ou aux difficultés de la guérison serait réalisé (cf. sur ce point arrêts du Tribunal fédéral 8C_355/2008 du 9 septembre 2008 consid. 2.5.6, dans lequel les difficultés financières induites par l’accident n’ont pas été retenues, et 8C_875/2008 du 6 mars 2009 consid. 5.2.3, qui n’a pas tenu compte de l’impossibilité financière pour l’assuré de se soumettre au traitement d’acupuncture).
Enfin, par surabondance, même s’il fallait considérer la chute comme une maladie professionnelle, il y aurait lieu d’analyser si les troubles du recourant sont en relation de causalité adéquate avec celle-ci, selon la formule générale, par analogie avec les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à une maladie professionnelle, puisque lesdits troubles ne reposent pas sur un substrat organique. Or, il n’est pas certain qu’un tel rapport de cause à effet puisse être établi sur cette base. En effet, la prévalence de troubles neuropsychologiques persistants après un traumatisme crânio-cérébral est observée dans 15 à 20% des cas selon l’expert – étant ici rappelé que la Dre G______ mentionnait quant à elle une incidence de cette symptomatologie dans environ 10% des cas seulement –, ce qui paraît insuffisant pour retenir qu’un tel traumatisme est propre à entraîner de tels troubles selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie.
Compte tenu des éléments qui précèdent, la décision de l’intimée doit être confirmée.
9.
9.1 Le recours est rejeté.
9.2 Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Véronique SERAIN |
| Le président
Philippe KNUPFER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le