Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/604/2024 du 06.08.2024 ( PC )
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/1725/2024 ATAS/604/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt incident du 6 août 2024 Chambre 2 |
En la cause
A______
| recourante |
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES | intimé |
1. Le 15 mai 2009, Madame A______ (ci-après : l’assurée, l’intéressée ou la recourante), née en 1944, divorcée, domiciliée dans le canton de Genève, originaire du Chili et au bénéfice d’une rente de l’assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS) depuis le 1er janvier 2009, a déposé auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC, le service ou l’intimé) une demande de prestations complémentaires (ci-après : PC) – PC fédérales (ci-après : PCF) et PC cantonales (ci-après : PCC) –, produisant notamment un certificat d’évaluation fiscale de son bien immobilier sis au Chili de Pesos chiliens 8’035'000.- établi le 15 mai 2009 par un service fiscal chilien (ci-après : le service fiscal chilien).
2. À partir du 1er septembre 2013 à tout le moins, elle a été mise au bénéfice de PC.
3. Entre juin et décembre 2017, elle a indiqué au SPC que le bien qu’elle possédait au Chili était loué, via une agence immobilière chilienne (ci-après : l’agence immobilière) et a présenté des pièces à ce sujet ainsi que des certificat d’évaluation fiscale à partir de 2009.
4. Dans le cadre d’une procédure de révision périodique entamée le 11 septembre 2023 par le service, l’intéressée, par l’intermédiaire d’une assistante sociale de sa commune de domicile (ci-après : l’assistante sociale), a produit des documents, parmi lesquels un certificat d’évaluation fiscale de son bien immobilier sis au Chili de Pesos chiliens 15'833’016.- établi le 23 octobre 2023 par le service fiscal chilien et une estimation du prix de vente de son bien immobilier de Pesos chiliens 65'925’573.- émise à la même date par l’agence immobilière.
5. Par décision du 27 novembre 2023, sur la base du droit des PC en vigueur avant le 1er janvier 2021, le SPC a réclamé à l’assurée la restitution de CHF 6'182.- en raison de la différence entre une absence – rétroactive – de droit aux PC entre janvier et novembre 2023 et les PC déjà versées durant cette période (PCF de CHF 8.- et PCC de CHF 554.- par mois).
6. Par décision du 1er décembre 2023, il a reconnu à l’intéressée le droit à des PCF de CHF 405.- mensuellement, mais pas à des PCC, à partir du 1er janvier 2024.
7. Le 21 décembre 2023, l’assurée, représentée par l’assistante sociale, a formé opposition contre la décision du 27 novembre 2023, sur la base notamment de nouvelles attestations de l’agence immobilière montrant selon elle que la valeur réelle du marché de son bien immobilier s’élevait en réalité à Pesos chiliens 16’000'000.-.
8. Le 23 janvier 2024, le service a adressé à l’intéressée un « 1er rappel » pour le paiement de CHF 6'182.-.
9. À la demande du service, l’assurée a, les 26 février, 4 mars et 8 avril 2024, transmis au SPC des explications, de même que de nouveaux documents de l’agence immobilière, dont un accompagné d’une traduction libre.
10. Par décision sur opposition rendue le 18 avril 2024, le SPC a rejeté l’opposition, recevable, de l’intéressée, au motif en particulier que c’était le montant de Pesos chiliens 65'925’573.- précité qui devait être retenu au titre de la « valeur vénale actuelle (valeur du marché) » pour la fixation de la fortune nette pour un immeuble ne servant pas d’habitation à la personne assurée.
11. Par acte du 21 mai 2024, l’assurée, désormais représentée par un avocat, a interjeté recours contre cette décision sur opposition, concluant préalablement à la restitution de l’effet suspensif et au fond à son annulation et renvoi de dossier au service pour nouveaux calculs de PC tenant compte des considérants de son recours – faisant valoir une valeur de marché de Pesos chiliens 16'202'845.- –, et nouvelle décision.
12. Le 5 juin 2024, concernant la question de l’effet suspensif, l’intimé a considéré que, s’agissant de la demande de restitution, il était admis que l’intérêt de l’assurée l’emportait sur l’intérêt du service de se voir rembourser le montant concerné avant qu’il soit statué sur le recours, et a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif en tant qu’elle devrait être interprétée comme concluant à ce que les prestations accordées avant reddition de la décision entreprise soient de nouveau versées à la recourante jusqu’à l’issue de la présente procédure.
13. Par réponse du 17 juin 2024, l’intimé a conclu au fond au rejet du recours.
14. Le 26 juin 2024, la recourante a persisté dans sa demande de restitution de l’effet suspensif.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans) connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA ‑ RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC ‑ RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. Les dispositions de la LPGA, en vigueur depuis le 1er janvier 2003, s’appliquent aux PCF à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de PCC, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).
3. Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est prima facie recevable (art. 56 et 60 LPGA ; art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10]).
4. a) Selon l'art. 54 al. 1 LPGA les décisions et les décisions sur opposition sont exécutoires lorsqu’elles ne peuvent plus être attaquées par une opposition ou un recours (let. a), l’opposition ou le recours n’a pas d’effet suspensif (let. b), ou l'effet suspensif attribué à une opposition ou à un recours a été retiré (let. c).
En vertu de l’art. 11 de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11), l'opposition a un effet suspensif, sauf si un recours contre la décision prise sur opposition n'a pas d'effet suspensif de par la loi (let. a), si l'assureur a retiré l'effet suspensif dans sa décision (let. b), si la décision a une conséquence juridique qui n'est pas sujette à suspension (let. c ; al. 1). L'assureur peut, sur requête ou d'office, retirer l'effet suspensif ou rétablir l'effet suspensif retiré dans la décision. Une telle requête doit être traitée sans délai (al. 2).
b) Depuis le 1er janvier 2021, les art. 49 al. 5 et 52 al. 4 LPGA prévoient que l’assureur peut, dans sa décision ou dans sa décision sur opposition, priver toute opposition ou tout recours de l’effet suspensif, même si cette décision porte sur une prestation en espèces. Les décisions et les décisions sur opposition ordonnant la restitution de prestations versées indûment sont exceptées.
Selon le message du Conseil fédéral du 2 mars 2018 concernant la modification de la LPGA (FF 2018 1597), l’art. 49 al. 5 LPGA correspond à l’ancien art. 97 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS ‑ RS 831.10), en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, qui s’appliquait par analogie à l’assurance-invalidité et aux prestations complémentaires (cf. art. 66 de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 - LAI - RS 831.20) et 27 LPC - dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020), et selon la jurisprudence, également par analogie à l’assurance-chômage et à l’assurance-maladie. Il était alors possible, par une application étendue de l’art. 55 al. 2 de la loi du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA - RS 107.021) en relation avec l’art. 55 al. 1 LPGA, de priver de l’effet suspensif tout recours éventuel contre une décision qui ne portait pas sur une prestation en espèces. De plus, conformément à la jurisprudence et à la majorité de la doctrine, mais contrairement à la lettre de la loi, seule une décision qui engageait son destinataire à une prestation en espèces était considérée comme une décision portant sur une prestation en espèces. Par conséquent, les décisions d’octroi de prestations des assurances sociales ne constituaient pas des décisions portant sur une prestation en espèces au sens de la PA. Si une prestation en espèces (durable ou non) était interrompue ou réduite, l’effet suspensif pouvait donc être retiré. Le Conseil fédéral a estimé que pour prévenir tout flou juridique dans ce domaine – puisqu’il est courant, dans les assurances sociales, de qualifier de prestations en espèces des prestations comme les rentes, les indemnités journalières, l’allocation pour impotent, etc. (cf. à ce sujet la définition des prestations en espèces à l’art. 15 LPGA) –, il était nécessaire d’élaborer une base légale claire pour toutes les assurances sociales soumises à la LPGA. La nouvelle réglementation assure ainsi la sécurité juridique et elle est essentielle, notamment en lien avec la règle relative à la suspension des prestations à titre provisionnel prévue par le nouvel art. 52a LPGA, entré en vigueur le 1er janvier 2021. La pratique fondée sur l’ATF 130 V 407, qui n’autorise pas le retrait de l’effet suspensif en cas de créances en restitution de prestations indûment perçues, n’est en revanche pas modifiée en vertu de cette harmonisation de la LPGA (cf. art. 49 al. 5 2ème phr. ainsi que 52 al. 4 2ème phr. LPGA).
c) Les dispositions de la PA continuent à s’appliquer pour les questions liées à l’effet suspensif qui ne sont pas réglées par les art. 49 al. 5 et 52 al. 4 LPGA (cf. art. 55 al. 1 LPGA). Conformément à l'art. 55 al. 3 PA, le juge saisi du recours peut restituer l'effet suspensif à un recours auquel l’autorité inférieure l’avait retiré ; la demande de restitution de l’effet suspensif étant traitée sans délai.
Il est relevé qu’aux termes de l’art. 55 al. 1 PA, le recours a effet suspensif.
d) En droit cantonal, selon l’art. 18 du règlement relatif aux prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 25 juin 1999 (RPCC-AVS/AI - J 4 25.03), l'opposition a un effet suspensif, sauf dans les cas prévus par l'art. 11 de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11) appliqué par analogie (al. 1). Le service peut, sur requête ou d'office, retirer l'effet suspensif ou rétablir l'effet suspensif retiré dans la décision. Une telle requête doit être traitée sans délai (al. 2).
L’art. 66 LPA-GE prescrit que sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1). Toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 2).
e) Selon la jurisprudence, le retrait de l’effet suspensif est le fruit d’une pesée des intérêts qui s’inscrit dans l’examen général du principe de la proportionnalité, lequel exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au‑delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 et la référence).
5. En l’espèce, l’opposition du 21 décembre 2023 ayant contesté uniquement la décision du service du 27 novembre 2023 et non celle du 1er décembre 2023, seule fait l’objet du présent litige la question de la restitution des PC versées indûment selon l’intimé pour les mois de janvier à novembre 2023, et non le droit aux PC à compter du 1er janvier 2024.
Vu l’art. 52 al. 4 2ème phr. LPGA, un retrait de l’effet suspensif n’est pas entré en considération pour le prononcé de la décision sur opposition querellée, s’agissant d’un litige portant sur la restitution de prestations, et, en procédure de recours, l’intimé fait savoir que l’intérêt de l’assurée l’emporte sur l’intérêt du service de se voir rembourser le montant concerné avant qu’il soit statué sur le recours et conclut au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif en tant qu’elle devrait être interprétée comme concluant à ce que les prestations accordées avant reddition de la décision entreprise soient de nouveau versées à la recourante jusqu’à l’issue de la présente procédure.
Cela étant, on voit mal comment des prestations qui auraient été indûment versées pourraient être à nouveau versées à la personne assurée et donc octroyées deux fois, sauf par inadvertance.
En outre, s’agissant de prestations déjà versées à la recourante, et au regard à tout le moins par analogie de l’art. 55 al. 1 PA et a contrario de l’art. 52 al. 4 LPGA, on peut s’interroger s’il serait même possible ici que son recours n’ait pas effet suspensif.
Quoi qu’il en soit, comme admis à juste titre par le SPC, il sera dit que le recours a effet suspensif, en ce sens que le montant (CHF 6'182.-) dont la restitution est réclamée par la décision sur opposition attaquée fait l’objet d’un effet suspensif jusqu’au prononcé de l’arrêt de la chambre de céans qui sera rendu au fond.
6. La suite de la procédure est réservée.
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant selon l’art. 21 al. 2 LPA-GE
1. Dit que le recours a effet suspensif.
2. Réserve la suite de la procédure.
3. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 -LTF ‑ RS 173.110) aux conditions de l’art. 95 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Christine RAVIER |
| Le président
Blaise PAGAN |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le