Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1072/2023

ATAS/99/2024 du 14.02.2024 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1072/2023 ATAS/99/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 14 février 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

représenté par Me Karim HICHRI, avocat

 

recourant

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


 

EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : le bénéficiaire ou le recourant) est né le ______ 1969, originaire de Serbie, arrivé en Suisse le 21 septembre 2016 et titulaire d’un permis B. Il est marié à B______ (ci-après : l’intéressée), née le ______ 1970 en Serbie, arrivée en Suisse le 19 février 1997 et au bénéfice d’un permis B. Ces derniers sont parents de deux enfants, nés en 2000 et 2002.

b. Par décision du 7 mai 2019, l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l'OAI) a informé le bénéficiaire qu’il avait droit à une rente simple d’invalidité à 100% dès le 1er mai 2018.

c. Le bénéficiaire a demandé les prestations complémentaires à l’AVS/AI auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) le 3 novembre 2021 et a été mis au bénéfice de ces dernières.

d. Par décision du 15 août 2022, le SPC a recalculé le droit aux prestations du bénéficiaire en prenant en compte dans ses plans de calcul un revenu hypothétique de CHF 51'907.70 pour l’intéressée dès le 1er juin 2022.

e. Le 12 septembre 2022, le bénéficiaire a contesté le revenu hypothétique pris en compte pour l’intéressée. Compte tenu du fait qu’elle avait 52 ans, de son niveau scolaire, de son état de santé, de ses sept mois d’expérience professionnelle et de son éloignement du marché depuis douze ans, il paraissait peu probable qu’un employeur accepte de l’engager et qu’elle puisse réaliser un revenu mensuel de CHF 4'325.-.

f. Le 15 novembre 2022, le SPC a reçu un rapport établi le 10 novembre 2022 par la docteure C______, spécialiste FMH en médecine interne, qui indiquait que les limitations fonctionnelles de l’intéressée étaient une impossibilité de porter des charges de plus de 2 kg, de se baisser, de marcher sur un terrain irrégulier, de travailler les bras au-dessus de la tête, de rester assise plus de 15 minutes et d’effectuer les tâches ménagères courantes comme le repassage, l’aspirateur et le linge. L’intéressée était totalement incapable de travailler dans toute activité depuis qu’elle la connaissait, soit plus de 10 ans. Elle était suivie régulièrement à sa consultation avec prescription d’antalgiques de manière chronique, physiothérapie et soutien psychologique. Malheureusement, elle n’avait pas les moyens de faire de la médecine douce, qui pourrait l’aider. Une demande de prestations de l’assurance-invalidité était en cours d’instruction.

g. Le 25 novembre 2022, l’OAI a informé le SPC qu’une demande de prestations avait été déposée par l’intéressée le 16 décembre 2021 et qu’une expertise médicale était en cours.

h. Le 13 décembre 2022, le bénéficiaire a transmis au SPC plusieurs rapports médicaux établis par la Dre C______ et lui a indiqué qu’une première demande de prestations de l’assurance-invalidité avait été formée en mars 2018 pour l’intéressée. L’OAI avait considéré qu’elle avait un statut de non-active et nié son droit à une rente d’invalidité, car les empêchements reconnus dans les travaux ménagers étaient de 17%. Une nouvelle demande de prestations avait été déposée à l’OAI en décembre 2021 et une expertise en neurologie et rhumatologie était en cours. Les exigences dans le domaine professionnel étant bien supérieures à celles relevant de la sphère privée, il fallait considérer que les atteintes à la santé de l’intéressée l’empêchaient d’exercer une activité lui permettant de réaliser un revenu de CHF 51'907.70. À cela s’ajoutait son âge, son niveau scolaire, sa faible maîtrise de la langue français, l’absence de diplôme et d’expérience professionnelle significative ainsi que l’éloignement du marché de l’emploi depuis 12 ans. Ses chances d’accès au marché du travail étaient nulles.

i. Le bénéficiaire a transmis au SPC le rapport d’expertise de l’OAI du 16 janvier 2023. Il en ressort que les experts ont constaté que l’intéressée ne maîtrisait pas le français et qu’un interprète était nécessaire. Ils ont retenu, sur le plan rhumatologique, les diagnostics de syndrome cervico-lombaire dégénératif, de syndrome de déconditionnement global avec dysbalance musculaire et de syndrome douloureux chronique de type fibromyalgie et, sur le plan neurologique, un syndrome du canal carpien bilatéral. Dans l’activité exercée jusqu’ici, la capacité de travail était nulle sur le plan rhumatologique et de 8 heures par jour sur le plan neurologique. La situation avait évolué de façon défavorable depuis 2010. Dans une activité respectant les limitations rhumatologiques, soit : éviter de surcharger le rachis dans sa totalité, de porter des charges de plus de 5 à 10 kg, le travail des bras au-dessus de l’horizontale, monter et descendre les échelles et les échafaudages, la marche sur les terrains accidentés et la nécessité d’alterner les différentes positions, la capacité de travail était de 8 heures 30 par jour avec une diminution de rendement de 10% en raison du déconditionnement et du syndrome douloureux chronique. Dans une activité adaptée, la capacité de travail était ainsi de 90% sur le plan rhumatologique et de 100% sur le plan neurologique.

j. Par décision sur opposition du 22 février 2023, le SPC a relevé que l’intéressée était âgée de 52 ans, qu’elle résidait en Suisse depuis 28 ans, qu’elle bénéficiait d’une autorisation de travail et qu’elle avait exercé une activité lucrative pour la dernière fois en 2010, en qualité d’aide de ménage dans un restaurant.

Sa capacité de travail était de 90% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, mais elle n’avait jamais essayé de trouver un emploi, alors qu’elle en avait l’obligation pour réduire le dommage de l’intimé. On ne pouvait donc considérer que son inactivité était due à des problèmes de santé ou à des motifs conjoncturels. Le fait que l’intéressée n’avait pas exercé d’activité lucrative depuis plusieurs années et qu’elle n’était pas au bénéfice d’une formation académique ne constituait pas un obstacle à l’exercice d’une activité simple et répétitive, à temps partiel, par exemple dans le secteur administratif.

Dès lors, c’était à juste titre que le SPC avait tenu compte d’un revenu hypothétique pour l’intéressée. En conséquence, l’opposition était rejetée.

Le bénéficiaire pourrait, dès réception de la nouvelle décision de l’OAI, saisir le SPC d’une demande de révision.

B. a. Le 24 mars 2023, le bénéficiaire, assisté d’un conseil, a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, faisant valoir que l’intimé perdait de vue que l’OAI avait retenu un statut de ménagère à 100% pour l’intéressée. Compte tenu du fait qu’elle était une ménagère et qu’elle n’avait pour ainsi dire jamais travaillé, non seulement en raison de ses douleurs, mais également en raison de la répartition des tâches au sein de leur couple, il était arbitraire d’exiger d’elle de se reclasser dans une nouvelle profession. L’intimé ne pouvait pas reprocher à l’intéressée de ne jamais avoir travaillé et de ne pas s’être inscrite au chômage.

Il aurait dû tenir compte du parcours général de l’intéressée, soit de ses origines, de son absence de formation professionnelle et de son absence du marché du travail depuis de très nombreuses années. Subsidiairement, l’intimé aurait dû donner un délai de réadaptation à l’intéressée pour trouver un emploi.

En conséquence, le recourant concluait à l’annulation de la décision du 22 février 2023 et au renvoi de la cause à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision, sous suite de frais et dépens.

b. L’intimé a conclu au rejet du recours, considérant que le recourant n’invoquait aucun élément nouveau. L’intéressée résidait en Suisse depuis 28 ans. Sa situation n’était donc pas comparable à celle d’une personne qui était arrivée en Suisse peu de temps auparavant et qui nécessitait un délai pour s’adapter et trouver un emploi. Elle n’avait jamais essayé de trouver un emploi dans une activité autre que l’économie domestique, bien qu’elle aurait pu évoluer de façon favorable dans une activité adaptée.

Dès lors, il ne pouvait être reproché à l’intimé de ne pas lui avoir fixé un délai pour entreprendre des démarches afin de réduire le dommage créé par son manque de revenu.

c. Le 23 juin 2023, le recourant a reproché à l’intimé de mettre en cause l’organisation de la vie de son couple, laquelle avait été décidée longtemps avant qu’il perçoive une rente d’invalidité et des prestations complémentaires. Cela était contraire à l’art. 8 de Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

d. Par ordonnance du 12 juillet 2023, la chambre de céans a requis de l’OAI la production du dossier de l’intéressée.

Les pièces suivantes figurent notamment au dossier de l’OAI :

-          une décision du 2 février 2019 de l’OAI considérant que l’intéressée avait un statut de non-active et rejetant sa demande de prestations au motif que ses empêchements dans le ménage étaient de 17% ;

-          une nouvelle demande à l’OAI du 16 décembre 2021 ;

-          un projet de décision du 30 juin 2023 refusant à l’intéressée une rente d’invalidité et des mesures professionnelles au motif que ses empêchements dans le ménage étaient de 14%.

e. Le 15 août 2023, l’intimé a observé qu’il ressortait du dossier de l’OAI que les experts avaient retenu une capacité de travail de 90% pour l’intéressée dans une activité adaptée. Dès lors, c’était à juste titre qu’il avait tenu compte d’un revenu hypothétique pour celle-ci.

f. Le 21 août 2023, le recourant a fait valoir qu’exiger de l’intéressée la prise d’un emploi entraînerait la modification de la méthode de détermination de son degré d’invalidité. Or, cette détermination se faisait selon une méthode choisie en fonction de la volonté d’un assuré de travailler ou non et non pas en raison d’une obligation imposée à un assuré par un autre assureur social. On ne pouvait faire primer les exigences de l’intimé par rapport à la position de l’OAI ni reconnaître une capacité de travail à l’intéressée et l’obliger à travailler et d’autre part la reconnaître comme une personne ménagère au sens de l’assurance-invalidité. Une certaine concordance devait exister, raison pour laquelle l’on ne pouvait imputer un revenu hypothétique pour l’épouse du bénéficiaire dans le calcul de ses prestations complémentaires.

Si un revenu hypothétique était admis, il fallait accorder à l’intéressée un délai d’adaptation de six mois au moins dès l’entrée en force du jugement, puisque ce n’était qu’à partir de ce moment qu’elle serait rendue attentive au fait que l’on pouvait exiger d’elle une activité.

g. Lors d’une audience du 22 novembre 2023, le recourant a informé la chambre de céans que l’OAI avait rendu sa décision le 9 octobre 2023 qui rejetait la demande de prestations de l’intéressée. Celle-ci avait recouru contre cette décision.

h. Le 23 novembre 2023, la chambre de céans a ordonné l’apport de la procédure de l’OAI actualisée. Elle a ainsi reçu la décision de l’OAI du 9 octobre 2023 et un rapport établi le 5 octobre 2023, qui confirmait les empêchements retenus pour l’intéressée dans la sphère ménagère de 43.2% sans exigibilité et de 14.1% en tenant compte de l’aide de son mari. Ce rapport précisait que ce dernier souffrait d’un cancer des poumons, était dyspnéique et très vite fatigué, mais qu’il pouvait fractionner son aide dans des travaux légers pour son épouse.

i. Le 16 janvier 2024, l’intimé a conclu à ce que le revenu pris en compte dans les calculs des prestations complémentaires corresponde aux gains qui pourraient être réalisés dans une activité simple et répétitive à 90% au lieu de 100%.

j. Le recourant a fait valoir que le rapport d’expertise n’avait pas de valeur probante. Une fibromyalgie avait été diagnostiquée à l’intéressée et les principes développés en matière de troubles somatoformes douloureux devaient être appliqués par analogie. Dès lors que des facteurs psychosomatiques influaient sur le développement d’une telle maladie, le concours d’un psychiatre était nécessaire, ce qui faisait défaut. De plus, le taux d’activité de 90% retenu par les experts ne pouvait être repris tel quel dans le domaine des prestations complémentaires, où le taux d’activité exigible ne dépendait pas seulement de la capacité de travail, mais également de facteurs extras médicaux tels que l’âge, la formation, les connaissances professionnelles ou linguistiques et la situation concrète du marché du travail. En l’occurrence, aucune activité n’était exigible de l’intéressée également pour des motifs extras médicaux, comme cela avait déjà été relevé.

La chambre de céans avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur le cas d’une épouse d’un bénéficiaire de prestations complémentaires qui était âgée de 48 ans, était analphabète, parlait très peu le français, n’avait jamais exercé d’activité lucrative ou bénévole, dont les enfants étaient tous majeurs et qui avait une santé fragile, sans pour autant que l’OAI lui ait reconnu une incapacité travail. Le revenu hypothétique, arrêté selon l’ancien droit, était de CHF 7'000.- par année (arrêt 246/2006 du 14 mars 2006). La situation de l’épouse du recourant était similaire, de sorte qu’il y avait lieu de juger cette affaire de la même manière et de retenir un revenu hypothétique, selon le nouveau droit des prestations complémentaires, de CHF 9'600.- par année, après avoir instruit le volet médical, au vu de l’absence de valeur probante du rapport d’expertise. Il se pourrait qu’un psychiatre arrête la capacité de travail de l’intéressée à 0% dans toute activité.

Si un taux d’activité devait être retenu, un délai d’adaptation de six mois devait être accordé à l’intéressée.

Enfin et comme cela ressortait du procès-verbal de comparution personnelle des parties, la capacité de travail de l’intéressée était contestée dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OAI, qui concluait au renvoi de la cause à ce dernier pour instruction sur le plan psychiatrique. Une suspension de la présente cause jusqu’à droit jugé dans cette affaire pourrait prolonger la procédure pendant plusieurs mois, voire années, ce qui n’était pas admissible. Il convenait de joindre les deux causes, pour autant que cela soit possible, et de mettre en œuvre une expertise judiciaire portant sur le volet psychiatrique. La jonction des causes pouvait en effet se justifier en raison de l’identité de l’objet dans les deux causes, à savoir la nécessité d’établir la capacité de travail de l’intéressée. À défaut de jonction, un renvoi de la cause pour instruction complémentaire au service des prestations complémentaires sur le plan médical était nécessaire.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC -  RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA; art. 43 LPCC; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10] et art. 43 LPCC).

Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité [LPFC - J 4 20]; art. 43 LPCC).

3.             Dans le cadre de la réforme de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, de nombreuses dispositions ont été modifiées (FF 2016 7249; RO 2020 585).

Dans la mesure où le recours porte sur le droit aux prestations complémentaires dès le 1er juin 2022, soit une période postérieure au 1er janvier 2021, le présent litige est soumis au nouveau droit. Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur dès le 1er janvier 2021.

4.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l’intimé prenant en compte un gain hypothétique pour l’intéressée dès le 1er juin 2022.

5.              

5.1  

5.1.1 Selon l’art. 11a LPC, entré en vigueur le 1er janvier 2021, si une personne renonce volontairement à exercer une activité lucrative que l’on pourrait raisonnablement exiger d’elle, le revenu hypothétique correspondant est pris en compte comme revenu déterminant. La prise en compte de ce revenu est réglée par l’art. 11 al. 1 let. a LPC (al. 1).

Hormis la prise en compte, à hauteur de 80%, du revenu hypothétique d’une activité lucrative du conjoint sans droit aux prestations complémentaires (cf. art. 11 al. 1 let. a LPC), l’art. 11a al. 1 LPC reprend sur le fond la pratique actuelle en matière de prise en compte du revenu hypothétique (Message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC] du 16 septembre 2016, FF 2016 7249 p. 7322).

5.1.2 Il y a dessaisissement lorsque le conjoint d'une personne assurée s'abstient de mettre en valeur sa capacité de gain, alors qu'il pourrait se voir obligé d'exercer une activité lucrative en vertu de l'art. 163 CC. Il appartient à l'administration ou, en cas de recours, au juge d'examiner si l'on peut exiger de l'intéressé qu'il exerce une activité lucrative et, le cas échéant, de fixer le salaire qu'il pourrait en retirer en faisant preuve de bonne volonté. Pour ce faire, il y a lieu d'appliquer à titre préalable les principes du droit de la famille, compte tenu des circonstances du cas d'espèce. Les critères décisifs auront notamment trait à l'âge de la personne, à son état de santé, à ses connaissances linguistiques, à sa formation professionnelle, à l'activité exercée jusqu'ici, au marché de l'emploi, et le cas échéant, au temps plus ou moins long pendant lequel elle aura été éloignée de la vie professionnelle (ATF 134 V 53 consid. 4.1 et les références). En ce qui concerne, en particulier, le critère de la mise en valeur de la capacité de gain sur le marché de l'emploi, le Tribunal fédéral a considéré qu'il importe de savoir si et à quelles conditions l'intéressé est en mesure de trouver un travail. À cet égard, il faut prendre en considération, d'une part, l'offre des emplois vacants appropriés et, d'autre part, le nombre de personnes recherchant un travail et examiner concrètement la situation du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_30/2009 du 6 octobre 2009 consid. 4.2 et la référence). L'impossibilité de mettre à profit une capacité résiduelle de travail ne peut être admise que si elle est établie avec une vraisemblance prépondérante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_376/2021 du 19 janvier 2022 consid. 2.2.1 et la référence).

Il n’y a pas lieu d’examiner plus avant le critère de l’âge lorsque l’intéressé à moins de 60 ans, dès lors que la présomption d'exploitabilité de la capacité de travail résiduelle s'applique jusqu'à l'âge de 60 ans révolus (arrêt du Tribunal fédéral 9C_120/2012 du 2 mars 2012 consid. 4.3).

L'obligation faite à la femme d'exercer une activité lucrative s'impose en particulier lorsque l'époux n'est pas en mesure de le faire en raison de son invalidité parce qu'il incombe à chacun de contribuer à l'entretien et aux charges du ménage. Dès lors que l'épouse y renonce, il y a lieu de prendre en compte un revenu hypothétique après une période dite d'adaptation (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 40/03 du 9 février 2005 consid. 4.2).

Le fait que le conjoint est considéré comme une personne sans activité lucrative au sens de l’art. 28a al. 3 LAI ne peut être invoqué dans le cadre de l’obligation de réduire le dommage en vertu de l’art. 11 al. 1 let. LPC (arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2010 du 16 janvier 2011 consid. 6).

5.1.3 Les organes d'exécution en matière de prestations complémentaires ne disposent certes pas des connaissances spécialisées pour évaluer l'invalidité, raison pour laquelle ils sont liés, en principe, par les évaluations de l'invalidité effectuées par les organes de l'assurance-invalidité lorsqu'ils fixent le revenu exigible des assurés partiellement invalides ; les mesures d'instruction propres au SPC ne portent alors que sur les causes de l'incapacité de gain qui sont étrangères à l'invalidité (cf. ATF 140 V 267 consid. 5.1 et les références ; 117 V 202 consid. 2b). Il n'en demeure pas moins que cette jurisprudence sur la force obligatoire de l'évaluation de l'invalidité par les organes de l'assurance-invalidité ne s'applique qu'à la condition que ceux-ci aient eu à se prononcer sur le cas et que l'intéressé ait été qualifié de personne partiellement invalide par une décision entrée en force. Mais même dans ce cas, les organes d'exécution en matière de prestations complémentaires doivent se prononcer de manière autonome sur l'état de santé de l'intéressé lorsqu’est invoquée une modification intervenue depuis l'entrée en force du prononcé de l'assurance-invalidité. Aussi, le SPC n’est-il pas fondé à se prévaloir d'un manque de connaissances spécialisées pour écarter d'emblée toute mesure d'instruction au sujet de l'état de santé d'une personne (arrêts du Tribunal fédéral 8C_68/2007 du 14 mars 2008 consid. 5.3 et les références et 8C_172/2007 du 6 février 2008 consid. 7.2 ; ATAS/910/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4).

En l’absence d’un rapport établissant, de manière probante, l’existence d’une incapacité de travail, il revient au SPC, dans le cadre de son devoir d’instruction (cf. art. 43 al. 1 LPGA), d’informer l'intéressé que les pièces versées au dossier sont dénuées de force probante et l'inviter à requérir un rapport indiquant les différentes affections, en particulier celles qui ont une incidence sur la capacité de travail, et précisant la durée de travail exigible, le pronostic sur l'évolution des affections, ainsi que les facteurs personnels susceptibles d'influencer les possibilités du patient de retrouver un emploi (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_722/2007 du 17 juillet 2008 consid. 3.3 et la référence). Le cas échéant, il incombe au SPC de s’enquérir de la procédure en cours devant l’assurance-invalidité et de requérir la décision ainsi que les rapports ou expertises y relatifs (ATAS/31/2018 du 17 janvier 2018 consid. 11).

On rappellera qu’une différence entre l'assurance-invalidité et les prestations complémentaires réside dans le fait que l'assurance-invalidité se base sur un marché du travail équilibré pour déterminer le degré d'invalidité - au sens d'un élément de fait objectif - alors que dans le domaine des prestations complémentaires, il faut se baser sur la situation réelle, non seulement de la personne ayant droit aux prestations complémentaires, mais aussi du marché du travail (ATF 140 V 267 consid. 5.3 et les références). Si la preuve est apportée - notamment par des justificatifs de recherches d'emploi infructueuses (qualitativement et quantitativement suffisantes) - que le revenu hypothétique pris en compte ne peut pas être obtenu en raison de la situation personnelle et de la situation du marché du travail, le SPC doit le reconnaître et renoncer à sa prise en compte (ATF 140 V 267 consid. 5.3 et les références).

5.1.4 Il faut octroyer au conjoint, selon la jurisprudence, un délai de transition réaliste pour la prise exigible d'une activité lucrative ou l'augmentation du taux d'activité aussi bien lorsque des prestations sont en cours que dans le cadre d'une première demande de prestations complémentaires. Ce principe ne vaut pas lorsqu'au vu de l'obtention prévisible des prestations complémentaires par l'un des conjoints, en raison par exemple de l'accession à l'âge de la retraite AVS et de la cessation de l'activité lucrative, l'autre conjoint a disposé de suffisamment de temps pour une intégration professionnelle (ATF 142 V 12 consid. 5.4 et les références).

5.2 Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références; ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Il n'existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a et la référence).

6.              

6.1 En l’espèce, le fait que l’OAI ait retenu un statut ménager à l’intéressée ne lie pas l’intimé, dont les décisions sont fondées sur d’autres dispositions légales que celles régissant l’assurance-invalidité. S’il résulte de l’art. 163 CC que les époux sont en principe libres de s’organiser comme ils l’entendent, ce qui est garanti par l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale), cette liberté est limitée par les besoins de l’union conjugale et leur situation personnelle. En l’occurrence, l’art. 11a LPC, soit une base légale formelle, prévoit que si une personne renonce volontairement à exercer une activité lucrative que l’on pourrait raisonnablement exiger d’elle, le revenu hypothétique correspondant est pris en compte comme revenu déterminant. Il y a un intérêt public évident à que l’État exige que l’épouse d’un bénéficiaire des prestations complémentaires travaille dans la mesure du possible pour subvenir aux besoins de son ménage, avant de lui verser des prestations complémentaires à cette fin et cette exigence ne viole pas le principe de la proportionnalité. Le Tribunal fédéral a d’ailleurs précisé que l'obligation faite à la femme d'exercer une activité lucrative s'impose en particulier lorsque l'époux n'est pas en mesure de le faire en raison de son invalidité parce qu'il incombe à chacun de contribuer à l'entretien et aux charges du ménage (arrêt P 40/03 du 9 février 2005 consid. 4.2).

6.2 Le recourant conteste la valeur probante de l’expertise. Cela étant, à teneur de la jurisprudence précitée, l’intimé est en principe lié par les évaluations de l’OAI, à moins qu’une telle évaluation n’existe pas ou qu’une modification de l’état de santé soit alléguée. En l’occurrence, l’intimé devait se prononcer dans la décision querellée sur la base de l’expertise qu’il avait déjà reçue, quand bien même l’OAI n’avait pas encore rendu sa décision. Il ne lui appartenait pas de se prononcer sur sa valeur probante. Selon l’expertise, la capacité de travail de l’intéressée est de 0% dans l’activité habituelle et de 90% dans une activité adaptée.

Sur cette base, l’intimé était fondé à reconnaître une capacité de travail de l’intéressée dans une activité adaptée, si ce n’est qu’il aurait dû la limiter à 90%, comme il l’a admis en cours de procédure.

6.3 Reste à déterminer si c’est à juste titre que l’intimé a retenu qu’une activité professionnelle était exigible de l’intéressée en tenant compte de l’ensemble de sa situation et donc des critères non médicaux.

L’intéressée était âgée de 52 ans au moment de la décision litigieuse, de sorte qu’elle était présumée employable. Cette présomption est toutefois renversée en l’occurrence. En effet, il convient d’admettre qu’il s’agit déjà d’un âge relativement avancé qui réduisait les chances de l’intéressée de trouver un emploi dans le marché ordinaire. Ces chances étaient encore plus réduites pour l’intéressée du fait qu’à teneur de l’expertise, elle était totalement incapable de travailler dans son activité habituelle (le ménage), soit le seul domaine dans lequel elle avait de l’expérience, et qu’elle avait des limitations fonctionnelles conséquentes. Par ailleurs, elle ne maîtrise pas le français, n’a pas de formation professionnelle et n’a exercé que très peu de temps une activité professionnelle plusieurs années auparavant (2 heures par jour dans le nettoyage pendant 10 mois en 2010). Au vu de l’ensemble de sa situation, il convient de retenir qu’une activité professionnelle n’était pas exigible de sa part, même à temps partiel.

7.             Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision querellée annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour nouveaux calculs et nouvelle décision.

Le recourant obtenant gain de cause et étant assisté d’un conseil, une indemnité de CHF 2'500.- lui sera accordée, à la charge de l’intimé, à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 22 février 2023.

4.        Renvoie la cause à l’intimé au sens des considérants.

5.        Alloue au recourant CHF 2'500.- à titre de dépens, à la charge de l’intimé.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le