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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3090/2021

ATAS/1005/2023 du 18.12.2023 ( CHOMAG ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3090/2021 ATAS/1005/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 18 décembre 2023

Chambre 6

 

En la cause

A______

Représenté par Me Audrey GOHL, avocate

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE CHÔMAGE

intimés

SECRÉTARIAT D'ÉTAT À L'ÉCONOMIE

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après: l'assuré ou le recourant), né le
______ 1985, a travaillé durant plusieurs années pour la société B______ sàrl (ci-après: l'employeur).

b. Selon un « accord de bonus de rétention » du 12 septembre 2019, l’employeur et l’assuré ont convenu de l’octroi à celui-ci d’un bonus de CHF 69'796.25 aux conditions que le contrat de travail n'ait pas été résilié par l'une ou l'autre des parties avant le 30 juin 2020, quelle que soit la date de fin de contrat, et sous réserve que l'assuré n'ait pas été absent de façon prolongée durant cette même période, et qu'il ait fait de son mieux pour l'entreprise et atteint les objectifs définis par l'employeur. Le courrier d’accompagnement précisait que ce bonus était versé en raison des compétences de l’intéressé et des responsabilités supplémentaires qu’il allait devoir assumer suite au départ du directeur des ventes.

c. Ce bonus de rétention a été versé à l’assuré fin juin 2020.

d. Par courrier du 11 décembre 2020, l'assuré a été licencié pour le 31 mars 2021 en raison de la restructuration en cours. La lettre de résiliation indiquait que le plan social négocié et approuvé en novembre 2019 par l’employeur était également applicable à l’assuré, de sorte qu’allaient lui être versés :

-          une indemnité de départ de CHF 217'502.- ;

-          des prestations pour soins de santé de CHF 7'210.- ;

-          un forfait pour conseil fiscal de CHF 1'000.- ;

-          une indemnité pour frais scolaires de CHF 39'350.-.

e. En sus de ces montants, l’employeur a également versé à l’assuré, en décembre 2020, la somme totale de CHF 1'759.10 au titre de frais de services de relocalisation.

f. L’assuré a requis le 6 avril 2021 des indemnités de chômage auprès de la caisse cantonale genevoise de chômage (ci-après: la caisse), à la suite de la résiliation de son contrat de travail.

B. a. Le 17 mai 2021, la caisse a reporté le droit de l'assuré à l'indemnité de chômage au 31 août 2021 (soit un report de 4.956 mois), en raison du versement par l'employeur de prestations volontaires à hauteur de CHF 336'617.35, comprenant les prestations précitées prévues par le plan social (soit au total CHF 265'062.-), les frais de relocalisation (CHF 1'759.10) et le bonus de rétention
(CHF 69'796.25).-.

Après déduction du montant maximum assuré de CHF 148'200.- et du montant affecté à la LPP de CHF 69'000.-, la caisse a retenu au final le montant total de CHF 206'133.-. Divisée par le revenu mensuel moyen de l’assuré qui se montait à CHF 24'097.-, la somme de ces indemnités conduisait à un report de 4.956 mois à compter du 1er avril 2021, premier jour ayant suivi la fin des rapports de travail.

b. Par courrier du 10 juin 2021, complété le 13 juillet 2021, l'assuré a formé opposition à la décision du 17 mai 2021, contestant la durée du report de l'indemnité de chômage. Il a admis que le montant de CHF 266'821.10, correspondant aux indemnités de départ, devait être considéré comme une prestation volontaire versée par l'employeur. Cependant, il a estimé que le bonus de rétention de CHF 69'796.25 ne devait pas être pris en compte dans la somme des prestations volontaires liées à la fin des relations professionnelles, s’agissant d’un paiement lié à une période antérieure à la résiliation des rapports de travail, versé indépendamment de celle-ci, plusieurs mois auparavant en contrepartie de prestations professionnelles supplémentaires.

En divisant le montant des indemnités de départ (CHF 266'821.10) par son revenu mensuel (CHF 24'097.-) et en déduisant du solde la franchise de CHF 148'200.- ainsi que le rachat LPP à hauteur de CHF 69'000.-, seul demeurait un solde de CHF 49'621.10, correspondant à un report de 2.05 mois.

c. Le 10 août 2021, la caisse a rejeté l'opposition, concluant que le bonus de rétention, qui représentait une prestation volontaire de l'employeur, devait être pris en compte dans le calcul du report du droit à l'indemnité de chômage.

C. a. Le 14 septembre 2021, l'assuré a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) à l'encontre de la décision sur opposition de la caisse, concluant à ce que le montant du bonus de rétention versé fin juin 2020 soit retranché des montants retenus à titre de prestations volontaires versées par l'employeur.

b. Le 2 novembre 2021, la caisse a conclu au rejet du recours, estimant que le bonus devait être considéré comme une prestation volontaire de l’employeur car son paiement était subordonné à ce que le recourant soit encore sous contrat au 30 juin 2020. Il s’agissait en réalité, non pas d’un salaire pour prestation supplémentaire, mais d’une prime pour maintien en activité, s’inscrivant dans le cadre de la restructuration de l’employeur. Elle était ainsi en lien direct avec la fin planifiée des rapports de travail. L’intimée avait soumis le cas au secrétariat d'État à l'économie (ci-après: le SECO) lequel avait confirmé que son raisonnement « paraissait pertinent » et que le bonus de rétention devait être considéré comme une prestation volontaire de l'employeur.

c. Le 17 février 2022, le recourant a contesté que la prestation litigieuse s’inscrive dans le cadre de la restructuration, dans la mesure où l’accord était antérieur de plusieurs mois au plan social et de plus d’un an par rapport au licenciement. Ce bonus n’était en outre pas mentionné dans la lettre de congé du 11 décembre 2021, qui listait les prestations concédées dans le cadre du plan social. Il entrait dans un rapport de causalité avec l’exécution du travail et les responsabilités supplémentaires du recourant entre septembre 2019 et juin 2020, ce qui ressortait des documents établis par l’employeur figurant au dossier.

d. Sur requête de l’intimée, la chambre de céans a sollicité la production par le recourant du plan social approuvé le 25 novembre 2019.

e. La pièce requise a été produite par le recourant le 7 avril 2022. L’intéressé a également déposé une attestation du 6 avril 2022 de son ex-employeur, décrivant les tâches supplémentaires qui lui avaient été confiées entre septembre 2019 et juin 2020 et confirmant que le montant de CHF 69'796.- avait bien été versé en contrepartie de celles-ci et sans lien avec le plan social.

f. Le 5 mai 2022, l’intimée a souligné que, quand bien même la résiliation du contrat de travail du recourant était intervenue postérieurement à la conclusion de l’accord du 12 septembre 2019, le bonus de rétention avait bien été octroyé, comme son nom l’indiquait, pour maintenir le recourant en poste jusqu’à son licenciement, lequel s’inscrivait bien dans le processus du plan social. Il avait donc bien été octroyé dans le cadre de la résiliation des rapports de travail, ce qui constituait la seule question déterminante.

g. Par ordonnance du 16 janvier 2023, la chambre de céans a appelé en cause le SECO, lui a communiqué les pièces essentielles du dossier et lui a imparti un délai pour se déterminer.

h. Le SECO a versé ses déterminations à la procédure le 31 janvier 2023. Il y considérait que le montant versé au titre de « retention bonus » devait être considéré comme une prestation volontaire de l’employeur, s’agissant d’une gratification fixée discrétionnairement par l’employeur et excédant ce à quoi la loi donne droit au travailleur à la fin des rapports de travail.

i. Le 7 mars 2023, le recourant a relevé que le raisonnement du SECO ne pouvait être suivi. Le bonus litigieux n’avait été versé ni à la fin des rapports de travail, ni en raison de celle-ci. Il n’était d’ailleurs pas mentionné dans la lettre de résiliation des rapports de travail.

L’intéressé a en outre produit avec son écriture un addendum au contrat de travail daté du 21 avril 2020 (soit entre le moment ou le bonus a été convenu et celui où il a été payé) prévoyant que du 1er juillet au 31 décembre 2020, le recourant occuperait le poste de « Director Distributor Operation, Retail Hair », moyennant augmentation de salaire. Cette modification du contrat relative à une période ultérieure au 30 juin 2020 démontrait en tant que besoin que le bonus n’avait pas été octroyé en lien avec la fin des rapports de travail, ceux-ci ayant encore été prolongés au-delà de la date de son versement.

j. Les parties ayant pour le surplus persisté dans leurs conclusions respectives, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

3.             Le litige porte sur le délai de départ du droit aux indemnités de chômage.

4.              

4.1 L'assuré a droit à l'indemnité de chômage si, entre autres conditions, il subit une perte de travail à prendre en considération (art. 8 al. 1 let. b LACI). Il y a lieu de prendre en considération la perte de travail lorsqu'elle se traduit par un manque à gagner et dure au moins deux journées de travail consécutives (art. 11 al. 1 LACI). Il existe un certain nombre de dispositions qui visent à coordonner les règles du droit du travail avec l'ouverture du droit à l'indemnité de chômage.

La perte de travail pour laquelle le chômeur a droit au salaire ou à une indemnité pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail n'est pas prise en considération (art. 11 al. 3 LACI). En conséquence, l'assurance ne verse en principe pas d'indemnités si le chômeur peut faire valoir des droits à l'encontre de son employeur pour la période correspondant à la perte de travail invoquée. On entend par « droit au salaire » au sens de cette disposition, le salaire dû pour la période postérieure à la résiliation des rapports de travail, soit le salaire dû en cas de non-respect du délai de congé (art. 335c de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220) ou en cas de résiliation en temps inopportun (art. 336c CO). Quant à la notion de « résiliation anticipée des rapports de travail », elle vise principalement des prétentions fondées sur les art. 337b et 337c al. 1 CO (Arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2018 du 30 avril 2019, consid. 3.2; ATF 143 V 161 consid. 3.2 p. 163; voir Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l'assurance-chômage, 2014, nos 28 et 34 ad art. 11 LACI).

4.2 Selon l'art. 11a LACI, la perte de travail n’est pas prise en considération tant que des prestations volontaires versées par l’employeur couvrent la perte de revenu résultant de la résiliation des rapports de travail (al. 1). Les prestations volontaires de l’employeur ne sont prises en compte que pour la part qui dépasse le montant maximum visé à l’art. 3 al. 2 (al. 2). Le Conseil fédéral règle les exceptions lorsque les prestations volontaires sont affectées à la prévoyance professionnelle (al. 3).

L'art. 3 al. 2 LACI fait référence au gain mensuel assuré dans l'assurance-accident obligatoire, soit CHF 148'200.- (art. 22 al. 1 de l'Ordonnance sur l'assurance-accidents, OLAA ; RS 832.202, selon la teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2016). Lorsqu'elles dépassent ce montant, les prestations volontaires repoussent donc dans le temps le délai-cadre d'indemnisation, ouvrant ainsi une période de carence (Arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2018 du 30 avril 2019, consid. 3.4).

La perte de travail n'est pas prise en considération si des prestations volontaires couvrent une perte de revenu découlant de la résiliation des rapports de travail. Il s'agit, en particulier, d'éviter une indemnisation à double. Les prestations ne sont cependant prises en compte qu'à partir d'un certain seuil, afin de ne pas dissuader les employeurs de proposer des plans sociaux (RUBIN, op. cit., n° 2 ad art. 11a LACI; Vincent CARRON, Fin des rapports de travail et droit aux indemnités de chômage, retraite anticipée et prestations volontaires de l'employeur, in Panorama en droit du travail, Rémy WYLER [éd.], 2009, p. 679 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2018 du 30 avril 2019, consid. 3.5).

4.3 Aux termes des chiffres 122 à 129 du bulletin LACI IC, les prestations volontaires versées par un employeur à la résiliation d’un rapport de travail n’entraînent la non-prise en considération de la perte de travail que si elles dépassent le montant maximum du gain assuré selon l’art. 3, al. 2, LACI, soit CHF 148'200.-. Les montants affectés à la prévoyance professionnelle sont déduits, en plus du montant de CHF 148'200.-, des prestations volontaires à prendre en compte jusqu’à concurrence du montant maximum du salaire coordonné défini à l’art. 8 LPP en liaison avec l’art. 5 OPP 2. Ce montant s’élève à CHF 84'600.- et sera régulièrement adapté. La caisse doit se faire confirmer l’affectation par l’institution de prévoyance. Si, après avoir quitté l’emploi pour lequel il avait touché une prestation volontaire, l’assuré a accompli la période de cotisation minimale dans un autre emploi, la prestation volontaire n’est plus prise en considération. La période pendant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération commence à courir le premier jour après l’expiration du rapport de travail pour lequel l’assuré a touché la prestation volontaire. La date à laquelle il s’inscrit au chômage n’a donc aucune incidence sur l’écoulement de la période, de même que la prise d’une autre activité ne l’interrompt pas. Pour déterminer la durée de cette période, on divise le montant des prestations volontaires prises en compte par le salaire perçu dans le cadre de l'activité ayant donné lieu à leur versement. Si le montant du salaire variait, le salaire déterminant est le salaire moyen des six ou douze derniers mois comme prévu à l’art. 37, al. 1 et 2, OACI. Si le rapport de travail a duré moins de six mois, le salaire déterminant est le salaire moyen couvrant la durée du rapport de travail.

L’élément déterminant pour le calcul de la durée de la perte de travail non prise en considération est le salaire effectivement touché, 13e mois, gratification, etc. (C2) même si son montant dépasse le montant du gain assuré maximum (actuellement CHF 12'350.- par mois). Le taux d’occupation avant l'inscription au chômage et le taux de l'activité recherchée n’ont aucune incidence sur la perte de travail non prise en considération. Le délai-cadre d’indemnisation commence à courir le premier jour où la perte de travail est prise en considération et où l’assuré remplit toutes les autres conditions ouvrant droit à l’IC. Les périodes pendant lesquelles la perte de travail n’est pas prise en considération en raison de prestations volontaires comptent comme périodes de cotisation, que la prestation volontaire soit ou non considérée comme salaire déterminant selon la législation sur l’AVS. Les prestations volontaires qui n’entraînent pas le report du droit aux prestations ne comptent pas comme périodes de cotisation.

5.              

5.1 La notion de « prestations volontaires » au sens de l'art. 11a LACI, est définie négativement : il faut entendre les prestations allouées en cas de résiliation des rapports de travail régis par le droit privé ou par le droit public qui ne constituent pas des prétentions de salaire ou d'indemnités selon l'art. 11 al. 3 LACI (art. 10a de l'Ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI [RS 837.02]). Dans un sens large, ce sont les indemnités de départ qui excèdent ce à quoi la loi donne droit durant le délai de résiliation, à la fin des rapports de travail. Il peut s'agir de prestations reposant sur un contrat, mais seulement pour la part qui excède ce que la loi prévoit, en particulier les indemnités de départ destinées à compenser les conséquences de la perte de l'emploi (même si elles sont prévues dans un plan social ou une convention collective de travail), les gratifications, ou les bonus de rétention (contrat individuel de travail ; causes ordinaires d'extinction, in Droit du travail, Rémy WYLER et Boris HEINZER, Berne 2019, pp. 655 et 656). Il conviendra donc de bien distinguer les montants qui constituent une indemnité de départ, des montants qui récompensent les prestations passées et qui ne seraient pas versés en raison de la fin des rapports de travail. Ainsi, un bonus qui récompense l'activité passée n'est pas pris en compte par l'article 11a LACI (CARRON, op. cit., pp. 680-682). Pour délimiter le champ d'application de l'art. 11a LACI, ce qui est décisif n'est pas la qualification de la prestation au regard des règles de la LAVS sur le salaire déterminant, mais le caractère volontaire de la prestation versée par l'employeur à la fin du rapport de travail (RUBIN, op. cit., n° 5 ad art. 11a LACI). Le fait que la prestation ait été convenue avant, pendant ou au moment de la résiliation des rapports de travail n'est pas déterminant. Ces prestations peuvent par exemple découler d'un plan social ou d'une convention collective de travail ou des indemnités de départ prévues dans les contrats (cf. arrêt 4A_670/2010 du 4 avril 2011 consid. 5; Thomas NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Sécurité sociale, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016,
p. 2315 n. 168). Par contre, il n'y a pas de caractère volontaire lorsqu'il existe un droit légal à la prestation. Il est par exemple admis en doctrine que les prestations visées à l'art. 339b CO, en tant qu'elles sont obligatoires (art. 362 CO), ne sont pas des prestations volontaires entrant dans le champ d'application de l'art. 11a LACI (NUSSBAUMER, op. cit., p. 2315 n. 168; RUBIN, op. cit., n° 6 ad art. 11a LACI; cf. aussi Werner GLOOR, in Commentaire du contrat de travail, Dunand/Mahon [éd.], 2013, n° 3 ad art. 339b CO; CARRON, op. cit., pp. 681 et ss.).

5.2 Dans le cas ayant donné lieu à l'arrêt du Tribunal fédéral du 14 janvier 2016 (8C_822/2015), le directeur d'une société anonyme avait été licencié en raison du retrait d'une marque automobile du marché européen et avait conclu avec son employeur une convention réglant les modalités de la fin des rapports de travail prévue au 31 décembre 2014. Ainsi, en prévision de l'arrêt de la vente de véhicules neufs en Europe, cette convention prévoyait le versement d'une prime de rétention (« retention cash grant ») d'un montant de CHF 328'000.-, payable à la condition que l'employé ait rempli ses obligations de manière satisfaisante jusqu'à la fin des rapports de travail. Cette prime de rétention permettait ainsi à l'employeur de s'assurer que l'employé resterait disponible jusqu'à la fin des rapports de travail (consid. 3.2). Le Tribunal fédéral a en outre souligné la distinction effectuée entre, d'une part, le « retention cash grant » de CHF 328'000.- et l'indemnité de départ d'un montant de CHF 36'266.-, dont les versements dépendaient de la volonté de l'employeur et de la performance de l'employé, du versement du salaire brut dû pour le travail fourni jusqu'à la fin des rapports de travail, d'autre part. Notre Haute Cour a par ailleurs relevé que le droit au versement du « retention cash grant » et de l'indemnité de départ s'éteignait si l'employeur ou l'employé mettait fins aux rapports de travail avant la date convenue, ce qui n'était pas le cas d'un salaire versé pour des prestations supplémentaires, celui-ci étant versé au prorata du temps travaillé jusqu'à la fin des rapports de travail. Le Tribunal fédéral a donc confirmé la qualification retenue par les juges de première instance selon laquelle le « retention cash grant » constituait une prestation volontaire de l'employeur au sens des art. 11a LACI et 10a OACI (arrêt du Tribunal fédéral 8C_822/2015 du 14 janvier 2016 consid. 3.1 et 3.2).

5.3 Dans un arrêt du 19 juin 2007, le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a considéré un bonus versé au moment où la résiliation du contrat de travail avait été effective comme une prestation volontaire mais qui n'était pas liée à la fin des rapports de travail puisque ce bonus n'était pas une indemnisation pour la fin des rapports de travail mais une récompense pour les prestations fournies pendant les rapports de travail. Dès lors, il ne devait pas être pris en compte comme prestations volontaires versés par l'employeur (arrêt du Tribunal cantonal des assurances sociales de Zurich du 19 juin 2007, AL.2006.00467, consid. 4.4).

6.              

6.1 Dans le domaine des assurances sociales, la procédure est régie par la maxime inquisitoire selon laquelle les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par l'autorité (art. 43 LPGA; ATF 145 V 90 consid. 3.2; ATF 138 V 218 consid. 6). Cette règle n'est toutefois pas absolue. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Cela comporte en partie l'obligation d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi la partie concernée s'expose à devoir supporter les conséquences de l'absence de preuve (ATF 145 V 90 consid. 3.2; ATF 138 V 218 consid. 6; ATF 115 V 133 consid. 8a), sauf si l'impossibilité de prouver ce fait peut être imputée à la partie adverse (ATF 138 V 218 consid. 8.1.1).

A cet égard, il est possible de s’inspirer du principe général consacré à l’art. 8 CC selon lequel chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit (ATF 138 V 218 consid. 6; en ce sens également : ATF 146 V 51 consid. 5.1 ; ATF 145 V 90 consid. 3.2 ; ATF 115 V 133 consid. 8a ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_412/2011, du 30 avril 2012 consid. 3.2). En conséquence, la partie qui fait valoir un droit doit prouver les faits fondant ce dernier, alors que le fardeau de la preuve relatif aux faits supprimant le droit, respectivement l'empêchant, incombe à la partie, qui affirme la perte du droit ou qui conteste son existence ou son étendue (ATF 141 III 241 consid. 3 ; ATF 139 III 13 consid. 3.1.3.1 ; ATF 139 III 7 consid. 2.2). Dans le même sens, le Tribunal fédéral a récemment précisé que la partie qui se prévaut d'une exception à la règle générale doit prouver les faits qui fondent ladite exception (ATF 147 III 393 consid. 6.3.1).

6.2 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 V 427
consid. 3.2 ; ATF 139 V 176 consid. 5.3 ; ATF 138 V 218 consid. 6).

7.              

7.1 En l'occurrence, il convient d'examiner si le bonus de rétention de CHF 69'796.25 doit être qualifié de prestation volontaire de l'employeur. L'intimée et le SECO retiennent que tel est le cas puisqu'il relève purement du pouvoir discrétionnaire de ce dernier, a un lien direct avec la fin planifiée des rapports de travail et a pour objectif de prévenir un départ prématuré de l'employé. De plus, le droit au bonus n'existe pas au prorata jusqu'à la fin du contrat et le bonus de rétention s'inscrit dans un processus de mise en place d'un plan social en vue d'une volonté de l'employeur de se séparer d'une grande partie de ses employés. Par conséquent, l'intimée considère que le montant du bonus doit être inclus dans le calcul du report du droit à l'indemnité chômage.

Le recourant estime, quant à lui, que le bonus de rétention octroyé ne représente pas une prestation volontaire de l'employeur puisqu'il est prévu sur une période de travail antérieure à la résiliation du contrat de travail, qu’il récompense explicitement des prestations et des nouvelles responsabilités professionnelles durant une période (également antérieure à la résiliation) et qu’il a même été versé avec son salaire de juin 2020, soit plus de six mois avant la résiliation des rapports de travail et neuf mois avant leur terme. Sur sa fiche de salaire du mois de mars 2021 qui liste notamment les montants versés au titre d’indemnité de départ, le bonus ne figure pas.

7.2 Pour retenir une prestation volontaire de l'employeur au sens de la LACI, il faut que la prestation ait été accordée dans le cadre de la résiliation des rapports de travail. Il convient de distinguer les montants versés en lien avec le départ de l'employé des montants qui récompensent les prestations passées et qui, a contrario, ne sont pas versés en raison de la fin des rapports de travail.

En 2019, l'employeur a traversé une période économique difficile et a mis en place un plan social le 25 novembre 2019.

L'accord relatif au bonus de rétention a été approuvé et signé le 12 septembre 2019, soit plus de deux mois avant la mise en place du plan social, dans le but d'encourager le recourant à rester au service de l'employeur jusqu'au 30 juin 2020 et pour le rémunérer des responsabilités et tâches supplémentaires qu’il serait amené à assumer dans l’intervalle, suite au départ du directeur des ventes. Ses tâches et responsabilités supplémentaires sont d’ailleurs listées dans l’attestation du 6 avril 2022 de l’employeur, dans laquelle celui-ci confirme également explicitement que le montant de CHF 69'796.25 a bien été octroyé en contrepartie de l’accomplissement desdites tâches et non en lien avec le plan social ou la résiliation des rapports de travail du recourant. Le montant n’a d’ailleurs pas été versé au terme des rapports de travail, mais neuf mois auparavant. Il est même antérieur de six mois à la lettre de résiliation du
11 décembre 2020, laquelle liste d’ailleurs de manière détaillée les prestations octroyées par l’employeur dans le cadre de la fin des rapports de travail, y compris celles découlant du plan social de 2019, ce sans faire aucune mention du bonus de rétention.

Quant à l’argument de l’intimée selon lequel le bonus ne peut être considéré comme un élément de salaire dans la mesure où son versement est subordonné au fait que les rapports de travail n’aient pas été interrompus prématurément, il n’est pas convaincant. En effet, la date du 30 juin 2020 mentionnée dans l’accord relatif au bonus correspond au terme de la période durant laquelle l’assuré a été amené à assumer des tâches et responsabilités supplémentaires de responsable des ventes, pour lesquelles il a perçu la somme litigieuse. Il est ainsi cohérent que l’employeur ait souhaité s’assurer que l’intéressé assurerait l’intégralité des tâches liées à cette transition, ce durant toute la période prédéterminée, et avant de lui octroyer la rémunération y relative. En outre, les rapports de travail ont encore perduré neuf mois de plus que la date prévue dans l’accord du 12 septembre 2019, le recourant ayant assumé de nouvelles tâches dès le 1er juillet 2020.

Au vu de ces éléments, la chambre de céans ne peut que constater que la situation est fondamentalement distincte de celle visée dans l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_822/2015 du 14 janvier 2016 évoqué par le SECO. Le montant de CHF 69'796.25 ne s’apparente en effet nullement, que ce soit du point de vue matériel ou temporel, à une prestation volontaire de l’employeur versée de manière discrétionnaire à la résiliation des rapports de travail. Il constitue au contraire une contreprestation pour des tâches et responsabilités supplémentaires précises assumées par le recourant pour le compte de l’employeur de septembre 2019 à fin juin 2020, soit durant une phase de restructuration.

Dans ces circonstances et contrairement à ce que soutiennent l’intimée et le SECO, il s’agit donc bien d’un élément de salaire, que l’employeur avait l’obligation de verser moyennant l’accomplissement par le recourant des tâches supplémentaires liées à la fonction de directeur des ventes, ce jusqu’au 30 juin 2020. Le seul fait que le bonus ait été versé dans le cadre d’une restructuration ne suffit pas à le requalifier en prestation volontaire versée par l’employeur et couvrant la perte de revenu résultant de la résiliation des rapports de travail au sens de l’art. 11a LACI.

8.             Partant, le bonus de CHF 69'796.25 versé au 30 juin 2020 doit être retranché du montant total des prestations volontaires calculées par l’intimée dans son calcul du report de l’indemnité chômage. Pour le surplus, cette somme ayant été versée plus de six mois avant la fin des rapports de travail et correspondant à des prestations fournies par l’intéressé également plus de six mois avant cette date, elle est sans incidence sur le salaire moyen pris en compte par l’intimé, lequel demeure inchangé à CHF 24'097.- par mois. Ce montant n’est d’ailleurs à juste titre pas contesté par les parties.

Partant, le calcul du report du droit au chômage se présente comme suit :

-          Prestations volontaires : + CHF 266'821.10

-          Franchise : - CHF 148'200.-

-          Rachat LPP : - CHF 69'000.-

-          Solde : = CHF 49'621.10

Ce solde correspond à 2.059 mois (CHF 49'621.10 : CHF 24'097.-) de report du droit à l’indemnité chômage, soit deux mois et un jour (0.59 x 30 : 1,4 = 1.26 jour, ramené au jour entier inférieur, cf. le chiffre B 127 du bulletin LACI IC).

Le départ du droit aux indemnités de chômage du recourant est ainsi fixé au 2 juin 2021.

9.             Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à une indemnité à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA) qui sera fixée à
CHF 2'000.- à charge de l’intimée.

Il ne peut en revanche prétendre au remboursement des frais de l’émolument pour photocopies de CHF 152.-, ni la LPGA, ni la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ne prévoyant aucune obligation, à charge de la partie intimée de transmettre gratuitement un second exemplaire des pièces annexées à sa réponse. À rigueur de texte, seule la demande doit être adressée en deux exemplaires à la juridiction, accompagnée des pièces invoquées (art. 89B al.1 et 2 LPA). Il appartient ensuite à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice de remettre un double de la demande ou du recours (et non des pièces) à la partie défenderesse ou intimée et lui fixe un délai pour sa réponse (al.4). Le droit de consulter le dossier et son étendue sont pour leur part réglés à l'art. 44 LPA applicable par le renvoi de l'art. 89A LPA. Ainsi, dès le dépôt d’un recours, les parties sont admises en tout temps à consulter le dossier soumis à la juridiction saisie (al. 2). L’autorité délivre copie des pièces contre émolument (al. 4).

Cette disposition permet de consulter le dossier, mais non de demander l’envoi de la copie d’une pièce spécifique par correspondance, ni a fortiori la remise en prêt du dossier original (arrêts de la Chambre administrative de la Cour de justice ATA/769/2015 du 28 juillet 2015 consid. 4c et ATA/192/2016 du 1er mars 2016 consid. 4b), encore moins à titre gratuit.

Au vu de la possibilité pour le conseil du recourant de venir consulter les pièces au greffe et faute d’obligation légale tant pour l’intimée que pour la chambre de céans d’en fournir gratuitement un exemplaire, l’émolument relatif aux photocopies des pièces ne sera pas remboursé.


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimée du 10 août 2021.

4.        Dit que le recourant a droit aux indemnités de chômage à partir du 2 juin 2021.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à charge de l'intimé.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le