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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1783/2022

ATAS/848/2023 du 07.11.2023 ( LAA )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1783/2022 ATAS/848/2023

 

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 7 novembre 2023

Chambre 8

 

En la cause

A______

représenté par Me Butrint AJREDINI, avocat

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

 

intimée

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1990, a travaillé chez B______ en tant qu’employé polyvalent depuis le 1er septembre 2018. À ce titre, il était assuré auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d’accidents (ci-après : SUVA ou l'intimée).

b. Le 26 novembre 2019, l’assuré a chuté à moto en glissant sur du gravier avec réception sur l’hémicorps droit. Les médecins ont alors posé les diagnostics de disjonction acromio-claviculaire et de contusions multiples (hanche droite, poignet droit, coude droit). L’incapacité de travail était totale depuis l’accident.

c. Les suites de l’accident ont été prises en charge par la SUVA.

d. En raison de la persistance des douleurs du sus-épineux, d’un léger déficit en abduction et rotation interne, ainsi que d’une éventuelle déchirure tendineuse, une échographie de l’épaule droite a été effectuée le 26 février 2020. Celle-ci a conclu à une tendinopathie fissuraire quasi-transfixiante du tiers antérieur du supra-épineux et à une discrète bursite sous-acromio-deltoïdienne droite.

e. Selon le rapport du 27 février 2020 du docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assuré est logisticien dans la vitrerie et a repris le travail sans charge depuis fin 2019. En raison de persistance des douleurs en mouvement et en charge, il avait de nouveau consulté son médecin traitant. Il n’avait jamais eu de douleurs d’épaule avant l’accident. Selon le Dr C______, l’assuré présentait une lésion traumatique du tendon sus-épineux droit.

f. L’arthro-imagerie par résonance magnétique (ci-après : IRM) de l’épaule droite, effectuée le 9 mars 2020, a mis en évidence une petite rupture partielle de la face profonde et antérieure associée à une tendinopathie du supra-épineux, une absence de rupture transfixiante et une minime bursite sous-acromio-deltoïdienne.

g. Depuis le 14 décembre 2020, une incapacité de travail totale est attestée.

h. Selon le rapport du 12 janvier 2021 du Dr C______, l’assuré notait une péjoration progressive de la situation douloureuse avec des douleurs spécifiques en élévation/abduction avec faiblesse et douleur aux mouvements répétitifs. Pour le reste, l’examen orthopédique était superposable au précédent.

i. Dans son rapport du 3 mai 2021, le Dr C______ a attesté une évolution favorable et que l’assuré avait regagné une mobilité complète. Toutefois, il persistait un claquement supérieur lors des mouvements de rotation externe/abduction. Il commençait à travailler le renforcement. L’arrêt de travail perdurait.

j. Le 23 juin 2021, l’assuré a été examiné par le docteur D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin d'arrondissement de la SUVA. Dans le rapport y relatif, il est mentionné que l’assuré a été licencié fin avril 2021. Il n’y avait aucune limitation dans les amplitudes des deux épaules, lesquelles étaient strictement symétriques. Le médecin d’arrondissement a noté par ailleurs la présence d’un signe de Rockwood bilatéral et symétrique avec tiroir antéro-postérieur, témoignant d’une instabilité potentielle des épaules, sans aucun antécédent de luxation. L’examen orthopédique de l’épaule droite était ainsi normal. En dépit des douleurs évoquées par l’assuré au niveau de cette articulation, l’évolution était excellente sans aucun signe pathologique lors de l’élévation de la coiffe des rotateurs. Quant à la discrète instabilité des deux épaules, elle était constitutionnelle et ne pouvait pas être liée à l’accident. Toutefois, il y avait lieu de procéder à des examens radiologiques complémentaires.

k. L’arthro-IRM de l’épaule droite effectuée le 29 juin 2021 a conclu à la persistance d’une tendinopathie insertionnelle du supra-épineux avec micro-fissure de sa face profonde, non majorée depuis le dernier contrôle, à l’absence de signe de rupture transfixiante et à la persistance d’une discrète bursite sous-acromio-deltoïdienne.

l. Selon le rapport du 1er juillet 2021 du Dr C______, l’assuré gardait des douleurs au repos avec le poids du membre supérieur. Le running et le vélo étaient douloureux de par la position. Les mouvements répétitifs (visser) étaient rapidement épuisants et douloureux. Dans les exercices de renforcement, il arrivait à épuisement avec trois kilos après huit répétitions. Il n’arrivait toujours pas à porter les courses. Toutefois, la mobilité restait complète et il persistait un claquement supérieur lors de mouvements de rotation externe/abduction. Ce médecin s’est par ailleurs étonné que le rapport du Dr D______ ne mentionnait pas les éléments anamnestiques de douleurs et les limitations fonctionnelles. Selon l’assuré, la consultation était brève et l’examen clinique sommaire. De l'avis du Dr C______, l’assuré n’était pas physiquement apte à reprendre son activité préalable et une reconversion auprès de l’assurance-invalidité était préconisée. L’assuré continuait à être incapable de travailler à 100%.

m. Par courrier du 25 juin 2021, la SUVA a informé l’assuré que, selon son médecin d'arrondissement, il était capable de reprendre le travail à plein temps avec un rendement à 100% dès le jour de l’examen. Cela étant, la SUVA cessera de verser à l’assuré les indemnités journalières dès le 1er juillet 2021. Dans un courrier de la même date, elle a précisé que son médecin d’arrondissement avait considéré que les troubles persistants n’avaient actuellement plus aucun lien avec l’accident.

n. Selon le rapport du 12 juillet 2021 du docteur E______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, les examens radiologiques ne révélaient pas de signes compatibles avec des lésions traumatiques de la coiffe. Il existait des signes de tendinopathie bénins.

o. Depuis le 1er août 2021, l’assuré est aidé par l’Hospice général.

p. Selon le rapport du 14 octobre 2021 du docteur F______, du département de chirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), les amplitudes articulaires étaient préservées à l’examen clinique, avec cependant des douleurs systématiques bicipitales lors du testing de la force dans tous les secteurs. Les tests d’instabilités étaient également positifs sur le plan douloureux avec un push pull test positif en postérieur en particulier. Le diagnostic de ce médecin était une épaule de type douloureuse instable associée à une pathologie bicipitale. Au vu de l’échec du traitement conservateur, une arthroscopie d’épaule avec ténodèse du biceps et réinsertion du labrum supérieur pourrait être proposée à l’assuré.

q. Dans son rapport du 27 octobre 2021, le Dr D______ a déclaré que l’arthro-IRM confirmait l’absence de pathologie liée à l’accident. L’instabilité annoncée n’était pas en lien avec cet événement.

r. Par décision du 27 octobre 2021, la SUVA a confirmé que les troubles persistants et l’opération envisagée n’étaient plus en lien avec l’accident et qu'elle mettait fin à ses prestations au 1er juillet 2021.

B. a. Par courrier du 29 novembre 2021, l’assuré a formé opposition à cette décision, par l’intermédiaire de son conseil, en concluant à son annulation et au versement des indemnités journalières dès le 1er juillet 2021. Par courrier du 4 janvier 2022, l’assuré a motivé son opposition. Il a relevé qu’il était encore jeune, 31 ans, et qu'il avait été en parfaite santé avant l’accident. Son état de santé ne lui permettait pas une reprise de son activité professionnelle et une reconversion était nécessaire.

b. Par décision du 27 avril 2022, la SUVA a rejeté l’opposition de l’assuré. Un raisonnement fondé sur l’adage « post hoc, ergo propter hoc » ne permettait pas d’établir un lien de causalité naturelle au degré de la vraisemblance prépondérante. Par ailleurs, les investigations médicales menées dans le cadre de la « second opinion » n’avaient pas montré de séquelles post-sinistre, mais des problématiques pathologiques à la charge de l’assureur-maladie. L’avis du Dr D______ était cohérent et motivé, de sorte qu’une pleine valeur probante devait lui être attribuée.

C. a. Par acte du 30 mai 2022, l’assuré a interjeté recours contre cette décision, par l’intermédiaire de son conseil en concluant à son annulation et à la condamnation de la SUVA au paiement des indemnités journalières dès le 1er juillet 2021, sous suite de dépens. Le médecin d’arrondissement avait posé de manière précipitée et sans examen approfondi le diagnostic dans son appréciation médicale du 21 juin 2021, de sorte que cet avis ne pouvait être considéré comme suffisamment probant. Il ressortait au contraire de l’arthro-IRM effectuée le 29 juin 2021 qu’il présentait toujours une tendinopathie insertionnelle du supra-épineux avec micro-fissure de sa face profonde et une discrète bursite sous-acromio-deltoïdienne. Il était par ailleurs étonnant que le Dr D______ n’ait pas mentionné les douleurs et les limitations fonctionnelles. Quant à l’avis du Dr F______, il ne confirmait pas l’absence de lien de causalité entre les pathologies constatées à l’épaule droite et l’accident. Tout portait à croire que les douleurs et la nécessité d’une intervention chirurgicale étaient toujours en relation de causalité naturelle et adéquate avec l’accident. En outre, son état de santé demeurait instable.

b. Dans sa réponse du 25 août 2022, la SUVA a conclu au rejet du recours, en se fondant sur l’avis du Dr D______.

c. Dans sa réplique du 24 octobre 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions. Il a souligné qu’il n’avait aucun antécédent médical pouvant justifier une « épaule instable », d’autant plus qu’il était jeune. Par ailleurs, selon les informations médicales recueillies, l’instabilité de l’épaule pouvait être post-traumatique, post-luxation ou atraumatique, comme chez les sujets hyperlaxes. Or, rien dans le dossier médical ne laissait penser qu’il était un sujet hyperlaxe. En outre, les douleurs ne concernaient pas les deux épaules. Pour le surplus, le recourant a repris ses précédents arguments.

d. Par écritures du 24 novembre 2022, l'intimée a persisté dans ses conclusions.

D. a. Le 12 juin 2023, la Cour de céans a informé les parties qu'elle avait l'intention de mettre en œuvre une expertise judiciaire et de la confier au docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur. Elle leur a également communiqué la mission d'expertise.

b. Par écriture du 24 août 2023, l'intimée a récusé l'expert pressenti, celui-ci étant en conflit ouvert avec elle pour des questions administratives. Elle a dès lors proposé comme experts les professeur H______, docteurs I______ et J______.

c. À la même date, le recourant a accepté le choix de l'expert et sa mission.

d. Invité à se déterminer sur les experts judiciaires proposés par l'intimée, le recourant s'est opposé à la récusation du Dr G______, ainsi qu'aux propositions d'experts par l'intimée. Un conflit d'ordre administratif avec celle-ci ne constituait pas un motif de récusation suffisant. Par ailleurs, "les experts proposés par la SUVA ne doivent pas être désignés par [la Cour de céans] dans la mesure où c'est leur [sic] service médical qui les propose".

 

EN DROIT

1.             Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Dans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en ce sens que lorsque les instances cantonales de recours constatent qu'une instruction est nécessaire parce que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise, elles sont en principe tenues de diligenter une expertise judiciaire si les expertises médicales ordonnées par l’office cantonal de l’assurance-invalidité ne se révèlent pas probantes (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3). Cela étant, un renvoi à l'administration pour mise en œuvre d'une nouvelle expertise reste possible, même sous l'empire de la nouvelle jurisprudence, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

2.             En l'occurrence, au vu des avis opposés du médecin d'arrondissement et du Dr C______, il y a lieu de procéder à une expertise judiciaire portant sur le lien de causalité entre les atteintes à l'épaule droite et l'accident.

3.              

3.1 Quant au choix de l'expert, le recourant persiste à ce que l'expertise soit confiée au Dr G______, au motif qu'un conflit d'ordre administratif, tel qu'allégué par l'intimée, ne constitue pas un motif de récusation.

Toutefois, renseignement pris auprès de ce dernier médecin, il fait l'objet d'une procédure judiciaire entamée par l'intimée. Il ne s'agit ainsi pas d'un simple conflit administratif. Partant, l'impartialité de ce médecin en tant qu'expert ne peut être garantie.

3.2 En ce qui concerne les médecins proposés par l'intimée, le recourant ne fait valoir aucun motif de récusation, si ce n'est qu'ils ont été proposés par le service médical de cette dernière. Or, cela est insuffisant pour étayer une récusation, en l'absence d'autres indices pour une éventuelle prévention.

3.3 Cela étant, l'expertise judiciaire sera confiée au Dr I______, orthopédiste FMH spécialisé dans la chirurgie de la hanche, du genou et de l'épaule, à l'Hôpital de la Providence à Neuchâtel.

4.             Le projet de mission de l'expert n'a pas été contesté par les parties.


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

 

A.           Ordonne une expertise orthopédique.

B.            La confie au Dr I______.

C.           Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

I. Prendre connaissance du dossier de la cause;

II. Examiner l’expertisé et, si nécessaire, ordonner d’autres examens;

III. Charge l’expert de répondre aux questions suivantes :

1.         Anamnèse.

2.         Données subjectives de la personne.

3.         Constatations objectives.

4.         Diagnostics.

5.         Plaintes.

6.         Quelles atteintes constatez-vous à l’épaule droite ?

7.         Ces atteintes sont-elles dans un rapport de causalité avec l’accident de l’expertisé survenu le 26 novembre 2019 au degré de la vraisemblance prépondérante ?

Sur quels éléments vous fondez-vous pour votre réponse ?

Constatez-vous en particulier une instabilité antéro-postérieure des deux épaules constitutionnelle et sans rapport avec l’accident ?

8.         Le cas est-il stabilisé ?

9.         À quelle date le statu quo sine vel ante a-t-il été atteint ?

10.     Quelle est la capacité de travail de l’expertisé dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée en raison des seules atteintes dans un rapport de causalité avec l’accident ? Y a-t-il une diminution de rendement à cause de ces atteintes ?

11.     Quelles sont les limitations fonctionnelles de l’expertisé en raison des atteintes dans un rapport de causalité avec l’accident ?

12.     Un traitement médical est-il encore nécessaire pour les atteintes en rapport de causalité avec l’accident et, dans l’affirmative, pendant quelle durée ?

13.     L’expertisé subit-il une atteinte à l’intégrité et, dans l’affirmative, de quel pourcentage ?

14.     Partagez-vous l’appréciation du Dr D______, médecin-conseil de la SUVA, des 26 juin et 27 octobre 2021 (pièces 83 et 113 SUVA) ?

15.     Quelles autres observations avez-vous, le cas échéant, à ajouter ?

D.           Invite l’expert à déposer à sa meilleure convenance un rapport en trois exemplaires à la chambre de céans ;

E.            Réserve le fond.

 

La greffière

 

 

 

 

Diana ZIERI

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties le