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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1801/2023

ATAS/591/2023 du 08.08.2023 ( CHOMAG ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1801/2023 ATAS/591/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 août 2023

Chambre 15

 

En la cause

A______ SA

soit pour elle, Monsieur Shpëtim URUQI

 

 

recourante

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI

 

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. La société A______ SA (ci-après : l'employeuse ou la recourante) est décrite par son administrateur unique, Monsieur B______, comme une société de plâtrerie et de peinture. Elle est inscrite au Registre du commerce genevois depuis le 9 juin 2020 avec pour but, en particulier, toutes activités de second-œuvre.  

b. Elle a annoncé, par préavis du 20 mars 2023, à l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) son intention d'introduire la réduction de l'horaire de travail (ci-après : RHT) pour trois employés (sur cinq) à un taux de 100% du 1er mars au 31 mai 2023. Elle a exposé qu’elle subissait une perte de travail en raison du report et du démarrage retardé de certains chantiers.

B. a. Par décision du 21 mars 2023, l’OCE a fait opposition audit préavis, dès lors que la perte de travail invoquée par l'employeuse, soit le retard des chantiers, relevait du risque normal d'exploitation que cette dernière devait assumer et, qu'au surplus, la demande de RHT n'avait pas été déposée au moins 10 jours avant le début de la période pour laquelle l’employeuse souhaitait percevoir l’indemnité en raison de la RHT, de sorte que cette dernière n'aurait pas pu débuter à la date requise.

b. L’employeuse a fait opposition à cette décision, le 22 mars 2023, au motif qu’elle ne pouvait pas régler les salaires de ses employés en raison de problème de trésorerie. Elle sollicitait la reconsidération de la décision litigieuse. Elle a produit en annexe à son opposition une copie d'un courriel d’une cocontractante, la société C______ SA, du 22 mars 2023, l’informant que le chantier avait pris du retard à cause de problèmes de trésorerie qu'elle-même rencontrait pour l'achat de matériaux.

c. Par décision sur opposition du 10 mai 2023, l’OCE a rejeté l’opposition. En effet, une perte de travail n'était pas prise en considération lorsqu’elle était habituelle dans la branche, la profession ou l'entreprise. Les pertes de travail régulières et récurrentes étaient ainsi exclues de l'indemnisation en cas de RHT, car elles étaient prévisibles et pouvaient être chiffrées à l'avance ; dans les domaines de la construction et du second-œuvre notamment, il arrivait souvent que les délais soient reportés à la demande du mandant ou pour d'autres raisons, de sorte que les pertes de travail en résultant faisaient partie du risque d'exploitation. L’OCE citait à l’appui de sa décision le « Bulletin LACI RHT » du Secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO).

C. a. Par acte du 25 mai 2023, l’employeuse a recouru à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre des assurances sociales) contre cette décision en demandant que soit acceptée sa demande d’indemnisation. Le contrat avec C______ SA avait été annulé, car une de ses clauses prévoyait que cette société devait avoir une trésorerie suffisante, ce qui n’était pas le cas. Ce contrat, s’il n’avait pas dû être annulé, aurait occupé les travailleurs de l’employeuse durant toute l’année 2023.

b. Par acte du 23 juin 2023, l’OCE a persisté dans les termes de sa décision, faute d’argument nouveau présenté par l’employeuse.

c. La cause a été gardée à juger après la fin du délai pour une éventuelle réplique.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 à 60 LPGA).

3.             Le litige porte sur la question de savoir si c’est à bon droit que l’intimé a fait opposition au préavis et a ainsi refusé le versement de l’indemnité en cas de RHT sollicitée par la recourante.

4.              

4.1 Selon l’art. 31 al. 1 LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité pour réduction de l’horaire de travail lorsqu’ils sont tenus de cotiser à l’assurance ou qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge minimum de l’assujettissement aux cotisations AVS (let. a), lorsque la perte de travail doit être prise en considération (let. b), lorsque le congé n’a pas été donné (let. c) et enfin, lorsque la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire et que l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question (let. d).

4.2 À teneur de l’art. 32 LACI, la perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due à des facteurs d'ordre économique et est inévitable (al. 1 let. a) et lorsqu’elle est d'au moins 10% de l'ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l'entreprise (al. 1 let. b). Pour chaque période de décompte, un délai d'attente de trois jours au plus, fixé par le Conseil fédéral, est déduit de la perte de travail à prendre en considération (al. 2). Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d'autres circonstances non imputables à l'employeur. Il peut prévoir en l'occurrence des délais d'attente plus longs, dérogeant à la disposition de l'al. 2, et arrêter que la perte de travail ne peut être prise en compte qu'en cas d'interruption complète ou de réduction importante du travail dans l'entreprise (al. 3).

4.3 Conformément à l’art. 33 al. 1 let. a dernière partie de la phrase et let. b LACI, la perte de travail n’est pas prise en considération, même si elle satisfait aux critères énoncés à l’art. 32 al. 1, lorsqu’elle est due à des circonstances inhérentes aux risques normaux d’exploitation que l'employeur doit assumer ou lorsqu’elle est habituelle dans la branche, la profession ou l’entreprise, ou est causée par des fluctuations saisonnières de l’emploi.

4.4 Enfin, selon l’art. 51 de l’ordonnance du Conseil fédéral sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 31 août 1983 (OACI - RS 837.02), les pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, ou qui sont dues à d'autres motifs indépendants de la volonté de l'employeur, sont prises en considération lorsque l'employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou faire répondre un tiers du dommage (al. 1). La perte de travail est notamment à prendre en considération lorsqu'elle est causée par (al. 2) : l'interdiction d'importer ou d'exporter des matières premières ou des marchandises (let. a), le contingentement des matières premières ou des produits d'exploitation, y compris les combustibles (let. b), des restrictions de transport ou la fermeture des voies d'accès (let. c), des interruptions de longue durée ou des restrictions notables de l'approvisionnement en énergie (let. d), des dégâts causés par les forces de la nature (let. e).

4.5 Le Tribunal fédéral précise que doivent être considérés comme des risques normaux d'exploitation, les pertes de travail habituelles, c'est-à-dire celles qui, d'après l'expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l'objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d'exploitation généralement assumés par une entreprise ; ce n'est que lorsqu'elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu'elles ouvrent droit à une indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail. Par ailleurs, la question du risque normal d'exploitation ne saurait être tranchée de manière identique pour tous les genres d'entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l'activité spécifique de l'exploitation en cause (ATF 119 V 498 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 173/03 du 23 septembre 2003 consid. 2.1 in DTA 2004 p. 57).

4.6 Les fluctuations du carnet de commandes au cours de l’année et le report des délais à la demande du mandant ou pour d'autres raisons indépendantes de la volonté de l’entreprise mandatée pour l’exécution des travaux sont courants dans le secteur de la construction. La perte de travail qui en découle est habituelle dans l’entreprise et ne doit donc pas être prise en considération. Cela vaut également lorsque la situation économique est tendue ou en période de récession, lorsque la possibilité de donner la préférence à d’autres mandats risque d’être limitée, voire d’avoir disparu. Dans le domaine de la construction, les fluctuations de l’emploi en raison d’une situation de concurrence renforcée font partie du risque normal d’exploitation (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 237/06 du 6 mars 2007).

Même les pertes de travail dues à l'annulation de travaux ensuite de l'insolvabilité du maître de l'ouvrage ou provoquées par le retard d'un projet en raison d'une procédure d'opposition constituent des risques normaux d'exploitation (DTA 1999 n° 10 pp. 50ss consid. 2 et 4, 1998 n° 50 pp. 291-292 consid. 1 et les références citées).

4.7 Le Tribunal fédéral a en sus jugé qu’une entreprise, qui s’est volontairement concentrée sur un gros client pour des motifs économiques, a pris un risque calculé, de sorte que la perte de travail subie suite à la perte du client n’est pas due à des raisons extraordinaires et fait partie des risques normaux d’exploitation (arrêt du Tribunal fédéral 8C_291/2010 du 19 juillet 2010). La relation commerciale d’une entreprise avec un de ses principaux clients comporte, même si l’entente est bonne, le risque prévisible de subir une baisse de son chiffre d’affaires en cas de changement des relations, de sorte que ce risque considérable fait partie du risque normal d’exploitation (arrêt du Tribunal fédéral 8C_279/2007 du 17 janvier 2008).

4.8 Il en a été jugé de même de problèmes de financement rencontrés par un client, l'attente d'une décision d'adjudication, d'un permis de construire ou de la finalisation d'un financement d'un projet, lesquels sont des risques habituels avec lesquels les employeurs de la branche du génie civil devaient compter (arrêt du Tribunal fédéral C 113/00 du 13 septembre 2000).

4.9 Le bulletin LACI RHT du SECO rappelle la jurisprudence développée par le Tribunal fédéral s’agissant du risque normal d’exploitation, en indiquant que des pertes de travail susceptibles d'intervenir dans chaque entreprise sont considérées comme risques normaux d'exploitation, tandis qu'une perte de travail exceptionnelle pour l'entreprise sera prise en considération (bulletin RHT D3 in fine), ainsi que les risques normaux d'exploitation (notamment les fluctuations régulières du carnet de commandes, les pertes de travail dues, dans le secteur de la construction, à la nécessité de différer des travaux en raison de l'insolvabilité du maître d'ouvrage (bulletin RHT D6). S’agissant de la perte de travail habituelle dans la branche, la profession ou l’entreprise, il est précisé que les pertes de travail régulières et récurrentes sont exclues de l'indemnisation en cas de réduction de l'horaire de travail, car elles sont prévisibles et peuvent être chiffrées à l'avance. Une perte de travail n'est prise en considération que si elle est due à des circonstances exceptionnelles (bulletin RHT n° D7).

5.              

5.1 En l’occurrence, la recourante a motivé sa demande de réduction de l’horaire de travail en exposant qu’une société avec laquelle elle avait conclu un contrat avait souffert d’un manque de trésorerie, ce qui avait justifié l’annulation dudit contrat.

5.2 Conformément à la jurisprudence précitée, tant les problèmes de trésorerie que la perte d’un mandat important relèvent également du risque ordinaire d’exploitation qui concerne tous les employeurs de la branche de la construction. Ces derniers ne peuvent en conséquence pas prétendre à une indemnité pour RHT. La perte de travail ne relève pas davantage des risques prévus par l’art. 51 OACI. Il n’est en effet ni le résultat d’une interdiction d'importer ou d'exporter des matières premières ou des marchandises, d’un contingentement des matières premières ou des produits d'exploitation, de restrictions de transport ou d’une fermeture des voies d'accès, d’interruptions de longue durée ou des restrictions notables de l'approvisionnement en énergie, ou encore de dégâts causés par les forces de la nature, de sorte qu’elle ne peut pas être prise en considération sur la base de cette dernière disposition.

C’est donc à juste titre que l’intimé a refusé la demande de réduction de l’horaire de travail de la recourante, la perte de travail évoquée ne devant pas être prise en considération.

Au regard de ce qui précède, le recours est rejeté.

5.3 Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare de recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le