Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/309/2022

ATAS/593/2023 du 11.08.2023 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/309/2022 ATAS/593/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 11 août 2023

Chambre 9

 

En la cause

A______

représenté par Maître Marie-Josée COSTA

 

 

recourant

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : le bénéficiaire), né le ______ 1971, est marié à Madame B______ depuis 2004.

b. Il perçoit des prestations complémentaires à sa rente d’invalidité depuis le 1er novembre 2007.

B. a. Par décision du 21 avril 2021, l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI) a suspendu la rente d’invalidité de l’intéressé à compter du 1er novembre 2018. Il avait reçu l’information que le bénéficiaire était incarcéré depuis août 2018.

b. Par décision du 29 avril 2019 (sic), annulant et remplaçant sa décision du 21 avril 2019 (sic), l’OAI a suspendu la rente dès le mois qui a suivi le début de la peine.

c. Par décisions du 21 septembre 2021, le service des prestations complémentaires (ci-après : SPC) a supprimé le droit aux prestations du bénéficiaire depuis le 1er septembre 2018 et réclamé la restitution de CHF 118'582.80 à titre de trop-perçu pour la période du 1er septembre 2018 au 30 septembre 2021.

Dans son courrier d’accompagnement du 28 septembre 2021, le SPC a informé le bénéficiaire qu’il avait appris par l’OAI que sa rente AI avait été suspendue dès le 1er septembre 2018. Il perdait ainsi le droit aux prestations complémentaires depuis cette date. Il convenait donc de supprimer le versement de toutes les prestations versées au bénéficiaire et à son épouse depuis le 1er septembre 2018.

d. Le 2 novembre 2021, le bénéficiaire s’est opposé à cette décision, précisant qu’il envisageait de former une demande de reconsidération à l’encontre de la décision de rente AI.

e. Par décision sur opposition du 17 décembre 2021, le SPC a maintenu sa décision. Aucune opposition n’avait été formée à l’encontre de cette décision. Le bénéficiaire ne l’avait pas averti du changement dans sa situation personnelle. Or le fait de bénéficier d’une rente AI était une condition sine qua non pour avoir droit aux prestations complémentaires. Il ne pouvait dès lors ignorer qu’une telle information aurait un impact sur son droit à des prestations complémentaires.

C. a. Par acte du 20 janvier 2022, le bénéficiaire a contesté cette décision devant le SPC, concluant à l’annulation des « décisions des 21 et 28 septembre 2021 ». Il envisageait de former une demande de reconsidération de la décision de l’OAI du 7 mai 2021.

Cet acte a été transmis, pour raison de compétence, à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice.

b. Le 27 avril 2022, le bénéficiaire a produit la demande de réexamen de sa rente AI, adressée à l’OAI le 6 avril 2022. Il a sollicité la suspension de la cause jusqu’à droit jugé sur sa demande de réexamen de la rente AI.

c. Par réponse du 20 mai 2022, le SPC a conclu au rejet du recours. Dès lors que la rente AI avait été suspendue, son droit aux prestations complémentaires tombait automatiquement.

d. Le 7 juin 2022, le SPC s’est déclaré favorable à la suspension de la procédure.

e. Par ordonnance du 24 juin 2022, la chambre de céans a suspendu l’instruction de la cause en application de l’art. 78 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10).

f. Le 27 janvier 2023, le bénéficiaire a produit la décision de reprise de rente AI du 25 août 2022, dont il ressort que ce dernier a droit à une rente mensuelle depuis le 1er août 2021 « en raison de la fin de [son] incarcération ». Le rétroactif de rente pour la période du 1er août 2021 au 31 août 2022 s’élevait à CHF 21'190.-.

g. Le 7 février 2023, le SPC a informé la chambre de céans qu’il avait rendu une nouvelle décision en date du 21 novembre 2022, accordant au bénéficiaire des prestations complémentaires fédérales et cantonales à compter du 1er août 2021.

h. Par ordonnance du 27 février 2023, la chambre de céans a ordonné la reprise de la procédure.

i. Le 24 mars 2023, le bénéficiaire a rappelé que la période litigieuse remontait à septembre 2018, de sorte qu’elle n’était pas entièrement couverte par la décision du 21 novembre 2022. Selon les directives, les prestations complémentaires continuaient d’être versées pour toutes les autres personnes comprises dans le calcul. C’était dès lors à tort que le SPC n’avait pas refait les calculs relatifs à son épouse. Quant à l’obligation d’informer, le SPC perdait de vue que la décision de suspension de la rente AI lui avait été adressée, comme en témoignait le tampon de réception du 28 avril 2021. Il n’avait dès lors rien de plus à lui communiquer.

j. Le 13 avril 2023, le SPC a conclu au rejet du recours. C’était à juste titre que le SPC avait repris le calcul des prestations complémentaires à compter du 1er août 2021, soit dès la reprise du versement de la rente AI, rente à laquelle les prestations complémentaires étaient subordonnées.

k. Le 4 mai 2023, le bénéficiaire a persisté dans ses conclusions et fait valoir sa bonne foi.

l. Cette écriture a été transmise au SPC.

 

 

 

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA ; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à
l’assurance-invalidité [LPFC - J 4 20] ; art. 43 LPCC).

2.              

2.1 L’art. 53 al. 3 LPGA dispose que jusqu’à l’envoi de son préavis à l’autorité de recours, l’assureur peut reconsidérer une décision ou une décision sur opposition contre laquelle un recours a été formé. Il reprend ainsi le contenu de l’art. 58 al. 1 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968
(PA - RS 172.021), à teneur duquel l’autorité inférieure peut, jusqu’à l’envoi de sa réponse, procéder à un nouvel examen de la décision attaquée. Si la nouvelle décision rendue pendente lite par l'assureur fait entièrement droit aux conclusions du recourant, en d'autres termes donne entière satisfaction à celui-ci, le recours devient sans objet et la cause doit être radiée du rôle, la décision y afférente de l’autorité de recours devant au surplus statuer sur les frais et dépens en tenant compte de l’intervention des deux parties. Dans le cas contraire, la procédure se poursuit à propos de ce qui reste litigieux, sans qu’il soit nécessaire de recourir contre la nouvelle décision (ATF 
127 V 228 consid. 2b/bb ; ATF 113 V 237 ; ATF 107 V 250 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_22/2019 du 7 mai 2019 consid. 3.1 ; 8C_1036/2012 consid. 3.3 ; 8C_18/2009 du 31 juillet 2009 consid. 3 et I 278/02 du 24 juin 2002 consid. 2 ; ATAS/393/2021 du 29 avril 2021 consid. 3c ; ATAS/173/2021  consid. 7b).

Au sens des art. 53 al. 3 LPGA et 58 al. 1 PA, l’autorité intimée peut rendre une nouvelle décision après sa première réponse – ou premier préavis –, mais dans le cadre d’un échange d’écritures prévu par le droit de procédure ou ordonné par la chambre des assurances sociales (ATAS/393/2021 précité consid. 3d et f et les références citées).

2.2 En l’occurrence, la décision sur opposition du 17 décembre 2021 confirme le bien-fondé de la demande de restitution des prestations complémentaires versées du 1er septembre 2018 au 30 septembre 2021. Suite au recours formé le 20 janvier 2022, l’intimé a rendu une nouvelle décision le 21 novembre 2022, par laquelle il a reconnu le droit aux prestations complémentaires du recourant à compter du 1er août 2021. Cette décision, rendue après la première réponse de l’intimé devant la chambre de céans, est intervenue dans le cadre de la suspension de la procédure prononcée par la chambre de céans jusqu’à droit jugé sur la demande de réexamen formée par le recourant à l’encontre de la décision de suspension de sa rente AI. En application de l’art. 53 al. 3 LPGA, interprétée à la lumière de l’ATAS/393/2021, cette décision remplace la décision entreprise s’agissant de la période postérieure au 31 juillet 2021. Le litige ne porte donc plus que sur le bien-fondé de la demande de restitution des prestations complémentaires pour la période du 1er septembre 2018 au 31 juillet 2021.

3.             Le litige pose la question de savoir si, dans le cas particulier de prestations complémentaires liées à une rente d’invalidité, celles-ci peuvent être suspendues lorsque son bénéficiaire se trouve en détention.

3.1 Aux termes de l'art. 2 al. 1 LPC, la Confédération et les cantons accordent aux personnes qui remplissent les conditions fixées aux art. 4 à 6 des prestations complémentaires destinées à la couverture des besoins vitaux.

3.2 L’art. 4 al. 1 let. c LPC prévoit que les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit à des prestations complémentaires, dès lors qu’elles ont droit à une rente de l’assurance-invalidité (AI).

Au plan cantonal, l’art. 2 al. 1 LPCC prévoit qu’ont droit à ces dernières les personnes : qui ont leur domicile et leur résidence habituelle sur le territoire de la République et canton de Genève ; et qui sont au bénéfice d'une rente de l'assurance-invalidité.

3.3 L’AVS et l’AI peuvent réduire temporairement ou refuser les prestations lorsque l’assuré a aggravé le risque assuré ou en a provoqué la réalisation, au sens de l’art. 21 al. 1 LPGA, sanctions qui s’appliquent également aux prestations dues aux proches ou survivants, en application de l’art. 21 al. 2 LPGA. Dans ces hypothèses, à teneur de l’art. 8 LPC, les prestations complémentaires sont refusées temporairement ou définitivement si une rente a été refusée sur la base de l’art. 21 al. 1 ou 21 al. 2 LPGA précités. Le sort de la prestation complémentaire, servie en espèces, suit ainsi celui de la prestation principale de l’AVS ou de l’AI, dont elle est le complément afin de couvrir des besoins vitaux (art. 2 LPC).

En revanche, lorsque, comme en l’espèce, l’assuré subit une mesure ou une peine privative de liberté, le cas est traité à l’art. 21 al. 5 LPGA qui prévoit qu’il y a lieu de suspendre partiellement ou totalement le paiement des prestations pour perte de gain (et non de les réduire ou de les refuser), ceci à l’exception des prestations destinées à l’entretien des proches.

En application de cette disposition spéciale, on admet qu’il y a également lieu de suspendre le versement de la prestation complémentaire lorsque, suite à une mesure ou une peine privative de liberté, le versement de la rente AI (ou des indemnités journalières de l’AI) est suspendu (arrêt du Tribunal fédéral 8C_139/2007 du 30 mai 2008 ; Michel VALTERIO, Commentaire de la loi sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, Genève/Zurich/Bâle 2015, p. 52, ad art. 8 LPC). Ainsi, au chapitre 2.6.2 afférent au cas particulier du droit aux prestations complémentaires durant l’exécution de peines ou de mesures, les Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (ci-après : DPC) prescrivent ce qui suit, sous ch. 2620.01 : « Durant la période au cours de laquelle un assuré subit l’exécution d’une peine ou d’une mesure, le versement des rentes AI et des indemnités journalières peut être suspendu en application de l’art. 21 al. 5 LPGA. Si la suspension de la prestation a été ordonnée, il importe pour la même période considérée de suspendre également le versement de la PC. Par contre, la PC continue d’être versée pour toutes les autres personnes comprises dans le calcul de la PC ». En effet, selon l’art. 21 al. 5 LPGA, le paiement des prestations pour perte de gain peut être partiellement ou totalement suspendu à l’exception des prestations destinée à l’entretien de proches. Le calcul de la prestation complémentaire des membres de la famille répond alors à des règles particulières. Elle est calculée sur les mêmes bases que la prestation complémentaire initiale, mais sans les dépenses de la personne subissant l’exécution de la peine ou de la mesure et en tenant compte de ses revenus effectifs. La prestation de base suspendue n’est donc pas prise en compte dans les revenus (ch. 3520.01 DPC). En outre, pour le conjoint de la personne incarcérée, il est tenu compte – en lieu et place du montant destiné à la couverture des besoins vitaux du couple – du montant destiné à la couverture des besoins vitaux des personnes seules (ch. 3520.02 DPC). Enfin, pour les couples sans enfants dont un conjoint est incarcéré, le montant maximum de loyer pour couples peut entrer en ligne de compte pendant une année au plus. Au-delà, seul le montant maximum pour personnes seules peut être pris en considération (ch. 3520.03 DPC).

3.4 Selon les art. 25 al. 1 LPGA et 24 LPCC, les prestations indûment touchées doivent être restituées. 

3.5 En l’espèce, suite à son incarcération en août 2018, le versement de la rente AI du recourant a été suspendu dès le 1er septembre 2018. Cette décision est entrée en force. Or, dans la mesure où l’octroi des prestations complémentaires est subordonné à la condition que la personne ait droit à la rente AI, les prestations complémentaires n’étant qu’un complément à celle-ci, la suspension de la rente AI entraîne également la suspension du versement des prestations complémentaires. En revanche, il ressort du texte clair des DPC, que ces prestations continuent d’être versées pour toutes les personnes comprises dans le calcul. Cette solution répond au but de protection sociale de la loi en tenant compte du principe selon lequel les personnes soutenues par l’intéressé ne doivent pas subir toutes les conséquences économiques de la privation de liberté (cf. ATF 116 V 20 consid. 3b ; VALTERIO, op. cit., p. 52). Or, il ressort des plans de calcul des prestations complémentaires du recourant que son épouse était comprise dans les calculs. C’est partant à tort que l’intimé a supprimé le versement de toutes ses prestations depuis le 1er septembre 2018. Conformément aux directives précitées, il lui incombait de recalculer le droit aux prestations complémentaires en tenant compte des règles de calcul particulières décrites aux ch. 3623.01 ss des DPC.

La décision entreprise doit ainsi être annulée en tant qu’elle confirme le bien-fondé de la restitution de l’intégralité des prestations complémentaires versées pour la période du 1er septembre 2018 au 31 juillet 2021.

Les considérants qui précèdent conduisent à l’admission du recours et au renvoi de la cause à l’intimé afin qu’il calcule le montant des prestations complémentaires dues durant la période précitée et rende une nouvelle décision.

4.             Le recourant, représenté par une avocate (art. 9 al. 1 LPA) et obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 1'500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03] ; art. 89H al. 3 LPA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 17 décembre 2021.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 1'500.- à titre de dépens à la charge de l’intimé.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le