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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4133/2022

ATAS/608/2023 du 15.08.2023 ( LPP ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4133/2022 ATAS/608/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 août 2023

Chambre 2

 

En la cause

A______

représenté par ASSUAS Association suisse des assurés, soit pour elle Mme Hani GULED, mandataire

 

demandeur

 

contre

CAISSE DE PENSIONS POSTE

 

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré, l’intéressé ou le demandeur), né en 1962, a été salarié en qualité de collaborateur d’exploitation à Genève à un taux d'activité de 75% de la Poste suisse (ci-après : l’employeur) du 1er octobre 2013 au 31 octobre 2014, sur la base d’un contrat à durée déterminée se terminant à cette dernière date, fin confirmée par lettre de l’employeur du 27 octobre 2014.

b. À ce titre, en prévoyance professionnelle, il a été affilié dès le 1er octobre 2013 à la Caisse de pensions Poste (ci-après : la caisse ou la défenderesse), dont il est sorti le 31 octobre 2014 en raison de la fin de ses rapports de travail avec l’employeur.

c. Sans réponse de la part de l’intéressé quant au compte où verser sa prestation de sortie, la caisse a, le 30 avril 2015, versé cette dernière, de CHF 8'252.40, à la Fondation institution supplétive LPP (ci-après : l’institution supplétive).

d. Par décision du 21 décembre 2021, l’assuré s’est vu reconnaître par l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI) une rente entière d’invalidité de l’assurance-invalidité (ci-après : AI) à partir du 1er novembre 2015, fondée sur un taux d’invalidité de 80%. En effet, l’intéressé, dont le statut était celui d’une personne se consacrant à 80% à son activité professionnelle et à 20% à ses travaux habituels dans le ménage, avait subi une incapacité totale de travail dans son activité habituelle dès le 17 octobre 2014 (début du délai d’attente d’un an de l’AI) ; il avait une capacité de travail de 100% dans une activité adaptée à son état de santé, mais avec une baisse de rendement de 30% et une impossibilité de mettre en valeur cette capacité dans le marché du travail équilibré. À teneur de cette décision, des versements seraient effectués en faveur de tiers, à savoir l’Hospice général et AXA Winterthur devenue AXA Assurances SA (ci-après : l’assureur perte de gain).

B. a. Par pli de l’association mandatée pour la défense de ses intérêts du 7 janvier 2022, l’assuré a sollicité de la caisse le versement d’une rente d’invalidité en matière de prévoyance professionnelle avec effet rétroactif à compter de la date d’octroi de sa rente AI, donc dès le 1er novembre 2015.

b. Le 8 février 2022, la caisse, après examen du dossier AI, a informé l’intéressé que son droit à des prestations d’invalidité de sa part était ouvert.

c. Comme requis par la caisse, l’assuré a, le 4 mars 2022, rempli le formulaire d’annonce de rente d’invalidité, puis, le 4 avril 2022, un questionnaire pour bénéficiaire de rente d’invalidité.

d. Le 8 avril 2022, l’institution supplétive a répondu à une question de la caisse que le compte de libre passage de l’intéressé auprès d’elle (qui avait été crédité le 30 avril 2015 à concurrence de CHF 8'252.40) avait été soldé au 22 décembre 2021.

e. Par lettre du 2 mai 2022, la caisse a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité dès le 1er avril 2017, a annexé un « avis de rente – plan de base I » montant des sommes totales à lui verser pour la période du 1er avril 2017 au 30 avril 2022 de CHF 75'569.85 (CHF 62'973.35 pour lui-même et CHF 1’238.85 pour son enfant) dont à déduire CHF 238.80 en compensation d’une avance versée par l’Hospice général en décembre 2021, et a requis la restitution de la prestation de libre passage de CHF 8'252.40.

f. Le 30 mai 2022, l’intéressé a demandé à la caisse le calcul de sa rente d’invalidité également entre le 1er novembre 2015 et le 1er avril (recte 31 mars) 2017.

g. Le 8 juin 2022, la caisse lui a répondu que, selon les indications – par courrier du 14 février 2022 – de l’assureur perte de gain), assureur perte de gain pour les indemnités journalières de l’employeur, il avait perçu de telles indemnités journalières jusqu’au 10 avril 2017, de sorte qu’était maintenu le dies a quo de la rente d’invalidité au 1er avril 2017.

h. Par courriel et courrier du 24 juin 2022, l’assuré a fait part à la caisse de ce que, selon une lettre du 20 décembre 2021 de l’assureur perte de gain, ce dernier avait, sur la somme totale de CHF 50'651.20 versée à l’intéressé pour la période du 1er novembre 2015 au 10 avril 2017, reçu au total CHF 40’272.05 de l’AI pour la même période. Partant, d’après l’intéressé, les prestations de l’assureur perte de gain s’étaient de facto et légalement « compensées » et « éteintes » en date du 1er novembre 2015 conformément au règlement de la caisse, de sorte qu’était réclamé le versement sans délai du solde de sa rente d’invalidité pour la période du 1er novembre 2015 au 1er avril (recte 31 mars) 2017.

i. Par réponse du même 24 juin 2022, la caisse a confirmé sa position, au motif que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une institution de prévoyance pouvait différer le versement d’une rente d’invalidité également lorsqu’un assureur perte de gain, qui avait octroyé des indemnités journalières, réclamait des prestations à hauteur de la rente AI allouée ultérieurement.

C. a. Par demande datée du 2 décembre 2022 et postée le 5 décembre suivant, l’assuré a, avec « suite de frais et dépens », demandé à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans) de lui reconnaître le droit au versement rétroactif de ses prestations d’invalidité par la caisse pour la période entre le 1er novembre 2015 et le 30 (recte : 31) mars 2017 et de calculer ces prestations.

b. Par réponse du 3 janvier 2023, la défenderesse a conclu au rejet des conclusions du demandeur, « sous frais et dépens », produisant notamment son règlement de prévoyance valable dès le 1er août 2013 et celui valable dès le 1er janvier 2018 (état au 1er janvier 2022), de même que les dispositions générales de son « plan de base I ».

c. Par réplique du 1er mars 2023 transmise le lendemain pour information à la caisse, le demandeur a persisté dans les conclusions de sa demande.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu'aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations [CO - RS 220]; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 [LPP - RS 831.40] ; ancien art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.             Aux termes de l'art. 73 LPP, chaque canton désigne un tribunal qui connaît, en dernière instance cantonale, des contestations opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit (al. 1 1ère phr.). Les cantons doivent prévoir une procédure simple, rapide et, en principe, gratuite ; le juge constatera les faits d'office (al. 2).

Les institutions de prévoyance ne sont pas habilitées à rendre des décisions à l'égard de leurs affiliés. Les prétentions émises en matière de prévoyance professionnelle - que ce soit par les institutions de prévoyance elles-mêmes, les ayants droit ou les employeurs - doivent l'être par voie d'action (ATF 115 V 224 consid. 2 ; ATAS/1168/2019 du 16 décembre 2019 consid. 1e).

L'ouverture de l'action prévue à l'art. 73 al. 1 LPP n'est soumise, comme telle, à l'observation d'aucun délai (ATAS/708/2015 du 22 septembre 2015 consid. 2 et la référence ; Raymond SPIRA, Le contentieux des assurances sociales fédérales et la procédure cantonale, recueil de jurisprudence neuchâteloise 1984, p 19).

La LPP ne prévoit pas l'application de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), si bien que cette loi-ci n'est pas applicable (art. 2 LPGA), en dehors des cas visés par l'art. 34a LPP (et le renvoi des art. 18 let. c et 23 let. c LPP à l'art. 8 al. 2 LPGA ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 128/05 du 25 juillet 2006 consid. 1).

L'art. 73 LPP se limite à fixer des règles-cadres de procédure. Celle-ci doit être simple, rapide et, en principe, gratuite. Lorsque le litige porte sur une contestation opposant ayant-droit et institution de prévoyance, l'action est ouverte à l'initiative du premier nommé par une écriture qui doit désigner l'institution de prévoyance visée, contenir des conclusions ainsi qu'une motivation. C'est ainsi la partie qui déclenche l'ouverture de la procédure et détermine l'objet du litige (maxime de disposition ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 59/03 du 30 décembre 2003 consid. 3.1).

La procédure devant la chambre de céans est soumise, de manière générale, à la loi genevoise sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10) et, plus particulièrement, aux art. 89A ss LPA. L'objet du litige est déterminé par les conclusions de la demande ainsi que les faits invoqués à l'appui de celle-ci et cas échéant par l'action reconventionnelle de la ou des parties défenderesses (ATF 141 V 170 consid. 3 ; 135 V 23 consid. 3.1; 129 V 452 consid. 3.2 ; ATAS/1168/2019 consid. 3a).

3.             En matière de prévoyance professionnelle, en vertu de l'art. 73 al. 3 LPP, le for est au siège ou domicile suisse du défendeur ou au lieu de l'exploitation dans laquelle l'assuré a été engagé.

En l'occurrence, le lieu de l'exploitation dans laquelle le demandeur a été engagé se trouvait dans le canton de Genève, de sorte que la compétence de la chambre de céans à l'égard de ce litige est donnée ratione loci, en plus de celle ratione materiae. La compétence de la chambre de céans est ainsi établie.

4.             La demande respecte en outre la forme prévue à l'art. 89B LPA.

Partant, elle est recevable.

5.             Le présent litige porte sur la question de savoir si la défenderesse est tenue de verser au demandeur une rente d'invalidité selon la LPP à titre rétroactif non seulement dès le 1er avril 2017 comme admis par elle, mais aussi entre le 1er novembre 2015 et le 31 mars 2017, seule période litigieuse.

6.              

6.1 Selon l'art. 23 let. a LPP, ont droit à des prestations d'invalidité les personnes qui sont invalides à raison de 40% au moins au sens de l'AI, et qui étaient assurées lorsqu'est survenue l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité.

En vertu de l'art. 24 al. 1 LPP dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021, l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à raison 70% au moins au sens de l'AI (let. a) ; à trois quarts de rente s'il est invalide à raison de 60% au moins (let. b) ; à une demi-rente s'il est invalide à raison de 50% au moins (let. c) ; à un quart de rente s'il est invalide à raison de 40% au moins (let. d).

6.2 L'al. 1 des dispositions transitoires de la modification du 19 juin 2020 (Développement continu de l'AI) précise que, pour les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l'entrée en vigueur - le 1er janvier 2022 - de ladite modification et qui n'avaient pas encore 55 ans à l'entrée en vigueur de cette modification, la quotité de la rente ne change pas tant que leur taux d'invalidité ne subit pas une modification au sens de l'art. 17 al. 1 LPGA.

Il en découle que l'éventuel droit de l'intéressé à une rente d'invalidité LPP de la part de la caisse resterait soumis à l'ancien droit, ce qui s’impose d’autant plus ici que la période litigieuse est comprise entre le 1er novembre 2015 et le 31 mars 2017.

6.3 Aux termes de l'art. 26 LPP, les dispositions de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - 831.20 ; art. 29 LAI) s'appliquent par analogie à la naissance du droit aux prestations d'invalidité (al. 1).

6.4 Sous l'angle de l'art. 26 LPP, si une institution de prévoyance reprend - explicitement ou par renvoi - la définition de l'invalidité de l'AI, elle est en principe liée, lors de la survenance du fait assuré, par l'estimation de l'invalidité par les organes de l'AI, sauf si cette évaluation apparaît d'emblée insoutenable (ATF 144 V 72 consid. 4.1 ; ATF 138 V 409 consid. 3.1 ; ATF 126 V 308 consid. 1 in fine). Cette force contraignante vaut aussi en ce qui concerne la naissance du droit à la rente et, par conséquent, également pour la détermination du moment à partir duquel la capacité de travail de l'assuré s'est détériorée de manière sensible et durable (survenance de l'incapacité de travail invalidante ; ATF 129 V 150 consid. 2.5 ; ATF 123 V 269 consid. 2a et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral I 416/06 du 3 janvier 2007 consid. 3.1) - qui ne correspond pas au début du droit à une rente AI selon l'art. 28 al. 1 let. b aLAI, dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2022 ( arrêts du Tribunal fédéral 8C_180/2016 du 29 juin 2016 ; 9C_61/2014 du 23 juillet 2014 consid. 3 ; Marc HÜRZELER, in Commentaire LPP et LFLP, 2020, n. 16 ad art. 23 LPP) -, dans la mesure où l'office AI a dûment notifié sa décision de rente aux institutions de prévoyance entrant en considération (ATF 129 V 73 consid. 4.2).

6.5 En l'occurrence, le règlement de prévoyance de la défenderesse, dans sa version en vigueur dès le 1er août 2013 ici applicable compte tenu de la période litigieuse, prévoit, en son art. 50 (« droit »), que les personnes assurées, invalides à 25% au moins au sens de l’AI, ont droit à une rente d’invalidité pour autant qu’elles aient été assurées auprès de la caisse lorsqu’est survenue l’incapacité de travail dont la cause a conduit à l’invalidité. En vertu de l’art. 52 dudit règlement (« début et fin »), la rente d’invalidité débute conformément aux conditions prévues par l’art. 29 LAI, au plus tôt toutefois lorsque s’éteint le droit au salaire ou lorsque les prestations compensant le salaire ont été épuisées. Demeurent réservées les dispositions sur l’invalidité professionnelle, pour autant que le plan de prévoyance prévoie cette prestation (al. 1). La rente d’invalidité est versée tant que dure l’incapacité d’exercer une activité lucrative, au plus tard toutefois jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite ou jusqu’au décès (al. 2).

Il en découle que la défenderesse est soumise à la notion d'invalidité, au degré d'invalidité et au dies a quo du droit à la rente tels que déterminés par l'AI, ce qu’elle ne conteste du reste pas.

6.6 Le demandeur ne conteste pas les montants de la rente d’invalidité qui lui a été allouée par la défenderesse, mais seulement le refus par cette dernière de lui verser à titre rétroactif cette prestation pour la période comprise entre le 1er novembre 2015 et le 31 mars 2017.

7.              

7.1 La question centrale présentement litigieuse est celle de savoir si c’est à juste titre ou non que la défenderesse considère que, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, elle peut différer le versement de la rente d’invalidité durant la période comprise entre le 1er novembre 2015 et le 31 mars 2017 du fait que l’assureur perte de gain, qui avait octroyé des indemnités journalières pour cause d’incapacité de travail du demandeur, a réclamé à l’OAI et obtenu de ce dernier des montants à hauteur de la rente AI finalement allouée pour la même période, plus précisément du 1er novembre 2015 au 10 avril 2017.

7.2  

7.2.1 À teneur de l’art. 26 al. 2 LPP, l'institution de prévoyance peut prévoir, dans ses dispositions réglementaires, que le droit aux prestations est différé aussi longtemps que l'assuré reçoit un salaire entier.

Conformément à l’art. 26 de l’OPP 2 intitulé « indemnités journalières de l’assurance-maladie en lieu et place du salaire » et fondé sur les art. 26 al. 2 et 34a al. 1 LPP, l’institution de prévoyance peut différer le droit aux prestations d’invalidité jusqu’à épuisement des indemnités journalières, lorsque: l’assuré reçoit, en lieu et place du salaire entier, des indemnités journalières de l’assurance-maladie équivalant à au moins 80% du salaire dont il est privé (let a) et les indemnités journalières ont été financées au moins pour moitié par l’employeur (let. b).

7.2.2 Le fait qu’il s’agisse d’indemnités journalières au sens de la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA - RS 221.229.1) ou de l’art. 67 ss de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10) n’a pas d’importance quant à la possibilité de report des prestations au sens de l’art 26 OPP 2 (Marc HÜRZELER, op. cit., n. 17 ad art. 26 LPP et la référence citée).

À teneur d’un arrêt publié du Tribunal fédéral, un éventuel ajournement – ou report – de la rente selon l'art. 26 al. 2 LPP n'a - contrairement à ce qu’il semble avoir admis dans l'arrêt B 27/04 du 21 février 2005 (consid. 3.1.2) - pas pour objet la naissance du droit à une rente d'invalidité à l'expiration d'un délai d'attente déterminé. Cette disposition légale prévoit uniquement que l'institution de prévoyance peut différer l'exécution du droit. Il s'agit d'une norme de coordination qui vise à éviter que l'assuré ne se trouve, après la survenance du cas d'invalidité, dans une situation économique plus favorable que s'il avait conservé sa pleine capacité de travail. En tant que norme spéciale par rapport à la réglementation sur la surindemnisation de l'art. 34a al. 1 LPP en relation avec l'art. 24 OPP 2, ledit art. 26 al. 2 LPP se réfère au rapport entre la rente d'invalidité de la prévoyance professionnelle et le salaire ou l'indemnité journalière de maladie qui continue à être versé. À cet égard, le législateur a voulu créer un pouvoir de coordination en faveur de la prévoyance professionnelle, respectivement à la charge de l'employeur ou de l'assureur d'indemnités journalières – ou assureur perte de gain –, et ce explicitement pour la période durant laquelle l'assurance-invalidité verse en principe déjà des prestations (sous réserve d'une demande tardive ; cf. art. 29 al. 1 LAI ; ATF 142 V 466 consid. 3.3.2 et les références citées).

Selon le même arrêt du Tribunal fédéral, modifiant sa jurisprudence, si le maintien (entier) du salaire a lieu dans le sens d'une avance, l'employeur peut se faire céder les arriérés de rente de l’AI (art. 22 al. 2 let. a LPGA). Le maintien du paiement du salaire est en principe - sous réserve notamment des dispositions de l'art. 26 al. 2 LPP et de l'art. 26 OPP 2 - subsidiaire aux prestations des assurances sociales (cf. art. 324a al. 4 et art. 324b de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse [CO, Code des obligations - RS 220], aux termes de l’al. 1 duquel, si le travailleur est assuré obligatoirement, en vertu d’une disposition légale, contre les conséquences économiques d’un empêchement de travailler qui ne provient pas de sa faute mais est dû à des raisons inhérentes à sa personne, l’employeur ne doit pas le salaire lorsque les prestations d’assurance dues pour le temps limité couvrent les quatre cinquièmes [80%] au moins du salaire afférent à cette période). Un paiement rétroactif de rente peut également être cédé à une assurance qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (art. 22 al. 2 let. b LPGA). Il est donc tout à fait admissible et usuel que les prestations de l'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie selon la LCA soient versées subsidiairement à la rente de l'AI (ainsi in concreto des chiffres des conditions générales d'assurance de la Swica sur l'assurance collective d'indemnités journalières selon la LCA, édition 2006). Il est contraire à l'intention des auteurs respectifs de la loi et de l'ordonnance (consid. 3.3.2) que cette subsidiarité annule la faculté de coordination de la prévoyance professionnelle par rapport aux prestations de l'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie, dans la mesure où elle ne pourrait alors pas s'appliquer précisément dans les cas typiques pour lesquels elle a été créée. On ne voit pas pourquoi le fait que l'incapacité de travail soit indemnisée uniquement par l'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie ou par l'AI devrait jouer un rôle, tant que 80% au moins du gain perdu restent couverts par des prestations d'assurance. Dans ce contexte, l'argument de l'instance inférieure et de la personne assurée, selon lequel un ajournement – ou report – de la rente serait fondé sur le fait qu’il serait sans autre admissible dans le domaine de la prévoyance plus étendue (dans le cadre de l'art. 49 LPP et des limites constitutionnelles), vise dans le vide : l'art. 26 al. 2 LPP (comme l'art. 26 OPP 2) fait partie des prescriptions minimales (art. 6 LPP), de sorte que sa portée doit pouvoir se déployer dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire (ATF 142 V 466 consid. 3.3.4 et les références citées).

Ainsi, la possibilité de l'institution de prévoyance, fondée sur l'art. 26 al. 2 LPP et l'art. 26 OPP 2, et prévue par son règlement, de différer le droit à la rente existe même lorsque l'assureur perte de gain, qui a octroyé des indemnités journalières en raison d'une incapacité de travail, réclame ces prestations à hauteur de la rente de l'AI allouée ultérieurement (ATF 142 V 466 consid. 3.4).

7.3 La caisse fonde en l'espèce sa position sur l'art. 52 al. 1, 1ère phr., de son règlement de prévoyance applicable, en vertu duquel la rente d'invalidité débute conformément aux conditions prévues par l'art. 29 LAI, au plus tôt toutefois lorsque s'éteint le droit au salaire ou lorsque les prestations compensant le salaire ont été épuisées.

Il n’est pas contesté que les indemnités journalières versées entre les 1er novembre 2015 et 10 avril 2017 par l’assureur perte de gain étaient des prestations compensant le salaire au sens de l'art. 52 al. 1, 1ère phr., du règlement de prévoyance, ni que ces indemnités journalières équivalaient à au moins 80% du salaire dont le demandeur était privé.

La défenderesse était donc en droit, conformément aux art. 26 al. 2 LPP et 26 let. a OPP 2, de différer le droit à la rente d’invalidité selon la LPP de l’assuré jusqu’à épuisement des indemnités journalières versées par l’assureur perte de gain en lieu et place du salaire entier.

L’argument du demandeur s’opposant à ce droit, fondé sur le fait que les prestations (indemnités journalières) de l’assureur perte de gain se seraient de facto et légalement « compensées » et « éteintes » en date du 1er novembre 2015 du fait du remboursement effectué par l’AI, conformément au règlement de la caisse, tombe à faux. En effet, il découle clairement de l’ATF 142 V 466 consid. 3 précité que, pour un report du droit à la rente d’invalidité en application des art. 26 al. 2 LPP et 26 let. a OPP 2, il suffit que le règlement de prévoyance ait prévu, comme dans le cas présent, la possibilité d’un tel report, sans qu’il soit nécessaire que ledit règlement doive encore préciser que ce report est aussi possible en cas de remboursement par l’AI des indemnités journalières à l’assureur perte de gain.

À cet égard, le remboursement par l’AI à l’assureur perte de gain du montant de CHF 40'272.05 ne change en rien le fait que, durant la période en cause (du 1er novembre 2015 au 31 mars 2017), le demandeur a quoi qu’il en soit vu son salaire couvert (à 80%), par les indemnités journalières. Si le droit à une rente d’invalidité selon la LPP lui était reconnu pour cette période, il aurait, pour son incapacité de travail et invalidité, été indemnisé à la fois par cette rente du 2ème pilier (versée rétroactivement) et par lesdites indemnités journalières, ce qui n’aurait pas été admissible.

7.4 Pour ce qui est de la condition de l’art. 26 let. b OPP 2 selon laquelle les indemnités journalières doivent avoir été financées au moins pour moitié par l’employeur, le demandeur ne fait pas valoir que tel n’aurait pas été le cas.

7.5 C’est en conséquence conformément au droit que la défenderesse a refusé au demandeur le droit à une rente d’invalidité en vertu de la LPP pour la période précédant le 1er avril 2017.

8.             Vu ce qui précède, la demande, infondée, doit être rejetée.

9.             Les caisses de pension n’ont en principe pas droit à des dépens, sauf en cas de recours téméraire ou interjeté à la légère par l’assuré; cela vaut également pour les actions en matière de prévoyance professionnelle (ATF 126 V 143 consid. 4; ATAS/592/2022 du 28 juin 2022 consid. 10). Ces exceptions n'étant pas réalisées en l'espèce, la défenderesse, bien qu’elle obtient gain de cause, ne saurait se voir allouer, comme elle le sollicite, une indemnité à titre de dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP et art. 89H al. 1 LPA).

 

***


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande datée du 2 décembre 2022 et envoyée le 5 décembre 2022 recevable.

Au fond :

2.        La rejette.

3.        Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

4.        Dit que la procédure est gratuite.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Diana ZIERI

 

Le président

 

 

 

 

Blaise PAGAN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le