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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1454/2021

ATAS/340/2023 du 15.05.2023 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1454/2021 ATAS/340/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 mai 2022

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

 

 

recourante

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


 

 

EN FAIT

A.      Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1971, originaire de la république fédérale d’Allemagne, au bénéfice d’une autorisation d’établissement C, est titulaire d’un diplôme en gestion hôtelière (Heidelberg), d’un Master professionnel en gestion culturelle (Paris) et d’un Master of Arts en arts visuels (Genève). Elle a travaillé en dernier lieu comme réceptionniste.

B.       a. Le 11 septembre 2019, l’assurée a déposé une demande de prestations d’invalidité en raison d’un trouble du déficit d’attention avec hyperactivité
(TDA-H).

b. L’assurée a séjourné à la Clinique genevoise de Montana du 9 au 25 septembre 2015 pour un diagnostic de polydépendance (alcool, cocaïne), du 23 août au 4 septembre 2016 et du 7 au 28 février 2017, pour un diagnostic principal de dépendance à l’alcool, abstinente en milieu protégé.

c. Le 12 septembre 2019, la docteure B______, FMH psychiatrie et psychothérapie, a posé les diagnostics de dépendance à l’alcool, abstinence en milieu protégé, dépendance à la cocaïne, abstinence en milieu protégé, trouble dépressif récurrent, TDA-H personnalité borderline, et indiqué qu’elle présentait des limitations fonctionnelles liées aux angoisses, difficulté à faire face aux frustrations et utilisation de polytoxicomanie pour les calmer. La capacité de travail était nulle.

d. Le 13 décembre 2019, le docteur C______, médecin adjoint agrégé aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), unité troubles de la régulation émotionnelle, a diagnostiqué une perturbation de l’activité et de l’attention, troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de l’alcool, syndrome de dépendance, utilisait actuellement de la drogue (dépendance active), troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de la cocaïne, utilisation nocive pour la santé, actuellement abstinente. La capacité de travail dans l’activité de directrice de communication ou gestionnaire d’hôtel était nulle depuis au moins 2017 ; elle était de 50% au moins dans une activité adaptée, soit tenant compte des difficultés attentionnelles, interpersonnelles, de la labilité émotionnelle et de la difficulté à répondre au stress.

e. Par communication du 31 janvier 2020, l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : l’OAI) a informé l’assurée que des mesures d’intervention précoce et de réadaptation professionnelle n’étaient pas indiquées.

f. A la demande de l’OAI, le docteur D______, FMH psychiatrie et psychothérapie, a rendu un rapport d’expertise le 8 janvier 2021.

L’assurée avait effectué un examen neuropsychologique le 24 septembre 2020, lequel avait mis en évidence une atteinte cognitive légère caractérisée par une dysfonction exécutive et attentionnelle au premier plan, interférant avec les processus mnésiques, chez une assurée présentant une fragilité psychique et une forte baisse de l’humeur. Selon les conclusions de la neuropsychologue, l’assurée avait une capacité de travail de l’ordre de 60-80% dans une activité liée à son champ d’expérience mais la capacité de réinsertion était actuellement limitée par des troubles thymiques manifestes accompagnés d’une consommation d’alcool. Le rapport d’expertise a conclu aux diagnostics suivants : AXE I : Troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool, utilisation continue, troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, utilisation épisodique, trouble de l’adaptation versus trouble dépressif récurrent subclinique à léger (DD : dysthymie) (dd : TDAH), trouble du comportement alimentaire anorexie/boulimie, en rémission. AXE II : Personnalité état limite grave, type abandonnique et impulsif subdécompensée. AXE III : cf. spécialiste(s) concerné(s). AXE IV : Carences affectives précoces, échecs professionnels, difficultés économiques, problèmes familiaux et affectifs, autres ? Les troubles en lien avec l’utilisation d’alcool et la personnalité état limite grave étaient incapacitants. L’assurée pourrait travailler dans un environnement professionnel dans le domaine artistique ou socio artistique lui permettant de mettre en évidence sa vivacité d’esprit, son contact ouvert avec autrui, son étayage narcissique, en petit groupe. Cette solution paraissait adéquate et ceci à temps complet, peut-être avec un rendement légèrement diminué de 20%, comme l’indiquait la neuropsychologue. Il était difficile d’envisager une réadaptation professionnelle vu ses nombreuses compétences.

g. Le 19 janvier 2021, le service médical régional (ci-après : SMR) a estimé que l’assurée était capable de travailler à 100%, avec une baisse de rendement de 20% dès le 1er décembre 2016.

h. Par projet de décision du 25 janvier 2021, l’OAI a rejeté la demande de prestations, au motif que le degré d’invalidité de l’assurée était de 20%.

i. Le 2 février 2021, le Dr C______ a écrit à l’OAI qu’il était surpris que son rapport du 13 décembre 2019 n’ait pas été pris en compte ; le Dr D______ n’avait pas les compétences pour se prononcer sur le trouble de l’assurée et à maintes reprises, il s’était prononcé défavorablement quant à l’attribution de rentes chez plusieurs patients souffrant d’un TDA-H, sans connaissance de l’impact de cette pathologie et de ses symptômes sur le fonctionnement du patient.

j. Le 3 mars 2021, l’assurée a écrit à l’OAI qu’elle souhaitait une mesure professionnelle ; ses médecins contestaient l’expertise du Dr D______ ; elle demandait un réexamen de la décision.

k. Le 8 mars 2021, la Dre B______ a écrit à l’OAI en relevant que l’assurée commençait à aller un peu mieux depuis deux ans, grâce au cadrage des études et à la ritaline, lui permettant de diminuer sa polytoxicomanie ; elle avait encore besoin de se stabiliser et d’étudier.

l. Par décision du 26 mars 2021, l’OAI a rejeté la demande de prestations, en se fondant sur un avis du SMR du 24 mars 2021, confirmant la valeur probante de l’expertise du Dr D______.

C.      a. Le 26 avril 2021, l’assurée a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice à l’encontre de la décision précitée, en demandant une mesure professionnelle. Le 26 mai 2021, l’OAI a conclu au rejet du recours, au motif que l’expertise du Dr D______ était probante et que des mesures de réadaptation professionnelle n’avaient pas lieu d’être car elles ne seraient pas de nature à rétablir, maintenir ou améliorer, la capacité de gain de la recourante.

b. Le 26 mai 2021, l’OAI a conclu au rejet du recours, l’expertise du Dr D______ étant probante et des mesures de réadaptation professionnelle n’étaient pas de nature à rétablir, maintenir ou améliorer la capacité de gain de la recourante.

c. Le 7 juin 2021, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle. La recourante a déclaré qu’elle souhaitait une réinsertion de la part de l’OAI, une aide pour des études qu’elle souhaitait entreprendre ; elle contestait l’expertise du Dr D______, dont la capacité de travail de 80% qu’il avait admise. La représentante de l’OAI a déclaré que l’assurée étant déjà formée, une formation universitaire ne serait pas prise en charge.

d. Le 5 juillet 2021, l’OAI, à la demande de la chambre de céans, a communiqué le lien internet de la liste des experts mandatés par l’OAI.

e. La chambre de céans a convoqué une audience de comparution personnelle le 2 mai 2022 à laquelle la recourante ne s’est pas présentée et elle a entendu les parties en audience le 16 mai 2022.

f. Le 18 mai 2022, la docteure B______ a écrit à l’OAI, en attestant de fluctuation thymiques importantes, plongeant par moments l’assurée pour quelques jours dans une dépression importante, avec des alcoolisations massives et consommation de cannabis ou cocaïne ; elle n’arrivant alors plus à respecter des horaires, n’arrivait plus à assumer son ménage, etc. Sa capacité de travail était au maximum de 20%, voire plus si elle pouvait travailler dans le domaine de la culture.

g. Par ordonnance du 14 juillet 2022, la chambre de céans a confié une expertise judiciaire à la docteure E______, FMH psychiatrie et psychothérapie.

h. Le 15 mars 2023, l’experte judiciaire a rendu son rapport ; elle a posé les diagnostics de trouble de personnalité émotionnellement labile de type Borderline (F60.31), de perturbation de l’activité et de l’attention = trouble déficit de l’attention/hyperactivité (F90.0), de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de l’alcool, utilisation continue (F10.25), de trouble dépressif récurrent, épisode actuel léger à moyen (F33.11) et de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, syndrome de dépendance, utilisation épisodique (F14.26). Les limitations fonctionnelles étaient très importantes et réduisaient la capacité de travail à un taux qui oscille entre 0% et 40% depuis 2007 et de 30% depuis 2016, ce taux de 30% étant uniquement présent lors de périodes de stabilité, dans un milieu protégé. Des mesures de réadaptation n’étaient pas envisageables. Elle n’était pas d’accord avec l’évaluation de la capacité de travail du Dr D______ (exigibilité de 80%), laquelle était incohérente avec le contenu du rapport et les limitations fonctionnelles, la difficulté à mettre en place un traitement et le pronostic réservé. Le Dr D______ ne prenait pas en compte les limitations fonctionnelles liées aux troubles psychiques complexes, ni le fonctionnement, toujours instable, dans les principaux domaines de la vie.

i. Le 20 avril 2023, le SMR a estimé que les considérations du rapport d’expertise de la Dre E______ emportaient la conviction.

j. Le 26 avril 2023, l’OAI a conclu à l’octroi à la recourante d’une rente d’invalidité entière, fondée sur un taux d’invalidité de 100% dès le 11 mars 2020.

k. Le 27 avril 2023, l’assurée a approuvé le rapport de l’experte judiciaire.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

 

1.2 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

1.3 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d’invalidité et à des mesures professionnelles, singulièrement sur l’évaluation de sa capacité de travail.

3.             Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

4.             Selon l’art. 8 al. 1er LAI, les assurés invalides ou menacés d’une invalidité (art. 8 LPGA) ont droit à des mesures de réadaptation pour autant que ces mesures soient nécessaires et de nature à rétablir, maintenir ou améliorer leur capacité de gain ou leur capacité d’accomplir leurs travaux habituels (let. a) et que les conditions d’octroi des différentes mesures soient remplies (let. b). Le droit aux mesures de réadaptation n’est pas lié à l’exercice d’une activité lucrative préalable. Lors de la fixation de ces mesures, il est tenu compte de la durée probable de la vie professionnelle restante (art. 8 al. 1bis LAI en vigueur dès le 1er janvier 2008). L’art. 8 al. 3 let. b LAI dispose que les mesures de réadaptation comprennent les mesures d’ordre professionnel (orientation professionnelle, formation professionnelle initiale, reclassement, placement, aide en capital).

Pour déterminer si une mesure est de nature à maintenir ou à améliorer la capacité de gain d'un assuré, il convient d'effectuer un pronostic sur les chances de succès des mesures demandées (ATF 132 V 215 consid. 3.2.2 et les références). Celles-ci ne seront pas allouées si elles sont vouées à l'échec, selon toute vraisemblance (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 388/06 du 25 avril 2007 consid. 7.2). Le droit à une mesure de réadaptation présuppose qu'elle soit appropriée au but de la réadaptation poursuivi par l'assurance-invalidité, et cela tant objectivement en ce qui concerne la mesure que sur le plan subjectif en rapport avec la personne de l'assuré. En effet, une mesure de réadaptation ne peut être efficace que si la personne à laquelle elle est destinée est susceptible, partiellement au moins, d'être réadaptée. Partant, si l'aptitude subjective de réadaptation de l'assuré fait défaut, l'administration peut refuser de mettre en œuvre une mesure (arrêt du Tribunal fédéral 9C_846/2018 du 29 novembre 2019 consid. 5.1 et les références), sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure préalable de mise en demeure prévue par l'art. 21 al. 4 LPGA (arrêts du Tribunal fédéral 8C_480/2018 du 26 novembre 2018 consid. 7.3 et les références; 9C_59/2017 du 21 juin 2017 consid. 3.3 et les références), une telle procédure préalable n'étant requise que si une mesure de réadaptation a été commencée et qu'il est question de l'interrompre (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_783/2015 du 7 avril 2016 consid. 4.8.2 et les références). L'absence de capacité subjective de l'assuré doit toutefois être établie au degré de la vraisemblance prépondérante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_667/2015 du 6 septembre 2016 consid. 5.3 et les références).

Sont réputées nécessaires et appropriées toutes les mesures de réadaptation professionnelle qui contribuent directement à favoriser la réadaptation dans la vie active. L’étendue de ces mesures ne saurait être déterminée de manière abstraite, puisque cela suppose un minimum de connaissances et de savoir-faire et que seules seraient reconnues comme mesures de réadaptation professionnelle celles se fondant sur le niveau minimal admis. Au contraire, il faut s’en tenir aux circonstances du cas concret. Celui qui peut prétendre au reclassement en raison de son invalidité a droit à la formation complète qui est nécessaire dans son cas, si sa capacité de gain peut ainsi, selon toute vraisemblance, être sauvegardée ou améliorée de manière notable (ATF 124 V 108 consid. 2a; VSI 1997 p. 85 consid. 1).

5.              

5.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c; ATF 102 V 165 consid. 3.1; VSI 2001 p. 223 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

5.2 Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence). 

6.              

6.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

6.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

6.3 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

7.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

8.             En l’occurrence, la chambre de céans a estimé qu’une expertise psychiatrique judiciaire était nécessaire, celle du Dr D______ n’emportant pas la conviction.

8.1 La Dre E______ a rendu son rapport d’expertise le 15 mars 2023, lequel conclut à une capacité de travail de la recourante au maximum de 30% depuis 2016 et exigible dans un milieu protégé. Ce rapport, fondé sur toutes les pièces du dossier, comprenant une anamnèse complète, la description des plaintes de la recourante, posant des diagnostics clairs et étayés et proposant une analyse convaincante de la limitation de la capacité de travail de la recourante, répond aux réquisits jurisprudentiels précités pour qu’il lui soit reconnu une pleine valeur probante. Il convient, en conséquence, de suivre ses conclusions.

8.2 L’intimé admet la valeur probante de l’expertise judiciaire et conclut à l’octroi à la recourante d’une rente entière d’invalidité depuis le 11 mars 2020, fondée sur un taux d’invalidité de 100%. La recourante a indiqué approuver le rapport d’expertise judiciaire.

8.3 Compte tenu du dépôt de la demande de prestations le 11 septembre 2019, le droit à la rente nait le 11 mars 2020, conformément aux conclusions de l’intimé.

8.4 Enfin, la recourante n’a pas repris dans sa dernière écriture sa conclusion visant à l’octroi de mesures de réadaptation, laquelle n’aurait en toute hypothèse que pu être rejetée, vu la conclusion de l’experte judiciaire estimant que de telles mesures ne sont pas envisageables.

9.              

9.1 Conformément à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’art. 45 al. 1 LPGA constitue une base légale suffisante pour mettre les coûts d’une expertise judiciaire à la charge de l’assureur (ATF 143 V 269 consid. 6.2.1 et les références), lorsque les résultats de l'instruction mise en œuvre dans la procédure administrative n'ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels et qu'en soi un renvoi est envisageable en vue d'administrer les preuves considérées comme indispensables, mais qu'un tel renvoi apparait peu opportun au regard du principe de l'égalité des armes (ATF 139 V 225 consid. 4.3).

Cette règle ne saurait entrainer la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2). Tel est notamment le cas lorsque l'autorité administrative a laissé subsister, sans la lever par des explications objectivement fondées, une contradiction manifeste entre les différents points de vue médicaux rapportés au dossier, lorsqu’elle aura laissé ouverte une ou plusieurs questions nécessaires à l'appréciation de la situation médicale ou lorsqu'elle a pris en considération une expertise qui ne remplissait manifestement pas les exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de ce genre de documents. En revanche, lorsque l'autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d'une expertise qui répondait aux réquisits jurisprudentiels, la mise à sa charge des frais d'une expertise judiciaire ordonnée par l'autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d'une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 139 V 496 consid. 4.4 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2019 du 6 avril 2020 consid. 5.1).

9.2 En l’occurrence, le rapport d’expertise du Dr D______ n’est pas probant, ce que l’intimé a admis, en suivant pleinement les conclusions de l’expertise judiciaire. Partant, il se justifie de mettre les frais ce celle-ci en CHF 4'062.59 à la charge de l’intimé.

10.         Le recours sera admis, la décision litigieuse annulée et il sera dit que la recourante a droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er mars 2020.

La recourante n’étant pas représentée, elle n’a pas droit à des dépens.

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l’intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1 bis LAI).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 26 mars 2021.

4.        Dit que la recourante a droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er mars 2020.

5.        Met les frais d’expertise judiciaire en CHF 4'062.59 à charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le