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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3487/2022

ATAS/259/2023 du 13.04.2023 ( AJ ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3487/2022 ATAS/259/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 13 avril 2023

5ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée c/o Hôtel B______, à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Damien LEDERMANN

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante), née en ______ 1995, d’origine serbe, est arrivée en Suisse en 2011 et est au bénéfice d’un permis C. Titulaire d’un CFC d’assistante dentaire depuis 2018, l’assurée a travaillé, du 1er septembre 2018 au 31 mai 2019 auprès de la société C______ Sàrl.

b. En avril 2020, en raison de violences conjugales, l’assurée a été placée d’urgence dans un hôtel, en attendant de trouver un logement. Depuis le 1er mai 2020, elle est aidée financièrement par l’Hospice général (ci-après l'hospice).

c. Le 9 avril 2020, l’assurée a déposé une demande de prestations auprès de l’Office de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI ou l’intimé).

B. a. Par rapport du 4 juillet 2020, le docteur D______, spécialiste FMH en ophtalmologie, a indiqué que l’assurée était suivie depuis 2018 pour un problème de vision et des troubles visuels atypiques. Elle était en mesure de reprendre son activité professionnelle et sa capacité de travail était de 80 % dans une activité adaptée, en raison de la fatigabilité sur ordinateur.

b. Le 5 août 2020, la doctoresse E______, spécialiste FMH en neurologie, a diagnostiqué, avec répercussion sur la capacité de travail, des cervico-brachialgies avec hernie discale C5-C6 à droite, avec rétrécissement foraminal, une sténose C6-C7 à droite, en contact avec les racines C6 et C7, et des lombosciatalgies S1 à droite avec un déficit sensitif avec hernie discale en contact avec la racine L5 et S1 à droite. Le pronostic était favorable. Après avoir énuméré les limitations fonctionnelles, cette spécialiste a estimé que l’activité habituelle, qui impliquait d’avoir en permanence la nuque et le dos penchés en avant et le bras droit surélevé pendant de longues heures, n’était pas envisageable, quel que soit le taux. Une reprise dans une activité adaptée était possible, dans les trois mois, à 50 %, puis avec une augmentation progressive, selon la tolérance. Par ailleurs, en raison de ses atteintes, l’assurée présentait des difficultés dans les domaines courants de la vie.

c. Le 29 octobre 2020, le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, psychiatre traitant, a diagnostiqué un trouble de la personnalité émotionnellement labile, un trouble du spectre autistique en investigation, d’autres troubles anxieux et un stress post-traumatique suite à des violences conjugales. L’assurée était en incapacité de travail totale et nécessitait un projet de socialisation. Elle présentait une santé psychique très instable, labile, et restait fragile. Elle avait subi des violences conjugales, à la suite desquelles elle avait dû quitter son domicile et vivait seule dans un hôtel. Elle avait besoin d’une reconnaissance et d’une vie affective dans laquelle elle ne serait plus exploitée. Elle présentait des difficultés de compréhension et tentait d’avoir une vie normale, mais la complexité et le stress de la vie quotidienne étaient difficiles. Elle avait besoin d’être accompagnée dans son projet de vie et devait être évaluée du point de vue cognitif.

d. Le 4 mai 2021, le Dr F______ a indiqué que l’assurée avait subi des violences conjugales et présentait une vie psychique et sociale totalement déstructurées. Elle vivait dans un hôtel et avait besoin d’un suivi pour faire ses démarches. Sa vie cognitive, affective et relationnelle était très affectée par des aspects liés à son développement et au traumatisme vécu. Elle avait besoin d’un travail éducatif de socialisation, d’une formation professionnelle et d’un accompagnement dans sa vie courante, pour lui permettre une autonomie et une indépendance. Elle présentait un état chronique avec un risque de décompensation psychique et d’addiction. Son incapacité de travail était totale en raison de ses limitations fonctionnelles psychiques, de ses troubles cognitifs, affectifs et relationnels. Une investigation sur des traits autistiques ou psychotiques n’avait pas encore été réalisée.

e. Le 25 juin 2021, la Dresse E______ a établi un rapport ayant la même teneur que celui du 5 août 2020.

f. Le 29 juillet 2021, le service médical régional de l'assurance-invalidité (ci-après : le SMR) a estimé qu’une expertise rhumatologique et psychiatrique était nécessaire.

g. 24 septembre 2021, l’association Viol-Secours a indiqué suivre l’assurée depuis le 3 novembre 2020, en raison notamment de viols commis à de multiples reprises par son mari et de traite d’être humain.

h. Le 18 mai 2022, l’OAI a réceptionné un rapport d’expertise établi, à sa demande, par le docteur G______, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, et la doctoresse H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, auprès du Bureau d’expertises médicales (ci-après : le BEM) suite à un examen de l’assurée effectué le 29 mars 2022, avec le concours d’un interprète de langue serbo-croate.

Sur le plan somatique, l’assurée présentait, sans répercussion sur sa capacité de travail, un syndrome douloureux chronique localisé à l’hémicorps droit d’origine indéterminée, une hernie discale lombaire, une discopathie C5-C6 et C6-C7, avec rétrécissement préforaminal et foraminal droit, une hypermobilité articulaire, un possible syndrome du canal carpien droit, une ésophorie-tropie et diplopie ainsi qu’une hernie inguinale droite.

Sur le plan psychique, l’assurée souffrait, avec répercussion sur sa capacité de travail, d’un état de stress post-traumatique et d’un trouble mixte de la personnalité avec traits de personnalité borderline et traits de personnalité dépendante. Sans répercussion sur sa capacité de travail, elle présentait un haut potentiel, des troubles mentaux et des troubles du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives multiples ainsi que des troubles liés à l’utilisation d'autres substances psychoactives. Sa capacité de travail était entière dans l’activité habituelle, avec un sevrage aux psychotropes, lequel était exigible, et/ou une prise adéquate d’un traitement de soutien médicamenteux bien conduit. Les chances de guérison étaient présentes, mais la situation n’était pas suffisamment stabilisée pour pouvoir anticiper, de manière précise, une guérison. Dans le cadre d’une activité adaptée, l’assurée devrait avoir un contact limité avec le public, se sentir utile, encadrée par une hiérarchie soutenante et des collègues collaboratifs. Elle ne pouvait pas effectuer d’horaire irrégulier, ni travailler de nuit. Elle devait sentir qu’elle faisait partie d’un cadre auquel elle adhérait ainsi qu’à la cause pour laquelle elle travaillait.

Selon l’experte, l’assurée présentait une réponse différée à une situation de maltraitances physiques et psychologiques de la part de son mari et de son obligation de travailler dans la prostitution. Une détresse était constatée, un évitement des activités et des situations pouvant réveiller les traumatismes, avec une consommation régulière de cannabis, et occasionnelle de cocaïne et d’ecstasy. Victime de proxénètes depuis l’âge de 12 ans, elle avait été abusée par son mari, lequel l’avait obligée à se prostituer. La veille de l’expertise, elle avait porté plainte contre lui. Elle consommait des psychotropes pour pouvoir faire face aux troubles de l’humeur qui survenaient en raison des flashbacks et de l’état de choc post-traumatique.

Malgré la maltraitance, l’assurée avait démontré avoir beaucoup de ressources, menant secrètement une double vie (de prostitution et de travail inséré).

i. Par avis du 1er juin 2022, le SMR, sur la base du rapport d’expertise précité, a retenu un état de stress post-traumatique, traité et en rémission, un syndrome douloureux chronique, un trouble mixte de la personnalité avec des traits de personnalité borderline et dépendante. L’usage de substances psychoactives multiples n’était, par contre, pas du ressort de l’AI. En raison de ses atteintes, l’assurée présentait une incapacité de travail totale dès le 1er juin 2019, et une capacité entière à compter du 1er avril 2020. Les empêchements à l’insertion dans le monde de l’économie avaient été secondaires à un stress post-traumatique développé dans un contexte de traite humaine/prostitution.

j. Par projet de décision du 8 juin 2022, l’OAI a informé l’assurée qu’il entendait rejeter sa demande de prestations. Si l’assurée avait été en incapacité de travail dès le 1er juin 2019, à compter du 1er avril 2020, sa capacité était toutefois entière.

k. Par courrier du 22 juin 2022, l’assurée, par l’intermédiaire de son conseil, a contesté ce projet. Elle avait été victime de très graves maltraitances d’ordre physique, psychologique et sexuel entraînant des séquelles, des difficultés à s’exprimer sur sa personne, sur son état de santé et sur les événements vécus et à comprendre les enjeux procéduraux liés à sa demande. Une procédure pénale à l’encontre de son mari avait été ouverte.

l. Suite à la requête déposée le 27 juin 2022 par l’assurée auprès du greffe de l’assistance juridique (ci-après : AJ) du pouvoir judiciaire, tendant à l’octroi de l’assistance juridique dans le cadre de la procédure administrative relative à l’octroi de prestations de l’assurance-invalidité, l’AJ s’est déclarée incompétente pour statuer et a renvoyé l’intéressée à agir auprès de l’OAI (décision du 29 juin 2022).

m. Le 29 juillet 2022, l’assurée a déposé une demande d’aide financière auprès du centre LAVI. Elle a joint notamment un courrier du 22 juin 2022 de Madame I______, FSP psychologue, faisant état d’une péjoration de son état de santé psychologique depuis mai 2022 en raison du stress engendré par le travail juridique en cours et la récolte des données.

n. Le 30 août 2022, l’assurée a sollicité de l’OAI la mise en place d’une nouvelle expertise et l’octroi de l’assistance juridique gratuite au vu, notamment, de la complexité de sa demande.

Selon l’assurée, les conclusions de l’expertise paraissaient fortement inadéquates et totalement incompréhensibles. Son état de santé se détériorait.

Elle a joint la plainte pénale déposée le 24 mars 2022 à l’encontre de son mari, et un courrier du 18 août 2022 du Dr F______, attestant une incapacité de travail totale en raison de sa structure psychique fragile, de son trouble du développement et d’un état anxio-dépressif. L’assurée souffrait notamment d’une désorganisation mentale et d’une structure psychotique entraînant un comportement addictif à des substances illicites. Sa personnalité instable présentait un risque vital engagé pendant ses crises de culpabilité et anxio-dépressives, avec un risque de marginalisation et d’exploitation de son corps et de sa personne.

o. Le 31 août 2022, l’OAI a indiqué qu’au vu des éléments énoncés, un nouvel examen du dossier allait être effectué, à la suite duquel une décision sujette à recours allait être notifiée.

p. Le 7 septembre 2022, le SMR a estimé, après réexamen du rapport d’expertise du BEM et des nouvelles pièces versées au dossier, que la réalisation d’une nouvelle expertise psychiatrique était nécessaire, avec une évaluation des atteintes, et notamment de la toxicomanie, fondée sur les indicateurs standards et orientée sur les ressources.

q. Le 16 septembre 2022, l’OAI a informé l’assurée qu’il envisageait de mandater le docteur J______, en tant qu’expert psychiatre.

r. Par décision du 19 septembre 2022, l’OAI a rejeté la demande d’assistance juridique de l’assurée, au motif que les particularités et la complexité du cas n’exigeaient pas l’assistance d’un avocat dans le cadre de la procédure d’audition de l’assurée. Celle-ci n’avait pas démontré qu’elle n’avait pas les capacités subjectives pour comprendre les circonstances ou pour s’orienter dans la procédure. Par ailleurs, le cas portait uniquement sur l’appréciation des éléments médicaux, il n’y avait pas de procédure de renvoi et la durée ainsi que la complexité de l’instruction correspondaient à une procédure normale. Compte tenu de ce qui précédait, les autres conditions nécessaires à l’octroi de l’assistance juridique pouvaient rester ouvertes.

s. Le 29 septembre 2022, l’assurée a proposé une liste de questions complémentaires à poser à l’expert et a requis la présence d’un interprète serbo-croate.

C. a. Par acte du 20 octobre 2022, l’assurée, par l’intermédiaire de son conseil, a interjeté recours contre la décision du 19 septembre 2022, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à l’octroi de l’assistance juridique à compter du 30 août 2022. La recourante n’avait pas une pleine maîtrise de la langue française et se trouvait souvent en difficulté face aux multiples procédures qu’elle devait mener en parallèle (pénale, civile et administrative). Son état de santé s’était drastiquement détérioré, comme l’avait attesté le Dr F______ dans son rapport du 18 août 2022. Toute démarche liée aux événements traumatisants de son passé était pratiquement insurmontable et provoquait des crises d’angoisse. L’intervention d’un assistant social n’était pas suffisante et seule l’intervention de son conseil avait permis la mise en œuvre d’une contre-expertise, ce qui démontrait, par ailleurs, que les chances de succès n’étaient pas nulles. Enfin, son indigence n’était pas contestée.

b. Par décision du 3 novembre 2022, la Vice-présidente du Tribunal civil a mis la recourante au bénéfice de l’assistance juridique s’agissant de la présente procédure.

c. Par réponse du 17 novembre 2022, l’intimé a conclu au rejet du recours. La compréhension des enjeux n’était pas insurmontable et ne nécessitait pas une connaissance particulière d’un point de vue juridique. La recourante pouvait faire appel aux assistants sociaux ou à des personnes de confiance ainsi qu’à ses propres médecins pour contester les éléments médicaux recueillis dans le cadre de la reprise de l’instruction. Enfin, la situation financière de la recourante ne suffisait pas pour justifier l’octroi de l’assistance juridique et la condition relative aux chances de succès pouvait rester ouverte.

d. La recourante n’ayant pas répliqué dans le délai imparti, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Les décisions qui accordent ou refusent l'assistance gratuite d'un conseil juridique (art. 37 al. 4 LPGA) sont des décisions d'ordonnancement de la procédure au sens de l'art. 52 al. 1 LPGA (ATF 131 V 153 consid. 1), de sorte qu'elles sont directement attaquables par la voie du recours devant les tribunaux des assurances institués par les cantons (art. 56 al. 1 et 57 LPGA).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

3.             Est litigieux le droit de la recourante à l’assistance juridique dans le cadre de la procédure d’audition consécutive au projet de refus de prestations d’invalidité rendu par l’intimé le 8 juin 2022 et à la reprise de l’instruction médicale requise par le SMR le 7 septembre 2022.

4.             Aux termes de l'art. 29 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite. Elle a en outre droit à l'assistance gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert.

L'octroi de l'assistance juridique gratuite signifie que la personne indigente est dispensée de payer les avances de frais et les sûretés exigées par l'autorité et que les frais d'avocat sont couverts par l'Etat. La dispense concerne également les frais inhérents à l'administration des preuves, comme les indemnités de témoins, d'interprètes ou les expertises (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3e éd., 2013, n. 1619).

5.             Dans la procédure administrative en matière d'assurances sociales, l'assistance gratuite d'un conseil juridique est accordée au demandeur lorsque les circonstances l'exigent (art. 37 al. 4 LPGA).

La LPGA a ainsi introduit une prétention légale à l'assistance juridique pour ce type de procédure (ATF 131 V 153 consid. 3.1 et les références). La jurisprudence y relative rendue dans le cadre de l'art. 4 aCst. (art. 29 al. 3 Cst.) sur les conditions de l'assistance judiciaire en procédure d'opposition (partie dans le besoin, conclusions non dépourvues de toute chance de succès, assistance objectivement indiquée d'après les circonstances concrètes) continue de s'appliquer, conformément à la volonté du législateur (ATF 132 V 200 consid. 4.1 et les références).  

6.             La réglementation cantonale a une teneur identique à la législation fédérale. Elle prévoit que l’assistance juridique est octroyée conformément aux prescriptions fédérales en matière de contentieux dans l’assurance-vieillesse et survivants, dans l’AI, dans les allocations perte de gain et dans les prestations complémentaires. Elle ne peut être octroyée que si la démarche ne paraît pas vouée à l’échec, si la complexité de l’affaire l’exige et si l’intéressé est dans le besoin ; ces conditions sont cumulatives (art. 27D al. 1 de la loi relative à l’office cantonal des assurances sociales du 20 septembre 2002 [LOCAS - J 4 18] et art. 19 al. 1 et 2 du règlement d'exécution de la loi relative à l'office cantonal des assurances sociales du 23 mars 2005 [ROCAS - J 4 18.01]).

7.             Les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire gratuite sont en principe remplies si les conclusions ne paraissent pas vouées à l'échec, si le requérant est dans le besoin et si l'assistance d'un avocat est nécessaire ou du moins indiquée (ATF 125 V 201 consid. 4a ; ATF 125 V 371 consid. 5b et les références).

Un procès est dénué de chances de succès lorsque les perspectives de le gagner sont notablement plus faibles que les risques de le perdre et qu'elles ne peuvent être considérées comme sérieuses, de sorte qu'une partie disposant des moyens nécessaires renoncerait, après mûre réflexion, à s'y engager en raison des frais auxquels elle s'exposerait. Le procès ne l'est en revanche pas lorsque les chances de succès et les risques d'échec s'équilibrent à peu près ou que les perspectives de succès ne sont que légèrement inférieures (ATF 129 I 129 consid. 2.3.1 ; ATF 128 I 225 consid. 2.5.3 et la référence). Dans tous les cas, les chances de succès ne peuvent pas être déniées lorsque la démarche pose des questions complexes et que son issue apparaît incertaine (ATF 124 I 304 consid. 4b). L'autorité procédera à une appréciation anticipée et sommaire des preuves, sans toutefois instruire une sorte de procès à titre préjudiciel (ATF 124 I 304 consid. 2c).

Une partie est dans le besoin lorsque ses ressources ne lui permettent pas de supporter les frais de procédure et ses propres frais de défense sans entamer les moyens nécessaires à son entretien et à celui de sa famille (ATF 128 I 225 consid. 2.5.1 et ATF 127 I 202 consid. 3b). Les besoins vitaux selon les règles de procédure se situent au-dessus de ce qui est strictement nécessaire et excèdent le minimum vital admis en droit des poursuites (ATF 118 Ia 369 consid. 4). Pour que la notion d'indigence soit reconnue, il suffit que le demandeur ne dispose pas de moyens supérieurs aux besoins normaux d'une famille modeste (RAMA 1996 p. 208 consid. 2). Les circonstances économiques au moment de la décision sur la requête d'assistance judiciaire sont déterminantes (ATF 108 V 265 consid. 4).

Le point de savoir si l'assistance d'un avocat est nécessaire ou du moins indiquée doit être tranché d'après les circonstances concrètes objectives et subjectives. Pratiquement, il faut se demander pour chaque cas particulier si, dans des circonstances semblables et dans l'hypothèse où le requérant ne serait pas dans le besoin, l'assistance d'un avocat serait judicieuse, compte tenu du fait que l'intéressé n'a pas lui-même des connaissances juridiques suffisantes et que l'intérêt au prononcé d'un jugement justifierait la charge des frais qui en découlent (arrêt du Tribunal fédéral 8C_297/2008 du 23 septembre 2008 consid. 3.2 et les références).

8.             Ces conditions d'octroi de l'assistance judiciaire sont applicables à l'octroi de l'assistance gratuite d'un conseil juridique dans la procédure d'opposition (Revue de l'avocat 2005 n. 3 p. 123), respectivement de décision. Toutefois, le point de savoir si elles sont réalisées doit être examiné au regard de critères plus sévères dans la procédure administrative (arrêt du Tribunal fédéral 9C_440/2018 du 22 octobre 2018 consid. 5 et arrêt du Tribunal fédéral 8C_297/2008 du 23 septembre 2008 consid. 3.3 et les références).

L’assistance par un avocat s’impose uniquement dans les cas exceptionnels où il est fait appel à un avocat parce que des questions de droit ou de fait difficiles rendent son assistance apparemment nécessaire et qu’une assistance par le représentant d’une association, par un assistant social ou d’autres professionnels ou personnes de confiance d’institutions sociales n’entre pas en considération (ATF 132 V 200 consid. 4.1 et les références). À cet égard, il y a lieu de tenir compte des circonstances du cas d’espèce, de la particularité des règles de procédure applicables, ainsi que des spécificités de la procédure administrative en cours. En particulier, il faut mentionner, en plus de la complexité des questions de droit et de l’état de fait, les circonstances qui tiennent à la personne concernée, comme sa capacité de s’orienter dans une procédure. Dès lors, le fait que l’intéressé puisse bénéficier de l’assistance de représentants d’associations, d’assistants sociaux ou encore de spécialistes ou de personnes de confiance œuvrant au sein d’institutions sociales permet d’inférer que l’assistance d’un avocat n’est ni nécessaire ni indiquée. En règle générale, l’assistance gratuite est nécessaire lorsque la procédure est susceptible d’affecter d’une manière particulièrement grave la situation juridique de l’intéressé (ATF 130 I 180 consid. 2.2 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_297/2008 du 23 septembre 2008 consid. 3.3 et la référence).

9.             Un litige sur le droit éventuel à une rente d’invalidité n’est pas susceptible d’affecter de manière particulièrement grave la situation juridique de l’intéressé; en revanche, il a une portée considérable. La nécessité de l’assistance gratuite ne peut donc être admise d’emblée, mais n’existe que lorsqu’à la relative difficulté du cas s’ajoute la complexité de l’état de fait ou des questions de droit, à laquelle le requérant n’est pas apte à faire face seul (arrêt du Tribunal fédéral 9C_786/2017 du 21 février 2018 consid. 4.2 et les références).

10.         En l'espèce, l’intimé est d’avis que le dossier de la recourante ne rend pas nécessaire l’assistance d’un avocat dans le cadre de la procédure d’audition consécutive au projet de refus de prestations d’invalidité qu’il a rendu le 8 juin 2022 et de la reprise de l’instruction médicale, ce que l’intéressée conteste.

10.1 Au vu de la jurisprudence susmentionnée, la nature du litige concernant le droit éventuel à une rente d'invalidité ne permet pas d'admettre que la situation juridique de la recourante était susceptible d'être touchée gravement, de sorte que l'assistance juridique n'apparaissait pas d'emblée comme nécessaire. Dès lors, il convient d'examiner si, concrètement, la détermination de sa capacité de gain raisonnablement exigible posait des difficultés telles, d'un point de vue objectif, que le recours à un avocat se justifiait.

10.2 Il est indéniable que la recourante, originaire de Serbie, arrivée en Suisse en 2011, n’était pas en mesure de s’orienter seule dans la procédure dès lors qu’elle ne maîtrisait pas le français. On relèvera à cet égard qu’elle a nécessité l’aide d’un interprète lors de l’examen effectué par les médecins experts du BEM. Qui plus est, le Dr F______ a constaté non seulement l’existence de difficultés de compréhension de la part de l’intéressée, mais également la nécessité d’un soutien pour accomplir les démarches (rapports des 29 octobre 2020 et 4 mai 2021). Partant, la recourante avait indéniablement besoin de l’aide d’un tiers.

10.3 Sur le plan médical, se posaient notamment les questions des diagnostics incapacitants, de la détermination de la capacité de travail de la recourante, de l’évolution de son état de santé et de sa capacité de travail à compter du 1er juin 2019 (date retenue par le SMR dans son avis du 1er juin 2022). On relèvera que la recourante souffrait, non seulement de troubles somatiques, mais également de plusieurs troubles psychiques auxquels s’ajoutait aussi une dépendance à différents psychotropes, tels que le cannabis, l’ecstasy et la cocaïne (rapport d’expertise du BEM, p. 31). Dans le cadre de la procédure d’audition de la recourante, le SMR a estimé nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique portant, notamment, sur la toxicomanie de la recourante. Or, comme l’a relevé le Tribunal fédéral, l’évaluation de l’invalidité d’une personne souffrant d’une addiction est un sujet qui peut poser des questions complexes sur les plans médical et juridique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_668/2009 du 25 mars 2010 consid. 4.2 et les références). Qui plus est, les rapports versés au dossier font état d’une vie sociale totalement déstructurée. La recourante, victime notamment de proxénètes depuis l’âge de 12 ans et de maltraitances physiques et psychiques de la part de son mari, avait en effet dû quitter son domicile et vivait seule dans un hôtel, depuis le mois d’avril 2020, émargeant à l’aide sociale et nécessitant, notamment, un travail éducatif de socialisation (rapports des 29 octobre 2020 et 4 mai 2021 du Dr F______). En outre, il apparaît que sa vie cognitive, affective et relationnelle était très affectée par des aspects liés à son développement psychique et au traumatisme consécutif aux maltraitances subies, de sorte que la recourante présentait des limitations fonctionnelles non seulement psychiques, mais également cognitives, affectives et relationnelles (rapport du 4 mai 2021 du Dr F______).

Au vu de ces circonstances, caractérisées par une intrication de problèmes de nature somatique et psychique, dont une dépendance à plusieurs psychotropes, et de problèmes ayant pour origine le contexte socio-économique dans lequel se trouvait la recourante, l’évaluation médicale de ses troubles revêtait une importance d’autant plus grande pour apprécier correctement son état de santé et les répercussions de ses troubles sur sa capacité de travail (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2016 du 14 juillet 2016 consid. 5 et 5.1).

Par ailleurs, si, dans le cadre de la procédure d’audition de la recourante, la reprise de l’instruction consistait en la réalisation d’une expertise psychiatrique uniquement, il n’en demeure pas moins que les droits de participation des assurés acquièrent une importance certaine lors de la mise en œuvre d'une expertise monodisciplinaire (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_436/2017 du 14 décembre 2017 consid. 3.6.1) et l’intervention d’un conseil qui, comme en l’espèce, soumet une liste de questions complémentaires à poser à l’expert, dépasse l’aide qu’est censé fournir un assistant social (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_440/2018 du 22 octobre 2018 consid. 5.2).

Partant, il y a lieu de retenir que la complexité du cas présenté par la recourante nécessitait l’assistance d’une personne disposant de connaissances juridiques, à l’instar d’un avocat, déjà au stade de la procédure d’audition, l’intéressée n’étant pas apte à y faire face seule ou avec l’aide d’un assistant social ou de ses médecins. En effet, ceux-ci ne disposent pas des connaissances juridiques nécessaires pour vérifier que le degré d’invalidité de la recourante est déterminé en conformité avec la jurisprudence applicable.

10.4 S'agissant de la condition relative aux chances de succès, question que l’intimé a laissé ouverte, on rappellera que celles-ci ne peuvent être déniées lorsque la démarche pose des questions complexes et que son issue apparaît incertaine. En l’occurrence, la recourante a sollicité la reprise de l’instruction concernant ses atteintes à sa santé et les griefs invoqués n’apparaissaient pas dénués de pertinence, puisqu’ils ont amené l’intimé à mettre en œuvre une nouvelle expertise (courriers des 31 août et 16 septembre 2022). Qui plus est, au vu de la complexité de la situation médicale et juridique de la recourante, l’évaluation de son degré d’invalidité apparaissait comme une question délicate, de sorte que les chances de succès de sa démarche, dont l’issue était incertaine, ne pouvaient pas être déniées.

10.5 Aussi, se trouve-t-on en présence de circonstances exceptionnelles rendant objectivement nécessaire l’assistance d’un avocat durant la procédure administrative, étant relevé que la situation économique de la recourante, qui était au bénéfice de prestations de l’Hospice général, n’est pas contestée par l’intimé, ni contestable.

Etant donné que toutes les conditions cumulatives requises pour l’octroi de l’assistance juridique sont réalisées, il y a lieu de mettre la recourante au bénéfice de cette assistance dès le dépôt de sa requête (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_923/2009 du 10 mai 2010 consid. 4.1.3).

11.          

11.1 Il convient encore de déterminer ce moment, dès lors que la recourante a adressé une requête d’assistance juridique le 27 juin 2022, à la suite de laquelle l’AJ s’est déclarée incompétente, de sorte que l’intéressée a renouvelé sa requête devant l’intimé le 30 août 2022.

11.2 L’art. 10 LPA traite de l’assistance juridique en matière administrative. L’al. 2 précise que le président du Tribunal civil accorde l’assistance juridique sur sa demande à toute personne physique dont la fortune ou les revenus ne sont pas suffisants pour couvrir les frais d’une procédure administrative ou pour lui assurer l’aide et les conseils d’un avocat ou d’un avocat-stagiaire lorsque ceux-ci sont nécessaires.

Selon l’art. 11 LPA, l’autorité examine d’office sa compétence (al. 2). Si elle décline sa compétence, elle transmet d’office l’affaire à l’autorité compétente et en avise les parties (al. 3). Cette disposition vise aussi bien les autorités au sens de l’art. 5 LPA (autorités administratives) que les juridictions administratives au sens de l’art. 6 LPA (Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 181). En vertu de l’art. 17 al. 5 LPA, les délais sont réputés observés lorsqu’une partie s’adresse par erreur en temps utile à une autorité incompétente. Ces dispositions sont applicables aussi bien à la procédure contentieuse que non-contentieuse (cf. art. 76 LPA ; GRODECKI / JORDAN, op. cit., n. 938).

11.3 En l’espèce, dans sa décision du 29 juin 2022, l’AJ a indiqué ne pas être compétente pour l’octroi de l’assistance juridique dans le cadre de la procédure administrative se déroulant devant l’intimé et a renvoyé la recourante à agir directement auprès de celui-ci. En tant que l’AJ est le service compétent pour l’octroi de l’assistance juridique dans le cadre d’une procédure de recours également en matière administrative et qu’il a été saisi à l’occasion d’un litige en matière administrative, l’AJ doit être considérée comme une autorité au sens de l’art. 11 LPA. En se déclarant incompétente, l’AJ aurait, par conséquent, dû transmettre d’office la requête à l’intimé (cf. ATAS/534/2020 du 29 juin 2020 et ATAS/417/2019 du 14 mai 2019).

Partant, il y lieu de considérer que la demande d’assistance juridique a été déposée le 27 juin 2022.

12.         La décision litigieuse doit être annulée et la recourante doit être mise au bénéfice de l’assistance juridique, dès le 27 juin 2022.

13.         La recourante ayant obtenu gain de cause et étant représentée par un avocat, une indemnité de CHF 1'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens [art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03)], à charge de l'intimé.

14.         Le litige ne portant pas sur l’octroi ou le refus de prestations de l’AI, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 69 al. 1bis LAI a contrario). Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 19 septembre 2022.

4.        Dit que la recourante a droit à l’assistance juridique pour la procédure administrative, depuis le 27 juin 2022.

5.        Condamne l’intimé à verser à la recourante le montant de CHF 1'000.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le