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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/818/2022

ATAS/185/2023 du 21.03.2023 ( LCA ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/818/2022 ATAS/185/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 mars 2023

8ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée ______, Genève, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Ghita DINSFRIEND-DJEDIDI

 

 

demanderesse

 

contre

SYMPANY ASSURANCES SA, sise Peter Merian-Weg 4, Bâle, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Isabelle JAQUES

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après: l'assurée), née le ______ 1964, employée auprès d'une entreprise de service d'assistance à domicile (ci-après: l'employeur) depuis le 2 août 2016, était à ce titre assurée contre la perte de gain maladie dans le cadre d'une police d'assurance collective d'indemnités journalières conclue par l'employeur d'abord auprès de VISANA ASSURANCES SA, puis auprès de SYMPANY ASSURANCES SA (ci-après: Sympany) à compter du 1er janvier 2018.

b. L'assurée a été mise en arrêt de travail total dès le 23 octobre 2017. Par certificats des 24 novembre et 27 décembre 2017, la doctoresse B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a attesté d'une capacité de travail de 50% dès le 27 novembre 2017, respectivement de 100% dès le 27 décembre 2017.

c. Par lettre du 30 janvier 2018 remise en main propre à l'assurée, l'employeur a résilié le contrat de travail avec effet au 30 avril 2018.

d. Dans un certificat du 30 janvier 2018, la Dresse B______ a attesté de la totale incapacité de travail de l'assurée dès ce jour, à réévaluer dans un mois. La psychiatre traitante a ensuite prolongé l'arrêt de travail à plusieurs reprises.

e. Sympany a confié la réalisation d'une expertise au docteur C______, spécialiste FMH en neurologie et en psychiatrie et psychothérapie, ainsi que médecin-conseil, qui a examiné l'assurée le 9 mars 2018. Dans un rapport du 19 mars 2018, il a retenu, avec répercussion sur la capacité de travail, le diagnostic de trouble de l'adaptation avec réaction dépressive prolongée (F43.21) trouble qui s'était développé à partir de l'automne 2017 en réaction à des conflits durables et persistants sur le lieu de travail et qui était la cause de l'incapacité de travail attestée à partir d'octobre 2017 et renouvelée depuis la fin du mois de janvier 2018 à la suite du licenciement , et celui, sans répercussion sur la capacité de travail, d'accentuation de certains traits de personnalité émotionnellement immature, impulsive, anxieuse et évitante (Z 73.1), manifestés dès l'adolescence. L'assurée, qui présentait des symptômes psychiques résiduels légers, était apte à exercer toute activité professionnelle à 50% dès à présent, à 80% dès le 1er mai 2018 et à 100% dès le 1er juin 2018.

f. Par courrier du 15 mars 2018 ayant pour objet la suspension des prestations d'indemnité journalière, Sympany a invité l'assurée à reprendre son travail à 50% dès le 19 mars 2018, à 80% dès le 1er mai 2018 et à 100% dès le 1er juin 2018.

g. Par lettre du 22 mars 2018 (remplaçant celle du 30 janvier 2018), l'employeur a mis fin aux rapports de travail avec effet au 30 juin 2018.

h. Informée le 30 mai 2018 de son droit de passer dans l'assurance individuelle de perte de gain, l'assurée a demandé le 7 juin 2018 une offre sans engagement.

i. Dans un certificat du 25 juin 2018, renouvelé le 18 juillet 2018, la Dresse B______ a mentionné que sa patiente était toujours dans l'incapacité de travailler à 100%.

j. Par pli du 6 juillet 2018, l'assurée a relancé Sympany au sujet de l'offre concernant le passage dans l'assurance individuelle de perte de gain, et l'a informée être dans l'attente des résultats de mammographies et échographies.

k. Par courriel du 10 juillet 2018 à Sympany, l'assurée a révélé avoir un cancer du sein gauche.

l. Dans un rapport du 17 juillet 2018, le Dr C______ s'est déterminé sur un rapport de la Dresse B______ du 19 avril 2018, et a maintenu son appréciation antérieure.

m. Dans deux certificats du 31 juillet 2018, la doctoresse D______, médecin au Centre du sein des Hôpitaux universitaires de Genève, a attesté d'une incapacité de travail totale du 1er au 31 juillet 2018, puis du 1er au 31 août 2018, qui a ensuite été prolongée à maintes reprises.

n. Par courriels des 31 juillet et 2 août 2018, l'assurée a déclaré ne pas souscrire d'assurance individuelle de perte de gain, estimant que les primes mensuelles proposées étaient trop élevées (CHF 830.20 pour la variante 1, CHF 977.10 pour la variante 2).

o. Dans une attestation du 2 août 2018, la doctoresse E______, spécialiste FMH en gynécologie et obstétrique, et gynécologue traitante, a indiqué avoir pris connaissance le 2 juillet 2018 des résultats de la mammographie de dépistage effectuée le 28 juin 2018.

p. Par courrier du 3 août 2018, Sympany a informé l'assurée du versement des indemnités journalières jusqu'au 30 avril 2018, après quoi le dossier serait clos.

q. Dans un rapport du 29 août 2018, la Dresse E______ a posé le diagnostic de carcinome canalaire invasif du sein gauche. Le début des symptômes remontait au 28 juin 2018. Le diagnostic et l'annonce avaient été faits par ses soins le 10 juillet 2018.

r. Entre fin août et mi-octobre 2018, divers échanges de correspondances ont eu lieu entre l'assurée et Sympany, la première s'étonnant en particulier que l'ex-employeur n'ait pas « déplacé le préavis de licenciement » vu sa maladie apparue le 28 juin 2018, et estimant qu'elle pouvait encore bénéficier de prestations de l'assurance collective perte de gain, raison pour laquelle elle ne signerait pas de contrat pour son transfert dans l'assurance individuelle, d'autant moins qu'elle n'avait pas obtenu la garantie de la prise en charge de sa maladie.

s. Dans un rapport du 11 septembre 2018, la Dresse D______ a mentionné que la chimiothérapie néo-adjuvante avait commencé le 25 juillet 2018, date à compter de laquelle l'assurée était en incapacité de travail totale, pour une durée indéterminée.

t. Par pli du 9 octobre 2018, Sympany a annoncé à l'assurée que le passage en assurance individuelle était désormais caduc en application de ses conditions générales d'assurance, dans la mesure où celle-ci n'avait plus d'activité professionnelle dès le 1er juillet 2018, lendemain de la fin de la couverture d'assurance collective, et qu'elle ne percevait pas d'indemnités de chômage, faute d'inscription à l'assurance-chômage.

B. a. Par courrier du 21 août 2020, l'assurée, sous la plume de son avocate, a sollicité de Sympany le paiement d'indemnités journalières dès le 28 juin 2018 sur la base du contrat collectif de l'ancien employeur, en faisant valoir que son cancer avait été détecté ce jour-ci, avant la fin des rapports de travail, suspendant ainsi à nouveau le délai de congé.

b. Par lettre du 20 octobre 2020, Sympany lui a répondu refuser cette requête de prise en charge, en arguant que, à la date de l'incapacité de travail médicalement attestée dès le 25 juillet 2018, l'assurée ne faisait plus partie du cercle des assurés du contrat collectif, et à cette même date, elle n'avait pas souscrit une assurance perte de gain maladie individuelle.

c. À la demande de l'assurée, Sympany a signé le 3 décembre 2020 une déclaration de renonciation à invoquer la prescription jusqu'au 1er juillet 2021 concernant d'éventuelles prétentions résultant de l'assurance perte de gain, pour autant que celle-ci ne soit pas déjà acquise aujourd'hui.

d. À la requête de l'assurée, le 10 juin 2021, Sympany a signé une déclaration de renonciation à invoquer la prescription jusqu'au 31 décembre 2021, à condition que celle-ci ne soit pas déjà acquise aujourd'hui.

e. Par pli du 19 juin 2021, l'assurée, par l'intermédiaire de son nouveau conseil, a demandé à Sympany de reconsidérer sa position, en soulignant qu'il était habituel en cas de cancer du sein que le traitement ne commence (ici le 25 juillet 2018) qu'après plusieurs examens (les micro-calcifications avaient été découvertes par mammographie le 28 juin 2018 et les biopsies ultérieures avaient confirmé la maladie).

f. Par courrier du 31 août 2021, l'assurée, par l'entremise de son conseil, a requis de Sympany le versement d'au moins 90 indemnités journalières après le 30 juin 2018.

g. Par lettre du 4 février 2022, Sympany a fait savoir à l'assurée qu'elle n'interviendrait pas pour le nouveau cas d'incapacité de travail qui avait débuté le 25 juillet 2018.

C. a. Par acte du 10 mars 2022, l'assurée, représentée par son avocate, a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après: chambre de céans) d'un « recours contre la décision de Sympany » du 4 février 2022, en concluant, sous suite de frais et dépens, principalement, à son annulation et à la condamnation de celle-ci à lui verser 90 jours supplémentaires d'indemnités journalières sous l'angle de l'assurance maladie collective, et subsidiairement, au renvoi du dossier à la défenderesse pour nouvelle décision.

b. Dans sa réponse du 30 mai 2022, la défenderesse a conclu, sous suite de frais et dépens, au rejet du « recours ». Elle a joint en particulier le dossier de l'assurance-invalidité (AI) de l'assurée, dans sa version au 12 novembre 2020.

c. Le 3 juin 2022, la défenderesse a produit le dossier AI de l'assurée comprenant les pièces depuis le 12 novembre 2020.

d. Le 14 novembre 2022, la demanderesse, et le 21 novembre 2022, la défenderesse, ont informé la chambre de céans de leur souhait de présenter leurs plaidoiries orales.

e. Une audience s'est tenue le 10 janvier 2023, au cours de laquelle les parties ont plaidé sur le fond et sur la prescription, puis persisté dans leurs conclusions respectives. À l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 7 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) et à l'art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale prévue par la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), relevant de la loi fédérale sur le contrat d'assurance, du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA - RS 221.229.1).

1.1 Le contrat d'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie couvrant le risque de perte de gain, soumis à la LCA, relève de l'assurance complémentaire à l'assurance-maladie sociale (arrêts du Tribunal fédéral 4A_47/2012 du 12 mars 2012 consid. 2; 4A_118/2011 du 11 octobre 2011 consid. 1.3 et les références citées).

1.2 Selon l'art. 1.5 des conditions générales d'assurance, édition 2018 (ci-après: CGA), auxquelles renvoie la police d'assurance perte de salaire due à une maladie (AL208634), le contrat d'assurance est régi notamment par la LCA.

La compétence de la chambre de céans à raison de la matière pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             L'art. 46a LCA, dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2021 disposition qui a été abrogée lors de la révision de la LCA entrée en vigueur le 1er janvier 2022 (Message du Conseil fédéral concernant la révision de la LCA du 28 juin 2017, FF 2017 4767 p. 4800) , prescrivait que le for se définissait selon la loi du 24 mars 2000 sur les fors (LFors) qui a été abrogée au 1er janvier 2011 par l’entrée en vigueur du CPC, auquel il convient donc de se référer.

2.1 Sauf disposition contraire du CPC, pour les actions dirigées contre les personnes morales, le for est celui de leur siège (art. 10 al. 1 let. b CPC), étant précisé que l’art. 17 al. 1 CPC consacre la possibilité d’une élection de for écrite.

2.2 En l’occurrence, l’art. 10.3 des CGA prévoit que, en cas de litige découlant du contrat d'assurance, la partie plaignante peut saisir au choix soit le tribunal de son lieu de domicile en Suisse, soit le tribunal de son lieu de travail en Suisse, soit le tribunal de Bâle-Ville (siège de la défenderesse).

La demanderesse, en sa qualité d'assurée, ayant son domicile dans le canton de Genève, la chambre de céans est compétente à raison du lieu pour connaître du présent contentieux.

3.             Selon l'art. 87 LCA, abrogé avec effet au 1er janvier 2022, et remplacé par l'art. 95a LCA depuis lors (RO 2020 4969), l’assurance collective contre les accidents ou la maladie donne au bénéficiaire, dès qu’un accident ou une maladie est survenu, un droit propre contre l’entreprise d’assurance.

3.1 L'employeur en tant que preneur d'assurance et la défenderesse en qualité d'assureur ont conclu un contrat collectif d'indemnité journalière selon la LCA. Par cette convention, la demanderesse était couverte contre le risque de perte de salaire due à la maladie. En matière d'assurance collective contre la maladie, l'art. 95a LCA (ex-art. 87 LCA) de nature impérative (cf. art. 98 LCA) confère un droit propre à l'assuré, qu'il peut faire valoir contre l'assureur (ATF 141 III 112 consid. 4.3).

Par conséquent, la demanderesse est fondée à agir à l'encontre de la défenderesse.

4.             Les litiges relatifs aux assurances complémentaires à l'assurance-maladie ne sont pas soumis à la procédure de conciliation préalable de l'art. 197 CPC lorsque les cantons ont prévu une instance cantonale unique selon l'art. 7 CPC (ATF 138 III 558 consid. 4.5 et 4.6; ATAS/577/2011 du 31 mai 2011), étant précisé que le législateur genevois a fait usage de cette possibilité (art. 134 al. 1 let. c LOJ).

5.             Selon l'art. 59 CPC, le tribunal n'entre en matière que sur les demandes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action. Ces conditions sont examinées d'office (art. 60 CPC).

5.1 L'art. 84 al. 2 CPC prescrit que l'action tendant au paiement d'une somme d'argent doit être chiffrée. Il s'agit d'une condition de recevabilité, que le juge doit examiner d'office (arrêt du Tribunal fédéral 4A_235/2016 du 7 mars 2017 consid. 2.1).

Selon l'art. 85 al. 1 CPC, si le demandeur est dans l'impossibilité d'articuler d'entrée de cause le montant de sa prétention ou si cette indication ne peut être exigée d'emblée, il peut intenter une action non chiffrée. Il doit cependant indiquer une valeur minimale comme valeur litigieuse provisoire. Cette exception vaut en particulier lorsque seule la procédure probatoire permet de fonder une créance chiffrée; le demandeur est alors autorisé à chiffrer ses conclusions après l'administration des preuves (ATF 140 III 409 consid. 4.3.1 et les réf. citées). Il incombe au demandeur qui formule une conclusion en paiement non chiffrée de démontrer dans quelle mesure il n'est pas possible, ou du moins pas exigible d'indiquer d'entrée de cause le montant de sa prétention (ATF 140 III 409 consid. 4.3.2).

Exceptionnellement, des conclusions non chiffrées suffisent lorsque la somme à allouer est d’emblée reconnaissable au regard de la motivation du recours ou de la décision attaquée (ATF 134 III 235 consid. 2 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_11/2014 du 3 juillet 2014 consid. 1.2). Toutefois, dans deux affaires d’assurance maladie collective perte de gain, le Tribunal fédéral a jugé irrecevables les conclusions d’assurés tendant simplement aux « prestations découlant du contrat d’assurance n. 50'123’083 » ou ordonnant « à [l’assurance] de calculer et de verser l’indemnité journalière en cas de maladie au demandeur, dès le 30 août 2004, plus intérêts à 5% dès la même date » (ATF 134 III 235 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_107/2008 du 5 juin 2008 consid. 2.2).

5.2 En l'espèce, dans son acte du 10 mars 2022, la demanderesse a indiqué former un « recours contre la décision de Sympany » du 4 février 2022, lui refusant l'octroi d'indemnités journalières en lien avec l'incapacité de travail consécutive au cancer du sein gauche. Or, dans un litige régi par la LCA, la contestation d'une décision de l'assureur privé implique la voie de l'action en justice et non pas celle du recours (ATAS/16/2006 du 10 janvier 2006 consid. 4). Il convient donc de considérer que la demanderesse a déposé par devant la chambre de céans une demande en paiement, qualifiée improprement de recours.

Ceci dit, la conclusion prise par la demanderesse vise simplement à la condamnation de la défenderesse à lui verser 90 jours supplémentaires d'indemnités journalières au titre de l'assurance collective.

Cette conclusion qui tend au paiement d'une somme d'argent n'est pas chiffrée. Le montant des indemnités journalières souhaitées ne ressort pas clairement des allégations ou arguments de la demanderesse contenus dans son mémoire du 10 mars 2022, et celle-ci n'a pas non plus indiqué, à titre provisoire, une valeur litigieuse minimale.

Partant, la demande est a priori irrecevable. Toutefois, cette question peut demeurer ouverte, car, pour les motifs exposés plus loin, la demande doit être rejetée.

6.             Se pose en premier lieu la question de savoir si les prétentions de la demanderesse sont prescrites, étant précisé que le litige porte sur le droit aux indemnités journalières dès le 28 juin 2018 et que la demande n'a été introduite que le 10 avril 2022.

6.1 Selon l’art. 130 al. 1 CO, la prescription court dès que la créance est devenue exigible.

6.2 Selon l'art. 46 al. 1 1ère phrase LCA (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021), les créances qui dérivent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation.

Selon l'art. 46 al. 3 LCA, introduit par le ch. I de la LF du 19 juin 2020, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 (RO 2020 4969), les créances qui découlent du contrat d’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie se prescrivent par deux ans à compter de la survenance du fait duquel naît l’obligation.

Selon la jurisprudence, le moment déterminant - le fait d'où naît l'obligation - est celui où sont réunis tous les éléments constitutifs fondant le devoir de prestation de l'assureur. Il ne s'agit donc pas nécessairement de la survenance du sinistre, même s'il s'agit de la cause première de l'obligation d'indemniser, une prétention ne pouvant être atteinte par la prescription que si elle a pris naissance. En outre, peu importe le moment où l'assuré en a eu connaissance, dès lors que le point de départ du délai de prescription est fixé de manière objective. Pour déterminer le « fait d'où naît l'obligation », soit le point de départ du délai de prescription, il faut donc analyser le contrat conclu par les parties pour en dégager tout d'abord le risque assuré, puis les éléments constitutifs qui doivent être réunis pour que l'assureur ait l'obligation d'indemniser l'assuré en raison de ce risque (arrêt 4A_488/2017 du 9 octobre 2018 consid 4.1 et les références).

6.3 Selon l'art. 135 ch. 2 CO, la prescription est interrompue lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites, par une requête de conciliation, par une action ou une exception devant un tribunal ou un tribunal arbitral ou par une intervention dans une faillite.

Cette liste des actes interruptifs du créancier est exhaustive (Pascal PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2021, n. 25 ad art. 135 CO). L'ouverture d'action au sens de l'art. 135 ch. 2 CO est une notion de droit fédéral; elle se définit comme tout acte introductif ou préparatoire par lequel le créancier s'adresse pour la première fois au juge, dans les formes requises, afin d'obtenir la reconnaissance du droit qu'il invoque (ATF 118 II 487 consid. 3; ATF 114 II 336 consid. 3a; ATF 110 II 389 consid. 2a).

6.4 Selon l'art. 141 al. 1 CO, dans sa teneur selon le ch. I de la LF du 15 juin 2018 (Révision du droit de la prescription), en vigueur depuis le 1er janvier 2020 (RO 2018 5343), le débiteur peut renoncer à soulever l’exception de prescription, à chaque fois pour dix ans au plus, à compter du début du délai de prescription. La renonciation s’effectue par écrit (art. 141 al. 1bis 1ère phrase CO, en vigueur depuis le 1er janvier 2020).

Selon le Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code des obligations (Droit de la prescription) du 29 novembre 2013 (FF 2014 221, p. 246), l'art. 141 CO constitue une codification en grande partie des questions tranchées dans l'ATF 132 III 226 (Blaise CARRON, Le nouveau droit suisse de la prescription – Présentation et analyse critique au regard des objectifs visés, in sui-generis 2019, p. 325 et 332), mais il s'en distingue sur un point: le moment à partir duquel le débiteur peut renoncer à invoquer l'exception, soit à compter du début du délai et pas déjà lors de la conclusion du contrat d'après le consid. 3.3.8 dudit arrêt (CARRON, op cit., p. 326 et 333).

Le débiteur peut renoncer à se prévaloir de la prescription lorsque le délai court et même lorsque le délai est écoulé (ATF 132 III 226 consid. 3.3.7). En dérogation avec la règle de l'art. 137 al. 1 CO, la renonciation à l'exception de prescription ne fait pas courir un nouveau délai de prescription, mais prolonge celui-ci de la durée convenue par les parties, mais au maximum de dix ans (ATF 132 III 226 consid. 3.3.8; arrêt du Tribunal fédéral 9C_104/2007 du 20 août 2007 consid. 8.2.1).

La prolongation du délai de prescription peut notamment résulter d'une déclaration unilatérale par laquelle le débiteur renonce soit à se prévaloir de la partie déjà écoulée du délai de prescription soit, pour un temps généralement limité, à soulever l'exception de prescription en cas de procès. De telles déclarations sont très répandues en pratique, notamment dans les relations avec les compagnies d'assurances, où elles ont notoirement pour but de dispenser le créancier de l'accomplissement de l'un ou l'autre des actes interruptifs de prescription prévus à l'art. 135 ch. 2 CO. Ce but ne peut être atteint pleinement que si la déclaration n'est pas assortie de restrictions permettant à son auteur de se prévaloir de l'expiration du délai entre le moment où la déclaration est signée et la date jusqu'à laquelle sa validité est limitée - date qui correspond en général, mais non nécessairement, à l'échéance du nouveau délai qui se serait mis à courir conformément à l'art. 137 CO s'il y avait eu interruption selon l'art. 135 ch. 2 CO. En revanche, la déclaration irait au-delà de ce but si elle emportait renonciation à se prévaloir d'une prescription déjà acquise au moment où elle est signée, car ses effets seraient alors supérieurs à ceux d'une réquisition de poursuite, d'une demande en justice ou d'une citation en conciliation, qui ne font pas repartir un délai déjà échu. C'est pourquoi les déclarations de renonciation à invoquer la prescription sont le plus souvent subordonnées à la condition que le délai de prescription n'ait pas encore expiré au moment où la déclaration est émise (arrêt du Tribunal fédéral 5C.42/2005 du 21 avril 2005 consid. 2.2 et les références). Sachant que la renonciation à la prescription est souvent demandée dans l'urgence et que la question de la prescription est parfois complexe, la formule selon laquelle la renonciation n'intervient qu'à la condition que la prescription ne soit pas déjà acquise est admissible (cf. ATF 137 III 481 consid. 2.8).

6.5 Le nouveau droit de la prescription est entré en vigueur le 1er janvier 2020. S'agissant du droit transitoire, le nouvel art. 49 du Titre final du CC a la teneur suivante: lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1). Lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus courts que l’ancien droit, l’ancien droit s’applique (al. 2). L’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effets sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3). Au surplus, la prescription est régie par le nouveau droit dès son entrée en vigueur (al. 4).

7.             En l'espèce, la demanderesse fait valoir que le délai de prescription a commencé à courir le 28 juin 2018, date du diagnostic du cancer du sein, et est échu le 28 juin 2022 compte tenu du droit transitoire relatif à la révision du droit de la prescription en vigueur depuis le 1er janvier 2020.

Certes, l'auteur de doctrine auquel se réfère la demanderesse mentionne que « tous les délais d'un an de l'art. 60 al. 1 CO ou 67 al. 1 CO qui courent encore au 1er janvier 2020 seront prolongés de deux ans supplémentaires, étant relevé que les délais relatifs d'une année de ces deux dispositions ont été portés à trois ans selon le nouveau droit ; il en va bien sûr de même pour tout autre délai, y compris les délais de deux ans en matière de contrat d'assurance (art. 46 al. 1 LCA) qui sont eux aussi prolongés de deux ans » (Pascal PICHONNAZ, Le nouveau droit de la prescription: éléments choisis, in DC 2019 p. 252).

Toutefois, ni au 1er janvier 2020, ni au 1er janvier 2022 (date de l'entrée en vigueur du nouveau droit du contrat d'assurance), la créance relevant du contrat d’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie ne bénéficie d'un nouveau délai de prescription plus long, celui-ci étant resté identique. Par conséquent, l'art. 49 du Titre final du CC n'est pas applicable.

In casu, la créance de la demanderesse est devenue exigible, s'agissant d'un nouveau cas d'assurance, au plus tard à l'échéance du délai d'attente de trente jours qui débute le premier jour de l'incapacité de travail attestée par la Dresse D______, soit le 25 juillet 2018 (cf. art. 6.3 des CGA), dans l'hypothèse la plus favorable. La demanderesse pouvait donc prétendre aux indemnités journalières au plus tôt le 24 août 2018. Étant précisé qu'elle sollicite 90 indemnités journalières, celles-ci sont réclamées jusqu'au 21 novembre 2018. Or, en ne déposant sa demande en paiement par devant la chambre de céans que le 10 mars 2022, elle a agi tardivement, puisque le délai de deux ans était déjà échu (elle devait agir en justice au plus tard le 21 novembre 2020; selon la défenderesse le 25 novembre 2020). Dans l'hypothèse où une incapacité de travail doit être déjà admise à partir du 28 juin 2018, le délai de prescription serait échu encore plus tôt.

Les deux déclarations de renonciation à invoquer la prescription signées par la défenderesse le 3 décembre 2020, respectivement le 10 juin 2021, ne sont d'aucun secours à la demanderesse. La première a la teneur suivante: « [la défenderesse] renon[ce] ( ) à invoquer la prescription jusqu'au 1er juillet 2021 concernant d'éventuelles prétentions résultant de l'assurance perte de gain selon la LCA pour autant que la prescription ne soit pas acquise déjà aujourd'hui », soit à la date de la signature de la déclaration le 3 décembre 2020. Or, la prescription était déjà acquise au 25 novembre 2020 au plus tard. Quant à la seconde déclaration, elle stipule que « [la défenderesse] renon[ce] à invoquer la prescription jusqu'au 31 décembre 2021 ( ) concernant d'éventuelles prétentions résultant de l'assurance perte de gain selon la LCA, pour autant que la prescription ne soit pas acquise déjà aujourd'hui », soit au jour de la signature de cette déclaration le 10 juin 2021. A fortiori, la créance était également prescrite à la signature de cette seconde déclaration.

8.             Au vu de ce qui précède, la demande du 10 mars 2022 est rejetée, dans la mesure de sa recevabilité.

9.             Pour le surplus, il n'est pas alloué de dépens à la charge de la demanderesse (art. 22 al. 3 let. b de la loi d'application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 [LaCC - E 1 05]) ni perçu de frais judiciaires (art. 114 let. e CPC).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

1.        Rejette la demande du 10 mars 2022 dans la mesure de sa recevabilité.

2.        Dit que la procédure est gratuite.

3.        Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (Tribunal fédéral suisse, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14), sans égard à sa valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoqués comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente suppléante

 

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) par le greffe le