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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2210/2022

ATAS/203/2023 du 22.03.2023 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2210/2022 ATAS/203/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 mars 2023

4ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, c/o B______, MEINIER, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Yves MABILLARD

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né en 1960, travaille en tant qu'indépendant dans un chantier naval et à l'entretien de bâtiments depuis 1992.

b. Dès le 15 octobre 2012, l'assuré a été en incapacité de travail.

c. Le 13 mars 2013, il a subi une oesophagectomie en raison d'un cancer.

d. Par demande du 24 août 2014, il a sollicité des prestations auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI).

e. Le 16 septembre 2014, l'OAI a réceptionné un rapport de la doctoresse C______, spécialiste FMH en oncologie médicale, indiquant que l'assuré avait présenté en octobre 2012 un adénocarcinome de l'œsophage. Il souffrait d'un status après traitement de l’adénocarcinome, avec dumping syndrome (malaises succédant à chaque repas avec lente récupération), d'une asthénie de grade II et d'un inconfort digestif chronique. Selon le médecin, la persistance des symptômes était probable et le pronostic global était réservé.

Dans son activité habituelle, l'incapacité de travail avait été de 80% du 15 octobre 2012 au 18 février 2013, 100% du 19 février au 31 mars 2013, 90% du 1er avril au 31 août 2013, 85% du 1er septembre au 10 novembre 2013, 80% du 1er décembre 2013 au 31 mai 2014 et de 70% dès le 1er juin 2014. Il y avait également lieu de tenir compte d’une baisse de rendement en raison de l'activité physiquement lourde, la nécessité de récupérer des malaises post-prandiaux et d’une tolérance à l'effort diminuée.

Dans une activité adaptée, une occupation partielle était possible pour autant que l'assuré ait un temps de récupération nécessaire et un outillage adapté pour les efforts contraignants. L'assuré avait déjà commencé à acquérir un nouvel outillage permettant de le décharger de certaines tâches physiquement lourdes, à ses frais. Une amélioration de la capacité de travail était encore indéterminée.

L'assuré était en train de développer une activité professionnelle physiquement moins lourde (bâteau-école). Il était très motivé à poursuivre son activité le plus possible (ce qui n'était possible qu'à temps partiel).

f. Le 13 avril 2015, la Dresse C______ a indiqué que l'état de santé de l'assuré était stationnaire et qu'en raison du status post-traitement d'un adénocarcinome de l'œsophage, sa capacité de travail dans son activité habituelle était de 30% depuis juin 2014.

g. Dès le 14 avril 2015, l'assuré a été en incapacité de travail à 90% en raison d'une occlusion veineuse proximale du membre supérieur droit.

h. Par avis du 27 avril 2015, le service médical régional AI (ci-après : le SMR) a indiqué que l'assuré était en incapacité de travail depuis le 15 octobre 2012 en raison d'un adénocarcinome de l'œsophage opéré en février 2013. Sa capacité de travail était de 30% depuis juin 2014. Les limitations fonctionnelles étaient liées à l'asthénie et aux malaises post-prandiaux dans un contexte de dumping syndrome. Il convenait de déterminer la capacité de travail dans une activité adaptée légère et les limitations fonctionnelles à respecter.

i. Le 27 avril 2015, la Bâloise Vie SA, assurance perte de gain (ci-après : l'APG) a transmis à l'OAI les taux d'incapacité de gain qu’elle avait retenus : 80% dès le 15 octobre 2012, 90% dès le 1er avril 2013, 85% dès le 1er septembre 2013, 80% dès le 1er décembre 2013, 70% dès le 1er juin 2014 et 38% dès le 15 octobre 2014, date à partir de laquelle elle a versé une rente à l’assuré.

j. Le 4 juin 2015, l'assuré a informé l'OAI que son état de santé s'était aggravé et qu'en 2010, il avait déjà subi une opération aux deux mains.

k. Le 9 juin 2015, la Dresse C______ a indiqué qu'une augmentation de la capacité de travail de 20% était envisageable à moyen terme. Dans une activité adaptée légère, la capacité était limitée par les multiples épisodes quotidiens de type dumping syndrome/malaises et une asthénie secondaire à l'effort. Chaque effort avait pour conséquence une période de récupération prolongée. La limitation fonctionnelle à respecter était le besoin de périodes de repos plusieurs fois par jour.

l. Le 10 juin 2015, l'OAI a réceptionné divers rapports transmis par l'APG, dont notamment une expertise établie le 29 juin 2011 par le docteur D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, diagnostiquant, avec répercussion sur la capacité de travail de l’assuré, une rhizarthrose trapézométacarpienne bilatérale de stade II opérée des deux côtés et une arthrose débutante bilatérale des doigts longs. Lors d'une 1ère consultation médicale en 2009, le diagnostic de rhizarthrose bilatérale avait été posé. En 2010, un syndrome du tunnel carpien bilatéral s'y était ajouté. Entre juin 2010 et avril 2011, l'assuré avait subi successivement une décompression nerveuse au poignet et une arthroplastie du 1er rayon de chaque main. Depuis le 8 juin 2011, il avait repris son activité à 80%, à l'exclusion des travaux lourds qui ne pouvaient plus être réalisés en raison de l'arthrose douloureuse des doigts et de la présence d'implants prothétiques des pouces. L'assuré déléguait à des professionnels indépendants les travaux lourds. Habituellement, le travail administratif du chantier représentait 20% et les travaux lourds 80%. Actuellement, la gestion de l'entreprise représentait 50% et les travaux lourds 50%. Ainsi, selon l’expertise du 29 juin 2011, l'incapacité médico-théorique était de 50% depuis le 8 juin 2011.

m. Le 15 juin 2015, le docteur E______, spécialiste FMH en maladies vasculaires, a diagnostiqué, avec effet sur la capacité de travail de l’assuré, un syndrome post-thrombotique du membre supérieur droit consécutif à une thrombose veineuse profonde du membre supérieur droit dans un contexte de pose de port à cath. L'assuré avait présenté une occlusion veineuse proximale du membre supérieur droit en avril 2015. Les limitations fonctionnelles étaient une douleur, une tuméfaction et une diminution de la force du membre supérieur droit. L'incapacité de travail était de 70% en tant que constructeur naval, dès le 13 mars 2013 et pour une durée indéterminée.

n. Par avis du 24 août 2015, le SMR a noté que, selon les médecins, l'incapacité de travail se maintenait à 70% depuis juin 2014. L'incapacité de travail totale dans la part « chantier » et tâches lourdes était plausible du fait des séquelles de l'atteinte oncologique, de l'arthrose des mains et du syndrome post-thrombotique du membre supérieur droit. Il s'agissait encore de préciser la capacité de travail dans une activité légère, de type administratif. Le SMR a relevé que selon le résumé transmis en avril 2015 par l'APG, l'incapacité de travail de l'assuré était de 38% depuis le 15 octobre 2014. Il existait donc des divergences avec l'appréciation des médecins.

o. Le 3 septembre 2015, l'APG a transmis à l'OAI une copie du rapport d’expertise du 16 juin 2015 du docteur F______, spécialiste FMH en gastroentérologie. L'expert, mandaté par l'APG, avait diagnostiqué un carcinome œsophagien, un status après oesophagectomie et un dumping syndrome précoce après oesophagectomie. L'assuré se plaignait essentiellement de douleurs abdominales apparaissant dès la fin du repas sous forme de coup de poing, quotidiennement, pouvant durer de quelques minutes à quelques heures, des sueurs, une hypersialorrhée et des vertiges. L'assuré se plaignait également de crampes touchant les membres supérieurs et inférieurs, d’un manque d'énergie et d’un manque d'allant, sans symptôme dépressif, rendant son activité professionnelle pénible et l'obligeant à beaucoup s'organiser pour éviter les travaux de force et planifier des travaux qui allaient durer beaucoup plus que d'habitude. Il avait également une sensation de doigts engourdis de la main droite. Le dumping syndrome précoce avait pour conséquences une fatigabilité pathologique, des limitations des capacités professionnelles pour la réalisation des travaux sur le chantier naval et des délais augmentés pour l'achèvement des mandats confiés.

L'expert a indiqué qu'il lui était difficile de juger du degré de l'incapacité de travail médico-théorique. Cependant, après description de l’activité de l’assuré et les constatations objectives, l'évaluation de 20% semblait légitime. L'assuré ne tirait aucun bénéfice, ni profit secondaire de sa maladie. Il n'y avait aucune exagération, absence d'effort, ou simulation quant à une reprise de l'activité professionnelle.

L’expert recommandait de mettre en œuvre un consilium neurologique, à la recherche d’une neuropathie ou d’une myopathie post-chimiothérapeutique, et une évaluation psychologique.

p. Par rapport du 15 décembre 2015, la Dresse C______ a indiqué que l'état de santé de l'assuré s'était amélioré progressivement. Les limitations constatées étaient une asthénie de grade II, des troubles de la concentration et un dumping syndrome après chaque repas. Sa capacité de travail était de 40% en tant qu'entrepreneur naval dès le 1er janvier 2016.

q. Selon une note téléphonique versée au dossier en date du 29 février 2016, la Dresse C______ a expliqué au SMR, s'agissant de la capacité de travail résiduelle, que l’assuré était présent dans son entreprise une grande partie de la journée, mais que son rendement était diminué. Il était obligé de prendre des repas fractionnés réguliers, lesquels étaient à chaque fois suivis par un malaise lié au dumping syndrome, qui l’obligeait à s'arrêter et à se reposer. En outre, il était plus rapidement fatigable. Dans ce contexte, il n'effectuait plus de travaux lourds et déléguait toutes les tâches de chantier naval et de mise à l'eau des bateaux. Son activité se concentrait sur les tâches administratives, la supervision et l'enseignement. En outre, il effectuait des convoyages de bateaux en mer. Cette activité semblait compatible avec ses limitations fonctionnelles car l'assuré pouvait se reposer après les repas. Selon la Dresse C______, il était prêt à aménager son activité autant que possible pour travailler au maximum de ses possibilités. Elle estimait difficile de chiffrer la capacité de travail résiduelle, mais elle allait tenter de le faire lors de la prochaine consultation.

r. Par avis du 29 février 2016, le SMR a relevé qu'outre le dumping syndrome précoce après oesophagectomie dans le cadre d'un carcinome oesophagien, le Dr F______ avait relevé plusieurs problématiques concomitantes qu'il recommandait d'investiguer : des crampes des membres inférieurs et supérieurs, un manque d'énergie et une diminution des capacités physiques, des engourdissements des doigts de la main droite et un status après thrombose du membre supérieur droit sur un port à cath qui avait été retiré depuis. En outre, l'assuré ne bénéficiait pas d'un suivi nutritionnel. L'expert estimait « légitime » l'évaluation de la capacité de travail résiduelle de 20% faite par l'assuré lui-même. L'expert ne se prononçait toutefois pas sur la capacité de travail dans une activité strictement adaptée, légère. Il avait émis plusieurs recommandations susceptibles d'améliorer la capacité de travail, soit une prise en charge nutritionnelle, une consultation neurologique et une évaluation psychologique.

Le SMR a relevé qu'il apparaissait que la compagne de l'assuré, médecin, avait assisté à l'évaluation effectuée par le Dr F______, ce qui n'était pas conforme aux recommandations en matière de qualité des expertises. En outre, selon la Dresse C______, l'assuré présentait une capacité de travail de 40% depuis le 1er janvier 2016 (rapport du 15 décembre 2015).

Par conséquent, l'expertise ne permettait pas de préciser la capacité de travail résiduelle dans une activité adaptée légère. En outre, l'état de santé de l’assuré n'était pas stabilisé à ce moment-là.

Selon le SMR, le taux de 40% restait une appréciation peu précise de sa capacité de travail résiduelle.

s. Selon une note d'entretien téléphonique du 3 mai 2016, la Dresse C______ a expliqué que malgré tous ses efforts, l'assuré n'arrivait pas à travailler à plus de 40%. Il restait très fatigué, fatigable, et avait besoin de se reposer régulièrement. L'assuré était très volontaire et avait tenté de mettre en place des mesures afin de maintenir à flot son entreprise. Il avait engagé des employés et aménagé son poste. Toutefois, sa présence était nécessaire. Il n'arrivait pas à faire face aux commandes ni à faire plus. La situation était financièrement difficile et l'assuré craignait de ne pas parvenir à continuer son activité. Très motivé, il était demandeur d'aide avec un spécialiste en réadaptation. La situation était stabilisée et il y avait peu d'espoir que la fatigue s'améliore. La médecin n'était pas en position pour déterminer si une activité mieux adaptée pourrait permettre d'envisager une capacité de travail supérieure au 40%. Il fallait observer l'assuré en situation.

t. Par rapport du 3 mai 2016, la Dresse C______ a indiqué que les limitations fonctionnelles étaient identiques à celles notées dans son rapport du 15 décembre 2015.

Elle a joint un rapport du 2 mai 2016 adressé au docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie, expliquant que l'activité professionnelle de l'assuré était limitée à 40% principalement en raison du dumping syndrome ainsi que d'une fatigabilité accrue. L'assuré n'arrivait plus que difficilement à mener à bien son entreprise et les délais de réparation des bateaux étaient difficiles à respecter. Son état général, conservé pour les activités de la vie quotidienne, limitait toutefois son travail de chef d'entreprise, malgré ses essais pour diversifier son travail afin de le rendre moins « physique » (tentative de monter une petite « bateau-école » et de faire des rapatriements de bateaux).

u. Par avis du 30 mai 2016, le SMR a signalé qu'il était difficile de statuer sur la capacité de travail effective au sein de l'entreprise compte tenu du fait que l'assuré effectuait vraisemblablement encore des tâches lourdes. Sur la base des informations transmises par la Dresse C______, la capacité de travail effective ne semblait pas dépasser un 40%.

S'agissant de l'appréciation de la capacité de travail effective dans une activité qui serait complètement adaptée, légère de type administrative, tenant compte de la fatigabilité, permettant un fractionnement des repas et des périodes de repos après les repas, le SMR proposait de la déterminer par une observation en situation. Il pouvait être utile d'avoir un descriptif des activités actuelles de l'assuré, des activités qu'il considérait encore pouvoir faire et de celles qu'il ne pouvait plus faire et de préciser son taux de présence effectif dans son entreprise.

v. Par courriel du 3 juillet 2016, l'assuré a expliqué à l'OAI qu'il s'occupait de la restauration, de l'entreposage, de l'entretien de bateaux ainsi que de l'entretien et de la restauration de bâtiments. Il n'avait pas d'employés, mais avait à son service un réseau de professionnels et de « tâcherons » qu'il payait pour accomplir certaines activités lors desquelles il ne pouvait pas être seul, par sécurité, ou par lourdeur du mandat octroyé. Il pouvait encore effectuer tous les travaux qui ne demandaient pas d'efforts démesurés et de délais trop précis. Les travaux qu'il ne pouvait plus effectuer étaient la prise en charge de gros travaux, les gros bateaux qui demandaient trop de concentration ou trop d'efforts physiques; les travaux dans des conditions météorologiques autres que normales, les travaux demandant une attention et un stress trop constants, les travaux non accompagnés (risques d'inattention et de surcharge), les activités demandant des horaires et des remises de mandats trop précis ainsi que des travaux demandant un outillage ou un environnement non adapté à sa condition physique actuelle. Son taux de présence effectif dans l'entreprise était de 30%.

L'assuré a ajouté notamment qu'il ne désirait pas du tout arrêter son activité, ne sachant faire que cela et étant passionné par son travail. Toutefois, il se rendait compte que même s'il faisait l'effort de répondre à 100% à son entreprise, le résultat n'était que de 30% vu sa condition physiologique. Le dumping syndrome engendrait de grosses fatigues quotidiennes et l'obligeait à arrêter toutes les activités temporairement.

w. L'assuré a remis à l’OAI les bilans de son entreprise pour les années 2009 à 2016.

x. Le 14 juillet 2017, l'OAI a établi un rapport d'enquête pour indépendant. Il en résulte notamment que l’assuré avait opéré une restructuration de son entreprise en l’orientant vers la location de bateaux et en faisant appel à des sous-traitants pour les travaux de construction et d’entretien. Depuis 2017, il donnait des cours de bateau. La partie administrative avait augmenté de 20% à 50% car il formait et encadrait des personnes. Les convoyages demandaient de la préparation et de la planification. Il gérait les imprévus et les cours de navigation nécessitaient une gestion administrative. Il effectuait encore certaines tâches physiques, à son rythme. L’assuré faisait appel à de la sous-traitance et n’avait pas d’autres charges salariales que les siennes. Il ne payait pas les bénévoles et les stagiaires.

L’année 2009 avait été la meilleure des années entre 2008 et 2011, soit avant sa maladie.

En 2013, il y avait eu un fléchissement du chiffre d’affaires.

En 2014, pour réaliser les contrats, l’assuré avait fait appel à de la sous-traitance et avait investi dans du matériel et effectué des frais d’achats deux fois supérieurs à ce qui était habituel. Grâce à une baisse de certains frais généraux tels que le loyer, les frais de véhicules et le maintien de certains frais fixes, la société avait pu dégager un bénéfice et le chiffre d’affaires réalisé était proche de celui de 2009.

En 2015, le chiffre d’affaires était largement supérieur ; l’assuré avait obtenu un contrat de rénovation d’une villa et il avait fait appel à des sous-traitants pour effectuer le travail. Il semblait que la réorganisation du travail de l’assuré au sein de sa propre société avait permis à l’entreprise de prendre de l’essor. Le bénéfice moyen des années 2008-2009 était de CHF 22'056.- et le taux de diminution du revenu de l’année 2016 en rapport avec cette moyenne de 45%.

Selon l'OAI, il était clair qu’au vu d’un chiffre d’affaires bas, toute variation, même faible, au niveau des charges pouvait avoir une importance sur le résultat de l’entreprise. Les taux de diminution du revenu variaient entre 38% et 45% depuis l’atteinte à la santé. Sur un revenu moyen entre 2014 et 2016, l’assuré ne rencontrait pas de préjudice économique.

Au vu des éléments autres que l’atteinte à la santé (éléments économiques et organisationnels, en raison de facteurs étrangers à l’invalidité), il semblait difficile de se fier à la comptabilité.

En l’état, l’OAI estimait difficile de se prononcer sur la perte de gain de l’assuré. Il était préférable que le SMR se détermine sur la capacité de travail résiduelle dans l'activité habituelle et adaptée en précisant les limitations fonctionnelles de l'assuré.

y. Par avis du 31 août 2017, le docteur H______, du SMR, a indiqué que l'enquête d'indépendant démontrait que l'assuré avait aménagé son travail et qu'il avait augmenté la partie administrative. Compte tenu des limitations fonctionnelles, de la fatigabilité, de l'impossibilité d'effectuer des efforts physiques et des résultats de l'enquête, le SMR était en mesure de dire que sa capacité de travail dans l'ancienne activité était de 40% et dans une activité adaptée de 60%.

z. Par rapport d'enquête économique du 21 septembre 2017, l'OAI a évalué l'invalidité de l'assuré en utilisant la méthode ordinaire.

Le revenu sans invalidité (CHF 25'190.-) correspondait à la meilleure année en fonction des résultats des comptes pertes et profits 2009. Les gains soumis à cotisation AVS confirmaient ce revenu.

Le revenu d'invalide (CHF 22'086.-) avait été fixé selon les résultats d'exploitation des années 2014-2016. Depuis 2014, l'état de santé de l'assuré était stationnaire, cependant, les revenus de l'assuré étaient en dents de scie, de sorte qu'il convenait de faire une moyenne 2014-2016.

En comparant les revenus avec et sans invalidité, il en résultait un degré d'invalidité de 12%.

Ainsi, dans son activité habituelle, en s'attribuant les activités possibles à son état de santé, l'assuré présentait un préjudice économique de l'ordre de 12%. Cela étant, même si dans son activité habituelle le préjudice économique était supérieur à 40%, l’assuré n'aurait pas de préjudice financier dans une activité adaptée, au vu de l'exigibilité retenue par le SMR le 31 août 2017. L'assuré s'était en effet contenté d'un faible revenu avant son atteinte à la santé. De ce fait, même dans une activité salariée effectuée à temps partiel, la perte économique n’était pas supérieure à 40%.

aa. Par projet de décision du 25 octobre 2017 et décision du 7 décembre 2017, l'OAI a nié le droit de l'assuré à une rente d'invalidité. Selon le SMR, l'assuré avait une capacité de travail de 40% dans son activité habituelle dès le 15 octobre 2012, et de 60% dans une activité adaptée dès cette date. Selon les résultats de l'enquête économique du 12 juillet 2017, l'assuré avait aménagé son travail et augmenté la partie administrative. Partant, le préjudice économique était de 12%, ce qui n'ouvrait le droit ni à une rente d'invalidité, ni à une mesure de reclassement.

B. a. Par acte du 26 janvier 2018, l'assuré, par l'intermédiaire de son conseil, a interjeté recours contre cette décision. Dans ses écritures, il a contesté l’estimation du SMR du 31 août 2017, selon laquelle il présentait une capacité de travail dans l'ancienne activité de 40% et dans une activité adaptée de 60%. Cette estimation était arbitraire et aucun médecin n'avait retenu de tels pourcentages.

Par ailleurs, il a contesté l’enquête économique de l’intimé, laquelle contenait plusieurs erreurs, ainsi que les salaires avec et sans invalidité retenus par l’intimé.

Il s'était lancé dans une activité indépendante en 1994 en tant que patron d'une entreprise de chantier naval mais il n'avait jamais pu pleinement développer son activité indépendante en raison de son état de santé. En 2001, la croissance de son entreprise avait pâti de ses problèmes de dépendance à l’alcool, dont il avait réussi à se sevrer en 2009. Cette année-là, il avait dû réduire son activité en raison de douleurs et de la perte de force aux deux mains. En 2010 et en 2011, il avait subi des opérations aux mains et en 2012, un cancer de l’œsophage avait été diagnostiqué.

L'intimé avait, à tort, retenu qu'il s'était contenté de faibles revenus avant son atteinte à la santé en 2012. Il avait interprété arbitrairement les bilans et avait omis de prendre en compte notamment le fait qu'en 2003, ses revenus avaient chuté drastiquement, non par convenance, mais parce qu'il était malade. Depuis 2002, sa capacité de travail avait diminué pour des raisons de santé. Partant, le revenu sans invalidité ne pouvait être repris des revenus de ses bilans.

En outre, selon l'intimé, il était en mesure d'aménager indéfiniment son travail pour adapter son activité habituelle à ses limitations fonctionnelles, notamment en augmentant la partie administrative de son activité. D'un partage 20%-80% entre activités administratives et travaux lourds, le recourant était passé à un 50%-50% en 2010 suite aux problèmes rencontrés avec ses pouces. Mais on ne pouvait exiger qu'il adapte encore son temps de travail en augmentant le temps consacré à l'administration de son entreprise, alors que c'était l'exécution des travaux lourds qui lui rapportait des revenus. Le travail administratif ne rapportait aucun revenu et ne se développait pas. Enfin, il était le seul employé de son entreprise.

La méthode ordinaire de comparaison des revenus appliquée par l’intimé était arbitraire : il avait retenu un revenu hypothétique sans invalidité de CHF 25'190.- en se fondant sur les revenus de 2009, alors qu’il souffrait déjà des pouces et avait présenté une incapacité de travail de 50%. Il convenait donc de se référer aux statistiques, dont il résultait un revenu annuel de CHF 40'000.- par an, au moins.

S'agissant du revenu avec invalidité, le SMR avait retenu une capacité de travail de 60% dans une activité adaptée. Or, le recourant souffrait du dumping syndrome et selon les médecins, sa capacité de travail résiduelle était de 20 à 30% seulement. En 2015, il avait eu l'opportunité de diriger un chantier de rénovation d'une maison et n’avait effectué personnellement aucun travail manuel. Ce mandat exceptionnel ne reflétait pas sa situation professionnelle concrète, de sorte qu'il ne fallait pas en tenir compte. En raison de sa capacité de travail réduite depuis 2012, ses revenus en lien avec son activité principale (le chantier naval et la construction) avaient fortement diminué, hormis pour l'année 2015. En tenant compte de l'année 2012 déjà et en excluant l’année 2015, qui était exceptionnelle, le revenu avec invalidité était de CHF 12'440.-.

La comparaison des revenus aboutissait à une invalidité de 69%, ouvrant droit à une rente d'invalidité.

b. L'intimé a considéré que les éléments soulevés par le recourant n'étaient pas susceptibles de modifier son appréciation du cas.

c. Le 27 août 2018, le recourant a indiqué que des faits nouveaux concernant son état de santé s'étaient produits. Il avait présenté un état dépressif et une asthénie avec des douleurs diffuses depuis décembre 2017, voire septembre 2017, mais ce trouble n’avait été diagnostiqué qu’en février 2018. Par ailleurs, une polyneuropathie sensitivo-motrice des quatre membres avait été confirmée en juin 2018. Elle était présente depuis sa chimiothérapie, soit depuis 2013. Elle affectait son travail vu qu'elle provoquait des troubles sensitifs au bout des doigts, un manque de dextérité, des douleurs et un manque de force.

Les rapports confirmaient que le recourant n'était absolument pas en mesure d'exercer une activité à 60% au vu du dumping syndrome, mais également de son état dépressif sévère et de sa polyneuropathie. Les médecins avaient encore abaissé sa capacité de travail résiduelle de 20 % à 10% depuis le 19 mars 2018, suite aux nouveaux syndromes. En outre, il avait été en arrêt de travail total du 1er février au 18 mars 2018. Sa perte de gain allait être encore plus importante en 2018 que les années précédentes.

Le recourant a produit notamment:

-          un rapport du 30 avril 2018 du docteur I______, spécialiste FMH en médecine interne générale, diagnostiquant un état dépressif et une asthénie d’origine indéterminée avec des douleurs diffuses depuis décembre 2017. Le recourant avait été hospitalisé du 27 mars au 12 avril 2018 à la clinique genevoise de Montana. L’incapacité de travail était totale depuis le 1er février 2018 en raison de l’asthénie.

-          un rapport du 3 mai 2018 de la doctoresse J______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, diagnostiquant un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère. Le recourant avait présenté une péjoration marquée de son état psychique dès fin septembre 2017. Il avait de l’anergie, de la tristesse, une perte de motivation, des angoisses, des difficultés de sommeil et de concentration et des idéations passives suicidaires. Il n’y avait pas d’éléments psychotiques, ni d’abus de substance. Le recourant avait dû être hospitalisé en raison de la péjoration de son état dépressif. Son incapacité de travail était totale depuis le 1er février 2018. L’état dépressif restait sévère et empêchait toute activité structurée et maintenue dans la journée.

-          un rapport du 14 juin 2018 du docteur K______, spécialiste FMH en neurologie, diagnostiquant une polyneuropathie sensitivo-motrice à nette prédominance axonale, longueur-dépendante des quatre membres, d’origine toxique. Le recourant se plaignait de troubles sensitifs et de l’équilibre, modérés, évoluant de longue date, associés à des troubles sensitifs au bout des doigts, un manque de dextérité, des douleurs et un manque de force. Le recourant présentait d’une part un équilibre moins bon qu’auparavant avec une tendance à s’encoubler, associé à une sensation de froid et de pieds cartonnés. Cette sensation était probablement présente de longue date depuis la chimiothérapie. Depuis quelques mois, en reprenant le travail, il avait remarqué un manque de dextérité et un trouble de la sensibilité au bout des doigts avec lâchage d’objets. Il décrivait une asthénie importante ainsi qu’une perte de poids de 6 kg.

d. Par écriture du 18 septembre 2018, l'intimé a rappelé que la décision litigieuse datait du 7 décembre 2017, de sorte que seuls pouvaient être retenus, dans le cadre de la présente procédure, les faits antérieurs à cette date. Par ailleurs, il produisait un avis du SMR du 18 septembre 2018, selon lequel le recourant présentait un épisode dépressif avec peu d'éléments de sévérité, dont même la psychiatre traitante préjugeait d'une évolution favorable et qui n'avait pas nécessité l'introduction d'un traitement antidépresseur. Le trouble avait entraîné une incapacité attestée depuis février 2018, ce qui était postérieur à la décision de décembre 2017. Par ailleurs, la polyneuropathie était présente de longue date, n’avait pas empêché le recourant de reprendre son activité habituelle à 30% dès juin 2014 et à 40% dès janvier 2016, et était compatible avec une activité administrative légère.

e. Par arrêt du 6 mars 2019, la chambre de céans a partiellement admis le recours de l’assuré.

Elle a constaté, en substance, que les rapports versés à la procédure ne permettaient pas de confirmer l'appréciation de la capacité de travail de l’assuré par l’OAI. Elle a également relevé qu’au vu du dossier, les atteintes invoquées par l’assuré dans son écriture du 27 août 2018, soit le trouble dépressif récurrent et la polyneuropathie sensitivo-motrice, bien que diagnostiquées postérieurement à la décision litigieuse, avaient pu avoir une influence sur la capacité de travail du recourant avant celle-ci. Au vu de ces éléments, la chambre de céans a annulé la décision du 7 décembre 2017 de l’OAI et lui a renvoyé la cause pour mise en œuvre d’un complément d'instruction sous la forme notamment d'une expertise médicale pluridisciplinaire auprès de médecins spécialisés en gastroentérologie, médecine interne, neurologie, et psychiatrie. En cas de nécessité, un stage d'observation professionnelle visant à clarifier le rendement exigible et les activités demeurant à la portée de l'intéressé devait également être organisé.

La chambre de céans a par ailleurs constaté que le calcul de l'invalidité, tel qu'effectué par l'intimé, en se fondant sur les résultats de l’entreprise avant et après invalidité, n’était pas de nature à permettre une évaluation conforme au droit des effets des atteintes à la santé sur la capacité de gain du recourant. En effet, les données comptables de l'entreprise du recourant ne constituaient pas une base valable pour évaluer l’incapacité de gain de l’assuré, car elles ne permettaient pas de distinguer la part du revenu résultant exclusivement de la prestation personnelle de travail du recourant de celle qu'il convenait d’attribuer à des facteurs étrangers. En outre, dans la mesure où l’assuré avait souffert de diverses atteintes à la santé dès 2001 déjà, notamment une dépendance à l’alcool (de 2001 à 2009) et une rhizarthrose bilatérale (en 2009), il n’était pas possible de se fonder sur le résultat de l’entreprise pour l'année 2009 afin d’établir le revenu sans invalidité.

C. a. À partir de janvier 2020, le Dr I______ a attesté d’une capacité de travail de 20%, réduite ensuite à 10% dès mai 2020.

b. Du 21 juillet au 4 août 2020, l’assuré a effectué une cure de repos à la clinique genevoise de Montana, sur prescription de la doctoresse L______, psychiatre et psychothérapeute, en vue d’un soutien psychologique, d’éloignement des facteurs de stress et d’un reconditionnement physique global. Lors de son séjour, il a notamment bénéficié d’un suivi diététique et de séances de physiothérapie.

c. Le 9 mai 2020, l’OAI a informé l’assuré de ce que l’expertise pluridisciplinaire avait été attribuée de manière aléatoire au centre CEMEDEX à Fribourg et que les examens seraient effectués par les docteurs M______ (médecine interne), N______ (gastroentérologie), O______ (neurologie) et P______ (psychiatre).

d. Le rapport d’expertise a été adressé à l’OAI le 2 septembre 2020. Les experts ont retenu les diagnostics suivants : polyneuropathie sensitivomotrice longueur de fibres dépendante, prédominant cliniquement sur le versant sensitif, polyneuropathie développée au décours d'une chimiothérapie en 2013 (G97) pour un cancer du cardia et à la faveur d'une ancienne consommation d'alcool excessive, jusque dans les années 2010, (G621) ; adénocarcinome œsophagien initialement uT3NIM0, C. 15 avec chimiothérapie, radiothérapie et œsophagectomie en 2013 ; syndrome de dumping postprandial précoce depuis 2013 (K911) ; asthénie majeure depuis 2014, (R53) ; trouble affectif bipolaire, épisode actuel mixte (F31.6) ; troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation d'alcool, syndrome de dépendance actuellement abstinent secondaire (F 10.20). Les experts ont abouti consensuellement à une capacité de travail nulle de juin 2012 à mai 2014, puis, dès juin 2014 de 100 % avec une diminution de rendement de 50%, ce tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée. De l’avis de l’expert en gastroentérologie, repris dans la partie consensuelle de l’expertise, il n’existait en effet pas d’activité plus adaptée que celle exercée habituellement, vu la flexibilité dont l’assuré disposait dans son organisation.

Dans le volet relatif à sa spécialité, l'expert en gastroentérologie a encore retenu une diminution de rendement de 20% en raison de l’adénocarcinome œsophagien et du syndrome de dumping, l’alimentation devant être adaptée avec plusieurs petits repas de qualités précises, à des horaires flexibles, suivis de périodes de repos. L'asthénie post cancer contribuant à l’arrêt des activités l’après-midi ainsi qu’un sommeil très fractionné impactaient pour leur part le rendement d’environ 30%. Au vu de ces éléments, la capacité de travail s’élevait, sous l’angle gastroentérologique uniquement à 50% dès juin 2014, ce dans toute activité. Auparavant, elle avait varié entre 0 et 40%.

L’expert en neurologie a retenu que la polyneuropathie sensitivomotrice, associée à des troubles sensitifs, engendrait des difficultés de manipulation des petits objets, une limitation à l’effort, ainsi qu’un manque de force pour les travaux lourds. De ce fait, sous l’angle neurologique, la capacité de travail était considérée nulle dans l’activité habituelle depuis la fin de la chimiothérapie en 2013. Concernant une activité adaptée, la « capacité s'évalue essentiellement à la faveur de la redistribution des tâches qu'il s'octroie, soit des tâches administratives, plutôt que des tâches de travail sur bateau, abstention de travaux lourds et de situation de nécessitant un équilibre stable ». En mettant de côté la fatigabilité mentale et psychique, la capacité sous l’angle neurologique était de 80% avec une perte de rendement de l'ordre de 20% en raison d'un ralentissement des tâches nécessitant une manipulation fine ou une bonne proprioception, et des migraines résiduelles épisodiques, soit au final 64%.

L’expert psychiatre a retenu, dans son domaine de spécialité, une capacité de travail entière jusqu’en septembre 2017. Par la suite, le rendement était diminué de 50%, même en l’absence de phase mixte ou maniaque, les capacités organisationnelles étant touchées par des difficultés de concentration, un envahissement du champ de pensée, un trouble du cours de la pensée. La fatigabilité psychiatrique était en outre présente et un risque de décompensation sur un mode mélancolique était présent en cas d’excès de travail. Était adaptée une activité ne nécessitant pas de traitement d’informations simultanées, soit un travail plutôt répétitif. Dans une telle activité, la capacité de travail était de 70% « par baisse de rendement de 30% ».

Le spécialiste en médecine interne et générale n’a retenu aucune incapacité dans son domaine de compétence.

e. L’assuré a subi une ligature pexie de quatre paquets hémorroïdaires en date du 4 septembre 2020 aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

f. Le 9 septembre 2020, le SMR a fait siennes les conclusions de l’expertise du CEMEDEX.

g. En mai 2021, l’assuré a adressé à l’OAI ses bilans et comptes de pertes et profits relatifs aux années 2015 à 2020.

h. Le 4 novembre 2020, la Dresse L______ a indiqué que l’assuré souffrait d’un trouble bipolaire très fluctuant, avec actuellement un épisode de dépression d’intensité moyenne. Du fait en outre d’un dumping syndrome, il présentait de nombreuses complications dans son quotidien ainsi qu’un état de fatigue extrêmement important. La capacité de travail était très limitée sur le marché libre, soit au maximum 20%. Quant à l’activité habituelle, son maintien avait été possible au prix d’immenses efforts entraînant un épuisement psychique et physique importants, bien au-delà des capacités de l’intéressé.

i. Le 22 décembre 2020, le SMR a estimé que les nouvelles pièces médicales produites ne modifiaient pas son appréciation du cas, la Dresse L______ ayant fait une appréciation différente d’un état de fait similaire à celui soumis aux experts, soit un trouble affectif bipolaire avec épisode actuel mixte.

j. Le 4 janvier 2021, l’OAI a estimé qu’au vu des limitations fonctionnelles retenues et de la nature de l’activité exercée, l’activité résiduelle s’apparentait à une niche et aucun changement de poste n’était exigible. Comme l’expertise CEMEDEX l’avait souligné, il était difficile d’imaginer une activité professionnelle mieux adaptée pour l’assuré. Un stage d’observation professionnelle n’était ainsi pas indiqué, dès lors que si l’activité habituelle ne pouvait plus être réalisée, il convenait de retenir une incapacité de gain totale.

k. Une enquête économique a été mise en œuvre par l’OAI le 22 septembre 2021. Vu que les revenus de l’assuré étaient affectés par de nombreux facteurs étrangers à l’invalidité, il a été procédé à l’évaluation sur la base de la méthode extraordinaire, en recourant aux données statistiques résultant de l’Enquête Suisse sur la Structure des Salaires (ci-après: l’ESS) éditées par l'Office fédéral de la statistique correspondant à chaque champ d’activité, soit :

Champs

d’activités

Horaire sans handicap

Horaire avec handicap

Baisse de rendement

Salaire mensuel indexé selon OFS

Salaire annuel hypothétique sans handicap en CHF

Salaire annuel hypothétique avec handicap en CHF

Perte économique (en CHF)

Administratif

8h00

20h00

50%

6'350.-

CHF15’887.70

19'859.65

-3'971.95

Travaux lourds

20h00

4h00

80%

5'968.-

37'329.85

1'493.20

35'836.65

Travaux légers

6h00

6h00

50%

5'490.-

10'302.-

5'151.-

5'151.-

Entretien

6h00

4h00

80%

5'622.-

10'549.70

1'406.60

9'143.10

Convoyage des bâteaux

0h00

2h00

50%

5'295.-

0.00

1'656.00

-1'656.-

Bâteau-école

0h00

4h00

50%

5'555.-

0.00

3'474.65

-3'474.65

Total

40h00

40h00

 

 

74’069.25

33'041.10

41'028.15

L’enquête a ainsi abouti à un préjudice économique de 55 % dès juin 2014, échéance du délai de carence.

l. Par projet de décision du 8 octobre 2021, l’OAI a indiqué envisager l’octroi d’une demi-rente dès février 2015, soit six mois après le dépôt de sa demande de prestations, fondé sur la perte de gain de 55% résultant de l’enquête économique.

m. Dans le cadre de ses observations consécutives audit projet, l’assuré a fait part de son désaccord tant quant aux conclusions de l’expertise médicale qu’à celles de l’enquête ménagère, qu’il considérait toutes deux contraires aux éléments figurant au dossier administratif. Il a conclu à l’octroi d’une rente entière.

n. Par décision du 31 mai 2022, l’OAI a octroyé à l’assuré une demi-rente dès février 2015, pour les mêmes raisons que celles évoquées dans son projet du 8 octobre 2021.

D. a. L’assuré a recouru contre cette décision le 4 juillet 2022, concluant à son annulation et à l’octroi d’une rente d’au moins 69.7%. À titre préalable, il a sollicité son audition et celles des Dresses C______ et L______.

En substance, il a relevé que pour évaluer sa capacité de travail à partir de juin 2014, l’intimé s’était fondé sur les conclusions consensuelles de l’expertise du CEMEDEX aboutissant à un taux de 100% avec 50% de rendement dans l’activité habituelle. Or, les rapports des différents médecins traitants faisaient pour leur part état, pour cette même période, d’une capacité oscillant entre 10% et 30%. Tout en reconnaissant la faiblesse de la capacité de travail résiduelle de l’assuré, les experts n’avaient pas expliqué la différence entre leur appréciation et celle, concordantes et cohérentes, des différents médecins traitants. L’évaluation de la capacité de travail par les experts était donc arbitraire et ne convainquait pas. Il convenait de se baser sur les différents rapports de ses médecins traitants pour évaluer sa capacité de travail. En outre, l’affirmation des experts quant à la stabilisation de son état de santé au 1er juin 2014 était également erronée et peu justifiée. Elle semblait en effet uniquement fondée sur l’avis du SMR du 27 avril 2015 qui ne reflétait pas les pièces médicales au dossier.

Le recourant a enfin contesté les résultats de l’enquête économique. Outre que l’enquêtrice s’était fondée sur l’appréciation (erronée selon le recourant) de la capacité de travail résultant de l’expertise CEMEDEX, elle avait mal évalué, au vu notamment de ses différentes limitations fonctionnelles, les taux d’activité et de rendement réels dans plusieurs champs d’activités.

Selon son propre calcul, le recourant aboutissait à une incapacité de travail de 68.7%, au minimum, dans l’activité habituelle.

b. L’intimé a répondu au recours le 21 juillet 2022, concluant à son rejet. L’expertise du CEMEDEX répondait à tous les critères jurisprudentiels et devait dès lors se voir reconnaître pleine valeur probante. Le seul nouveau document médical produit avec le recours, soit le certificat médical de la Dresse L______ du 21 juin 2022, au contenu identique à celui qu’elle avait établi le 4 novembre 2020, avait été soumis au SMR qui avait estimé qu’il n’apportait aucun élément nouveau pertinent permettant de retenir une aggravation de l’état de santé. Quant à l’enquête économique, elle avait été faite sur la base de la liste des activités exercées par le recourant avant et après l’atteinte à la santé. Il avait en outre été procédé à la répartition entre les différents champs sur la base des propres déclarations du recourant.

c. Par observations du 22 septembre 2022, le recourant a développé ses critiques à l’encontre de l’expertise du CEMEDEX et de l’enquête économique de l’intimé.

Concernant l’expertise, il a relevé, premièrement, qu’il était incompréhensible que le Dr M______ ait retenu, sous l’angle de la médecine interne, une capacité complète dans l’activité habituelle, alors que :

-          dans le cadre de son expertise du 29 juin 2011, le Dr D______ avait estimé que, du fait de l’arthroplastie prothétique trapézométacarpienne aux deux pouces de 2010 et de l’arthrose aux doigts, la capacité de travail dans l’activité habituelle était de 50%. Le pronostic était en outre réservé compte tenu de l'arthrose des quatre doigts d'une part et de la durée de vie le plus souvent limitée des implants prothétiques des pouces d'autre part ;

-          le Dr E______ avait retenu, dans son rapport du 15 juin 2015, une incapacité de travail de 70% dans l’activité habituelle en raison d'une thrombose veineuse du membre supérieur droit, dès le 13 mars 2013 et pour une durée indéterminée.

Deuxièmement, le recourant a souligné que le Dr N______ s’était fondé sur l’avis erroné du SMR du 27 avril 2015 pour décréter à tort que l’état de santé était stabilisé dès juin 2014.

Troisièmement, au vu du dossier médical il était incompréhensible que le Dr N______ ait conclu que sous l’angle gastroentérologique, le recourant pouvait travailler dans son activité à plein temps en tenant uniquement compte d'une baisse de rendement de 50%. Le dumping syndrome impliquant à lui seul des arrêts récurrents de l’activité plusieurs fois par jour, force était de reconnaitre que sans même considérer ses troubles psychiques, le recourant ne pouvait travailler qu’à 40% au maximum, avec un rendement diminué de moitié.

Quatrièmement, le CEMEDEX ne pouvait se fonder sur le montant de la rente versée par l’APG pour en déduire une capacité de travail de plus de 50%.

Au vu de ces éléments, il y avait lieu de s’écarter des conclusions de l’expertise CEMEDEX et de retenir une capacité de travail maximale de 30% de juin 2014 à début 2020, puis de 10% dès 2020 en raison d’une aggravation de l’état de santé.

Concernant l’enquête économique, il était notamment relevé qu’elle retenait à tort une baisse de rendement de 80% dans les travaux lourds alors qu’il était établi, que depuis 2012 le recourant ne pouvait plus du tout accomplir de tels travaux en raison des atteintes aux pouces, aux mains et aux membres supérieurs. Quant à l’activité « bâteau-école », le recourant avait expliqué qu’elle n’était plus adaptée à son état de santé depuis fin 2019, en raison du stress et des difficultés de concentration. En outre, elle était auparavant uniquement saisonnière.

Le recourant rappelle qu’il avait droit à des intérêts moratoires sur l’arriéré de rente qui allait lui être octroyé.

d. Le 7 novembre 2022, l’intimé a persisté dans les termes et conclusions de sa précédente écriture.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201; RO 2021 706).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

En l’occurrence, la décision querellée concerne un premier octroi de rente dont le droit est né avant le 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

4.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

5.             Le litige porte, sur la quotité de la rente AI à laquelle le recourant peut prétendre.

6.              

6.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

6.2 Chez les assurés actifs, le degré d'invalidité doit être déterminé sur la base d'une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 28a al. 1 LAI en corrélation avec l'art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s'effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l'un avec l'autre, la différence permettant de calculer le taux d'invalidité (méthode générale de comparaison des revenus ; ATF 128 V 29 consid. 1 ; ATF 104 V 135 consid. 2a et 2b). Pour procéder à la comparaison des revenus, il convient de se placer au moment de la naissance du droit à la rente ; les revenus avec et sans invalidité doivent être déterminés par rapport à un même moment et les modifications de ces revenus susceptibles d'influencer le droit à la rente survenues jusqu'au moment où la décision est rendue doivent être prises en compte (ATF 129 V 222 et ATF 128 V 174).

L'évaluation de l'invalidité s'effectue à l'aune d'un marché équilibré du travail. Cette notion, théorique et abstraite, sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l'assurance-chômage et ceux qui relèvent de l'assurance-accidents. Elle présuppose un équilibre entre l'offre et la demande de main d'oeuvre d'une part et un marché du travail structuré permettant d'offrir un éventail d'emplois diversifiés, tant au regard des sollicitations intellectuelles que physiques d'autre part (ATF 110 V 273 consid. 4b). Le caractère irréaliste des possibilités de travail doit alors découler de l'atteinte à la santé, puisqu'une telle atteinte est indispensable à la reconnaissance de l'invalidité (art. 7 et 8 LPGA), et non de facteurs psychosociaux ou socioculturels qui sont étrangers à la définition juridique de l'invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4.2 et les références).

Pour fixer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que l'assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s'il n'était pas invalide (RAMA 2000 n°U 400 p. 381 consid. 2a). Ce revenu doit être évalué de manière aussi concrète que possible si bien qu'il convient, en règle générale, de se référer au dernier salaire que l'assuré a obtenu avant l'atteinte à sa santé, en tenant compte de l'évolution des salaires (ATF 129 V 222 consid. 4.3.1). Lorsque le dernier salaire obtenu par l'assuré avant la survenance de l'invalidité est nettement plus élevé que les revenus obtenus jusqu'alors, il ne peut servir de référence pour le revenu sans invalidité que s'il est établi, selon la vraisemblance prépondérante, que l'assuré aurait continué à réaliser un tel salaire (arrêt 9C_5/2009 du 16 juillet 2009 consid. 2.3, in SVR 2009 IV n° 58 p. 181).

6.3

6.3.1 Chez une personne de condition indépendante, la comparaison des résultats d'exploitation réalisés dans son entreprise avant et après la survenance de l'invalidité ne permet de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l'invalidité que dans le cas où l'on peut exclure, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les résultats de l'exploitation aient été influencés par des facteurs étrangers à l'invalidité. En effet, les résultats d'exploitation d'une entreprise dépendent souvent de nombreux paramètres difficiles à apprécier, tels que la situation conjoncturelle, la concurrence, l'aide ponctuelle des membres de la famille, des personnes intéressées dans l'entreprise ou des collaborateurs. Généralement, les documents comptables ne permettent pas, en pareils cas, de distinguer la part du revenu qu'il faut attribuer à ces facteurs - étrangers à l'invalidité - et celle qui revient à la propre prestation de travail de l'assuré (arrêts du Tribunal fédéral 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2 ; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3, I 83/97 du 16 octobre 1997 consid. 2c, in VSI 1998 p. 121, et I 432/97 du 30 mars 1998 consid. 4a, in VSI 1998 p. 255). Il convient de distinguer clairement la situation personnelle de la personne assurée, seule déterminante au regard de l'assurance-invalidité, de celle de l'entreprise dont elle est la propriétaire économique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_572/2010 du 25 mars 2011, consid. 3.5 in fine).

6.3.2 Si l'on ne peut déterminer ou évaluer sûrement les deux revenus en cause, il faut, en s'inspirant de la méthode spécifique pour personnes sans activité lucrative (art. 28a al. 2 LAI en corrélation avec les art. 27 RAI et 8 al. 3 LPGA), procéder à une comparaison des activités et évaluer le degré d'invalidité d'après l'incidence de la capacité de rendement amoindrie sur la situation économique concrète (procédure extraordinaire d'évaluation de l'invalidité). La différence fondamentale entre la procédure extraordinaire d'évaluation et la méthode spécifique réside dans le fait que l'invalidité n'est pas évaluée directement sur la base d'une comparaison des activités ; on commence par déterminer, au moyen de cette comparaison, quel est l'empêchement provoqué par la maladie ou l'infirmité, après quoi l'on apprécie séparément les effets de cet empêchement sur la capacité de gain. Une certaine diminution de la capacité de rendement fonctionnelle peut certes, dans le cas d'une personne active, entraîner une perte de gain de la même importance, mais n'a pas nécessairement cette conséquence. Si l'on voulait, dans le cas des personnes actives, se fonder exclusivement sur le résultat de la comparaison des activités, on violerait le principe légal selon lequel l'invalidité, pour cette catégorie d'assurés, doit être déterminée d'après l'incapacité de gain (ATF 128 V 29 consid. 1 et les références).

Concrètement, selon cette méthode, il faut tout d’abord effectuer une comparaison des champs d’activités. Il convient d’établir quelles sont les activités que l’assuré pourrait exercer avec et sans atteinte à la santé, et dans quel laps de temps il pourrait les accomplir. Il y a également toujours lieu d’examiner dans quelle mesure il lui serait possible de réduire sa perte de gain, en substituant à certaines des tâches qu’il accomplissait auparavant d’autres tâches, mieux adaptées au handicap dont il souffre. Ensuite, il s’agira de pondérer les activités en appliquant à chaque activité le salaire de référence usuel dans la branche. On peut ainsi déterminer le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide et effectuer une comparaison des revenus (Circulaire sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI] publiée par l’Office fédéral des assurances sociales dans sa version valable à partir du 1er janvier 2015, ch. 3104-3105).

6.3.3 Il existe dans le domaine des assurances sociales un principe général selon lequel l'assuré doit entreprendre tout ce qui est raisonnablement exigible pour diminuer son dommage (ATF 129 V 460 consid. 4.2). Un invalide doit, avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu'on peut raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité; c'est pourquoi un assuré n'a pas droit à une rente lorsqu'il serait en mesure, au besoin en changeant de profession, d'obtenir un revenu excluant une invalidité ouvrant droit à une rente. La réadaptation par soi-même est un aspect de l'obligation de diminuer le dommage et prime aussi bien le droit à une rente que celui à des mesures de réadaptation. L'obligation de diminuer le dommage s'applique aux aspects de la vie les plus variés. Toutefois, le point de savoir si une mesure peut être exigée d'un assuré doit être examiné au regard de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (ATF 113 V 22 consid. 4a). Par circonstances subjectives, il faut entendre en premier lieu l'importance de la capacité résiduelle de travail ainsi que les facteurs personnels tels que l'âge, la situation professionnelle concrète ou encore l'attachement au lieu de domicile. Parmi les circonstances objectives doivent notamment être pris en compte l'existence d'un marché du travail équilibré et la durée prévisible des rapports de travail (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I.750/04du 5 avril 2006 consid. 5.3).

Dans le cas d'un assuré de condition indépendante, on peut exiger, pour autant que la taille et l'organisation de son entreprise le permettent, qu'il réorganise son emploi du temps au sein de celle-ci en fonction de ses aptitudes résiduelles. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que plus la taille de l'entreprise est petite, plus il sera difficile de parvenir à un résultat significatif sur le plan de la capacité de gain. Au regard du rôle secondaire des activités administratives et de direction au sein d'une entreprise artisanale, un transfert de tâches d'exploitation proprement dites vers des tâches de gestion ne permet en principe de compenser que de manière très limitée les répercussions économiques résultant de l'atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_580/2007 du 17 juin 2008 consid. 5.4).

6.4  

6.4.1 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2 et les références; ATF 125 V 256 consid. 4 et les références). En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

6.4.2 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

6.4.3 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

6.4.4 On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références).

6.5 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

6.6 Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

7.              

7.1 En l’espèce, il convient d’examiner en premier lieu la valeur probante de l’expertise du CEMEDEX. Celle-ci n’est pas critiquable quant à la forme. Elle comporte une appréciation médicale par chacun des experts, fondée sur une anamnèse détaillée, sur le dossier médical (dont les différents éléments sont listés), ainsi que sur un examen médical de l’intéressé. Les plaintes de l’intéressé y figurent également. Chaque expert clôt en outre la partie relative à sa spécialité par des conclusions qu’il motive. Enfin, le rapport comporte une partie intitulée « évaluation consensuelle », faisant la synthèse des appréciations des différents médecins.

7.2 Pour ce qui est du fond, en revanche, si l’appréciation médicale faite par chacun des experts est globalement convaincante, les conclusions qui en sont tirées relativement à la capacité de travail et de rendement, tant dans les différents volets de l’expertise que dans l’évaluation consensuelle finale, soulèvent plusieurs critiques.

Pour rappel, les conclusions des différents volets de l’expertise quant à la capacité de travail se résument comme suit :

 

Dans l’activité habituelle

Dans une activité adaptée

Motivation
(diagnostics, limitations fonctionnelles, type d’activité adaptée)

Médecine interne

100%

100%

-   Pas de limitation ni de handicap en médecine interne générale

Gastroentérologie

50%

50%

-   Adénocarcinome œsophagien et syndrome de dumping :besoin de plusieurs petits repas, à des horaires flexibles, suivis de périodes de repos (- 20 % de rdmt)

-   Asthénie post-cancer : arrêt des activités l’après-midi (- 30% rdmt)

Neurologie

0%

64%

-   Polyneuropathie et troubles sensitifs (hors fatigue mentale et psychique) : difficultés et ralentissement dans manipulation de petits objets, limitation à l’effort, manque de force, pas de travaux lourds, pas de situation nécessitant un équilibre stable ; redistribution du travail vers des tâches administratives.

Psychiatrie

(dès septembre 2017)

50%

70%

-   Trouble bipolaire mixte : capacités d’organisation limitées, fatigabilité psychiatrique, même en l’absence de phase mixte ou maniaque. Activité adaptée plutôt répétitive ne nécessitant pas de traitement d’informations

Sur cette base, l’évaluation consensuelle des experts aboutit à une capacité de travail de 100%, avec diminution de rendement de 50% tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée.

Outre qu’elle n’est pas motivée, cette appréciation n’est pas cohérente avec les appréciations résultant des différents volets de l’expertise telles que reprises dans le tableau ci-dessus. Cette conclusion consensuelle semble ainsi résulter d’une moyenne des différents taux d’incapacité retenus par chacun des experts. Or ceux-ci se fondent sur des atteintes distinctes générant des limitations fonctionnelles différentes. Les incidences de ces limitations sur la capacité de travail sont donc souvent (même si non systématiquement) cumulatives. Concrètement, lorsque l’expert en neurologie retient une incapacité totale d’exercer l’activité habituelle du fait d’atteintes découlant de son domaine de compétence, il n’est pas possible de retenir consensuellement, sans autre, qu’il existe globalement une capacité entière avec diminution de rendement de 50% dans cette même activité. Il en va de même lorsque l’expert neurologue indique expressément que la capacité de travail du recourant est nulle dans l’activité habituelle et de 80% dans une activité adaptée, vu qu’il doit s’abstenir « de travaux lourds et de situations nécessitant un équilibre stable » (p. 23).

Enfin, il appert peu convaincant de retenir une pleine capacité de travail du recourant, tout en considérant, notamment, qu’il ne peut pas travailler du tout l’après-midi en raison de son asthénie post-cancer (p. 16). Contrairement à la plupart des autres limitations retenues par les experts, cette contrainte n’a pas qu’une incidence sur son efficacité, soit son rendement, mais affecte directement le nombre d’heures de travail que l’intéressé peut accomplir hebdomadairement. Elle semble ainsi logiquement justifier une capacité de travail réduite, avant même de se poser la question, dans ce cadre prédéfini, d’une diminution de rendement résultant d’autres limitations fonctionnelles (par ex. les ralentissements dans la manipulation de petits objets, les limitations à l’effort, le manque de force).

Sans prétendre à l’exhaustivité et sans même confronter, à ce stade, les appréciations des experts à celles des différents médecins traitants, il est évident que la conclusion consensuelle relative à une pleine capacité de travail, avec diminution de rendement de 50%, tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée n’est pas convaincante. Cette lacune de l’expertise est d’autant plus problématique qu’elle constitue le postulat de base de l’enquête économique mise en œuvre ultérieurement par l’intimé.

7.2.1 Indépendamment de cet aspect et comme le relève à juste titre le recourant, il n’est pas non plus convaincant que les experts admettent consensuellement une stabilisation de l’état de santé dès le 1er juin 2014, alors même que le rapport de l’expert psychiatre fait état d’une aggravation avec incidence sur la capacité de travail dès septembre 2017. Il retient dès cette date un trouble affectif bipolaire diminuant le rendement de 50% dans l’activité habituelle, même en l’absence de phase mixte ou maniaque (p. 29). Les conséquences de cette atteinte sont en outre distinctes de celles consécutives aux atteintes antérieures, dans la mesure où l’expert indique qu’il n’est désormais plus possible pour le recourant d’accomplir un travail nécessitant le traitement d’informations simultanées, les capacités organisationnelles et de concentration étant en outre limitées (p. 28 et 29). Il appert ainsi que l’expertise aurait pour le moins dû distinguer entre la phase antérieure et la phase postérieure à cette aggravation.

7.2.2 Enfin, une lecture d’ensemble de l’expertise laisse apparaître une certaine confusion parmi les experts quant aux notions d’activité habituelle et d’activité adaptée. Ainsi, à titre illustratif, le spécialiste en neurologie stipule clairement que la capacité de travail est nulle depuis fin 2013 dans l’activité habituelle, soit les chantiers navals et peut même s’avérer dangereuse. En revanche elle est de 80%, avec diminution de rendement de 20% (soit 64%), dans une activité adaptée, qu’il décrit comme le même type de travail, mais après redistribution des tâches en faveur de l’administratif en lieu et place des tâches sur bateau, des travaux lourds et des situations nécessitant un équilibre stable (p. 23 expertise CEMEDEX). Quant au spécialiste en gastroentérologie, il estime que la capacité de travail est identique dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée, précisant qu’il serait « difficile d’imaginer une activité professionnelle mieux adaptée pour cette homme de 60 ans, qui a organisé son activité en fonction de ses possibilités » (p. 17).

Cette confusion résulte visiblement de ce que le recourant a passablement adapté son activité habituelle, au gré de l’apparition de ses limitations fonctionnelles successives. Elle participe cependant à rendre encore moins lisibles les conclusions des différents experts relatives à la capacité de travail dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée, vu l’absence de compréhension commune des experts relativement à ces notions.

7.3 Au-delà de ces contradictions et incohérences internes à l’expertise, il appert également que les experts ont omis, dans leur appréciation, un certain nombre d’éléments du dossier administratif, sans pour autant motiver leur posture. En particulier, les appréciations, par les médecins traitants et le Dr F______, de la capacité de travail et de rendement du recourant, radicalement différentes de celles des experts, ne sont pas prises en compte ni discutées, alors qu’elles se fondent sur des limitations fonctionnelles relativement proches les unes des autres.

Pour rappel, à partir de juin 2014, la Dresse C______ a fait régulièrement état d’une capacité de travail oscillant invariablement entre 30% et 40%, ce moyennant délégation des activités lourdes et adaptation des tâches. Ce constat semble en outre partagé par le Dr E______ qui a mentionné, en juin 2015, une incapacité de 70% (pièce 9 rec.). Pour sa part, l’expert en gastroentérologie mandaté par l’APG a indiqué, en septembre 2015, une capacité de 20% qui lui semblait « légitime » (pièce 10 rec. p. 6).

À partir de la péjoration marquée de l’état psychique attestée dès fin septembre 2017 par la Dresse J______, la capacité de travail semble en outre avoir encore diminué. Le Dr I______ a ainsi fait état d’une capacité de travail oscillant entre 0% et 20% dès février 2018. Sous l’angle psychiatrique une capacité de 20% est également attestée par la Dresse L______ qui a précisé, à deux reprises, que le maintien de l’activité du recourant à 30% dans son entreprise, avait été « possible au prix d’immenses efforts entraînant un épuisement psychique et physique importants, bien au-delà de ses capacités » (pièces 17 et 28 rec.). Preuve en était d’ailleurs, qu’à l’été 2020, il avait dû être hospitalisé durant trois semaines à la clinique genevoise de Montana en vue d’un soutien psychologique, d’éloignement des facteurs de stress et d’un reconditionnement physique global (pièces 17 et 28).

7.4 Au vu de ces différents éléments et des nombreuses limitations retenues par l’expertise du CEMEDEX elle-même, - soit que le recourant doit s’arrêter régulièrement pour se reposer après ses repas (qu’il semble devoir prendre toutes les deux heures), ne peut travailler que le matin, ne peut plus accomplir de travaux lourds ni de tâches sans équilibre stable et est limité et ralenti dans la manipulation de petits objets -, il n’est pas convaincant que les experts retiennent une capacité de travail de 100% avec une diminution de rendement de 50%, tant dans l’activité habituelle que dans une activité adaptée.

C’est encore moins le cas à partir de l’aggravation de septembre 2017, l’expert psychiatre considérant que les atteintes d’ordre psychique limitent dorénavant les capacités organisationnelles et augmentent la fatigabilité psychiatrique et les difficultés de concentration (même en l’absence de phase mixte ou maniaque) du recourant, de sorte qu’est désormais adaptée une activité plutôt répétitive ne nécessitant pas de traitement d’informations.

7.5 Dès lors, les conclusions de l’expertise relatives à la capacité de travail et de rendement du recourant ne sont pas probantes.

Cela étant, les rapports, pour la plupart peu détaillés, des différents médecins attestant d’atteintes à la santé ne suffisent pas non plus à trancher la cause, eu égard à leur faible densité de motivation, notamment quant aux éventuels effets des différents diagnostics sur la capacité de travail, les interactions entre les différentes atteintes retenues ainsi que les limitations fonctionnelles qui en découlent. En outre, faute d’une approche pluridisciplinaire commune entre les différents spécialistes traitants, il n’est guère possible d’en déduire des taux d’incapacité de travail et de rendement globalement cohérents et concordants.

L’instruction doit ainsi être complétée sur ce point déjà.

8.             Au-delà de cette problématique, la chambre de céans constate que, comme le relève également le recourant, l’enquête économique de l’intimé du 29 septembre 2021 (pièce 25 rec.) est également critiquable. Si son principe et le recours à la méthode extraordinaire sont conformes à ce qui avait été ordonné par arrêt du 6 mars 2019 (ATAS/183/2019), les résultats auxquels l’enquête aboutit en termes de capacité de travail et de rendement avec handicap dans les différentes activités ne convainquent pas, ce pour plusieurs raisons.

8.1 Principalement, les résultats de l’enquête ne sont pas pertinents, du fait qu’ils se fondent sur les conclusions de l’expertise du CEMEDEX indiquant que le recourant peut travailler à plein temps dans son activité habituelle avec un rendement de 50%. Du fait que cette prémisse est erronée (comme expliqué ci-avant), tous les résultats s’en trouvent faussés.

8.2 Au-delà du taux d’activité général, les taux d’incapacité retenus pour certains champs d’activités ne prennent pas en compte plusieurs limitations fonctionnelles pourtant retenues tant par les différents experts que par les médecins traitants.

Ainsi, l’intimé retient notamment que des travaux lourds demeurent possibles, avec un rendement réduit de 80%, alors que l’expert neurologue précise que le recourant doit s’abstenir de tous travaux lourds qui peuvent même s’avérer dangereux (p.23). Quant à l’activité de bateau-école, elle est également considérée possible par l’enquêtrice. Le recourant indique pourtant avoir dû y mettre un terme en 2019 en raison du stress et de ses problèmes de concentration. La réalité de telles difficultés semble hautement vraisemblable au vu notamment des diagnostics mentionnés dans l’expertise psychiatrique et de leur incidence sur la capacité de travail. La chambre de céans relève qu’il en va au demeurant de même pour ce qui est du convoyage de bateaux, pour les mêmes motifs psychiatriques mais également du fait des pertes d’équilibre évoquées par l’expert en neurologie (p.23).

La chambre de céans constate encore que l’enquête économique retient un glissement important des tâches du recourant vers des activités administratives. Avec handicap, celles-ci représenteraient ainsi désormais 50% de l’horaire de travail de l’intéressé, soit 20 heures sur 40 heures. Non seulement, un tel horaire hebdomadaire semble excéder ses aptitudes résiduelles physiques et psychiques (ce d’autant plus depuis le trouble bipolaire diagnostiqué en septembre 2017), mais il apparaît également peu en adéquation avec la petite taille de l’entreprise et son organisation, le recourant en étant le seul salarié fixe. Au vu de ces éléments, il paraît douteux qu’un transfert de tâches d'exploitation proprement dites vers des tâches de gestion soit opportun, à savoir qu’il permette de compenser les répercussions économiques résultant de l'atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_580/2007 du 17 juin 2008 consid. 5.4). À cet égard, le seul fait que, suite à ses problèmes de santé, le recourant ait tenté d’adapter ses activités et ait occasionnellement fait appel, pour palier à ses propres incapacités, à des stagiaires bénévoles ou des tâcherons qu’il a supervisés et coordonnés ne rend pas pour autant cette solution viable. C’est d’autant moins le cas du fait que l’expert psychiatre retient que, depuis octobre 2017, le recourant peut uniquement accomplir des tâches ne nécessitant pas de traitement d’informations simultanées, soit un travail décrit comme plutôt répétitif. Dans ces circonstances, il paraît illusoire, d’une part que le recourant soit apte à effectuer 20 heures de travail administratif par semaine et, d’autre part, que son entreprise requière une telle masse de travail administratif (que le recourant décrit d’ailleurs, au demeurant de manière fondée, comme non rémunérateur).

8.3 Pour toutes ces raisons, les résultats auxquels aboutit le rapport d’enquête pour activité professionnelle indépendante ne sont pas convaincants.

9.             Vu les défauts de l’expertise du CEMEDEX et de l’enquête économique subséquente, il appert que l’intimé n’a pas respecté son obligation d’instruire la demande (art. 43 al. 1 LPGA) de façon à pouvoir déterminer de manière satisfaisante l’étendue du droit du recourant à des prestations AI.

Il se justifie donc de lui renvoyer la cause pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise pluridisciplinaire en médecine interne, neurologie, gastroentérologie et psychiatrie. Un renvoi apparaît d’autant plus justifié et nécessaire que l’aggravation alléguée de l’état de santé du recourant en 2020, ayant conduit à son hospitalisation à la clinique genevoise de Montana du 21 juillet 2020 au 7 août 2021, n’a pas du tout été investiguée. Bien qu’elle soit postérieure aux examens médicaux effectués par les experts du CEMEDEX (qui se sont tenus entre le 19 juin et le 14 juillet 2020), elle est antérieure à la décision entreprise et aurait justifié un complément d’expertise. C’est d’autant plus évident que la Dresse L______ a fait état, pour la première fois le 4 novembre 2020, de ce que le maintien de l’activité du recourant avait été possible au prix d’immenses efforts entraînant un épuisement psychique et physique important, bien au-delà de ses capacités (pièce 17 rec.). Or, ni l’expertise du CEMEDEX, ni l’enquête économique n’ont investigué le fait que le recourant avait possiblement exercé, pour le moins à certaines périodes depuis 2014, une activité à un taux supérieur à celui qui était médicalement exigible. Ce point est pourtant décisif pour la détermination du revenu d’invalide, qui doit se fonder sur le taux indiqué médicalement et non sur une activité effectivement exercée mais qui dépasserait les forces de l’intéressé (cf. notamment (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 485/05 du 3 novembre 2005 consid. 5.3, cité in Michel VALTERIO, Commentaire de la LAI, 2018, no. 23 ad art. 28a, p. 410).

Suite à cette nouvelle expertise et pour autant qu’elle laisse apparaître chez le recourant une capacité de travail résiduelle, dont la mise en œuvre apparaisse exigible et réaliste, il conviendra que l’intimé procède également à une nouvelle enquête pour activité professionnelle indépendante.

10.         Le recours est ainsi partiellement admis. La décision du 31 mai 2022 de l’intimé est annulée et la cause lui est renvoyée pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

11.         Le recourant obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 3’000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à la charge de l’intimé (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

11.1 Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimé du 31 mai 2022 et lui renvoie la cause pour complément d’instruction et nouvelle décision.

4.        Alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 3'000.- à la charge de l’intimé.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le