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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4250/2021

ATAS/1039/2022 du 29.11.2022 ( AVS ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4250/2021 ATAS/1039/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 29 novembre 2022

15ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à SATIGNY, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Roxane KIRCHNER

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise rue des Gares 12, GENÈVE

 

Monsieur B______, domicilié à CHÂTELAINE

Monsieur C______, domicilié à THÔNEX

 

intimée

 

 

 

appelés en cause

 

EN FAIT

 

A. a. La société D______ Sàrl (ci-après : D______ ou la société), inscrite au registre du commerce le 25 avril 2014, avait pour but d’offrir, en Suisse et à l’étranger, tous conseils, services et prestations, de même que l’exercice de toutes activités
dans les domaines de la construction, de la transformation et de la rénovation d’immeubles en tous genres, notamment de bureaux et d’arcades commerciales, ainsi que la fourniture et la pose de sols souples en linoléum, de moquettes et
de parquets. Son personnel était affilié à la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimée). Entre le moment de sa création
et celui de sa faillite le 24 septembre 2018, sa volonté s’est exprimée notamment par Messieurs C______, associé gérant et président du 25 avril 2014 au 4 avril 2017, puis associé gérant à partir du 4 avril 2017, A______ (ci-après : M. A______, l’intéressé ou le recourant), né le 3 août 1936, associé gérant du 25 avril 2014 au 4 avril 2017, puis associé gérant et président à partir du 4 avril 2017, B______, gérant à partir du 3 août 2017. Pendant la durée de leurs mandats respectifs, les trois responsables précités étaient au bénéfice d’une signature individuelle.

b. Par courrier du 11 décembre 2018, l’office des faillites (ci-après : l’OF) a informé la caisse que la liquidation sommaire de la faillite avait été ordonnée
le 10 septembre 2018. L’OF l’a également invitée à produire ses créances dans
le délai imparti à cet effet.

c. Par pli du 20 décembre 2018, la caisse a fait savoir à l’OF qu’elle possédait contre la société en faillite, une créance totale définitive de CHF 94’910.10, dont
la quasi-totalité (soit un montant de CHF 92’352.10, composé des cotisations sur
les salaires versés jusqu’à la faillite [CHF 86’855.90], des frais administratifs
[CHF 1’589.65], des frais de poursuite [CHF 506.35] et des intérêts moratoires jusqu’au jour de la faillite [CHF 3’400.20]) était à colloquer en deuxième classe et le solde (montant de CHF 2’558.- afférent aux taxes de sommation, amendes et taxes de formation professionnelle) en troisième classe.

d. Le 30 avril 2019, l’OF a délivré à la caisse un acte de défaut de biens après faillite, attestant que le découvert était équivalent au montant des créances admises (CHF 92’352.10).

B. a. Par décision du 7 avril 2021, la caisse a informé M. A______ que la créance qu’elle avait produite dans la faillite de la société n’avait pas été couverte, car elle n’avait obtenu de dividende ni en 2ème, ni en 3ème classe. Aussi la caisse l’a-t-elle invité à réparer le dommage qu’elle avait subi de la sorte, en expliquant que l’employeur et, subsidiairement, ses organes – dont il faisait partie en qualité d’associé gérant du 25 avril 2014 au 4 avril 2017, puis d’associé gérant et président dès le 4 avril 2017 –, répondaient envers elle du dommage causé intentionnellement ou par négligence grave. À cet égard, un montant impayé
d’un total de CHF 91’200.60 restait dû, correspondant aux cotisations paritaires AVS, d’assurance-chômage, d’assurance maternité et d’allocations familiales. Ladite somme, qui incluait également des frais administratifs, de sommation et
de poursuite, ainsi que des intérêts moratoires, se répartissait à raison de
CHF 56’527.60 pour l’année 2017, respectivement CHF 34’673.- pour la période du 1er janvier au 31 août 2018. Enfin, la caisse a précisé à l’intention de l’intéressé que le montant de CHF 91’200.60, dont il répondait solidairement avec MM. C______ et B______, et qu’il était invité à régler sous trente jours, correspondait aux sommes dues et exigibles lorsqu’il avait pris ses fonctions et qui étaient échues au cours de son mandat.

b. Par pli du 7 mai 2021, l’intéressé, assisté d’un avocat, a formé opposition
à cette décision en expliquant que MM. C______ et B______ étaient des professionnels du bâtiment, associés au sein de la société D______ au Portugal, active dans la construction et la rénovation de bâtiments. Étant donné qu’ils souhaitaient créer une société sœur D______ en Suisse, également active dans le secteur du bâtiment, mais qu’ils ne connaissaient pas les démarches nécessaires à cette fin, ils avaient fait appel à lui pour les aider. Il avait acquiescé à leur demande et accepté d’être l’associé gérant de la société nouvellement créée, pensant qu’il n’avait aucune raison de s’inquiéter des affaires de cette dernière puisque ses principaux animateurs, MM. C______ et B______, disposaient de l’expérience et des compétences requises dans le bâtiment. Retraité depuis longtemps et n’envisageant pas de participer à la gestion administrative de la société, l’intéressé s’était contenté de rencontrer de temps en temps M. C______ et/ou M. B______ pour les interroger sur le paiement des charges sociales et factures prioritaires. Lors de ces entrevues, ceux-ci lui assuraient que la situation était sous contrôle. De plus, la société disposait d’un mandataire comptable qui ne lui avait pas rapporté de problèmes d’endettement. C’était donc avec étonnement qu’il avait appris la faillite de la société. Quant à la décision du 7 avril 2021, elle l’avait laissé sous le choc, dès lors qu’il n’avait pas été averti de l’existence de charges sociales en souffrance.

c. Par décision du 2 novembre 2021, la caisse a rejeté l’opposition en considérant que l’intéressé avait commis une négligence grave en ne s’acquittant pas des charges sociales et en ne s’assurant pas que celles-ci fussent effectivement payées par les autres responsables de la société. En conséquence, la caisse a maintenu sa décision du 7 avril 2021 en précisant qu’elle imputerait du montant exigé les sommes correspondant aux cotisations d’assurance-maternité comptabilisées dans les décisions de cotisations partiaires, conformément à l’arrêt de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice qui avait été rendu à ce sujet.

C. a. Le 15 décembre 2021, l’intéressé a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre cette décision, concluant à son annulation et, préalablement, à ce que la chambre de céans accorde l’effet suspensif au recours.

À l’appui de ses conclusions en annulation, il a répété en substance les arguments développés dans son opposition en précisant qu’il sollicitait par ailleurs l’audition de M. C______, ce dernier pouvant, à cette occasion, reconnaître sa pleine et entière responsabilité dans le non-paiement des charges sociales et la faillite de la société. D’ailleurs, dans une ordonnance de non-entrée en matière
du 22 avril 2020, le Ministère public avait considéré que faute de connaître
les problèmes financiers de la société, M. A______ n’avait pas enfreint la disposition pénale réprimant celui qui, en sa qualité d’employeur, aura versé à un salarié des salaires dont il aura déduit les cotisations et qui, au lieu de payer les cotisations salariales dues à la caisse de compensation, les aura utilisées pour lui-même ou pour régler d’autres créances.

Le recourant a également fait grief à l’intimée d’avoir attendu avril 2021 pour informer « l’administrateur de la société » qu’il y avait des arriérés de paiement de cotisations sociales, alors que ceux-ci auraient pu être signalés en 2017. En toute hypothèse, la question de sa responsabilité d’associé gérant ne pouvait se poser que pour la période du 1er janvier au 4 avril 2017 puisqu’à partir du 5 avril 2017, c’était M. B______ qui était devenu le nouveau gérant de la société.

b. Par arrêt incident du 23 décembre 2021 (ATAS/1370/2021), la chambre de céans a relevé que l’intimée n’avait pas retiré l’effet suspensif attribué au recours. Aussi a-t-elle constaté que la demande de restitution de l’effet suspensif était sans objet et a réservé la suite de la procédure.

c. Par réponse du 17 janvier 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours en reprochant pour l’essentiel au recourant d’avoir faire preuve de « passivité coupable » dans l’exercice de ses fonctions et d’avoir ainsi violé les obligations de diligence et de surveillance qu’impliquaient son statut d’organe formel.

d. Par réplique du 28 mars 2022, le recourant a soutenu que, dans la mesure où
il avait été déchargé de la gestion de la société par M. C______, c’était tout au plus une responsabilité légère qui pouvait lui être imputée dans la survenance du dommage. En outre, il pouvait se prévaloir d’une interruption du lien de causalité entre son comportement et le dommage puisqu’il avait sollicité des informations sur la bonne marche de la société et que M. C______ lui avait assuré que l’entreprise n’avait pas de dettes, en particulier pas d’arriérés de charges sociales, ce que M. C______ pouvait confirmer à l’occasion de son audition par la chambre de céans.

e. Par duplique du 21 avril 2022, l’intimée a soutenu derechef que l’inaction du recourant n’était pas de nature à le disculper et qu’il n’était en possession d’aucun élément concret (courrier, e-mail ou autre document) pouvant attester qu’il aurait tenté, ne serait-ce qu’une seule fois, d’exercer son devoir de contrôle à l’égard de la société.

f. Par courrier du 3 mai 2022, le recourant a indiqué que, dans la mesure où l’intimée avait précisé que des procédures avaient été aussi engagées à l’encontre des autres administrateurs, il convenait de suspendre la procédure initiée contre lui dans un premier temps et d’inviter l’intimée à tenter de se désintéresser d’abord auprès des autres administrateurs et non pas auprès d’un retraité âgé de 85 ans.

g. Par pli du 10 mai 2022, la chambre de céans a invité l’intimée à lui indiquer si elle avait également fait valoir son dommage auprès de M. C______ et de M. B______.

h. Par retour de courrier du 23 mai 2022, l’intimée a indiqué à la chambre de céans qu’elle avait rendu des décisions en réparation du dommage à l’encontre des deux responsables précités. En ce qui concernait, M. C______, elle avait reçu, en date du 7 février 2022, l’acte de défaut de biens n° 21 131679 G. S’agissant de M. B______, elle avait obtenu une saisie sur une partie de son salaire auprès de son employeur actuel, la société E______ Sàrl, pour un montant de CHF 630.- mensuels. Prononcée le 17 mars 2022, cette saisie était valable jusqu’au 17 mars 2023.

i. Par ordonnance du 29 juin 2022, la chambre de céans a appelé en cause
MM. C______ et B______ en les informant, d’une part, que les écritures et les pièces étaient à leur disposition au greffe pour consultation et, d’autre part, qu’il leur était loisible de se déterminer dans le délai imparti sur la procédure.

j. Les parties principales et les appelés en cause ne s’étant pas/plus manifestés à la suite de l’ordonnance précitée, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS – RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie, le recours étant dirigé contre une décision rendue sur opposition fondée sur la LAVS.

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. L’art. 52 al. 5 LAVS doit être compris en ce sens que les actions en réparation du dommage contre les personnes morales et leurs organes doivent être ouvertes au for du siège de la société, respectivement au for du siège qui était le sien avant la faillite, ceci indépendamment du domicile des organes recherchés (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

Dès lors que la société avait son siège dans le canton de Genève avant sa faillite, la chambre de céans est également compétente ratione loci.

1.3 Le recours a été interjeté en temps utile (art. 60 LPGA), dans le respect des exigences de forme et de contenu prévues par la loi (art. 61 let. b LPGA ; cf. aussi art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA –
E 5 10).

Touché par la décision attaquée et ayant un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification, le recourant a qualité pour recourir (art. 59 LPGA).

Son recours est donc recevable.

2.             L’objet du litige porte sur la responsabilité du recourant pour le dommage subi par l’intimée du fait du défaut de paiement des cotisations sociales par la société en 2017 et du 1er janvier au 31 août 2018.

3.             À titre liminaire, il convient d’examiner si la prétention de la caisse est prescrite.

3.1 L’art. 52 al. 3 LAVS prévoit que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites. Cette disposition renvoie à l’art. 60 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Code des obligations [CO] - RS 220), selon lequel l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.

Ces deux dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020. Jusqu’au 31 décembre 2019, l’ancien art. 52 al. 3 LAVS prévoyait que le droit à la réparation se prescrivait deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. En renvoyant aux nouvelles dispositions du CO relatives à la prescription, le nouvel art. 52 al. 3 LAVS porte le délai de prescription relatif de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. En outre, le délai absolu de prescription ne commence plus à courir à la survenance du dommage mais le jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé, ce qui inclut les dommages causés par une omission, les dommages survenant de manière répétée et les dommages résultant d’une action prolongée dans le temps. Les autres aspects de la prescription, notamment les motifs d’empêchement ou de suspension et les actes interruptifs, sont régis par les art. 130ss CO (Message relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription] du 29 novembre 2013, FF 2014 221, spéc. pp. 237 et 260). Pour déterminer le droit applicable, l’art. 49 al. 1 Titre final CC (Code civil suisse du 10 décembre 1907 ; RS 210), ici pertinent, qui règle de manière générale les questions de droit transitoire en matière de prescription, a été réécrit lors de la révision du droit de la prescription (FF 2014 221, 230 s.). Selon cette disposition, lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit (al. 1). L’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effet sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3). Au surplus, la prescription est régie par le nouveau droit dès son entrée en vigueur (al. 4).

Le message du Conseil fédéral relatif à la modification du code des obligations (Droit de la prescription) du 29 novembre 2013 précise à propos de l’art. 49 al. 1 Titre final CC que le nouveau délai plus long n’est toutefois applicable que si le délai de prescription court encore au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit (FF 2014 221, 254).

3.2 Selon la jurisprudence rendue à propos de l’ancien art. 52 al. 3 LAVS, les délais prévus par cette disposition doivent être qualifiés de délais de prescription, non de péremption, comme cela ressort du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (SVR 2005 AHV n° 15 p. 49 consid. 5.1.2 ; FF 1994 V 964 ; FF 1999 p. 4422). Alors que le délai de prescription de deux ans commence à courir dès la connaissance du dommage, celui de cinq ans débute, en revanche, dès la survenance du dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.2). Cela signifie qu’ils ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d’opposition ou la procédure de recours qui s’ensuit (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

Le dommage survient dès que l’on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 195 consid. 2.2 ; 126 V 444 consid. 3a ; 121 III 384 consid. 3bb). Tel sera le cas lorsque des cotisations sont frappées de péremption, ou en cas de faillite, en raison de l’impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu au moment de l’avènement de la péremption ou le jour de la faillite ; ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai de cinq ans (ATF 129 V 195 consid. 2.2 ; 123 V 16 consid. 5c). Il faut entendre par moment de la « connaissance du dommage », en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l’attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d’exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l’obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.1).

En cas de faillite, le moment de la connaissance du dommage correspond en
règle générale à celui du dépôt de l’état de collocation, ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d’actifs (ATF 129 V 193
consid. 2.3), la date de la publication de cette mesure dans la FOSC [Feuille officielle suisse du commerce] étant déterminante (arrêt du Tribunal fédéral H.142/03 du 19 août 2003 consid. 4.3 ; ATF 129 V 193 consid. 2.3).

S’agissant des actes interruptifs de prescription, il sied de retenir ce qui suit : tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet
(art. 138 al. 1 CO). Cette notion d’acte judiciaire des parties doit être interprétée largement (ATF 106 II 35 consid. 4), tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l’inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d’une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l’instance (cf. ATF 130 III 202 consid. 3.2). Par ailleurs, tant la décision que l’opposition interrompent le délai de prescription de deux ans et font courir un nouveau délai de même durée (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

3.3 En l’espèce, le prononcé de la faillite, du 24 septembre 2018, marque le début du délai absolu de prescription de cinq ans prévu par l’ancien droit (ATF 129 V 193 consid. 2.2). Quant au délai relatif de deux ans (toujours selon l’ancien droit), il court depuis le moment de la connaissance du dommage, soit en l’occurrence depuis la publication de l’état de collocation au 1er avril 2019. Ce délai de deux ans n’était pas encore échu lorsque le nouveau droit de la prescription est entré en vigueur au 1er janvier 2020, de sorte que c’est le nouveau droit qui s’applique (cf. ci-dessus : consid. 3.1 in fine). Le délai relatif de prescription, de trois ans, est ainsi échu au plus tôt le 1er avril 2022.

En ce qui concerne le délai absolu de prescription de cinq ans prévu par l’ancien droit, courant, en l’espèce, depuis le 24 septembre 2018, il n’était pas non plus échu lors de l’entrée en vigueur du nouveau droit au 1er janvier 2020, si bien que le nouveau droit s’applique. Sachant que l’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effet sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (art. 49 al. 3 Titre final CC), le délai de prescription absolu est passé à dix ans depuis le prononcé de la faillite, étant précisé que l’art. 52 LAVS, dans sa teneur en vigueur au 1er janvier 2020, ne prévoit pas de modification du début des délais de prescription en cours. Le délai absolu de prescription, de dix ans, est ainsi échu au plus tôt le 24 septembre 2028.

Au vu de ce qui précède, la décision du 7 avril 2021 a été rendue à temps (soit avant les 1er avril 2022 et 24 septembre 2028). En rendant cette décision, l’intimée a valablement interrompu tant la prescription relative qu’absolue. Le délai de prescription de trois ans a à nouveau été interrompu par la décision sur opposition du 2 novembre 2021, puis le recours du 15 décembre 2021.

4.             L’action en réparation du dommage n’étant pas prescrite, il convient à présent d’examiner si les conditions de la responsabilité de l’art. 52 LAVS sont réalisées.

4.1 L’art. 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 et suivants du règlement du 31 octobre 1947 sur l’assurance-vieillesse et survivants (RAVS – RS 831.101), prescrit que l’employeur doit déduire, lors de chaque paie, la cotisation du salarié et verser celle-ci à la caisse de compensation en même temps que sa propre cotisation. Les employeurs doivent remettre périodiquement aux caisses les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs employés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l’objet de décisions. L’obligation de l’employeur de percevoir les cotisations et de régler les comptes est une tâche de droit public prescrite par la loi (ATF 118 V 193 consid. 2a et les références).

4.2 Dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2012, l’art. 52 al. 2 LAVS codifie la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle, si l’employeur est une personne morale, la responsabilité peut s’étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATAS/610/2013 du 18 juin 2013 consid. 4a).

Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d’une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l’organe d’une personne morale directement débiteur des cotisations d’assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu’il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

4.3 La notion d’organe selon l’art. 52 LAVS est en principe identique à celle
qui se dégage de l’art. 754 al. 1 CO (arrêt du Tribunal fédéral des assurances
H 234/02 du 16 avril 2003 consid. 7.3 publié in REAS 2003 p. 251).

En matière de responsabilité des organes d’une société anonyme, l’art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l’organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29
consid. 3a ; ATF 117 II 432 consid. 2b ; ATF 117 II 570 consid. 3 ; ATF 107 II 349 consid. 5a ; Thomas NUSSAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d’un dommage selon l’art. 52 LAVS, in RCC 1991, p. 403).

Au contraire des organes de fait, les organes formels répondent indépendamment de leur fonction ou de leur influence sur la marche des affaires de la société. Le fait qu’ils disposent d’un pouvoir de signature et les motifs de leur mandat sont également sans importance (cf. ATF 114 V 211 consid. 4). En présence d’un organe formel, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il répond à la notion d’organe matériel (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 34/04 du 15 septembre 2004 consid. 5.3.2).

4.4 Dans le cas d’une Sàrl, les gérants qui ont été formellement désignés en cette qualité, ainsi que les personnes qui exercent cette fonction en fait, sont soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues, dont le non-respect peut engager leur responsabilité (art. 827 CO en corrélation avec l’art. 754 CO). Ils répondent selon les mêmes principes que les organes d’une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation suite au non-paiement des cotisations d’assurances sociales (ATF 126 V 237 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 252/01 du 14 mai 2002, in VSI 2002 p. 176 s. consid. 3b et d ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2). C’est ainsi qu’ils ont l’obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations sociales paritaires; ils sont tenus, en corollaire, de prendre les mesures appropriées lorsqu’ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance d’irrégularités commises dans la gestion de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_657/2015 du 19 janvier 2016 consid. 5.3 et les références).

4.5 En l’occurrence, le recourant a été inscrit au registre du commerce en qualité d’associé gérant du 25 avril 2014 au 4 avril 2017 puis d’associé gérant et de président de la société à partir du 4 avril 2017. Il revêtait donc la qualité d’organe formel, de sorte qu’il répond en principe – et de manière subsidiaire (ci-dessus : consid. 4.2) – du dommage subi par l’intimée. On précisera en outre que dans l’hypothèse où plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage au sens de l’art. 52 LAVS, chacun des débiteurs répond solidairement de l’intégralité du dommage envers la caisse de compensation, celle-ci étant libre de rechercher tous les débiteurs, quelques-uns ou un seul d’entre eux, à son choix (ATF 119 V 86 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_137/2022 du 14 juillet 2022
consid. 4), dont le recourant.

5.             Il sied d’examiner à présent si ce dernier a violé intentionnellement ou par négligence grave les devoirs lui incombant et, dans l’affirmative, s’il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre le manquement qui lui est imputable et le préjudice subi, dont le montant n’est pas contesté en tant que tel.

5.1 La négligence grave mentionnée à l’art. 52 al. 1 LAVS est admise très largement par la jurisprudence. Se rend coupable d’une négligence grave l’employeur qui ne respecte pas la diligence que l’on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d’un employeur de la même catégorie. Dans le cas d’une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l’attention que la société doit accorder, en tant qu’employeur, au respect des prescriptions de droit public sur le paiement des cotisations d’assurances sociales. Les mêmes exigences s’imposent également lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur (arrêt du Tribunal fédéral 4C_31/2006 du 4 mai 2006 consid. 4.6). La haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion est une attribution intransmissible et inaliénable du conseil d’administration conformément à l’art. 716a CO (arrêt du Tribunal fédéral 9C_839/2016 du 4 juillet 2017 consid. 5.2). Dans le cadre de l’exercice de cette haute surveillance, l’administrateur répond de la cura in custodiendo. C’est ainsi qu’il a non seulement le devoir d’assister aux séances du conseil d’administration, mais également l’obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires. Il est tenu de prendre les mesures appropriées lorsqu’il a connaissance ou aurait dû avoir connaissance d’irrégularités commises dans la gestion de la société. Ce devoir de surveillance incombe à tous les membres du conseil d’administration, nonobstant le mode de répartition interne des tâches au sein de ce conseil (ATF 114 V 219 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.3 et les références).

Celui qui appartient au conseil d’administration d’une société et qui ne veille pas au versement des cotisations courantes et à l’acquittement des cotisations arriérées est réputé manquer à ses devoirs (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/03 du 30 novembre 2004 consid. 7.3.1 in SJ 2005 I 272). Il en va de même lorsque, en raison de la répartition interne des fonctions administratives, il incombe en premier lieu à certains administrateurs de veiller au paiement des cotisations (arrêt du Tribunal fédéral 9C_961/2012 du 18 mars 2013 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.3 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 40/05 du 29 novembre 2005 consid. 4). Les autres administrateurs n’en sont pas moins tenus de s’enquérir de la situation et de prendre les mesures nécessaires en cas de retard dans le paiement des cotisations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 262/03 du 14 octobre 2004
consid. 4.2).

La négligence grave est également donnée lorsque l’administrateur n’assume pas son mandat dans les faits. Ce faisant, il n’exerce pas la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, attribution incessible et inaliénable du conseil d’administration conformément à l’art. 716a CO. Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d’administrateur tout en sachant qu’elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l’angle de l’art. 52 LAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Un administrateur, dont la situation est à cet égard proche de celle de l’homme de paille, ne peut s’exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 87/04 du 22 juin 2005 consid. 5.2.2 ; arrêt
du Tribunal fédéral des assurances H 234/00 du 27 avril 2001 consid. 5d). L’administrateur qui, de facto, est exclu de la gestion doit s’efforcer de manière d’autant plus durable d’avoir accès aux livres de compte (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2011 du 8 juillet 2011 consid. 4.2).

Commet également une faute grave l’organe qui verse des salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlent de par la loi ne sont pas couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5 ; voir également l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1) ou celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l’attitude du tiers, dans l’incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d’exercer son devoir de surveillance (cf. par exemple : arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3, arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010
consid. 6.2, arrêt du Tribunal fédéral 9C_351/2008 consid. 5.2 et arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 224/06 du 10 décembre 2007 consid. 6).

5.2 La survenance d’un dommage ne suffit pas à conclure à une faute qualifiée
au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS. Toutefois, la caisse de compensation qui subit
un dommage du fait d’une violation des prescriptions peut partir du principe
que l’employeur ou ses organes ont transgressé ces prescriptions de manière intentionnelle ou par négligence grave, lorsqu’il n’existe pas d’indication plaidant en faveur de la licéité de leur comportement (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_228/2008 du 5 février 2009 consid. 4.2.1). Ainsi, il existe une présomption d’une faute qualifiée de l’employeur ou de ses organes, ce qui implique un devoir de collaborer accru de la personne recherchée sur ce point. L’employeur et ses organes doivent ainsi procéder aux offres de preuve nécessaires pour exclure une intention ou une négligence grave (arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2010 du
10 décembre 2010 consid. 4.1).

5.3 Dans certaines circonstances, un employeur peut causer intentionnellement un préjudice sans être dans l’obligation de le réparer, lorsqu’il retarde le paiement des cotisations pour maintenir son entreprise en vie, lors d’une passe de trésorerie difficile. Mais il faut alors, pour qu’un tel comportement ne tombe pas ultérieurement sous le coup de l’art. 52 LAVS, que l’on puisse admettre que l’employeur avait, au moment où il a pris sa décision, des raisons sérieuses et objectives de penser qu’il pourrait s’acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1). À cet égard, la seule expectative que la société retrouve un équilibre financier
ne suffit pas ; il faut des éléments concrets et objectifs selon lesquels on peut admettre que la situation économique de la société se stabilisera dans un laps de temps déterminé et que celle-ci recouvrera sa capacité financière (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 163/06 du 11 juin 2007 consid. 4.4). Ce qui est déterminant, ce n’est pas de savoir si l’employeur croyait réellement que l’entreprise pouvait être sauvée et que les cotisations seraient payées dans un proche avenir ; il s’agit bien plutôt d’examiner si une telle attitude était alors défendable, objectivement, aux yeux d’un tiers responsable (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 19/07 du 10 décembre 2007 consid. 4.1).

Le fait de s’alarmer de la situation, de négocier avec les créanciers ou encore de tabler sur la promesse d’un actionnaire majoritaire ne sont pas des circonstances qui feraient apparaître comme légitime ou non fautive l’inobservation par un administrateur des prescriptions en matière d’AVS (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 163/00 du 19 octobre 2000 consid. 3b).

6.              

6.1 La responsabilité de l’employeur au sens de l’art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

L’administrateur d’une société anonyme répond non seulement des cotisations d’assurances sociales courantes, mais également de la dette de cotisations échues avant son entrée dans le conseil d’administration. En effet, selon la jurisprudence, le nouvel administrateur a le devoir de veiller tant au versement des cotisations courantes qu’à l’acquittement des cotisations arriérées, qui sont dues pour la période où il ne faisait pas encore partie du conseil d’administration car il y a dans les deux cas un lien de cause à effet entre l’inaction de l’organe et le non-paiement des cotisations. Ce lien de cause à effet n’existe pas, toutefois, quand un dommage au sens de l’art. 52 LAVS préexiste, parce que la société était déjà insolvable avant l’entrée du nouveau membre au conseil d’administration (ATF 119 V 401 consid. 4 et les références; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 71/05 du 10 août 2006 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 295/00 du 22 janvier 2001 consid. 6a).

6.2 Le lien de causalité adéquate entre le comportement fautif – soit la rétention des cotisations alors même que les salaires sont versés – et le dommage survenu ne peut pas être contesté avec succès lorsque les salaires versés sont tels que les créances de cotisations qui en découlent directement ex lege ne sont plus couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 167/05 du 21 juin 2006 consid. 8; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 74/05 du 8 novembre 2005 consid. 4).

La causalité adéquate peut être exclue, c’est-à-dire interrompue, l’enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu’une autre cause concomitante
(la force majeure, la faute ou le fait d’un tiers, la faute ou le fait de la victime) constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. L’imprévisibilité de l’acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener, en particulier le comportement de l’auteur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).

Le comportement d’un organe responsable peut, le cas échéant, libérer son coresponsable solidaire s’il fait apparaître comme inadéquate la relation de causalité entre le comportement de ce dernier et le dommage. La jurisprudence se montre stricte à cet égard. Elle précise qu’une limitation (et, a fortiori, une libération) de la responsabilité fondée sur la faute concurrente d’un tiers ne doit être admise qu’avec la plus grande retenue si l’on veut éviter que la protection du lésé que vise, d’après sa nature, la responsabilité solidaire de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illusoire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_779/2020 du 7 mai 2021 consid. 3.2 et les références).

7.              

7.1 En l’espèce, la société ne s’est pas acquittée entièrement des cotisations dues pour l’année 2017 et la période du 1er janvier au 31 août 2018. Ce faisant, elle a violé les prescriptions découlant des art. 14 al. 1 LAVS en lien avec les art. 34ss RAVS, commettant ainsi un acte illicite au sens de l’art. 52 LAVS. Selon la jurisprudence, il s’ensuit que la commission d’une faute qualifiée (intention ou négligence grave) de l’employeur ou de ses organes est présumée (cf. ci-dessus : consid. 5.2). Cette présomption s’applique également au recourant puisqu’en tant qu’associé gérant du 25 avril 2014 au 4 avril 2017, puis associé gérant et président du 4 avril 2017 jusqu’à la faillite de la société le 24 septembre 2018, il revêtait la qualité d’organe formel de la société au moment où les cotisations précitées sont arrivées à échéance.

7.2 Pour renverser la présomption d’une faute qualifiée le concernant, le recourant fait valoir qu’il ressort de l’ordonnance de non-entrée en matière, rendue le 22 avril 2020 par le Ministère public, que M. C______ l’avait déchargé de la gestion de la société et qu’il ne pouvait donc pas influencer de manière déterminante la formation de la volonté de la société. Il ajoute avoir rencontré
de temps en temps M. C______ et/ou B______ pour s’enquérir de la bonne marche de l’entreprise, du paiement des charges sociales et des factures prioritaires, et avoir obtenu pour réponse que la situation était sous contrôle.

En l’espèce, il incombait au recourant, en sa qualité d’organe formel de la Sàrl du 25 avril 2014 jusqu’à la faillite de la société, de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux salaires versés fussent effectivement payées à l’intimée, nonobstant le mode de répartition interne des tâches entre les trois associés gérants. L’associé gérant d’une Sàrl ne peut en effet se libérer de cette responsabilité en se bornant à soutenir qu’il n’exerçait plus, dans les faits, d’activité de gestion, car cela constitue déjà en soi un cas de négligence grave. Par analogie avec d’autres personnes morales, on rappellera que la jurisprudence
s’est toujours montrée sévère, lorsqu’il s’est agi d’apprécier la responsabilité d’administrateurs qui alléguaient avoir été exclus de la gestion d’une société et qui s’étaient accommodés de ce fait sans autre forme de procès (arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.2 et les arrêts cités). En d’autres termes, les arguments exposés par le recourant pour tenter de démontrer qu’il ne participait pas à la gestion des affaires de la Sàrl tombe à faux, puisque c’est précisément cette inaction qui est constitutive d’une violation de ses devoirs. En conservant formellement un mandat de gestion qu’il prétend n’avoir jamais assumé dans les faits, le recourant occupait une situation comparable à celle
d’un homme de paille, qui se déclare prêt à assumer ou à conserver un mandat d’administrateur d’une société anonyme ou d’associé gérant d’une Sàrl, tout en sachant qu’il ne pourra (ou ne voudra) pas le remplir consciencieusement. En agissant de la sorte, le recourant a violé son obligation de diligence (cf. ATF 122 III 195 consid. 3b ; arrêt 9C_344/2011 précité, consid. 4.2).

On ajoutera que dans la mesure où la répartition des rôles au sein d’une société, respectivement le fait que la personne morale est dirigée concrètement par d’autres personnes, ne constitue pas, à cet égard, un motif de suppression ou d’atténuation de la faute commise (arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2015 du 31 mai 2016 consid. 3.3), le fait que le Ministère public ait, en l’espèce, rendu une ordonnance de non-entrée en matière à l’égard du recourant n’y change rien (dans ce sens : arrêt du Tribunal fédéral 9C_137/2022 du 14 juillet 2022 consid. 6.2).

Par ailleurs, en vertu de son obligation de surveillance, le recourant ne pouvait
pas se contenter de se fier aux assurances qu’il prétend avoir reçues de la part de M. C______ et/ou de M. B______, sans en vérifier l’exactitude. Il lui incombait bien plutôt de s’assurer que les cotisations sociales avaient bien été acquittées, par exemple, en consultant les pièces comptables pertinentes (correspondance avec l’intimée et relevés de salaires, notamment). Une telle démarche lui aurait permis de constater que les acomptes de cotisations étaient irrégulièrement, voire pas acquittés du tout, avec pour conséquence qu’il aurait pu prendre les mesures qui s’imposaient afin de régulariser la situation (cf. arrêt du Tribunal 9C_359/2019 du 16 septembre 2019 consid. 3.3).

En tant que le recourant conteste l’existence d’une négligence grave de sa part en se référant au fait que M. C______ se serait comporté de manière fautive en lui assurant oralement que la société n’avait pas de dettes, en particulier pas d’arriérés de charges sociales, il ne saurait pas non plus être suivi. En effet,
le Tribunal fédéral n’envisage une limitation de la responsabilité en raison de
la faute concomitante d’un tiers responsable solidaire qu’en tant que possibilité plutôt théorique qui, si elle existe, ne peut avoir d’importance pratique que dans une situation de fait exceptionnelle, par exemple lorsque la faute du responsable recherché apparaît si légère et si disproportionnée par rapport à la faute du tiers qu’il serait manifestement injuste que celui-ci doive supporter l’intégralité du dommage (arrêt du Tribunal fédéral 9C_66/2016 du 10 août 2016 consid. 5.4). La chambre de céans ne peut toutefois pas retenir qu’il existerait, en l’occurrence, une telle situation exceptionnelle dès lors que les assurances que le recourant allègue avoir reçues n’étaient pas propres à l’empêcher d’exercer son obligation de surveillance dans le sens précisé plus haut (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_328/2012 du 11 décembre 2012 consid. 2.3). Dans ces conditions, le point de savoir si M. C______ a effectivement tenu les propos que le recourant lui prête ne nécessite pas d’être investigué plus avant. Partant, la chambre de céans se dispensera, par appréciation anticipée des preuves (ATF 124 V 94 consid. 4b ; ATF 122 V 162 consid. 1d), de procéder à l’audition de cet appelé en cause.

Le recourant conteste également une négligence grave de sa part en tentant de
tirer argument du fait que l’intimée aurait attendu la décision du 7 avril 2021 pour l’informer qu’il y avait des arriérés de cotisations sociales, alors qu’elle aurait dû, selon lui, l’informer de cette situation déjà en 2017. Ce point de vue ne peut pas non plus être suivi : l’administration n’est en effet pas tenue – même sur la base de l’art. 27 al. 2 LPGA – d’informer personnellement les organes de la société
en cas d’arriérés de cotisations allant croissant. En effet, les obligations de diligence incombant aux organes de l’employeur en matière de décompte et de paiement des cotisations sont clairement réglementées et censées être connues. En outre, l’obligation d’information postulée par le recourant, indépendamment de la charge administrative que celle-ci impliquerait, ne permettrait souvent pas de joindre toutes les personnes ayant la qualité d’organe (arrêt du Tribunal fédéral 9C_48/2010 du 9 juin 2010 consid. 4.2.1).

7.3 La chambre de céans relève enfin qu’en tant que le recourant soutient que
le lien de causalité adéquat entre un éventuel comportement fautif de sa part et
le dommage survenu serait rompu par les actes et/ou omissions de tiers, il ne fait pas valoir que le dommage serait survenu même si son propre comportement avait été conforme à ses obligations (cf. ci-dessus : consid. 6.2). Il met au contraire
en exergue les assurances reçues de M. C______ et l’absence d’information de la caisse sur les arriérés de cotisations dès 2017, allant jusqu’à soutenir que son propre comportement serait constitutif tout au plus d’une négligence légère. Étant donné que cette dernière assertion équivaut, on l’a vu, à mésestimer les obligations de diligence et de surveillance qui lui incombaient, et qu’il n’existe pas non plus, pour les raisons évoquées, de comportement fautif de M. C______ et/ou de l’intimée qui exclurait la responsabilité du recourant (ci-dessus : consid. 7.2), il convient de constater que la passivité de ce dernier s’inscrit dans un lien de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par l’intimée.

7.4 En définitive, en exerçant un mandat d’associé gérant/président sans prendre les mesures lui permettant de s’assurer que la société s’acquittait effectivement des cotisations sociales, le recourant a violé son obligation de surveillance, ce qui relève d’une négligence qui doit être qualifiée de grave sous l’angle de l’art. 52 LAVS (ci-dessus : consid. 7.2).

8.             Quant au montant du dommage, qui comprend les cotisations impayées du
1er janvier 2017 au 31 août 2018 fondées sur le décompte du 7 avril 2021 établi par l’intimée à l’égard de la société, ainsi que les frais administratifs, de sommation, de poursuite et les intérêts moratoires – ce qui est conforme aux prescriptions en vigueur –, il est contesté par le recourant, en ce sens que sa responsabilité devrait être limitée à la période allant du 1er janvier au 4 avril 2017. La chambre de céans constate toutefois qu’une responsabilité du recourant pour les seules créances échues au 4 avril 2017 ne se justifie nullement dès lors que l’intéressé a conservé son statut d’associé gérant, doublé, qui plus est, de la fonction de président dès cette date, et qu’il était toujours en poste au moment de la faillite de la société le 24 septembre 2018.

Si la responsabilité du recourant au sens de l’art. 52 LAVS doit donc être confirmée pour la totalité du dommage dont la réparation lui est demandée (cf.
ci-dessus : consid. 4.5), sous déduction de la part du préjudice déjà recouvrée par l’intimée auprès des appelés en cause, il n’existe toutefois pas de base légale suffisante pour rechercher les employeurs ou les organes pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la loi genevoise instituant une assurance en cas de maternité et d’adoption (LAMat – J 5 07 ; ATAS/79/2020 du 30 janvier 2020 consid. 14).

Partant, il y a lieu de déduire du dommage de l’intimée les cotisations impayées découlant de la LAMat. Cependant, dans la mesure où il ressort du dispositif de la décision attaquée que l’intimée « dit que du montant total exigé sera déduite la somme correspondant aux cotisations citées au point 28 [i.e. : « les sommes qui correspondent aux cotisations AMAT ( ) »] de la présente décision », le recours doit être rejeté et la décision sur opposition du 2 novembre 2021 confirmée.

9.             Le recourant, qui n’obtient pas gain de cause, n’a pas droit à des dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

 

*****

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le