Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/761/2025 du 11.07.2025 sur JTAPI/667/2025 ( MC ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2095/2025-MC ATA/761/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 11 juillet 2025 en section |
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dans la cause
COMMISSAIRE DE POLICE recourant
contre
A______ intimé
représenté par Me Clara POGLIA, avocate
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 juin 2025 (JTAPI/667/2025)
A. a. A______, né le ______ 1972, est ressortissant algérien.
b. Par arrêt du 26 novembre 2024, la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : la CPAR) a rejeté son appel et a confirmé sa condamnation à une peine privative de liberté de trois ans, notamment pour vol par métier et en bande (art. 139 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0), et son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans.
B. a. Sa libération conditionnelle ayant été ordonnée pour le 16 juin 2025, il a, à cette dernière date, été remis entre les mains des services de police en vue de l'exécution de son expulsion.
b. Par décision du 16 juin 2025, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé le non-report de l'expulsion de A______, après lui avoir donné la possibilité d'être entendu.
c. Le 16 juin 2025, à 14h05, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de A______ pour une durée de quatre mois, retenant comme motif de sa détention le fait qu'il avait été condamné pour crime. Cette décision précisait que les démarches en vue de l'exécution de cette dernière étaient en cours.
C. a. Entendu le 17 juin 2025 par le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), A______ a déclaré qu’il ne comprenait pas pour quels motifs il se trouvait à nouveau en détention après sa libération de Champ‑Dollon. Il estimait qu’il avait payé sa dette envers la Suisse et il demandait à pouvoir retourner en France où se trouvaient son fils et sa compagne, ainsi que ses parents, son frère et sa sœur. Il avait également été condamné et emprisonné en France et malgré tout, à l’heure de ses libérations il n’avait jamais été question de le renvoyer en Algérie. En Suisse, il n’avait commis que des infractions contre le patrimoine et ne s’en était pris à personne, de sorte que les autorités suisses devraient avoir une attitude plus mesurée en le laissant retourner dans un pays européen selon son choix.
b. Par jugement du 18 juin 2025, le TAPI a confirmé l'ordre de mise en détention, mais pour une durée réduite, soit jusqu'au au 1er septembre 2025 inclus.
En soi, la durée de quatre mois prononcée par le commissaire de police n'apparaissait pas disproportionnée, du moins si l'on se plaçait dans la perspective d'un renvoi à destination de l'Algérie – étant rappelé que les autorités suisses n'avaient désormais plus de possibilité d'obtenir une réadmission de la part des autorités françaises. Comme l'avait indiqué la représentante du commissaire de police en audience, les étapes qui devaient encore se succéder jusqu'au départ du concerné en Algérie impliquaient à chaque fois des délais se comptant en semaines, ce qui faisait qu'une détention d'une durée initiale de quatre mois paraissait de ce point de vue légitime. Cela étant, sous l'angle du principe de proportionnalité, il paraissait également légitime de réexaminer à plus court terme si les circonstances devaient évoluer de telle manière que la nécessité d'une détention puisse être remise en question. De telles circonstances concerneraient en particulier la démonstration de la capacité de A______ à assumer son séjour dans le canton de Genève sans que cela n'implique un sacrifice financier particulièrement important, de même que la démonstration d'une évolution positive et rapide des démarches qu'il aurait effectuées en vue d'obtenir le renouvellement de son autorisation de séjour en France.
Ce jugement a été expédié par le TAPI le jeudi 19 juin au commissaire de police, par courrier interne.
D. a. Par acte daté du 3 juillet 2025, le commissaire de police a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation en ce qu'il avait réduit la durée de l'ordre de mise en détention.
Le jugement attaqué avait été reçu par courrier interne le lundi 23 juin 2025. Le délai de recours de dix jours « arrivant ce jour à échéance », était respecté.
Sur le fond, la réduction de la durée de l'ordre de mise en détention procédait d'un abus du pouvoir d'appréciation, dès lors que le juge retenait expressément que la durée de quatre mois était adéquate, tout en faisant prévaloir l'hypothèse et la théorie sur la pratique et la réalité découlant de faits matériellement établis.
Le recours a été envoyé par courrier A+. Le suivi des envois de la Poste indique, s'agissant du dépôt de l'envoi : « 04 juillet 2025 17:00 – Moment du dépôt de l'envoi – 1300 Éclépens CC Dépôt ». Seule l'étiquette avec le numéro du courrier A+ figure sur l'enveloppe, qui ne contient aucun tampon postal.
b. Le 7 juillet 2025, le juge délégué a imparti au commissaire de police un délai au lendemain pour se déterminer sur le respect du délai de recours.
c. Le 8 juillet 2025, le commissaire de police a précisé que le suivi des envois mentionnait un dépôt à Éclépens, qui se trouvait à 72 km de la Jonction. L'envoi avait été remis le 3 juillet 2025 en fin d'après-midi au bureau de poste du bd Carl‑Vogt. L'erreur dans le suivi des envois était manifeste et la date du 3 juillet 2025 devait être retenue.
d. Le 9 juillet 2025, le commissaire de police a fait parvenir une attestation faite le même jour par la fonctionnaire ayant procédé à l'envoi du recours. B______ certifiait avoir personnellement déposé l'enveloppe affranchie en courrier A+ contenant le recours, le 3 juillet 2025 en l'office de poste du 21, bd Carl-Vogt.
e. Entretemps, le greffe de la chambre administrative a demandé des renseignements auprès de la Poste.
Celle-ci a répondu par courriel du 9 juillet 2025 que depuis le 1er juin 2025, le service Affranchissement poste de Genève était fermé. Ses activités avaient été transférées au service Affranchissement poste d'Éclépens. Le commissaire de police ne précisait pas si l'envoi avait été déposé au guichet ou dans la boîte aux lettres du bureau de poste. S'il avait été déposé au guichet, ou dans la boîte aux lettres avant 18h00, il aurait été évacué le même jour au centre courrier (ci‑après : CC) d'Éclépens et aurait été scanné avec la date du 3 juillet 2025. Le scannage au CC d'Éclépens indiqué dans le suivi des envois étant « 04.07.2025 17h00 », il était probable que le courrier ait été déposé dans la boîte aux lettres du bureau de poste après la fermeture de la filiale, qui s'occupait de la dernière levée vers 18h00. Dans ce cas, le courrier n'avait été évacué que le lendemain.
Dans un second courriel complémentaire du même jour, la Poste a indiqué que le courrier de l'Hôtel de police (soit l'ancien Hôtel de police, ci-après : VHP) faisait l'objet d'une prise en charge, vers 17h30 environ. Le courrier était amené au centre logistique de Genève et les diverses caissettes grises de courrier étaient rassemblées dans des chariots qui étaient ensuite acheminés vers le CC d'Éclépens, au plus tard avec le dernier camion qui partait vers 20h30. Rien n'était trié ou scanné à Genève. Le travail de prise en charge des bordereaux de dépôt des envois des divers clients était donc effectué à Éclépens. En résumé, ce qui avait été remis à la Poste le 3 juillet 2025 jusqu'à 18h00 avait été trié à Éclépens le même jour.
f. Le 10 juillet 2025, A______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.
Le recours était tardif et par conséquent irrecevable. Aucune erreur ne pouvait être attribuée aux services de la Poste. La date devant être retenue comme étant celle de l'envoi était le 4 juillet 2025.
Si par impossible le recours était déclaré recevable, il devait être rejeté. Un renvoi en Algérie était inexécutable car il n'avait aucune attache avec l'Algérie, étant venu en France à l'âge de deux ans et ne parlant pas arabe. Il avait en outre été victime de divers actes de violence de la part du personnel pendant sa détention. La durée de quatre mois prévue par l'ordre de mise en détention était disproportionnée, étant rappelé qu'il s'opposait à un renvoi en Algérie, mais non en France.
g. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. La chambre administrative examine d’office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (art. 11 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/370/2025 du 1er avril 2025 consid. 1 ; ATA/646/2023 du 20 juin 2023 consid. 1).
2. Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 7 juillet 2025 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.
3. Se pose la question du respect du délai de recours.
3.1 Selon l’art. 62 al. 1 let. a et b LPA, le délai de recours contre une décision finale est de 30 jours. Il court dès le lendemain de la notification de la décision
(art. 62 al. 3 1re phr. LPA).
En matière de détention administrative néanmoins, le recours à la chambre administrative doit être formé par écrit dans les 10 jours qui suivent la notification de la décision attaquée (art. 10 al. 1 LaLEtr).
3.2 Les délais commencent à courir le lendemain de leur communication ou de l’événement qui les déclenche (art. 17 al. 1 LPA). Les écrits doivent parvenir à l’autorité ou être remis à son adresse à un bureau de poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse au plus tard le dernier jour du délai avant minuit (art. 17 al. 3 LPA).
3.3 Le principe général de l'art. 8 du Code civil suisse du 10 décembre 1907
(CC - RS 210), selon lequel chacun doit prouver les faits qu'il allègue pour en déduire son droit, est valable également en procédure. C'est dès lors au justiciable – ou en l'occurrence à l'administration – qu'il incombe de prouver avoir déposé un recours dans le délai, ce qui doit être déterminé avec certitude et non selon la règle de la vraisemblance prépondérante (ATF 119 V 7 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_681/2015 du 13 novembre 2015 consid. 2).
La preuve de l'expédition d'un acte de procédure en temps utile incombe à la partie ou à son avocat (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 ; 142 V 389 consid. 2.2). Une telle preuve peut résulter du sceau postal, du récépissé de l'envoi posté en recommandé, de l'accusé de réception obtenu au guichet postal, de la quittance imprimée par l'automate MyPost 24 ou de tout autre moyen adéquat, tel que le témoignage d'une ou de plusieurs personnes (dont les noms et adresses seront inscrits sur l'enveloppe contenant le recours), voire une séquence audiovisuelle filmant le dépôt du pli dans la boîte postale (avec toutefois une possible incidence sur les frais de justice : ATF 147 IV 526 consid. 4). En revanche, la date indiquée par une machine d'affranchissement privée (ou le code-barres avec justificatif de distribution) ne prouve pas la remise de l'envoi à la poste (arrêt du Tribunal fédéral 6B_569/2023 précité consid. 1.1).
En principe, le cachet postal fait foi de la date d'expédition. Toutefois, cette présomption peut être renversée par tous les moyens appropriés. L'avocat qui dépose son pli dans une boîte postale après la fermeture du guichet doit s'attendre à ce que le courrier ne soit pas enregistré le jour même de la remise, mais à une date ultérieure (ATF 147 IV 526 consid. 3.1). Aussi doit-il indiquer spontanément à l'autorité de recours, et avant l'échéance du délai, qu'il a respecté celui-ci, en présentant les moyens qui l'attestent (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 et les réf. citées). Pour renverser la présomption, il importe que la partie recourante produise ses preuves dans le délai de recours, ou du moins les désigne dans l'acte de recours, ses annexes ou sur l'enveloppe qui le contient (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_180/2024 du 4 octobre 2024 consid. 1.1.3).
3.4 Les délais de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d’être prolongés (art. 16 al. 1 1re phr. LPA), restitués ou suspendus, si ce n’est par le législateur lui-même. Celui qui n’agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire (SJ 2000 I 22 ; ATA/436/2024 du 26 mars 2024 et les arrêts cités).
3.5 Les cas de force majeure sont réservés, conformément à l’art. 16 al. 1 2e phr. LPA. Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de façon irrésistible (SJ 1999 I 119 ; ATA/871/2019 du 7 mai 2019 et les références citées).
3.6 En l'espèce, le recourant a indiqué avoir reçu le jugement attaqué par courrier interne le lundi 23 juin 2025, ce qui apparaît vraisemblable et n'est pas contesté. Le délai de dix jours prévu par l'art. 10 al. 1 LaLEtr venait donc à échéance le jeudi 3 juillet 2025, comme le recourant l'a du reste expressément relevé dans son acte de recours.
L'enveloppe ne contient aucune mention et le « cachet postal », sous forme de scannage au centre de tri, date du 4 juillet 2025 à 17h00. Il résulte des explications de la Poste que l'envoi aurait pu avoir été placé dans la boîte aux lettres du bureau de poste du bd Carl-Vogt le 3 juillet 2025 entre 18h00 et minuit, mais il aurait tout aussi bien pu y être déposé le 4 juillet 2025. Quant à l'attestation de la fonctionnaire ayant déposé l'envoi, elle a été produite après l'échéance du délai de recours et même après que la chambre de céans eut attiré l'attention du recourant sur le problème lié au respect du délai. Or, comme déjà mentionné, il importe que la partie recourante, pour renverser la présomption d'exactitude du timbre postal, produise ses preuves dans le délai de recours, ou du moins les désigne dans l'acte de recours, ses annexes ou sur l'enveloppe qui le contient, ce qui n'est pas le cas.
Il s'ensuit que le recours doit être considéré comme ayant été déposé le 4 juillet 2025, si bien qu'il est tardif et sera déclaré irrecevable.
4. La procédure étant gratuite et le recours ayant été déposé par une autorité défendant sa propre décision, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA cum art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée à l'intimé, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
déclare irrecevable le recours interjeté le 4 juillet 2025 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 juin 2025 ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;
alloue à A______ une indemnité de CHF 500.-, à la charge de l'État de Genève (commissaire de police) ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Clara POGLIA, avocate de l'intimé, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations ainsi qu'au centre de détention administrative de Sion (CDA), pour information.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
N. GANTENBEIN
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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