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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1325/2025

ATA/640/2025 du 10.06.2025 ( FORMA ) , REJETE

Descripteurs : FRONTALIER;BOURSE D'ÉTUDES;DROIT COMMUNAUTAIRE;AVANTAGES SOCIAUX
Normes : LBPE.15; LBPE.16; CBE.5; ALCP.2; ALCP.9.par2
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1325/2025-FORMA ATA/640/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 juin 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

 

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : l’étudiante), née le ______ 1975, domiciliée à B______ en France, est au bénéfice en Suisse depuis le 6 décembre 2006 d’un permis G pour frontalier de l’Union Européenne (UE) / Association européenne de libre-échange (AELE) [ci-après : UE/AELE] pour activité lucrative. Elle a sollicité, le 18 octobre 2024, du service des bourses et prêts d’études (ci‑après : SBPE) une bourse d’études pour l’année scolaire 2024/2025, pour sa première année auprès de la Haute École pédagogique de Lausanne (ci-après : HEP Lausanne) en vue d’obtenir un baccalauréat. La formation était prévue sur quatre ans et devait prendre fin en juin 2028.

Elle était divorcée et vivait avec sa fille, née en 2010. Elle avait une garde alternée sur son fils, né en ______ 2005. Tous deux étaient en formation. Elle avait un revenu annuel brut de CHF 14’700.-, percevait CHF 3'000.- de pensions alimentaires et CHF 4'356.- de prestations complémentaires familiales.

Elle a joint à sa demande son curriculum vitae, selon lequel elle était étudiante en baccalauréat en enseignement primaire, en reconversion professionnelle à la suite d’un parcours en marketing et en communication.

b. Par décision du 11 février 2025, le SBPE a informé l’étudiante qu’elle ne remplissait pas les conditions d’octroi pour l’obtention d’une bourse ou d’un prêt d’études. Elle ne faisait pas partie du cercle des bénéficiaires selon l’art. 15 de la loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20).

c. Le 17 février 2025, A______ a formé réclamation contre cette décision. Elle remplissait les critères d’attribution en sa qualité de frontalière. Elle transmettait son attestation de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) son contrat de domiciliation à la chambre de commerce et d’industrie France Suisse (ci-après : CCI) à une case postale à Genève ainsi qu’une copie de son permis G.

d. Par décision du 11 mars 2025, envoyée par pli simple, le SBPE a rejeté la réclamation. L’art. 15 al. 1 let. b LBPE mentionné par l’intéressée ne faisait état que des personnes en formation dont le répondant, soit un des parents, était frontalier. Tel n’était pas son cas puisque la personne frontalière était elle-même, soit la personne en formation.

Toutefois l’application à la lettre de la LBPE et de l’accord intercantonal sur l’harmonisation des régimes de bourses d’études du 18 juin 2009 (Concordat sur les bourses d’études, ci-après : le concordat ; CBE - C 1 19) irait à l’encontre de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681) et de la jurisprudence européenne. La pratique du SBPE se devait de diverger de l’interprétation littérale par une approche systémique. La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après : CJUE) accordait aux étudiants la possibilité de faire valoir des droits en vertu de l’art. 7 al. 2 du Règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’union (JO 2011 L 141.1 ; ci-après : le règlement européen) à la double condition que ces derniers aient été des travailleurs au sens du droit de l’Union européenne avant leur formation universitaire et que les études suivies soient en rapport avec l’activité professionnelle antérieure, sauf s’il s’agissait d’une reconversion professionnelle.

En l’occurrence, l’intéressée avait travaillé à Genève avant ses études en tant que frontalière. Conformément à l’approche européenne, était considérée comme « frontalier » la personne qui travaillait et était assujettie à Genève à l’impôt sur le revenu d’une activité réelle et effective, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentaient comme purement marginales et accessoires. Or, il résultait de l’examen de sa déclaration fiscale qu’elle n’était pas taxable pour les années fiscales 2020 à 2023 et que pour l’année 2022 elle avait annoncé un bénéfice net de CHF 29'114.- et pour 2023 de CHF 29'924.-. Ces montants ne pouvaient certes pas être qualifiés de « marginaux et accessoires » mais ils ne permettaient pas de la considérer comme financièrement indépendante afin que le canton de Genève devienne son domicile d’aide à la formation selon l’art. 16 al. 5 LBPE, puisqu’il fallait réaliser un revenu annuel net d’au moins CHF 30'000.- pendant deux ans avant de commencer la nouvelle formation. Elle ne pouvait dès lors pas prétendre à la bourse de reconversion de montant maximum de CHF 41'830.-.

Par ailleurs, partant du principe que les bourses et prêts d’études constituaient un avantage social en lien avec la qualité objective de travailleur, elle avait écrit dans sa lettre du 17 octobre 2024 qu’elle « souhaitait s’investir dans la conduite de ses études et de son stage à 100%, ce qui était incompatible avec son activité d’indépendante actuelle ». En conséquence, bien qu’elle détienne toujours son permis G, elle n’était effectivement plus « travailleur » et aurait perdu de ce fait tous les avantages sociaux qui y étaient liés.

B. a. Par acte reçu le 15 avril 2025 par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a interjeté recours contre la décision du 11 mars 2025.

Elle remplissait la double condition d’être travailleuse au sens du droit de l’Union européenne avant sa formation universitaire et d’une reconversion professionnelle.

En 2022, une agence média avait annulé le règlement correspondant à des travaux de rédaction au motif que le client avait du retard et que la production était insuffisante. Elle avait subi un manque à gagner de CHF 5'000.-. En novembre 2023, un de ses clients, gérant d’un club de fitness, avait mis fin à ses cours. Elle avait par ailleurs été victime directe des arrêts d’activité pendant la pandémie et la crise sanitaire ce qui lui avait généré un manque à gagner de CHF 2'700.-. Enfin, bien que n’ayant pas bénéficié des aides de la Confédération lors de la crise de Covid-19, ses clients en avaient pâti de manière frontale. Elle en avait été la victime collatérale. Il était fort probable que sans ces défauts de paiement elle aurait pu franchir le cap des CHF 30'000.- de revenu annuel. Depuis 2006, son activité professionnelle s’était développée à Genève en tant que salariée, indépendante et, depuis peu, étudiante. Sa reconversion professionnelle avait comme unique but de continuer à exercer une activité économique en Suisse et de pouvoir « rendre » au pays qui lui permettait de ne payer que CHF 300.- par année de frais semestriels pour des études qui en coûtaient réellement CHF 85'000.- par élève par an. Elle se savait chanceuse d’avoir la possibilité de mener ses études à la HEP Lausanne et avait de ce fait une obligation de résultat.

Il s’agissait de sa dernière demande. Elle avait essuyé des refus des Fondations Hans WILSDORF, Francis et Marie-France MINKOFF, REBOND, Philantropique des Français de Suisse ainsi que de la commission fédérale des bourses pour étudiants étrangers CFBE.

b. Le SBPE a conclu au rejet du recours, reprenant l’argumentation de sa décision.

c. Dans sa réplique, la recourante a précisé, afin d’actualiser son dossier, que son père était décédé le 10 novembre 2024.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il ressort des pièces produites que la recourante n’était pas taxable à Genève de 2020 à 2023. Le dossier ne contient pas de pièces fiscales pour les années précédentes et 2024.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la demande de bourse ou prêt d’études pour l’année scolaire 2024/2025 de la recourante.

2.1 Toute personne dépourvue des ressources financières nécessaires à une formation reconnue a droit à un soutien de l’État (art. 24 al. 3 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 ‑ Cst GE ‑ A 2 00).

2.2 La LBPE règle l'octroi d'aides financières aux personnes en formation (art. 1 al. 1 LBPE).

Selon l’art. 1 al. 2, le financement de la formation incombe aux parents et aux tiers qui y sont légalement tenus (let. a) ; aux personnes en formation elles-mêmes (let. b). Les aides financières sont accordées à titre subsidiaire (art. 1 al. 3 LPE).

Ont droit à des aides financières pour autant qu’elles soient domiciliées ou contribuables dans le canton de Genève : a) les personnes de nationalité suisse ; b) les personnes de nationalité suisse ou visées par l’ALCP, et ses protocoles additionnels dont le répondant, frontalier, à savoir qui travaille à Genève et rentre quotidiennement à son domicile, est assujetti à Genève à l'impôt sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton de Genève ; c) les personnes de nationalité suisse dont les parents vivent à l'étranger ou qui vivent à l'étranger sans leurs parents, pour des formations dispensées en Suisse, sauf si ces personnes y ont par principe droit en leur lieu de domicile étranger ; d) les personnes de nationalité étrangère bénéficiaires d’un permis d’établissement (permis C) ou ayant leur domicile légal en Suisse depuis 5 ans au moins ; e) les personnes réfugiées ou apatrides reconnues par la Suisse, et les citoyennes et citoyens d'États avec lesquels la Suisse a conclu des accords internationaux à ce sujet.

Les personnes séjournant en Suisse à des fins exclusives de formation n'ont pas droit à des aides financières (art. 15 al. 2 LBPE).

L’art. 16 LBPE précise comment le domicile légal est déterminé. Selon son al. 5, les personnes majeures qui, après avoir terminé une première formation, ont habité le canton de Genève pendant deux ans sans interruption en y exerçant une activité lucrative leur permettant d'être financièrement indépendantes, sans avoir suivi simultanément une formation, se constituent également un domicile légal en matière d'aides à la formation dans le canton de Genève. Le fait d'assister des proches vivant dans le même ménage est également considéré comme une activité lucrative.

2.3 Le concordat vise à encourager dans l’ensemble de la Suisse l’harmonisation des allocations de formation du degré secondaire II et du degré tertiaire (art. 1 concordat).

Les personnes ayant droit à une allocation de formation sont les suivantes : a) les personnes de nationalité suisse et domiciliées en Suisse, sous réserve de la let. b ; b) les citoyennes et citoyens suisses dont les parents vivent à l’étranger ou qui vivent à l’étranger sans leur parents, pour des formations en Suisse, si ces personnes n’y ont pas droit en leur lieu de domicile étranger par défaut de compétence ; c) les personnes de nationalité étrangère bénéficiaires d’un permis d’établissement ou les personnes titulaires d’un permis de séjour si elles séjournent légalement en Suisse depuis 5 ans ; d) les personnes domiciliées en Suisse et reconnues comme réfugiées ou apatrides par la Suisse ; et e) les ressortissantes et ressortissants des États membres de l’UE/AELE dans la mesure où, conformément à l’ALCP ou à la convention AELE, ils sont traités à égalité avec les citoyennes et citoyens suisses en matière d’allocation de formation, ainsi que les citoyennes et citoyens d’États avec lesquels la Suisse a conclu des accords internationaux à ce sujet (art. 5 al. 1 concordat). Les personnes séjournant en Suisse à des fins exclusives de formation n’ont pas droit à des allocations de formation (art. 5 al. 2 concordat).

Le commentaire du CBE (commentaire du 18 juin 2009 élaboré par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique, consultable sur le site ; ci‑après : le commentaire) n'a pas force de loi, mais peut aider à l'interprétation des dispositions de l'accord (arrêt du Tribunal fédéral 2C_644/2020 du 24 août 2021 consid. 7.3).

Selon le commentaire de l’art. 5 let. e, les ressortissants des États membres de l'UE/AELE peuvent se fonder sur les accords bilatéraux. L’ALCP, de même que la convention AELE, contiennent tous les deux des dispositions qui sont importantes, notamment pour ce qui est du droit des ressortissants de ces pays vivant en Suisse d’obtenir des bourses d’études de la part de la Suisse. Cette réglementation s’applique aux nationaux de tous les pays de l’UE et de l’AELE. Les ressortissants d'États de l'UE/AELE signataires d'un accord sont traités comme les personnes de nationalité suisse, lorsqu’il s’agit de personnes travaillant et domiciliées en Suisse ou de leurs enfants.

2.4 En l’espèce, la recourante ne remplit pas les conditions de l’art. 15 LBPE, notamment pas la let. b qui évoque le répondant, frontalier, de la personne en formation, ce que n’est pas la recourante, elle-même personne en formation.

La recourante semble invoquer en sus une violation de l’art. 16 al. 5 LBPE. Or, elle n’allègue pas avoir habité le canton de Genève pendant deux ans sans interruption. Cette disposition n’est dès lors pas pertinente.

Il sera encore relevé que le montant de CHF 30'000.- évoqué par le SBPE découle des art. 18 al. 3 LBPE et 8 al. 2 RBPE, relatifs au calcul des aides financières qui veulent qu’il n’est que partiellement tenu compte des ressources des parents dans certaines situations particulières, notamment si la personne en formation a atteint l’âge de 25 ans et terminé une première formation donnant accès à un métier et a été financièrement indépendante pendant deux ans, réalisant un salaire annuel de plus de CHF 30'000.-, avant de commencer sa nouvelle formation. Ces dispositions ne concernant pas la question des ayants-droits, elles ne sont toutefois pas pertinentes en l’espèce.

De même, le montant de CHF 41'830.- représente le montant maximum actuellement prévu en cas de reconversion. Il découle des art. 11 al. 1 let. e, 22 al. 1 let. b LBPE ainsi que 17 al. 3 let. b RBPE. La question de la formation prise en charge, en l’espèce une éventuelle reconversion professionnelle, et de son montant maximum n’est toutefois pas pertinente puisque la recourante ne remplit pas les conditions d’ayant droit au sens de la LBPE. Autre est la question de l’analyse de l’ALCP.

L’intéressée n’invoque aucune autre disposition légale qui lui serait applicable.

À teneur de la LBPE, la décision du SBPE est donc fondée. La recourante ne peut dès lors tirer aucun droit à une bourse ou un prêt d’études sur la base de la LBPE.

3.             La recourante se prévaut implicitement de l’ALCP.

3.1 À teneur de l'art. 1 ALCP, l'objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des États membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est : d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (let. a) ; de faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée (let. b) ; d'accorder un droit d'entrée et de séjour, sur le territoire des parties contractantes, aux personnes sans activité économique dans le pays d'accueil (let. c) ; d'accorder les mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles accordées aux nationaux (let. d).

3.2 Selon l'art. 2 ALCP, les ressortissants d'une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d'une autre partie contractante ne sont pas, dans l'application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité.

Cette règle prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discriminations indirectes). À moins qu'elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi, une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu'elle est susceptible, par sa nature même, d'affecter davantage les ressortissants d'autres États parties que les ressortissants nationaux et qu'elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers. Il en est ainsi d'une condition qui peut être plus facilement remplie par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants (ATF 137 II 242 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_807/2014 du 9 septembre 2015 consid. 3.3).  

Le principe de non-discrimination de l'art. 2 ALCP correspondant à l'art. 12 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne du 13 décembre 2007 (ci‑après : TFUE ; depuis le 1er décembre 2009 : art. 18 dudit traité) et celui de l'art. 9 § 2 Annexe I ALCP à l'art. 7 du Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ([JO L 257 du 19 octobre 1968] remplacé par le règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011), il convient de tenir compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des communautés européennes antérieure au 21 juin 1999 (art. 16 § 2 ALCP), sous réserve des cautèles prévues par l'art. 21 ALCP, non pertinent en l’espèce.

3.3 Selon l'art. 7 ALCP, les parties contractantes règlent, conformément à l'Annexe I, notamment les droits mentionnés ci-dessous liés à la libre circulation des personnes : le droit à l'égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne l'accès à une activité économique et son exercice ainsi que les conditions de vie, d'emploi et de travail (let. a) ; le droit à une mobilité professionnelle et géographique, qui permet aux ressortissants des parties contractantes de se déplacer librement sur le territoire de l'État d'accueil et d'exercer la profession de leur choix (let. b) ; le droit au séjour des membres de la famille, quelle que soit leur nationalité (let. d) ; le droit d’exercer une activité économique pour les membres de la famille, quelle que soit leur nationalité (let. e).

Il ressort de la systématique de l'art. 7 ALCP et du renvoi à l'Annexe I de l’ALCP que les droits proprement dits ne découlent pas de cet article mais plutôt des dispositions de l'Annexe I de l’ALCP, en particulier des art. 9 et 15, qui reprennent le principe d'égalité de traitement pour les travailleurs (art. 9) et les indépendants (art. 15 ; Astrid EPINEY/Gaëtan BLASER in Cesla AMARELLE/Minh SON NGUYEN [éd.], Code annoté de droit des migrations, vol. III, ALCP, 2014, ad art. 7 ALCP, p. 89 n. 3).

3.4 L'art. 9 § 2 Annexe I ALCP formule le même principe de non-discrimination en faveur des travailleurs salariés. Il prévoit que le travailleur salarié et les membres de sa famille visés à l'art. 3 de cette annexe bénéficient sur le territoire d'une autre partie contractante des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille. 

La notion d'avantage social ne saurait être interprétée limitativement (Alvaro BORGHI, La libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE, Commentaire article par article de l'accord du 21 juin 1999, 2010, p.183 n. 380 et l'arrêt cité). Selon la CJUE, cette notion d'avantage social « couvre tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national et dont l'extension aux travailleurs ressortissants d'autres États membres apparaît, dès lors, comme apte à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté » (CJUE, arrêt Hendrix, C‑287/05 du 11 septembre 2007, point 48).

Dans sa jurisprudence, la CJUE a reconnu de nombreuses prestations comme relevant de la notion d'avantage social : il s'agit, entre autres, d'une prestation sociale garantissant un minimum de moyens d'existence, d'une allocation d'éducation destinées à compenser les charges de famille du bénéficiaire, d'allocations de naissance et de maternité, d'allocations pour famille nombreuse ou de bourses et prêts d'étude (voir la liste plus complète et les références jurisprudentielles y relatives in Alvaro BORGHI, op. cit., p. 184 n. 381 ; ATA/1050/2019 du 18 juin 2019 consid. 17).

3.5 À teneur de l’art. 7 du règlement européen, le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage (al. 1). Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux (al. 2).

3.6 Selon la jurisprudence la CJUE, les personnes ayant exercé une activité lucrative avant d’entreprendre une formation (notamment universitaire) doivent être considérées comme travailleurs au sens de l’art. 9 Annexe I ALCP (même si elles ont cessé toute activité économique), à la condition qu’il existe une continuité entre l’activité lucrative antérieure et la formation entreprise ou que le travailleur ait involontairement perdu son travail et se soit vu obligé d’entreprendre une autre formation. Dans de telles situations, « l’ancien travailleur » peut ainsi prétendre aux mêmes avantages sociaux que les nationaux, ce qui inclut également les bourses d’études (Astrid EPINEY, Gaëtan BLASER, Code annoté de droit des migrations - Volume III, ALCP, 2014, ad art. 7 n° 10, p. 94 et les références citées).

La notion de « travailleur », au sens de l’art. 45 TFUE, revêt une portée autonome propre au droit de l’Union et ne doit pas être interprétée de manière restrictive. Cette notion doit être définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et des devoirs des personnes concernées. La caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération. Le niveau limité de cette rémunération, l’origine des ressources pour cette dernière, la productivité plus ou moins élevée de l’intéressé ou le fait qu’il n’accomplit qu’un nombre réduit d’heures de travail par semaine n’excluent pas qu’une personne soit reconnue comme « travailleur » au sens de l’art. 45 TFUE. Pour être qualifiée de « travailleur », une personne doit néanmoins exercer des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires (arrêt de la CJUE du 21 février 2013, cause 46/12 L. N. c. Styrelsen for Videregående Uddannelser og Uddannelsesstøtte).

Toujours selon la jurisprudence de la CJUE, les États membres ne sauraient en principe faire dépendre des avantages sociaux au sens de l’art. 7 § 2 du règlement européen du lieu de domicile des intéressés, à moins que cette exigence soit justifiée par un intérêt public et qu’elle satisfasse au principe de proportionnalité. Ainsi, un État membre peut refuser une prestation sociale – telle que le Erziehungsgeld allemand – à une personne qui ne travaille qu’à un très petit pourcentage sur son territoire mais qui habite et possède son domicile légal dans un autre État membre. La discrimination matérielle engendrée par cette mesure peut en effet être justifiée par le fait qu’il n’existe pas de lien suffisamment étroit entre l’intéressé et l’État d’accueil. Il en va autrement d’un frontalier qui exerce une activité lucrative de façon régulière dans l’État d’accueil, car il contribue alors de manière réelle au marché du travail de cet État. En raison des similarités existant entre le droit dérivé de l’UE et l’ALCP sur ce point, on peut partir de l’idée que cette jurisprudence est également pertinente dans le cadre de l’application de l’art. 9 § 2 Annexe I ALCP (Astrid EPINEY, Gaëtan BLASER, op. cit. ad art. 7 n° 11, p. 94 et les références citées).

Selon une jurisprudence constante, s’agissant des travailleurs migrants et frontaliers, le fait d’avoir accédé au marché du travail d’un État membre crée, en principe, le lien d’intégration suffisant dans la société de cet État leur permettant d’y bénéficier du principe d’égalité de traitement par rapport aux travailleurs nationaux quant aux avantages. Le lien d’intégration résulte notamment du fait que les travailleurs migrants contribuent au financement des politiques sociales de l’État membre d’accueil avec les contributions fiscales et sociales qu’ils paient dans cet État, en vertu de l’activité salariée qu’ils y exercent. Ils doivent, dès lors, pouvoir en profiter dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux. Toutefois, la Cour a déjà admis qu’une réglementation nationale indirectement discriminatoire et restreignant l’octroi aux travailleurs frontaliers d’avantages sociaux, au sens de l’art. 7 § 2 du règlement no 492/2011, en l’absence d’un rattachement suffisant avec la société dans laquelle ils exercent une activité sans y résider, peut être objectivement justifiée. En ce qui concerne, en particulier, l’octroi d’une aide financière de l’État pour études supérieures aux enfants non-résidents de travailleurs migrants et frontaliers, la Cour a indiqué que l’occupation d’un emploi par les parents de l’étudiant concerné, depuis une durée significative dans l’État membre dispensateur de l’aide sollicitée, pouvait être appropriée pour démontrer le degré réel de rattachement à la société ou au marché du travail de cet État (arrêt de la CJUE du 10 juillet 2019, cause 410/18, points 32 à 35).

3.7 Le Tribunal fédéral a confirmé, dans un cas genevois, que l'ALCP n'avait pas pour but de permettre aux ressortissants de pays membres domiciliés dans d'autres pays membres de bénéficier des doubles avantages de leur pays d'origine et de leur pays de résidence. Ainsi dans l'arrêt 2C_820/2018 du 11 juin 2019, concernant la prise en charge de frais découlant de l'enseignement spécialisé en Suisse pour un enfant suisse d’un travailleur frontalier, le Tribunal fédéral a considéré que cette prise en charge ne se justifiait pas tant que l'enfant était domicilié en France. L’art. 3 § 6 Annexe I ALCP qui évoquait une condition de résidence, constituait en quelque sorte une réserve par rapport au principe général de non-discrimination de l’art. 2 ALCP.

Dans un récent arrêt, la Cour cantonale vaudoise a rejeté le recours d’un ressortissant suisse domicilié en France qui demandait une bourse en Suisse pour un préapprentissage en Suisse. La demande de bourse avait été refusée en France, qui n’accordait pas de bourse pour des formations de préapprentissage. Le commentaire soulignait que, conformément aux accords bilatéraux, les salariés suisses résidant dans l'UE/AELE et leurs enfants avaient droit aux mêmes prestations que les ressortissants de ces pays. En d'autres termes, les autorités des pays membres étaient compétentes pour traiter les demandes des ressortissants d'autres pays membres domiciliés sur leur territoire. Par conséquent, la Suisse, respectivement les cantons, n’étaient pas obligés d'accorder des allocations de formation aux personnes sous la juridiction d'un État membre de l'UE ou de l'AELE. Le commentaire mentionnait expressément le cas de la France qui ne connaissait pas le système d'allocations pour des études suivies à l'étranger. Dans ce cas, les familles suisses vivant dans l’UE/AELE ne pouvaient pas faire valoir de droit à une allocation de formation de la part de la Suisse, ni de droit à une formation en Suisse (cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois, arrêt du 23 décembre 2024 BO.2024.0006).

3.8 En l’espèce, de nationalité française, domiciliée en France, au bénéfice d’un permis G et travailleuse indépendante en Suisse, l’intéressée entre dans le champ d’application personnel de l’ALCP.

Se pose la question de savoir si, conformément à la jurisprudence de la CJUE, la recourante peut être considérée comme une travailleuse au sens de l’art. 9 Annexe I ALCP et bénéficier ainsi des droits sociaux y relatifs dès lors qu’elle a exercé une activité lucrative avant d’entreprendre une formation. Tel serait le cas s’il existait une continuité entre son activité lucrative antérieure et la formation entreprise. Or, il ressort de son curriculum vitae que son parcours professionnel s’est déroulé dans le marketing et la communication. Sa dernière activité consistait, depuis juin 2017, en responsable d’une agence de communication, spécialisée en création de contenus et en marketing digital. Le même document précise que la dernière formation entreprise datait de 2016 et portait sur le marketing. À compter de 2024, elle avait entrepris un baccalauréat en enseignement primaire à la HEP Lausanne. Force est dès lors de constater qu’il n’existe pas de continuité entre l’activité lucrative antérieure et la formation entreprise. La recourante ne remplit en conséquence pas les conditions pour être considérée comme une travailleuse au sens de l’art. 9 Annexe I ALCP et ne peut prétendre aux mêmes avantages sociaux que les nationaux.

Il n’est dès lors pas nécessaire de trancher la question de savoir si l’intéressée, en sa qualité de frontalière, remplissait la condition de contribuer de manière réelle au marché du travail. Même à devoir trancher la question, la réponse devrait être négative compte tenu du montant de son bénéfice net de CHF 29'114.- en 2022 et CHF 24'924.- en 2023 et le fait qu’elle a été déclarée non taxable par l’AFC de 2020 à 2023. Ce faisant, au sens de la jurisprudence précitée, il ne pourrait pas être considéré que l’intéressée a contribué au financement des politiques sociales de l’État membre d’accueil avec les contributions fiscales et sociales qu’elle y a payées, en vertu de l’activité qu’elle y a exercé. La restriction à l’octroi à la recourante, frontalière, indépendante, d’avantages sociaux au sens de l’art. 7 § 2 du règlement européen serait objectivement justifiée, en l’absence d’un rattachement suffisant avec la société dans laquelle elle a exercé une activité sans y résider. Enfin, les allégations relatives à ses revenus sans la pandémie de Covid-19 ou aux difficultés financières de certains clients ne sont qu’hypothétiques et ne peuvent, par voie de conséquence, être prises en considération.

Même à considérer que la problématique doive être abordée sous l’angle d’une personne sans activité lucrative, la solution ne serait pas différente en application de l’art. 24 § 4 Annexe I ALPC qui précise que l’ALCP ne règle pas la question de l’aide accordée aux étudiants pour leur entretien. L’intéressée ne pourrait dès lors en déduire de droit à l’obtention de la bourse.

Domiciliée en France, la recourante doit examiner s’il existe la possibilité qu’une aide à la formation lui soit octroyée dans son pays de domicile. Elle indique avoir essuyé des refus de plusieurs fondations, mais ne fait pas mention d’un refus des autorités françaises.

C’est en conséquence conformément au droit que le SBPE a rejeté la demande de bourse de la recourante.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA et 11 de la loi sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours reçu le 15 avril 2025 par A______ contre la décision du service des bourses et prêts d'études du 11 mars 2025 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Patrick CHENAUX, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :