Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/569/2025 du 20.05.2025 sur JTAPI/675/2024 ( LCI ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2391/2023-LCI ATA/569/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 20 mai 2025 3ème section |
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dans la cause
A______
B______ et C______
D______ et E______ recourants
représentés par Me Paul HANNA et Giulia PIERMARTIRI, avocats
contre
HOSPICE GÉNÉRAL
représenté par Me Bertrand REICH, avocat
et
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
et
ÉTAT DE GENÈVE intimés
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juillet 2024 (JTAPI/675/2024)
A. a. L’État de Genève est propriétaire des parcelles adjacentes nos 5'587 et 5'588 de la commune de F______, d’une surface respective de 46'902 m2 et 15'621 m². Elles sont situées aux adresses 1______, 2______, 3______, 4______ et 5______, chemin G______ et entourées par l’avenue H______ et le chemin I______.
Ces deux parcelles sont colloquées en zone de développement 3 destinée à des équipements publics et à une zone de verdure depuis l’adoption de la loi modifiant le régime des zones de construction sur le territoire de la Ville de Genève (ci-après : la ville), section F______, du 18 décembre 1987, approuvant le plan no 6______ du 3 avril 1987.
Elles accueillaient divers bâtiments, notamment le collège et école de commerce J______ (ci-après : CEC J______) et des hébergements dévolus à l’accueil de réfugiés. Elles ne font l’objet d’aucun plan localisé de quartier (ci‑ après : PLQ).
b. A______ est propriétaire de la parcelle no 5 au 7______ chemin K______ ; elle est domiciliée 8______ chemin L______. B______ et C______ ainsi que E______ sont copropriétaires de la parcelle no 2'212 au 9______ chemin G______. D______ est domiciliée à cette adresse.
B. a. Le 29 novembre 2017, une demande de renseignements (DR 10______) relative à la construction de logements d’utilité publique, d’un centre d’accueil, de surfaces d’activités et de commerces ainsi que d’un parking souterrain de deux niveaux avec abattage d’arbres sur les parcelles nos 5'587 et 5'588 a été déposée par la fondation pour la promotion du logement bon marché. Cette requête a été acceptée par le département du territoire (ci-après : le département) le 5 juin 2018.
b. Le 6 janvier 2020, le département a autorisé la démolition des constructions (centre d’hébergement pour 350 personnes) se trouvant sur les parcelles nos 5'587 et 5'588 ainsi que l’abattage d’arbres (M 11______).
Le recours interjeté contre cette décision a été rejeté par jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) du 11 mai 2022 (JTAPI/488/2022) désormais entré en force. Le 4 janvier 2022, le département a prolongé la validité de l’autorisation jusqu’au 6 janvier 2023 et les bâtiments ont été détruits depuis lors et les arbres abattus.
c. Un projet de loi du Conseil d’État modifiant les limites de zones sur le territoire de la ville section F______, en vue de la création d’une zone de développement 3 à l’angle de l’avenue H______ et du chemin G______ (PL 12______) a été déposé le 6 juillet 2020 auprès du secrétariat du Grand Conseil.
À teneur du rapport de la commission d’aménagement cantonale du 21 mars 2022, le projet de modification de la zone concernée, composée des parcelles nos 5'587, 5'588, 4'785 et 5'281, avait notamment pour but de supprimer l’affectation complémentaire des deux premières parcelles qui restreignait leur usage à des équipements publics, afin de les transformer en zone de développement 3 standard, en vue d’y ériger un nouveau centre d’accueil ainsi que des immeubles d’environ 120 logements avec activités au rez et de supprimer les 160 places de parking existantes en surface au profit d’un parking en sous-sol pour les futurs habitants.
d. Un projet de mutation parcellaire provisoire no 47/2022 a été établi le 17 novembre 2022, prévoyant la division des parcelles nos 5'587 et 5'588 en quatre parcelles.
e. Par requête du 22 décembre 2022, enregistrée sous DD 13______ par le département, l’Hospice général (ci-après : l’hospice) a sollicité auprès du département la délivrance d’une autorisation de construire en vue de réaliser un centre d’hébergement pour requérants d’asile avec des surfaces d’activités composé de six bâtiments accolés, pour une surface brute de plancher de 10'050 m2 sur les parcelles nos 5'587 et 5'588.
À teneur du dossier de demande, le centre d’hébergement, composé de plusieurs bâtiments (désignés par les lettres G à L sur les plans), est prévu entièrement sur la parcelle no 5'587. La demande mentionne une mutation parcellaire en cours. Le gabarit des bâtiments varie entre rez-de-chaussée plus trois étages (ci-après : R+3) à R+6, les bâtiments les plus bas étant situés près du chemin G______ (bâtiment G et K). La capacité d’hébergement prévue est de 340 personnes. Les formulaires B04 « formulaire bâtiment – construction neuve », relatifs aux bâtiments G, H, I et J, faisaient état de la réalisation de respectivement seize logements pour les bâtiments G et H, 25 logements pour le bâtiment I et 23 logements pour le bâtiment J, étant précisé que lesdits formulaires indiquaient qu’il ne s’agissait pas d’installations provisoires.
Un droit de superficie distinct et permanent serait constitué par l’État de Genève en faveur de l’hospice.
f. Dans le cadre de l’instruction de cette requête, tous les préavis ont été favorables, avec ou sans conditions.
- le 16 février 2023, notamment, l’office de l’urbanisme (ci-après : OU) a émis un préavis favorable avec dérogations, sous conditions, notamment du dépôt de requêtes complémentaires pour les aménagements des espaces extérieurs non directement liés au bâtiment, et avec souhaits, notamment de revoir la localisation des places de stationnement pour les vélos ; une dérogation était octroyée, en application de l’art. 2 al. 2 let. b de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) permettant de renoncer à l’établissement d’un PLQ dans les périmètres en zone de développement affectées à de l’équipement public ; la rubrique « Remarques » précisait notamment que : les gabarits prévus étaient conformes à la zone de développement 3 ; l’aménagement des espaces extérieurs non compris dans les limites parcellaires proposées faisait l’objet de discussions, au terme desquelles ces espaces devraient faire l’objet de requêtes complémentaires ;
- le 19 mai 2023, la direction des autorisations de construire a rendu un préavis favorable, dont la rubrique « dérogations » mentionnait les art. 2 al. 2 LGZD et 11 al. 5 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), étant précisé que le gabarit de l’acrotère était, au vu du plan de coupe B‑B, dépassé ; au titre de condition, il était précisé que les verres équipés d’un dispositif permettant de respecter les 4 m de vue droite selon les art. 47 et 48 LCI devraient être fixes et translucides ;
- le 17 février et le 6 juin 2023, l’office cantonal des transports s’est prononcé favorablement avec dérogations selon l’art. 8 al. 2 let. a du règlement relatif aux places de stationnement sur fonds privés du 17 mai 2023 (RPSFP - L 5 05.10 - pas d’obligation de créer des places pour les voitures) ; selon l’affectation spéciale d’un centre pour migrants, vu le caractère temporel, soit des séjours de courte durée, et le fait que les locataires ne possédaient pas de véhicules, les normes se rapprochant le plus étaient celles applicables aux logements pour étudiants et aux auberges de jeunesse, adaptées en fonction des cas ; était notamment posée au titre de condition la mention de la place « livraison » ;
- le 20 février 2023 l’office cantonal des bâtiments (ci-après : OCBA) a préavisé favorablement, sous condition que les aspects fonciers soient réglés avant le début des travaux ;
- le 2 mars 2023, la ville a requis la modification du projet s’agissant des aménagements extérieurs, de la gestion des déchets et de l’assainissement, tout en précisant qu’elle était, pour le surplus, favorable au projet ; devait notamment être repensée la position des stationnements vélos extérieurs, certains étant situés juste devant les façades vitrées et devant les accès aux locaux à vélos, ce qui n’était pas admissible ; une version du futur plan d’aménagement paysager (ci-après : PAP) avec l’école démolie devait être transmise ; le 8 juin 2023, la ville a émis un préavis favorable sous conditions, notamment un espace de 50 cm (ou au strict minimum 45 cm) ‑ au lieu des 40 cm actuellement prévus, trop étroits ‑ entre les places de stationnement pour vélos ;
- le 15 mars 2023, l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci‑après : OCAN) a requis la production de pièces complémentaires et la modification du projet ; le nouveau PAP devrait intégrer les projets connexes, notamment l’image directrice pour la requalification du parc adjacent et le contexte plus global, et surtout apporter plus de qualités paysagères ; quant aux modifications demandées, le couvert à vélos représenté sur le plan se situait en dehors du périmètre du projet et en zone de verdure ; il se situait également dans un espace initialement appelé à devenir végétalisé et accessible au public, en lien avec le parc J______ ; dès lors, ce couvert devait trouver un autre emplacement dans le périmètre du projet ; le 7 juin 2023, cet office a émis un préavis favorable sous conditions en lien avec la protection de la faune, de la flore et du paysage, aucune d’elles ne concernant les emplacements destinés aux vélos ;
- le 8 juin 2023, la commission d’architecture (ci-après : CA) a préavisé favorablement le projet sous conditions en lien avec les teintes des matériaux à utiliser ;
- au cours de cette instruction, l’hospice a rappelé au département les étapes prévues pour le quartier : la DR no 10______ du 29 novembre 2017, la démolition du centre d’hébergement (M 11______) puis la construction du nouveau centre d’hébergement (DD 13______) en instruction et la phase 3, soit le futur PLQ, situé sur le reste des parcelles prévoyant les bâtiments désignés par A à F sur les plans avec un parking souterrain.
g. Par arrêté du 14 juin 2023, le département, se référant notamment à la requête, à l’art. 2 al. 2 let. c LGZD (qui permet de renoncer à l’établissement d’un PLQ pour des projets situés dans les quartiers de développement déjà fortement urbanisés) ainsi qu’aux préavis favorables de la ville du 8 juin 2023 et de l’OU du 16 février 2023, a renoncé à l’établissement d’un PLQ (art. 1) et autorisé l’application des normes de la 3e zone au bâtiment à construire selon la DD 13______ (art. 2), tout en réservant les conditions particulières de l’autorisation de construire y relative (art. 3).
h. Par décision du 14 juin 2023, déclarée exécutoire nonobstant recours « au vu de la situation d’urgence », se référant à la version du projet n° 2 du 1er mai 2023, à diverses dispositions légales, notamment les art. 2 al. 2 let. b LGZD et 11 al. 5 LCI, à l’arrêté départemental du 14 juin 2023 et au projet de mutation parcellaire provisoire n° 47/2022, le département a délivré l’autorisation de construire DD 13______.
Les conditions figurant notamment dans les préavis de la ville du 8 juin 2023, de l’OCBA du 20 février 2023, de l’OU du 16 février 2023 et de la CA du 8 juin 2023 devaient être strictement respectées et faisaient partie de l’autorisation, étant précisé que les réserves figurant sur celle-ci primaient sur les plans visés ne varietur. Le plan et l’acte de constitution de servitude de distance et vues droites sur la future parcelle n° 5'925 devraient lui parvenir avant l’ouverture du chantier. Les verres équipés d’un dispositif « permettant pas de respecter » les 4 m de vue droite selon les art. 47 et 48 LCI devraient être fixes et translucides.
C. a. Par acte du 14 juillet 2023, A______, B______ et C______, D______ et E______ ainsi que 26 personnes propriétaires et/ou habitants de parcelles situées dans les environs du projet et une association de propriétaires, tous représentés par un mandataire commun, ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) contre l’arrêté du département du 14 juin 2023 et l’autorisation de construire du même jour, concluant au préalable à la restitution de l’effet suspensif au recours et principalement à l’annulation de l’arrêté et de la décision.
Ils ont invoqué plusieurs griefs qui ne sont plus litigieux ainsi qu’une violation de l’art. 2 al. 2 LGZD. Le fait que l’autorisation de construire litigieuse fasse état d’une dérogation fondée sur l’art. 2 al. 2 let. b LGZD alors que l’arrêté querellé se fondait sur l’art. 2 al. 2 let. c LGZD justifiait l’annulation de cet arrêté. Le quartier n’était pas fortement urbanisé, l’autre côté du chemin G______ étant notamment affecté à la zone villas.
Le centre d’hébergement projeté comprenait près de 80 logements, alors que les parcelles concernées étaient situées en zone de développement destinée à l’équipement public et ne pouvaient accueillir ce type de constructions. Le projet litigieux n’était pas conforme à l’affectation de la zone.
Les couverts à vélos étaient prévus en zone de verdure, en violation de l’art. 24 al. 1 et 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) et alors même que le département s’était engagé à remettre en conformité et à restaurer cette zone de verdure.
b. Après un échange d’écritures sur effet suspensif, le TAPI a restitué celui-ci au recours par décision du 16 août 2023 (DITAI/364/2023).
Après avoir ordonné un double échange d’écritures, le TAPI a procédé à une audience de comparution des parties le 29 février 2024, lors de laquelle, le département a confirmé que la dérogation accordée était celle visée par l'art. 2 al. 2 let. b LGZD. L'arrêté querellé comportait une erreur de plume, même s'il n'était pas exclu qu'une dérogation selon l'art. 2 al. 2 let. c LGZD puisse également être accordée. Il n'était pas opposé à rendre un nouvel arrêté remplaçant le premier, étant précisé que le TAPI était également compétent pour procéder à cette modification. Les aménagements extérieurs autorisés faisaient partie de l'autorisation querellée. L'OCAN avait d'ailleurs été très précis à ce sujet et la question d'un éventuel développement de ces aménagements paysagers était prématurée. Le département a confirmé que des équipements publics pouvaient être présents en zone de développement 3, notamment pour assurer la mixité d'un quartier. En cas d’adoption du PL 12______ prévoyant une zone de développement 3, la présence d'un équipement public serait donc conforme à la zone.
L’hospice a confirmé que les logements prévus dans les bâtiments G et J répondaient aux normes du règlement d'exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 24 août 1992 (RGL - I 4 05.01), alors que les autres locaux présentaient les caractéristiques de logements collectifs. Les locaux du rez du bâtiment G ne seraient pas des locaux commerciaux, comme indiqué de manière erronée sur les plans, mais seraient dévolus à des activités en lien avec le centre d'hébergement. Trois appartements destinés aux personnes à mobilité réduite étaient situés au rez-de-chaussée, principalement voué aux activités collectives, infirmerie, administration, salle du personnel, salles d’activité, etc. Aucune place de stationnement n’était prévue hormis une place de livraison.
c. Après un autre échange d’écritures, le TAPI a rejeté le recours par jugement du 3 juillet 2024, donnant acte au département de ce que l’arrêté du 14 juin 2023 se référait à l’art. 2 al. 2 let. b LGZD et non à l’art. 2 al. 2 let. c LGZD.
Concernant les points toujours litigieux, il a retenu que, les constructions autorisées devant être affectées à des équipements publics s’agissant d’un centre d’hébergement pour requérants d’asile, il avait été valablement renoncé à l'établissement d'un PLQ en application de l'art. 2 al. 2 let. b LGZD, étant précisé que la mention erronée de la let. c de cette disposition dans l'arrêté du département du 14 juin 2023 relevait d'une erreur, clarifiée en cours de procédure.
Le préavis de l'OU du 16 février 2023 imposait, au titre de condition, le dépôt d'une requête complémentaire pour les aménagements des espaces extérieurs non directement liés au bâtiment autorisé, notamment les aménagements pour vélos liés au CEC J______ voisin, que cette requête soit déposée par l'hospice lui‑même ou par le département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP).
D. a. Le 6 septembre 2024, A______, B______ et C______, D______ et E______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant, préalablement à la restitution de l’effet suspensif et principalement à son annulation ainsi qu’à celle de l’autorisation de construire DD 13______ du 14 juin 2023 et de l’arrêté du département du 14 juin 2023.
Le TAPI avait constaté les faits de manière inexacte. Plusieurs éléments avaient été omis, tels que la valeur patrimoniale de bâtiments sis à proximité du projet, la zone d’affectation des parcelles concernées, un projet de modification de zone pour le périmètre concerné, le détail des étapes du projet litigieux et des précisions sur la typologie intérieure des bâtiments projetés.
Le TAPI aurait dû instruire la durée de séjour des requérants d’asile dans les logements indépendants ainsi que la nature des activités qui seraient déployées dans les locaux que certaines pièces du dossier définissaient comme surfaces commerciales.
L’art. 2 al. 2 LGZD avait été violé, le projet n’étant pas conforme à l’affectation d’équipement public et ne pouvant bénéficier de la dérogation à l’obligation d’établir un PLQ prévue à l’art. 2 al. 2 let. b LGZD.
Le TAPI avait violé le principe de la légalité, aucune base légale ne lui conférant la compétence de modifier l’arrêté du département.
L’art. 24 LaLAT avait été violé dans la mesure où l’examen de la conformité au droit de l’emplacement pour vélos du CEC J______ ne serait effectué que lors du dépôt d’une requête complémentaire.
b. Le 12 septembre 2024, le département s’en est rapporté à justice sur la question de la restitution de l’effet suspensif. L’État de Genève, représenté par l’OCBA, a fait siennes les déterminations du département.
c. L’hospice s’est déterminé le 26 septembre 2024, concluant au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif au recours.
d. Sur le fond, le 10 octobre 2024, le département a conclu au rejet du recours et répondu point par point aux griefs soulevés.
e. Le 11 octobre 2024, l’hospice a conclu au rejet du recours et à la constatation de l’absence de qualité pour recourir de A______. Son argumentation reprenait pour l’essentiel celle du jugement du TAPI.
f. Le 16 octobre 2024 et le 19 novembre 2024, les recourants ont répliqué, persistant dans leurs conclusions.
g. Par décision du 6 décembre 2024, la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours (ATA/1428/2024).
h. La cause a ensuite été gardée à juger.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a, 63 al. 1 let. b et 17 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
Bien que l’hospice soutienne que A______ ne disposerait pas de la qualité pour recourir, il s’avère qu’elle est propriétaire d’une parcelle sise en face du projet. À ce titre, et même si elle n’est pas domiciliée à cette adresse, sa qualité pour recourir devrait en principe être admise en application de la jurisprudence rendue en la matière.
Quoiqu’il en soit, la question peut souffrir de rester indécise, la qualité pour recourir des autres recourants, tous voisins du projet de construction, n’étant à juste titre pas remise en cause.
Le recours est donc recevable.
2. Le litige porte sur la conformité au droit de l’autorisation de construire un centre d’hébergement pour requérants d’asile selon la DD 13______ délivrée le 14 juin 2023.
2.1 Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).
2.2 Le droit d’être entendu au sens de l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) implique pour l’autorité l’obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit qu’elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de sa portée et l’attaquer en connaissance de cause (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; 143 III 65 consid. 5.2). L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2 ; 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 83 consid. 4. 1). Elle ne doit pas se prononcer sur tous les arguments (arrêt du Tribunal fédéral 2C_286/2022 du 6 octobre 2022 consid. 6.3 et les arrêts cités). La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_586/2021 du 20 avril 2022 consid. 2.1).
2.3 En l’espèce, l’acte de recours contient de nombreuses considérations qui ne concernent pas directement l’autorisation de construire litigieuse mais d’autres projets d’aménagement du quartier (PLQ sur la parcelle voisine, projet de loi de modification de zones notamment). Ces éléments ne seront pas examinés dans la mesure où ils sont exorbitants au litige.
3. Les recourants invoquent une constatation inexacte des faits.
3.1 La valeur « intéressante » attribuée dans le cadre du recensement architectural à certains bâtiments sis à proximité du projet n’aurait pas été prise en compte par le TAPI. Or le TAPI l’a mentionnée dans son jugement et il a pris position à cet égard, relevant que l’autorisation litigieuse ne concernait pas les bâtiments mentionnés (ch. 11 en fait et 23 en droit du jugement du TAPI). Ce grief tombe donc à faux.
Il en va de même de la prétendue absence de précision de la zone d’affectation des parcelles concernées par le projet, mentionnée au ch. 1 de la partie en fait du jugement du TAPI, ou de la mention d’une modification de zone en projet dans le périmètre voisin, laquelle ressort également des faits retenus par le TAPI au ch. 4 de son jugement.
Toutes les critiques émises par les recourants au sujet de l’établissement des faits, concernent soit des faits effectivement relevés par le TAPI, comme ceux vu ci‑dessus, ou des éléments qui ne concernent pas le projet litigieux, comme par exemple l’évolution prévue du quartier en lien avec le PLQ prévoyant la construction de logements avec un parking souterrain ou encore les travaux concernant le CEC J______. Les recourants n’indiquent pas de quelle manière ces éléments de fait seraient susceptibles d’influer sur la résolution de la question litigieuse, soit la conformité au droit de l’autorisation de construire délivrée.
En conséquence, le grief de constatation inexacte des faits sera écarté.
4. Les recourants invoquent une violation des art. 2 al. 2 et 5 al. 2 LGZD. Le projet porterait sur des logements et non sur un équipement public. Il ne correspondrait ainsi pas à la zone d’affectation de la parcelle.
4.1 Aux termes de l’art. 2 al. 1 LGZD, la délivrance d’autorisations de construire selon les normes d’une zone de développement est subordonnée, sous réserve des demandes portant sur des objets de peu d’importance ou provisoires, à l’approbation préalable par le Conseil d’État d’un PLQ, assorti d’un règlement (let. a) et des conditions particulières applicables au projet (let. b).
Selon l’art. 2 al. 2 LGZD, en dérogation à l’al. 1, let. a LGZD, le Conseil d’État peut, après consultation du Conseil administratif ou du maire de la commune, renoncer à l’établissement d’un PLQ dans cinq hypothèses, notamment en zone de développement affectée à de l’équipement public (let. b).
Les constructions d’équipement public, sont définies comme des constructions, autres que du logement, nécessaires à la satisfaction des besoins d’équipement de l’État, des communes, d’établissements ou de fondations de droit public (art. 30A al. 1 LaLAT).
Le Tribunal fédéral a examiné la question de la relation existant entre un requérant d’asile et l’hospice général responsable du centre d’accueil dans lequel celui-ci était logé, en vue de déterminer l’application ou non droit du bail. Il est arrivé à la conclusion qu’en sa qualité d’établissement autonome de droit public chargé à Genève des tâches d’assistance qui incombaient au canton en vertu de la législation fédérale sur l’asile (art. 3 al. 3 de la loi sur l'Hospice général du 17 mars 2006 - LHG - J 4 07), l’hospice général devait disposer de locaux, en l’occurrence ceux du centre d’accueil, qui devaient être considérés, de ce fait, équivalents à ceux d’un hôpital, d’une école ou d’un service administratif servant à remplir une tâche publique. En conclusion, le droit du bail ne s’appliquait pas (arrêt du Tribunal fédéral 8C_826/2017 du 17 septembre 2018).
En outre, dans sa jurisprudence, la chambre de céans a précisé que les bâtiments destinés à abriter des centres de requérants d’asile répondent aux obligations en matière d’asile découlant du droit fédéral (ATA/1461/2017 du 31 octobre 2017 consid. 2). Elle a également retenu que la construction de logements provisoires pour requérants d’asile était possible en zone de développement destinée à de l’équipement public (ATA/367/2003 du 13 mai 2003). À cet égard, le caractère provisoire des constructions (prévues pour une dizaine d’années) n’a aucune incidence sur la qualification d’équipement public et les recourants n’apportent aucune justification qui permettrait de qualifier de logements les constructions qui ne seraient pas provisoires, comme en l’espèce, et d’équipement public celles qui le sont. Dans un autre arrêt, la chambre de céans a laissé ouverte la question de la qualification (ATA/1461/2017 précité).
La doctrine retient que la mise à disposition de logements pour des requérants d’asile, comme la construction de bâtiments pour personnes âgées (homes), constituait une tâche publique qui peut avoir lieu dans la zone destinée à la réalisation de tâches publiques (Jean-Baptiste ZUFFEREY/Jean-Michel BRAHIER, Les centres cantonaux pour requérants d’asile face au droit de la construction in : Droit de la construction 1/2014, p. 8 et les références citées).
Il convient enfin de relever que, dans le rapport relatif au projet de modification de la zone concernée en zone de développement 3 ordinaire (PL 12______-A), ajourné sine die sur demande du Conseil d’État le 22 septembre 2023, la majorité de la commission a notamment relevé qu’en cas de refus du projet de loi, la reconstruction du centre pour migrants pourrait de toute manière être réalisée, puisque sa destination était en conformité avec la zone d’affectation actuelle en équipement public (p. 3 du rapport de majorité).
4.2 S’agissant, comme en l’espèce, d’un centre d’hébergement collectif pour requérants d’asile, il s’agit de bâtiments qui, comme vu ci-dessus, doivent être qualifiés d’équipements publics conformes à la zone dans laquelle se situe la parcelle, soit une zone de développement 3 dévolue aux équipements publics. Cette conclusion reste identique même si la typologie des locaux pourrait permettre, dans l'hypothèse d'une disparition des besoins en matière d’hébergement des requérants d’asile, une utilisation pour des locaux d’habitation. En effet, d’une part, l’office cantonal du logement et de la planification foncière s’est déclaré non concerné par le projet le 16 mars 2023 ne s’agissant pas d’habitations et, d'autre part, une éventuelle modification d’affectation ou de destination devrait être sollicitée le cas échéant (art. 1 al. 1 let. b LCI).
S’agissant de la durée de séjour des requérants dans le centre d’hébergement, dont les recourants font grand cas, insistant sur l’absence d’informations à ce sujet dans le dossier, la chambre de céans peine à comprendre son importance dans le cadre du présent litige, les recourant ne donnant pas d’explication compréhensible à ce sujet, invoquant uniquement « une impossibilité d’adhérer à une durée prétendument limitée dont ils ignorent tout ». L’instruction demandée sur cette question n’apparaît donc pas pertinente et c’est à juste titre que le TAPI y a renoncé.
Quant aux « activités commerciales » qui seraient prévues en raison d’une mention faite sur les plans du projet, le doute a été levé, si besoin était, par l’audition de l’architecte du projet par le TAPI, lors de laquelle celle-ci a précisé que la mention « locaux commerciaux » visait à distinguer les locaux conçus pour des activités de ceux dévolus au logement des requérants. L’hospice a confirmé cette explication en audience et dans ses écritures, le projet prévoyant de nombreux locaux dédiés à des activités (administratives ou collectives), notamment ceux sis au rez-de-chaussée des bâtiments. Dans ce cas, la destination des locaux, malgré l’erreur de plume relevée, ne porte pas à confusion et aucun des locaux n’apparaît être à destination d’activités commerciales.
Le grief sera donc écarté.
5. Les recourants se prévalent de la mention de l’art. 2 al. 2 let. c LGZD dans la motivation de l’arrêté du département renonçant à l’établissement d’un PLQ et du fait que le TAPI n’aurait pas été compétent pour procéder à une substitution de la let. b de cette disposition en lieu et place de la let. c.
5.1 Contrairement à ce qu’affirment les recourants, le TAPI n’a pas opéré de substitution mais a donné acte au département, dans le dispositif du jugement, de sa volonté d’autoriser la renonciation à un PLQ sur la base de la let. b, la mention de la let. c relevant uniquement d’une erreur de plume.
La conclusion à laquelle est arrivée le TAPI ne peut qu’être suivie dans la mesure où notamment le préavis de l’OU se référait à la let. b, comme le faisait expressément l’autorisation de construire litigieuse. En outre, s’agissant d’une parcelle sise en zone de développement 3 destinée à l’équipement public, la dérogation était à l’évidence en lien avec une telle construction, laquelle avait pour vocation de remplacer l’ancien centre d’hébergement qui vient d’être détruit.
Finalement, faisant application du principe d’économie de procédure et de la jurisprudence en matière d’erreur de plume dépourvue de toute portée juridique (arrêt du Tribunal fédéral 2A.650/2004 du 23 juin 2025 consid. 3.2), le TAPI a évité de faire preuve de formalisme excessif en annulant l’arrêté pour la correction d’une erreur qui n’a pas eu pour effet d’empêcher les recourants de faire valoir leurs droits.
En conclusion sur ce point, le grief doit être écarté.
6. Les recourants invoquent enfin une violation de l’art. 24 LaLAT dans la mesure où, selon le TAPI, l’examen de la conformité au droit de l’emplacement pour vélos du CEC J______ devrait être effectué lors du dépôt d’une requête complémentaire.
6.1 L’art. 24 LaLAT prévoit que la zone de verdure comprend les terrains ouverts à l’usage public et destinés au délassement, ainsi que les cimetières (al. 1). Les constructions, installations et défrichements sont interdits s’ils ne servent l’aménagement de lieux de délassement de plein air, respectivement de cimetières (al. 2). Toutefois, si la destination principale est respectée, le département peut exceptionnellement, après consultation de la commission d’urbanisme autoriser des constructions d’utilité publique dont l’emplacement est imposé par leur destination, et des exploitations agricoles (al. 3).
6.2 Le grief des recourants est peu compréhensible dans la mesure où le projet ne prévoit des places pour vélos qu'aux alentours immédiats des bâtiments projetés, soit en dehors de la zone de verdure. Cela apparaît clairement sur l’extrait du plan cadastral visé ne varietur le 14 juin 2023 sur lequel figurent les places pour vélos projetées et la limite de la zone de verdure. Ainsi, s’il a été fait mention dans les préavis, notamment celui de l’OCAN, d’un emplacement pour vélos situé dans la zone de verdure, il s’agit de celui dédié aux utilisateurs du CEC J______ qui n’est donc pas en lien avec le projet autorisé. La réponse reste identique même si cet emplacement a été discuté par les parties ou instruit par le TAPI, et que cet emplacement résulte d'un PAP du 1er mai 2023, sur lequel figure également une école provisoire, puisqu’il n’a pas été autorisé par la décision faisant l'objet de la présente procédure, seule litigieuse.
6.3 C’est donc à juste titre que le TAPI a retenu dans son jugement que la conformité à la zone de verdure de cet emplacement pour vélos ne faisait pas partie du projet tel qu’autorisé et que la question de sa conformité au droit devrait être examinée dans le cadre d’une autre décision d’autorisation de construire ou d’une décision complémentaire, cas échéant.
En conséquence, le grief des recourants tombe à faux.
En tous points infondés, le recours doit être rejeté.
7. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge conjointe des recourants (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à l’hospice, qui dispose de son propre service juridique, conformément à la jurisprudence de la chambre de céans (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/1078/2024 du 10 septembre 2024 consid. 3).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 6 septembre 2024 par A______, B______ et C______, D______ et E______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juillet 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 1'000.- à la charge conjointe des recourants ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Mes Paul HANNA et Giulia PIERMARTIRI, avocats des recourants, à Me Bertand REICH, avocat de l'Hospice Général, à l'État de Genève, au département du territoire-oac ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. MICHEL
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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