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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/268/2025

ATA/432/2025 du 15.04.2025 ( FORMA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/268/2025-FORMA ATA/432/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 avril 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Aliénor WINIGER, avocate

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES intimé



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 2005, a requis une aide financière du service des bourses et prêts d'études (ci‑après : SBPE) pour l’année scolaire 2024-2025.

b. Statuant sur réclamation le 11 décembre 2024, le SBPE a confirmé son refus de prester. Les revenus du père de l’étudiante devaient être pris en compte dans le calcul du droit aux prestations, quand bien même celui-ci ne contribuait pas à son entretien. En tenant compte de ceux-ci, la situation financière de l’intéressée, qui ne présentait qu’un découvert de CHF 225.-, ne lui permettait pas d’accéder à une aide, qui n’était accordée qu’à partir d’un découvert de CHF 500.-.

B. a. Par acte expédié le 27 janvier 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision.

Sa mère avait requis, lorsqu’elle-même était âgée de 13 ans, une contribution d’entretien. Le tribunal compétent avait refusé de ratifier la convention d’entretien, au motif que la contribution portait atteinte au minimum vital du père. Ce dernier avait déménagé en France, de sorte qu’il serait difficile d’obtenir par les tribunaux français le prononcé d’une contribution d’entretien en sa faveur. Il ne pouvait donc être retenu que celui-ci contribuait à son entretien. Le SBPE avait d’ailleurs, par le passé, renoncé à tenir compte des revenus du père. Par ailleurs, le SBPE n’avait pas tenu compte du fait que son père devait contribuer à l’entretien de son fils mineur.

b. Le SBPE a maintenu sa décision en tant qu’elle tenait compte des revenus du père de l’étudiante. En revanche, il a admis qu’il devait procéder à un nouveau calcul qui tienne compte de l’obligation d’entretien du père de la recourante en faveur de son demi-frère mineur et des informations actualisées des revenus et de la fortune du père lorsque l’avis de taxation 2023 de celui-ci serait disponible.

c. Dans sa réplique, la recourante a fait valoir que le SBPE devait tenir compte de la contribution d’entretien due par son père à son demi-frère, qu’il ne s’agissait pas d’une faculté mais d’une obligation, sans qu’il faille requérir de sa part la production de la taxation 2023 de son père, que celui-ci ne lui donnerait jamais, son père et elle n’entretenant aucun contact. Elle persistait donc dans ses conclusions.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le SBPE a indiqué qu’il reprendrait ses calculs en tenant compte de l’obligation d’entretien du père de la recourante envers le demi-frère de celle-ci.

Comme le fait valoir la recourante, il s’agit en effet d’une obligation du SBPE, ce que celui-ci reconnaît d’ailleurs. Il lui appartiendra ainsi de procéder à un nouveau calcul qui tienne compte de l’obligation d’entretien du père en faveur du demi-frère mineur de la recourante. Le SBPE a indiqué qu’il avait accès aux données de l’administration fiscale cantonale. Il ne sera ainsi pas nécessaire à la recourante de réclamer ce document à son père.

3.             Reste litigieuse uniquement la question de savoir si les revenus du père de la recourante sont déterminants pour le calcul de son droit à des prestations.

3.1 Le financement de la formation incombe aux parents et aux personnes tierces qui y sont légalement tenus ainsi qu’à la personne en formation elle-même (art. 1 al. 2 LBPE). L’aide financière est subsidiaire (art. 1 al. 3 LBPE).

3.2 Si les revenus de la personne en formation, de ses parents (père et mère), de son conjoint ou sa conjointe ou sa ou son partenaire enregistré et des autres personnes qui sont tenues légalement au financement de la formation, ainsi que les prestations fournies par des personnes tierces ne suffisent pas à couvrir les frais de formation, le canton finance, sur demande, les besoins reconnus par le biais de bourses ou de prêts (art. 18 al. 1 LBPE).

Les frais reconnus engendrés par la formation et l'entretien de la personne en formation servent de base de calcul pour les aides financières. Le règlement peut prévoir des exceptions, notamment pour la formation professionnelle non universitaire (art. 19 al. 1 LBPE). Une aide financière est versée s'il existe un découvert entre les frais reconnus engendrés par la formation et l'entretien de la personne en formation et les revenus qui peuvent être pris en compte selon l'art. 18 al. 1 et 2 LBPE. Le découvert représente la différence négative entre les revenus de la personne en formation et des personnes légalement tenues de financer les frais de formation et les coûts d'entretien et de formation de ces mêmes personnes (art. 19 al. 2 LBPE). Le calcul du découvert est établi à partir du budget des parents ou des personnes légalement tenues au financement de la personne en formation. Ce budget tient compte des revenus et des charges minimales pour couvrir les besoins essentiels (art. 19 al. 3 LBPE). Pour le calcul du budget de la personne en formation, il est pris en compte le revenu réalisé durant la formation après déduction d'une franchise dont le montant est fixé par le règlement, la pension alimentaire et les rentes versées par les assurances sociales et la fortune déclarée (art. 19 al. 4 LBPE).

Le budget des parents ou des personnes légalement tenues au financement de la personne en formation sert à déterminer la situation financière de la personne en formation (art. 9 al. 1 du règlement d'application de la LBPE du 2 mai 2012 – RBPE - C 1 20.01). Si le budget présente un excédent de ressources, il est divisé par le nombre d'enfants et pris en considération dans le calcul du budget de la personne en formation (let. a) ; s'il présente un excédent de charges, il est divisé par le nombre de personnes qui composent la famille et considéré comme une charge dans le calcul du budget de la personne en formation (let. b ; art. 9 al. 4 RBPE).

3.3 Les père et mère contribuent ensemble, chacun selon ses facultés, à l'entretien convenable de l'enfant et assument en particulier les frais de sa prise en charge, de son éducation, de sa formation et des mesures prises pour le protéger (art. 276 al. 2 CC). L'entretien est assuré par les soins, l'éducation et des prestations pécuniaires (art. 276 al. 1 CC). Cette obligation dure jusqu'à la majorité de l'enfant (art. 277 al. 1 CC). La contribution d'entretien doit correspondre aux besoins de l'enfant ainsi qu'à la situation et aux ressources des père et mère ; il est tenu compte de la fortune et des revenus de l'enfant (art. 285 al. 1 CC). L'art. 287 al. 1 CC précise que les conventions relatives aux contributions d’entretien n’obligent l’enfant qu’après avoir été approuvées par l’autorité de protection de l’enfant.

3.4 Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 568).

Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1). Ce principe, qui ne peut avoir qu'une influence limitée par le principe de la légalité lorsqu'il entre en conflit avec ce dernier, suppose notamment que celui qui s'en prévaut ait, en se fondant sur les assurances ou le comportement de l'administration, pris des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_659/2013 du 4 novembre 2013 consid. 3.1).

3.5 En l'espèce, la recourante conteste la prise en compte de la situation financière de son père dans la détermination de son droit à une aide de l’intimée. Or, comme cela vient d’être exposé, même lorsque des conventions d'entretien conclues par les parents au bénéfice de leur enfant n'ont pas été approuvées par un juge ou une autorité de protection de l'enfant au sens du droit de la famille, il y a lieu de prendre en compte le revenu de chacun des parents pour déterminer le droit à des prestations du SBPE. En effet, l'enfant constitue une charge de famille commune aux deux parents, même si ceux-ci vivent séparés.

Cette approche trouve son assise en droit civil, qui prescrit une obligation d’entretien aux deux parents en faveur de leurs enfants. Elle est également reprise par la LBPE, qui impose, dans l’établissement de la situation de la bénéficiaire d’une aide étatique, d’intégrer les revenus des personnes légalement tenues à son entretien.

Par ailleurs, la recourante ne peut tirer aucun argument en sa faveur du fait que le SBPE n’a pas tenu compte dans ses précédentes décisions des revenus de son père. En effet, l’application erronée du droit ne confère aucun droit à ce que celle-ci soit perpétuée. La recourante ne soutient pas qu’elle aurait reçu des garanties à cet égard et aucun élément au dossier ne permet de retenir que le SBPE lui aurait assuré qu’il ne tiendrait pas compte des revenus de l’un de ses parents. La recourante ne peut donc être suivie en ce qu’elle souhaite que le SBPE continue à ne pas respecter le cadre légal en ne tenant pas compte des revenus de son père.

Enfin, il est relevé qu’en réduisant les revenus déterminants du père en prenant en compte son obligation d’entretien envers son fils mineur, il est hautement probable que le découvert de CHF 225.- de la recourante atteigne le montant de CHF 500.- qui lui permettrait d’accéder à une aide du SBPE.

Le recours sera donc admis en ce qui concerne la prise en compte de la contribution d’entretien en faveur du demi-frère de la recourante et rejeté pour le surplus.

4.             Vu l’issue du litige, il n’est pas perçu d’émolument et une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée à la recourante (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 janvier 2025 par A______ contre la décision du service des bourses et prêts d'études du 11 décembre 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision précitée et renvoie la cause au service des bourses et prêts d'études pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 800.- à A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Aliénor WINIGER, avocate de la recourante, ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le 

 

la greffière :