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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2537/2024

ATA/1287/2024 du 05.11.2024 ( PATIEN ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2537/2024-PATIEN ATA/1287/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Déborah GREAUME, avocate

contre

COMMISSION DE SURVEILLANCE DES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES PATIENTS

et

B______ intimés

 



EN FAIT

A. a. Le 20 février 2014, A______, né le ______ 1980, a consulté B______, médecin généraliste.

b. Par courrier du 9 août 2022, A______ a saisi la commission de surveillance des professions de la santé des droits des patients (ci-après : la commission). Il souhaitait leur faire part de l’erreur médicale dont il avait été victime. « À la lecture des différents documents médicaux que je vous ai fournis, vous pourrez constater l’ampleur des affections médicales dont j’ai été l’objet ; ainsi que, du fait de la non prise en charge correcte dès le début – ce qui a été constaté par le docteur [] C______ dans son courrier du 17 février 2022 – de l’aggravation de mon état général. Ceci jusqu’à ce que je sois enfin pris en charge convenablement grâce à une intervention chirurgicale réalisée aux Hôpitaux Universitaires de Genève [ci-après : HUG] ».

Plusieurs rapports médicaux étaient joints, dont un rapport de consultation du 11 février 2022 du Dr C______, spécialiste FMH en médecine physique et réadaptation ainsi qu’en médecine du sport. Il évoquait notamment le diagnostic d’une « atteinte radiculaire C5-C6 à D sur discopathie, déficitaire, sur trauma cervical en février 2014, avec chronicisation post-retard de prise en charge diagnostique et thérapeutique ».

La déclaration d’accident du 26 mai 2022 décrivait la consultation du 20 février 2014 et les conséquences d’une manipulation ostéopathique, douloureuse, immédiatement suivie de céphalées, effectuée par B______.

c. Le 11 août 2022, la commission a sollicité du patient qu’il lui apporte des précisions quant au professionnel concerné par sa plainte, l’erreur reprochée ainsi que la date de sa survenance.

d. Le 17 août 2023, une avocate s’est constituée auprès de la commission pour la défense des intérêts de A______. Son mandant avait déposé une plainte le 9 août 2022 et un complément le 27 octobre 2022. Elle souhaitait connaître l’état d’avancement du dossier et en obtenir copie.

e. Le 23 août 2023, la commission a transmis copie du dossier, précisant ne pas avoir reçu les écritures du 27 octobre 2022.

f. Par courrier du 19 octobre 2023, l’avocate a adressé à la commission, pour le compte de A______, les écritures complémentaires du patient datées du 27 octobre 2022.

g. Le 25 octobre 2023, la commission a informé l’intéressé que l’affaire serait prochainement soumise au bureau de la commission pour examen préalable.

h. Par pli du 20 décembre 2023, la commission a informé le patient de l’ouverture d’une procédure administrative à l’encontre de B______. L’instruction était confiée à une sous-commission.

Le même jour, un délai au 5 février 2024 était fixé au praticien pour faire ses observations.

i. Par décision du 2 juillet 2024, la commission a constaté que la procédure ouverte à l’encontre de B______ était atteinte par la prescription absolue, et, partant, a décidé de la classer.

Le patient faisait grief au médecin d’avoir procédé à une mauvaise manipulation de ses cervicales lors de la consultation du 20 février 2014, laquelle serait à l’origine de la dégradation progressive de son état de santé.

La prescription de dix ans, non interruptible car absolue, avait commencé à courir le 20 février 2014, de sorte que la procédure était prescrite. Indépendamment de la date d’apparition de la pathologie, laquelle n’était au demeurant pas contestée, les documents médicaux ne permettaient pas de retenir que la manipulation faite par B______, en février 2014, était à l’origine des problèmes de santé dont souffrait A______.

B. a. Par acte du 2 août 2024, A______ a interjeté recours contre cette décision devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à son annulation, au constat que la procédure disciplinaire n’était pas prescrite, qu’un lien de causalité existait entre ses affections et la manipulation du 20 février 2014, ainsi qu’entre les affections dont il souffrait et l’absence de prise en charge correcte par B______ jusqu’au 25 septembre 2018, et au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre du médecin. Préalablement, l’apport de l’intégralité de son dossier devait être ordonné et une comparution personnelle des parties être fixée. L’audition des docteurs C______ et D______ devait être ordonnée.

Il détaillait le déroulement de la consultation du 20 février 2014 et les séquelles subies suite à la mauvaise manipulation. Il s’était régulièrement plaint, dès les jours qui avaient suivi, auprès du praticien, de fortes migraines. Une paresthésie totale de la partie droite du corps, une grave nécrose de la tête de l’humérus, deux hernies discales cervicales C5 à C7, une ablation d’un disque cervical, jusque-là parfaitement fonctionnel selon son chirurgien, s’étaient ajoutés aux migraines. Il avait continué de consulter B______ jusqu’en septembre 2018, date à laquelle il avait trouvé un autre praticien. Or, il avait régulièrement demandé à B______ de l’envoyer chez un spécialiste en neurologie afin de réparer ses cervicales qui, depuis la manipulation, lui faisaient « un mal de chien en plus des migraines ».

Dans un premier grief, le recourant contestait que la procédure disciplinaire soit prescrite. Le médecin avait effectué une mauvaise manipulation de ses cervicales le 20 février 2014, lors de sa première consultation. Il avait, par la suite, maintenu son patient dans l’ignorance en ne demandant pas des examens cliniques aptes à déterminer les circonstances d’apparition de ses douleurs, le ou les diagnostics ni les soins adaptés. La situation créée à la suite de la manipulation du 20 février 2014 ne s’était achevée du point de vue de la prescription qu’avec la fin du suivi le 25 septembre 2018.

De surcroît, il avait saisi la commission le 9 août 2022. Elle avait ouvert une procédure administrative le 20 décembre 2023. Le praticien a fait ses observations le 9 janvier 2024. La commission aurait été en mesure de rendre une décision avant le 20 février 2024, ce qu’elle n’avait pas fait.

À tort, la commission n’avait pas traité le second grief qu’il avait invoqué, soit la non prise en charge correcte entre le 20 février 2014 et le 25 septembre 2018. Cette non prise en charge correcte était confirmée sous la rubrique diagnostics dans les courriers du Dr C______ des 17 février 2022 et 15 juillet 2024.

Dans un second grief, le recourant reprochait à la commission d’avoir constaté les faits de façon manifestement inexacte et incomplète. L’existence du rendez-vous du 20 février 2014 et des manipulations reprochées ressortaient du dossier. C’était à tort que la commission avait nié l’existence d’un lien de cause à effet entre ses pathologies, notamment cervicales, et la consultation de février 2014. Le Dr C______ avait posé le diagnostic d’une atteinte radiculaire C5-C6 à D sur discopathie, déficitaire, sur trauma cervical en février 2014, avec chronicisation post-retard de prise en charge diagnostique et thérapeutique. Il avait qualifié la relation entre le trauma et la symptomatologie de hautement vraisemblable, sous réserve que le patient soit sincère dans ses déclarations et que les symptômes soient apparus de manière brutale à la suite de la manipulation.

b. La commission a conclu au rejet du recours. Le recourant ne s’était jamais expressément prévalu, avant son recours devant la chambre administrative, de manquements dans la prise en charge du médecin postérieurement au 20 février 2014. Il ne pouvait en conséquence pas reprocher à la commission une constatation inexacte des faits et, par là même, essayer de contourner la problématique de la prescription absolue.

Contrairement à ce qu’affirmait le recourant, l’organisation de la commission ne lui permettait pas de prononcer une décision avant le 20 février 2024. Les observations du praticien ne lui étaient parvenues que le 29 janvier 2024. Compte tenu du renouvellement, au 1er février 2024, des membres des commissions officielles du canton de Genève, dont la commission, la séance plénière constitutive s’était tenue le 15 février 2024. La première séance de la sous-commission 3 s’était déroulée le 6 mars 2024.

c. B______ a conclu au rejet du recours. Il contestait avoir fait une manipulation vertébrale au patient. Une aggravation ayant eu lieu bien après la fin de son suivi, le reproche d’une mauvaise prise en charge était infondé. Plusieurs années séparaient la fin de son suivi et le début de suivis spécialisés qui avaient permis d’objectiver des lésions qui ne pouvaient pas être mises en lien avec une manipulation vertébrale inexistante et qui auraient eu lieu bien avant la symptomatologie. Les activités sportives violentes, telles que la boxe, expliquaient probablement l’aggravation de l’état de santé du patient. Le rapport neurologique évoquait d’autres causes aux céphalées. Selon le dossier des Hôpitaux universitaires de Genève, elles étaient présentes antérieurement à 2014. Enfin, le 14 janvier 2019, le docteur E______ avait réalisé un électroneuromyogramme qui s’était révélé normal.

d. Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses conclusions, rappelant avoir saisi la commission le 9 août 2022 en se plaignant de la non prise en charge correcte qui avait suivi la manipulation.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             En vertu de l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée en l’espèce.

3.             La prescription de la poursuite disciplinaire est une question que la chambre de céans examine d’office (ATA/1300/2021 du 30 novembre 2021 consid. 4).

3.1 Selon l’art. 46 de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (loi sur les professions médicales, LPMéd - RS 811.11), la poursuite disciplinaire se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle l’autorité de surveillance a eu connaissance des faits incriminés (al. 1). Tout acte d’instruction ou de procédure que l’autorité de surveillance, une autorité de poursuite pénale ou un tribunal opère en rapport avec les faits incriminés entraîne une interruption du délai de prescription (al. 2). La poursuite disciplinaire se prescrit dans tous les cas par dix ans à compter de la commission des faits incriminés (al. 3). Si la violation des devoirs professionnels constitue un acte réprimé par le droit pénal, le délai de prescription plus long prévu par le droit pénal s’applique (al. 4).

Il s’agit là d’un délai de prescription absolue. Le moment auquel l’auteur a exercé l’activité qui lui est reprochée détermine le point de départ de la prescription. Lorsque ce délai est atteint en cours de procédure, la prescription entraîne l’extinction de la poursuite (Yves DONZALLAZ, Traité de droit médical, vol. II, 2021, n. 5824 et 5831, p. 2783 ss).

Le délai absolu ne peut pas être interrompu (arrêt du Tribunal fédéral du 8 décembre 2021 2C_907/2021 consid. 5 ; Yves DONZALLAZ, op. cit., 2021, n. 5825, p. 2784).

3.2 Est litigieux le dies a quo du délai de prescription.

Il n’est pas contesté que le délai de prescription absolue est atteint pour les faits qui se seraient déroulés le 20 février 2014.

Seul reste litigieux le grief d’une « non prise en charge correcte dès le début », que le recourant situe entre le 20 février 2014 et le 25 septembre 2018.

La commission a relevé qu’elle n’avait pas été saisie de cette problématique. Il ressort cependant de la plainte initiale du patient qu’il se plaignait de l’« ampleur des affections médicales dont [il avait été] l’objet ; ainsi que de la non prise en charge correcte dès le début – ce qui a[vait] été constaté par le Dr C______ dans son courrier du 17 février 2022 – de l’aggravation de [s]on état général. Ceci jusqu’à ce qu’[il] soi[t] enfin pris en charge convenablement grâce à une intervention chirurgicale réalisée aux HUG ».

Le Dr C______ fait mention dans son rapport de consultation du 17 février 2022, sous diagnostic, d’une « atteinte radiculaire C5-C6 à D sur discopathie, déficitaire, sur trauma cervical en février 2014 avec chronicisation post-retard de prise en charge diagnostique et thérapeutique ».

Dans ces conditions, c’est à tort que la commission a considéré que le recourant ne s’était pas plaint de manquements en lien avec la prise en charge du médecin, postérieurement au 20 février 2014. La commission ne conteste pas ne pas avoir examiné cette problématique, laquelle peut être pertinente dans l’analyse du dies a quo de la prescription. L’analyse à laquelle la commission a procédé dans sa décision porte sur le lien de causalité entre les migraines, la parésie de la partie droite du corps ainsi que l’hernie discale cervicale et des autres pathologies avec la manipulation qu’aurait effectuée B______ en février 2014 et non sur la qualité du suivi du praticien.

Le recours sera en conséquence partiellement admis, et la cause sera retournée à la commission pour instruction complémentaire sur le second grief fait au praticien et nouvelle décision.

4.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de CHF 800.- sera allouée au recourant qui y a conclu, à la charge de la commission (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 août 2024 par A______ contre la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 2 juillet 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 2 juillet 2024 ;

renvoie le dossier à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients pour instruction et nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 800.- à la charge de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Déborah GREAUME, avocate du recourant, à B______ ainsi qu’à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :