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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1431/2024

ATA/1187/2024 du 09.10.2024 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1431/2024-EXPLOI ATA/1187/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 octobre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______SA recourante
représentée par Me Marco CRISANTE, avocat

contre

DIRECTION DE LA POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimée



EN FAIT

A. a. A______SA (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 5 mars 2008, a pour but l’exploitation d’une entreprise de nettoyage, et également tous travaux de revêtement de sols en bois et moquettes et tous autres travaux d’entretien de bâtiments. Elle a pour administrateur président B______ et pour administrateur C______.

b. Par ordonnance pénale du 11 mai 2022, le Ministère public (ci-après : MP) a condamné B______ à une peine pécuniaire de 150 jours-amende à CHF 120.- assortie du sursis avec délai d’épreuve de trois ans pour violation de l’art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), pour avoir employé pour A______, entre le 1er octobre 2018 et le 9 novembre 2021, quatre étrangers dépourvus d’autorisation de travailler en Suisse. Le premier travailleur avait été employé durant trois ans et un mois, le second durant deux ans et deux mois, la troisième durant un an et un mois et le quatrième durant deux ans et trois mois.

c. Le 26 septembre 2022, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a informé A______de l’ouverture d’une procédure d’interdiction de marchés publics et de réduction des subventions.

d. Le 7 novembre 2022, A______a exposé que pour le quatrième employé elle avait déposé au mois de janvier 2020 une demande d’autorisation de séjour et de travail, que l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) avait autorisé à travailler durant la procédure le 24 mars 2022.

Pour le premier employé, qui avait commencé son activité en 2018, elle avait déposé au mois de mars 2021 une demande de permis F pour frontalier, qui n’avait jamais obtenu de réponse. Cette demande aurait certes dû être déposée avant la prise d’emploi.

La troisième employée avait entrepris des démarches pour obtenir une autorisation de séjour. Elle avait remis à A______SA à plusieurs reprises une attestation de domicile de l’OCPM faisant état de sa résidence à Genève et de ses démarches pour obtenir un permis. A______pensait de bonne foi qu’elle était autorisée à travailler durant la procédure.

Le cas du deuxième employé était similaire à celui de la troisième. Il avait entrepris des démarches et A______le pensait de bonne foi autorisé à travailler durant la procédure.

A______ n’avait entrepris aucune démarche pour le deuxième et la troisième employés, pensant de bonne foi qu’ils étaient autorisés à travailler. Pour le premier et le quatrième, elle avait fait preuve de laxisme en déposant une demande de permis F de manière tardive et en acceptant que le premier employé commence à travailler avant l’obtention d’une autorisation du moins provisoire. Le nécessaire avait été fait pour que cela ne se reproduise plus. Tous les employés avaient été assurés et payés conformément aux exigences légales. A______employait jusqu’à 60 personnes et respectait ses travailleurs. Une interdiction des marchés publics ou une réduction de ses subventions seraient disproportionnées.

e. Par décision du 12 mars 2024, le PCTN a exclu A______des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour une durée de 20 mois.

La condamnation pénale était définitive et exécutoire. La société avait employé du personnel sans autorisation pour une durée cumulée de 8 ans et 9 mois. Les faits présentaient une gravité certaine et la peine prononcée par le MP était lourde. Le fait que les cotisations sociales avaient été payées n’était pas pertinent. La durée de la sanction, fixée à 30 mois pour un maximum légal de 60 mois, était proportionnée.

B. a. Par acte remis au greffe le 29 avril 2024, A______a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. Subsidiairement, la durée de la mesure devait être ramenée à trois mois au plus.

Elle a repris l’argumentation déployée devant le PCTN.

Elle employait 170 travailleurs à Genève et Lausanne et soumissionnait régulièrement dans les marchés publics, qui représentaient environ 30% de son chiffre d’affaires.

Le quatrième employé était autorisé à travailler durant l’instruction de son dossier, ce qui ressortait du courriel de l’OCPM du 24 mars 2022, de sorte que c’était manifestement à tort qu’B______ avait été reconnu coupable en ce qui le concernait. Il avait renoncé à former opposition à l’ordonnance pénale, sachant que celle-ci n’aurait aucune conséquence sur son propre avenir et que le nécessaire serait fait au sein d’A______pour éviter que certaines erreurs commises ne se reproduisent. Il n’avait pas pris en compte les conséquences de l’ordonnance pénale pour A______.

Les faits avaient été constatés de manière incomplète et inexacte. Le caractère important ou répété du non-respect des obligations en matière d’annonce et d’autorisation était contesté et avait été retenu à tort. B______ n’avait subi qu’une condamnation pénale durant les 16 ans d’existence de sa société et n’avait jamais fait l’objet d’une sanction administrative. La condition de la répétition n’était ainsi pas réalisée. Les quatre employés bénéficiaient tous de contrats de travail écrits et jouissaient des mêmes bonnes conditions de travail que les 170 employés d’A______. On pouvait lui reprocher une négligence pour ne pas avoir vérifié auprès de l’OCPM si les deuxième et troisième employés avaient le droit de travailler durant la procédure. Elle avait agi de bonne foi et commis une erreur sur l’illégalité sans intention de violer la loi. Elle n’avait véritablement commis de faute que pour le premier employé, en omettant de demander un permis pour frontalier avant que celui-ci ne commence à travailler. La violation n’était ni importante ni grave.

Le principe de proportionnalité avait été violé. La durée de la mesure était en toute hypothèse disproportionnée compte tenu de la faute, de l’absence d’antécédents et de sa dépendance aux marchés publics pour 30% de son chiffre d’affaires.

b. Le 23 mai 2024, le PCTN a conclu au rejet du recours, se référant à sa décision.

Le courriel par lequel l’OCPM avait autorisé le quatrième employé à travailler était postérieur à la période pénale retenue par le MP, soit du 12 août 2019 au 9 novembre 2021.

c. Le 26 juin 2024, A______a persisté dans ses conclusions, sa conclusion subsidiaire étant toutefois modifiée, concluant à l’absence de toute sanction.

Le courriel de l’OCPM du 24 mars 2022 confirmait que le quatrième employé était autorisé à travailler durant l’instruction de son dossier. C’était donc manifestement à tort qu’B______ avait été condamné sur ce point.

Elle avait octroyé à ses employés de très bonnes conditions de travail et n’avait donc ni profité d’eux ni lésé leurs droits.

Son chiffre d’affaires relatif aux marchés publics pour les exercices 2022 et 2023 s’élevait à CHF 1'000'000.-. La mesure entraînait de graves conséquences financières, la suppression d’emplois n’étant manifestement pas à exclure.

Elle avait reçu le 2 mai 2024 un courrier de la D______ (ci-après : D______) l’informant que son nom était publié sur la liste des entreprises en infraction. Or, son recours avait effet suspensif et elle n’aurait jamais dû apparaître sur la liste. Elle avait demandé le 3 mai 2024 au PCTN de corriger son erreur, ce que celui-ci avait immédiatement fait en lui présentant ses excuses. L’erreur lui avait causé un préjudice important.

Le 21 mai 2024, elle avait reçu un appel de la société E______ SA lui indiquant qu’elle ne pouvait poursuivre sa collaboration avec elle dès lors qu’elle figurait sur la liste des entreprises en infraction. Elle avait dû lui transmettre le courrier d’excuses du PCTN, et l’office cantonal des bâtiments (ci-après : OCBA) avait indiqué le jour suivant au bureau d’architectes qu’il pouvait poursuivre sa collaboration et que l’entreprise ne figurait pas sur la liste.

Compte tenu de la faute grave commise par le PCTN, la durée de la sanction devait être réduite à néant en toute hypothèse.

d. Le 26 juin 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et pièces produits par les parties.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante conteste que les conditions permettant de l’exclure des marchés publics soient remplies.

2.1 Le 1er janvier 2008 est entrée en vigueur la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41).

2.2 Dans son message, le Conseil fédéral a relevé que le travail au noir devait être combattu pour des raisons économiques, sociales, juridiques et éthiques ; la lutte contre ce phénomène passait par une politique de répression ; il existait déjà de nombreux instruments législatifs susceptibles de favoriser cette lutte, mais il fallait les compléter avec la loi sur le travail au noir. Le projet de loi prévoyait une série de mesures pour accroître la répression trop lacunaire (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002, FF 2002 3371, p. 3372). L’emploi clandestin de travailleurs étrangers, en violation des dispositions du droit des étrangers, était une forme de travail au noir (FF 2002 3371, p. 3374).

Outre l’aggravation des sanctions pénales et administratives prévues par les diverses législations topiques, la LTN introduisait une nouvelle mesure répressive, tendant à l’exclusion des procédures d’adjudication des marchés publics (FF 2002 3371 p. 3403 et 3404).

2.3 Selon l’art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d’un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l’autorité cantonale compétente exclut l’employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l’employeur concerné.

Le message du Conseil fédéral relève à propos de cette disposition qu’il s’agit de pouvoir, en cas de violation grave des dispositions légales relatives au travail au noir, prononcer contre l’employeur une exclusion temporaire des procédures d’adjudication de marchés publics ; sont concernés les appels d’offres des collectivités publiques au sens strict, ainsi que ceux d’entreprises concessionnaires, telles que les CFF ou la Poste (FF 2002 3371, p. 3419). Il précise encore que la sanction porte exclusivement sur des adjudications à venir. Il ne serait pas possible (ni juridiquement ni pratiquement) de conférer un effet rétroactif à ce type de décision. Dès lors, tout marché attribué reste acquis à son adjudicataire (FF 2002 3371, p. 3420).

2.4 L’art. 13 al. 1 LTN prévoit trois conditions pour le prononcé d’une sanction d’exclusion des futurs marchés publics ou de diminution des aides financières : la condamnation entrée en force d’un employeur ; la cause de cette condamnation, qui doit se limiter au non-respect des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers ; et le caractère important ou répété du non-respect desdites obligations.

2.5 Le prononcé d’une condamnation pénale (y compris sous la forme d’une ordonnance pénale au sens des art. 352ss du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 - CPP - RS 312.0) est la condition nécessaire de la sanction prévue par l’art. 13 al. 1 LTN. Les délits pénaux auxquels l’art. 13 LTN se réfère ne peuvent être que ceux qui visent spécifiquement les employeurs, notamment dans le cadre de la législation sur les étrangers (Guerric RIEDI, Les aspects sociaux des marchés publics, en particulier la protection des travailleurs, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2016, n. 86).

La LTN ne contient pas de définition de la notion d’employeur. Lorsque le travail au noir intervient au sein d’une personne morale, elle n’indique pas si la notion d’employeur vise la personne morale ou la personne physique qui détient ou contrôle la personne morale en question. Le message de la loi se référant aux « entreprises sous le coup de l’exclusion des marchés publics » et comme, dans le domaine des marchés publics, l’adjudicataire d’un marché public est en règle générale une entreprise, on doit admettre que le destinataire de la sanction d’exclusion prévue par l’art. 13 al. 1 LTN est en principe la personne morale. Cela explique qu’une exclusion des marchés publics prononcée à l’encontre d’une personne morale puisse reposer sur une condamnation pénale infligée au gérant de celle-ci. S’il suffisait d’écarter le gérant de la direction de la société, d’en créer une nouvelle identique dans ses buts et activités, d’en reprendre la clientèle, le carnet de commande et le personnel, pour échapper aux sanctions prévues par l’art. 13 al. 1 LTN, cette norme deviendrait inefficace et le but de la LTN serait détourné (Guerric RIEDI, op. cit., n. 88).

2.6 Il ressort des travaux parlementaires que le non-respect des obligations est important par exemple en raison du montant ou du nombre de travailleuses et travailleurs au noir engagés (« sie sind zum Beispiel aufgrund des Betrages oder der angestellten Anzahl Schwarzarbeitnehmerinnen oder Schwarzarbeitnehmer schwerwiegend » ; BO 2005 N p. 696, intervention de Remo GYSIN).

Dans l’interprétation de la notion de « non-respect important » de l’art. 13 al. 1 LTN, le Tribunal fédéral n’ayant pas encore eu à préciser cette notion, la chambre de céans se réfère notamment à la notion de « cas grave » au sens de l’art. 117 al. 1 LEI, lequel punit dans les cas graves, d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, quiconque a, notamment, employé intentionnellement un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse (ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b ; ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9a ; ATA/758/2011 du 13 décembre 2011 consid. 6c ; Guerric RIEDLI, op. cit., n. 91 et 93).

Selon la doctrine, l’existence d’un cas grave au sens de l’art. 117 al. 1 LEI doit se juger à la lumière de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas ; il peut y avoir cas grave lorsque l’auteur emploie un grand nombre d’étrangers sans autorisation, lorsqu’il impose des conditions de travail inacceptables ou lorsqu’il profite d’une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l’étranger à travailler (Luzia VETTERLI/Gabriella D’ADDARIO DI PAOLO, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], Berne 2010, n. 11 ad art. 117 LEI ; ATA/194/2021 du 23 février 2021 consid. 6b).

2.7 Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

2.8 Dans un premier arrêt de 2011, la chambre de céans a considéré que l’emploi au noir d’un seul travailleur pour une durée de moins de deux ans, sans autre transgression de la loi ou de la convention collective de travail, ne relevait pas d’un non-respect important des obligations au sens de l’art. 13 LTN (ATA/758/2011 du 13 décembre 2011).

Dans un second arrêt prononcé en 2017, la chambre administrative a jugé qu’en employant treize personnes sans autorisation de travail pour une durée cumulée de presque quatre ans, une entreprise avait violé de manière grave les obligations prévues par la législation sur les étrangers. Compte tenu du nombre de personnes employées et de la durée d’emploi, une exclusion des marchés publics pour une période de 18 mois n’était pas disproportionnée. Quand bien même l’ordonnance pénale ne retenait pas le cas grave de l’art. 117 al. 1 LEI, cela n’empêchait pas l’application de l’art. 13 LTN, car si la chambre administrative était liée par les faits retenus par l’ordonnance pénale, elle ne l’était pas pour les questions de droit (ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9e).

Dans une affaire jugée en 2021, la chambre de céans a constaté que la durée globale d’emploi de deux ressortissants étrangers s’élevait, pendant une période d’une année, à 17 mois et onze jours. Si cette durée rapprochait prima facie les agissements de la recourante de ceux examinés par l’ATA/758/2011, l’engagement successif de deux travailleurs ainsi que le temps écoulé entre les deux engagements réalisaient la condition de la répétition de l’art. 13 al. 1 LTN. La recourante, qui avait compris que le premier employé était dépourvu d’autorisation, avait mesuré le risque auquel son impéritie l’exposait et devait corriger sans attendre sa pratique. En ne le faisant pas et en embauchant un second travailleur sans autorisation, elle avait accru l’importance du non-respect de ses obligations au sens de l’art. 13 al. 1 LTN. Le département avait notamment exclu la société en cause des marchés publics communal, cantonal et fédéral ainsi que de toutes les aides financières cantonales et communales pour une durée de seize mois, sanction qui a été confirmée (ATA/142/2021 du 9 février 2021).

Dans un autre arrêt de 2021 encore, la chambre administrative a retenu que les conditions du prononcé de sanctions au sens de l’art. 13 LTN n’étaient pas remplies et a annulé une décision excluant une société des marchés publics aux niveaux communal, cantonal et fédéral pour une durée de 24 mois. Malgré la gravité des infractions retenues dans l’ordonnance pénale à l’encontre de l’associé gérant, un seul cas de non-respect des obligations pouvait être retenu à l’encontre de la société et cette infraction portait sur une durée relativement courte, soit près de quatre mois jusqu’au dépôt d’une demande d’autorisation (ATA/194/2021 du 23 février 2021).

Plus récemment, la chambre de céans a confirmé la décision d’exclusion des marchés publics pour une durée de seize mois. Cette sanction ne paraissait pas disproportionnée eu égard à l’importance de la faute, soit l’engagement de trois travailleurs dépourvus d’autorisation, certes durant une période « d’à tout le moins » trois jours, selon les termes de l’ordonnance pénale, mais en présence d’antécédents judiciaires spécifiques : l’associé de la recourante n’avait pas hésité, moins d’un mois après une condamnation, à employer sur un chantier trois ressortissants démunis d’autorisation de séjour, en tout cas durant trois jours (ATA/812/2022 du 17 août 2022).

Dans un arrêt récent, la chambre de céans a confirmé la décision d’exclusion des marchés publics pour une durée de seize mois. La recourante avait employé deux personnes dépourvues de permis, l’une dès le 1er janvier 2021 durant 6.5 mois, l’autre dès le 12 juin 2021 durant 7 mois, soit un total de 13.5 mois. La sanction n’était pas disproportionnée compte tenu de l’absence d’antécédents et du paiement des charges sociales et nonobstant l’écoulement du temps entre sa détermination et la décision querellée (ATA/930/2024 du 5 août 2024 consid. 3)

2.9 En l’espèce, la recourante se plaint d’une constatation inexacte et incomplète des faits. Le PCTN n’avait pas tenu compte du fait que le quatrième employé avait été autorisé à travailler par l’OCPM durant l’instruction de la demande de permis, et que B______ n’aurait donc pas dû être condamné en ce qui le concernait.

L’ordonnance pénale est entrée en force. Le PCTN n’avait pas à s’en écarter, et il appartenait à B______ de la contester s’il s’y estimait fondé. À cela s’ajoute que l’ordonnance pénale a été prononcée le 11 mai 2022 et qu’elle sanctionnait B______ pour avoir employé le quatrième employé entre le 12 août 2019 et le 9 novembre 2021. La recourante avait certes demandé en janvier 2020 une autorisation de séjour et de travail, mais ce n’est que le 24 mars 2022 que l’OCPM lui a confirmé que son employé était autorisé à travailler auprès d’elle durant l’instruction de son dossier. La recourante infère du verbe « confirmer » que l’autorisation provisoire était en vigueur auparavant déjà. Cependant, le courriel de l’OCPM précise que l’autorisation de travail est délivrée « sous la forme du présent courriel », jusqu’à droit connu sur la demande d’autorisation et est révocable en tout temps. Il parait ainsi douteux que la recourante ait pu considérer de bonne foi avant la réception du courriel qu’elle était autorisée à employer le quatrième travailleur. Enfin, lorsque la demande avait été formée en janvier 2020, elle employait déjà celui-ci depuis août 2019, soit six mois.

La recourante soutient ensuite que le PCTN avait constaté à tort la répétition d’agissements. Elle ne peut être suivie. Si la répétition peut consister en la réitération du comportement après une première sanction (ATA/812/2022 précité), elle est également réalisée si l’employeur engage successivement plusieurs travailleurs dépourvus d’autorisation avant d’être sanctionné pour l’ensemble des agissements (ATA/142/2021 et ATA/930/2024 précités).

La recourante conteste le caractère important du non-respect. Or, elle a employé quatre travailleurs sans autorisation du 1er octobre 2018 au 30 novembre 2021, soit une période de trois ans et deux mois, et pour une durée cumulée de huit ans et neuf mois. Une telle durée dépasse de loin celle de deux ans retenue en 2011 (ATA/758/2011 précité) et, combinée au fait que quatre employés ont été engagés successivement, elle dépasse largement, en nombre de travailleurs et en durée cumulée, les critères précisés en 2021 (ATA/142/2021 précité), et ce même si le caractère illicite de l’engagement du quatrième employé avait dû prendre fin en janvier 2020.

La recourante fait encore valoir qu’elle a déclaré les quatre employés aux assurances obligatoires et les a payés conformément à la loi. Cette circonstance est sans effet sur la qualification de cas grave. Si le fait pour l’employeur d’imposer des conditions de travail inacceptables ou de profiter d’une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l’étranger à travailler peuvent être constitutifs d’un cas grave (ATA/194/2021 précité), leur absence est sans effet sur la qualification de cas grave lorsque celle-ci est acquise pour un autre motif.

La recourante fait enfin valoir qu’elle a cru de bonne foi que deux employés étaient autorisés provisoirement à travailler durant l’instruction de leur demande de permis. Elle ne peut être suivie. Elle ne pouvait ignorer qu’il lui appartenait de s’assurer que tous ses employés étrangers bénéficiaient d’une autorisation de travail, et elle n’avait elle-même obtenu qu’en mai 2022 une autorisation temporaire pour un permis demandé en janvier 2020. Elle indique enfin avoir 170 employés et doit certainement disposer d’un responsable ou d’un service des ressources humaines au fait des obligations légales.

3. La recourante se plaint encore du caractère disproportionné de la sanction.

Elle fait valoir qu’elle n’a eu aucun antécédent en seize ans d’existence, que les employés concernés ont bénéficié de bonnes conditions de travail et ont été assurés et enfin que les marchés publics représentent CHF 1'000'000.- pour les exercices 2022 et 2023 ou encore 30% de son chiffre d’affaires.

3.1 Selon la jurisprudence, ne sont pas disproportionnées : l’exclusion des marchés publics pour une période de 18 mois en raison de l’emploi de treize personnes pour une durée cumulée de presque quatre ans (ATA/213/2017 précité) ; l’exclusion pour une durée de 16 mois en raison de l’emploi de deux personnes pour une période d’une année pour un total de 17 mois et 11 jours, dès lors que les engagements étaient successifs et que la recourante avait compris que le premier employé était dépourvu d’autorisation, mesuré le risque auquel son impéritie l’exposait et devait corriger sans attendre sa pratique (ATA/142/2021 précité) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de trois travailleurs durant une période d’à tout le moins trois jours mais en présence d’antécédents judiciaires spécifiques, soit une récidive peu après une première condamnation (ATA/812/2022 précité) ; l’exclusion pour une durée de seize mois en raison de l’emploi de deux personnes pour un total de 13.5 mois, et ce malgré l’absence d’antécédents, le paiement des charges sociales et l’écoulement du temps (ATA/930/2024 précité).

3.2 En l’espèce, le PCTN a pris en compte la gravité de la sanction pénale, l’emploi de quatre personnes sur une période cumulée de huit ans et neuf mois d’emploi. Il a indiqué que le paiement des charges sociales et le respect des règles en matière de salaire était irrelevant. Il s’est limité à prononcer l’exclusion des marchée publics.

L’importance des marchés publics pour le chiffre d’affaires a été évoqué devant la chambre de céans. Il ne saurait constituer un critère, la mesure devant par nature exercer un effet punitif, et la recourante devant accepter de diversifier ou de réduire son activité en raison de la faute commise.

Cependant, quand bien même la sanction est fondée dans son principe, sa nature et sa quotité, elle a malheureusement été mise en œuvre par le PTCN durant la procédure devant la chambre de céans et alors que le recours produisait un effet suspensif. Bien que l’erreur ait rapidement été réparée, il ne peut être exclu que la sanction a déjà produit des effets sur l’activité de la recourante, et quand bien même ceux-ci ne pourraient être quantifiés, la mesure a de facto produit un effet anticipé lequel ne peut être pris en compte que par la réduction de sa durée, qui sera portée ex aequo et bono de 20 à 16 mois.

Le recours sera ainsi très partiellement admis.

4. Vu l’issue du litige, un émolument réduit de CHF 300.- sera mis à la charge de la recourante qui obtient partiellement gain de cause et une indemnité de procédure réduite de CHF 500.- lui sera allouée (art. 87 LPA), étant précisé que les faits motivant la réduction très partielle de la durée de la mesure sont survenus après le recours et ne le fondent aucunement.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 avril 2024 par A______SA contre la décision de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 12 mars 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

réduit la durée de l’exclusion d’A______SA des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral de 20 à 16 mois ;

rejette le recours pour le surplus ;

met un émolument de CHF 300.- à la charge d’A______SA ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______SA à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marco CISANTE, avocat de la recourante, ainsi qu'à la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :