Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1081/2024 du 11.09.2024 ( MARPU ) , REFUSE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/2539/2024-MARPU ATA/1081/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 11 septembre 2024 sur effet suspensif
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dans la cause
A______ | recourant |
contre
VILLE DE GENÈVE - CENTRALE MUNICIPALE D'ACHAT ET D'IMPRESSION |
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et
B______ | intimés |
Attendu, en fait, que :
A. a. La C______ (ci-après : la C______) est une fondation de droit suisse au sens des art. 80 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), ayant son siège à Genève. Elle a pour buts toutes activités de type socio-culturel et intergénérationnel offrant une large ouverture à un public diversifié, la rénovation, la restauration et l’entretien du bâtiment de D______ et l’exploitation des salles de spectacle situées dans le bâtiment de D______ en vue de déployer les activités de la fondation. A______ en est le président du conseil de fondation.
b. La fondation D______, avec siège à Genève, a pour but d’organiser des spectacles de marionnettes notamment à fils, et en particulier à destination d’un public d’enfants, tout en continuant l’activité exercée jusqu’alors par la fondatrice. F______ en est une membre présidente.
B. a. Le 14 décembre 2023, la ville de Genève (ci-après : la ville), soit pour elle la centrale municipale d’achat et d’impression, a publié un appel d’offres pour un marché intitulé « projet BatCom_A1 » visant à attribuer l’exploitation et l’entretien du bâtiment de D______.
Les critères d’attribution de l’offre étaient la pertinence du concept d’exploitation (30%), les budgets et plans de financement du projet d’exploitation (25%), l’organisation et les moyens pour la mise en œuvre du projet d’exploitation (20%), les références (15%) et les piliers environnementaux et sociaux du développement durable (10%).
L’appel d’offres était soumis notamment à la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02).
La date de remise des offres était fixée au 20 mars 2024.
b. Une visite du bâtiment a été organisée le 25 janvier 2024.
c. Cinq dossiers recevables ont été déposés avant la date de clôture de l’appel : le G______, la C______, le B______ (ci-après : B______), H______ et I______.
d. Les dossiers ont été examinés par un jury externe composé de J______, K______, L______, M______, N______ et O______.
e. Le 2 juillet 2024, la ville a informé le B______ que le jury externe avait décidé que son offre présentait le plus d’avantages. La proposition du jury avait été avalisée par le Conseil administratif lors de sa séance du 27 juin 2024.
f. Par décision du même jour, la ville a informé la C______ que le jury externe avait décidé de ne pas retenir son projet et d’allouer le bâtiment au projet de la « P______ ».
g. Le tableau suivant récapitule les offres et la notation des critères :
| Notation des critères |
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Nom ou raison sociale | A | B | C | D | E | Note pondérée | Rang |
G______ | 4.00 | 3.50 | 4.00 | 4.00 | 4.50 | 3.93 | 2 |
C______ | 3.00 | 2.50 | 1.50 | 3.00 | 3.00 | 2.58 | 3 |
B______ | 4.00 | 4.50 | 5.00 | 3.00 | 3.50 | 4.13 | 1 |
H______ | 3.00 | 1.50 | 2.00 | 3.00 | 2.50 | 2.38 | 4 |
I______ | 1.50 | 1.40 | 1.00 | 2.00 | 2.00 | 1.50 | 5 |
C. a. Par acte expédié le 5 août 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné qu’elle organise un nouvel appel d’offres assorti de l’ensemble des paramètres de notation, y compris la pondération des sous-critères et la communication immédiate de tout lien d’intérêt d’un membre du jury avec un soumissionnaire. À titre préalable, il a sollicité son audition et celle des membres du jury, ainsi que la production de l’ensemble du dossier d’appel d’offres et les tableaux comparatifs des offres et grilles d’évaluation avec l’éventuelle mention de la pondération des sous-critères, les procès-verbaux des séances de délibération, les procès-verbaux ou les notes consécutives aux auditions des soumissionnaires et les éventuels écrits avec d’autres soumissionnaires. Il a également conclu à la restitution de l’effet suspensif.
Du fait de leurs fonctions et de leur participation à de nombreuses séances communales, politiques ou privées, les membres du jury et les membres, actuels ou anciens, du conseil de fondation du B______ avaient nécessairement développé des relations de travail, voire d’amitiés, intenses. L’identité des autres soumissionnaires ne lui avait jamais été communiquée avant la décision d’adjudication. Il n’avait dès lors pas les moyens de connaître l’existence d’éventuels conflits d’intérêts entre les membres du jury et les soumissionnaires avant ladite décision. En consultant la presse, il avait appris que le projet de la FONDATION B______ était porté par le conseil de fondation du B______ dont la présidente actuelle était F______, membre du parti socialiste et ancienne maire de Genève et que son ancienne présidente était Q______, également membre du parti socialiste et conseillère administrative de la commune de R______. Le B______ était par ailleurs largement subventionné par la ville, ce qui devait logiquement peser sur le critère « budgets et plans de financement du projet d’exploitation ».
b. Par réponse du 21 août 2024, la ville a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, et au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.
La requête de restitution d’effet suspensif ne faisait l’objet d’aucune motivation. La décision d’attribution était une décision exécutoire nonobstant recours vu le retrait de l’effet suspensif, comme cela ressortait du cahier de soumission (art. 41). Les conditions pour la restitution de l’effet suspensif n’étaient cependant pas réalisées dès lors que le recours était manifestement dépourvu de chances de succès, au vu notamment de son irrecevabilité. Le recourant n’avait en effet pas la qualité pour recourir. La C______ n’avait pas recouru et n’était pas valablement représentée par les organes prévus dans l’acte de constitution. Son offre avait, par ailleurs, été classée en troisième position, avec un total pondéré de 2.58 alors que l’offre classée en deuxième position avait un total pondéré de 3.93. La C______ n’avait ainsi aucune chance sérieuse de se voir attribuer le marché.
Dans la pesée des intérêts, l’intérêt public à la conclusion et à l’exécution du contrat, soit l’exploitation et l’entretien du bâtiment de D______, apparaissait prépondérant au regard des seuls intérêts privés du recourant. Il ne démontrait en outre aucunement en quoi l’appréciation des offres serait erronée ou arbitraire.
c. Le 2 septembre 2024, le recourant a répliqué sur effet suspensif. Il disposait d’un intérêt évident à ce que la procédure d’attribution soit menée conformément au cahier des charges. Il n’existait pas d’intérêt contraire à la restitution de l’effet suspensif. En revanche, l’absence de restitution impliquerait la validation de l’attribution par le Conseil municipal et la conclusion d’un contrat d’exploitation, soit deux démarches « chronophages » et « consommatrices de deniers publics ». Le B______ pourrait au demeurant engager des frais pour préparer l’exploitation du bâtiment de D______.
d. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.
Considérant, en droit, que :
1. Le recours apparait prima facie avoir été interjeté en temps utile devant l’autorité compétente (art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10], 9 al. 1 et 2 LMI et 41 du cahier de soumission).
2. Les décisions sur effet suspensif sont prises par le président ou la vice-présidente de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par un ou une autre juge (art. 21 al. 2 LPA ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).
2.1 Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).
Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/885/2024 du 25 juillet 2024 ; ATA/25/2024 du 9 janvier 2024 consid. 4).
Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II
253-420, p. 265).
L’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; ATA/941/2018 du 18 septembre 2018).
Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).
2.2 L'examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours. L’effet suspensif doit être refusé au recours manifestement dépourvu de chances de succès et dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d'emblée à justifier l'octroi d'une mesure provisoire, mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/987/2021 du 24 septembre 2021 ; ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1349/2019 du 9 septembre 2019).
2.3 Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur des mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).
2.4 Selon la jurisprudence, le soumissionnaire évincé dispose d'un intérêt juridique lorsqu'il avait, avant la conclusion du contrat, des chances raisonnables de se voir attribuer le marché en cas d'admission de son recours. L’intérêt juridique du soumissionnaire évincé a été retenu lorsque celui-ci avait été classé au deuxième rang derrière l'adjudicataire et qu'il aurait, en cas d'admission de son recours, disposé d'une réelle chance d'obtenir le marché (ATF 141 II 14 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_39/2014 du 26 juillet 2014 consid. 1.1 ; 2C_346/2013 du 20 janvier 2014 consid. 1.4.1). La jurisprudence a également admis cet intérêt par rapport au soumissionnaire qui, bien que classé en troisième position, était séparé du deuxième classé de quelques points seulement (arrêt du Tribunal fédéral 2D_50/2009 du 25 février 2010 consid. 4.1). A en revanche été nié l'intérêt juridique du soumissionnaire placé au quatrième rang qui exigeait l'exclusion du candidat retenu, dès lors que l'admission de sa conclusion n'aurait pas permis au recourant, en accédant au troisième rang, d'obtenir le marché à la place de l'adjudicataire (arrêt du Tribunal fédéral 2D_74/2010 du 31 mai 2011 consid. 1.3), excepté si l'écart relatif tout comme absolu entre l'adjudicataire et le soumissionnaire évincé s'était révélé comme minime (arrêt du Tribunal fédéral 2D_49/2011 du 25 septembre 2012 consid. 1.3.2).
2.5 En matière d’évaluation des offres, la jurisprudence reconnaît une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6), l’appréciation de la chambre administrative ne pouvant donc se substituer à celle de ce dernier, seul l’abus ou l’excès de pouvoir d’appréciation devant être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_418/2014 du 20 août 2014 consid. 4.1).
2.6 Selon l'art. 15 al. 1 LPA, les membres des autorités administratives appelés à rendre ou à préparer une décision doivent se récuser : a) s'ils ont un intérêt personnel dans l'affaire ; b) s'ils sont parents ou alliés d'une partie en ligne directe ou jusqu'au troisième degré inclusivement en ligne collatérale ou s'ils sont unis par mariage, fiançailles, par partenariat enregistré, ou mènent de fait une vie de couple ; c) s'ils représentent une partie ou ont agi pour une partie dans la même affaire ; ou d) s'il existe des circonstances de nature à faire suspecter leur partialité. La demande de récusation doit être présentée sans délai à l'autorité (art. 15 al. 3 LPA).
3. En l’espèce, il ressort de l’art. 41.7 du cahier de soumission que la décision entreprise a été déclarée exécutoire nonobstant recours. Dans ses écritures, le recourant n’invoque toutefois aucun intérêt public ou privé prépondérant s’opposant à l’exécution immédiate de la décision. Contrairement à ce qu’il prétend, ni l’intérêt privé du B______ à éviter des frais, ni l’intérêt public à une utilisation rationnelle des deniers publics ne l’emportent sur l’intérêt public à l’exploitation et l’entretien du bâtiment de D______.
Quant aux chances de succès du recours, elles n’apparaissent prima facie pas évidentes. La C______ a en effet été classée au troisième rang, avec une note pondérée de 2.58. Il résulte du tableau récapitulant les notes obtenues par les différents soumissionnaires que le B______ a obtenu 4.13 et que le soumissionnaire placé en deuxième position a obtenu 3.93. Ainsi, et sans préjudice de l’examen au fond, l’écart des notes entre le deuxième soumissionnaire et la fondation du recourant apparaît important. Or, le recourant ne démontre pas en quoi il pouvait prétendre à une évaluation qui lui aurait permis de dépasser tant le B______ que le G______. Ainsi, ses chances d'obtenir l’attribution en cas d'admission du recours n’apparaissent a priori pas établies. S’ajoute à cela que le recourant a agi seul et non au nom de la fondation dont l’offre n’a pas été retenue. Partant, la question de la recevabilité du recours paraît prima facie douteuse sous l’angle de la qualité pour recourir.
Quant au fond, le grief lié à la récusation des membres du jury apparaît à première vue tardif. En effet, l’intimée a indiqué, sans avoir été contredite sur ce point, que toutes les entités ayant déposé une offre avaient été présentes lors de la visite commune du bâtiment de D______ qui s’était déroulée le 25 janvier 2024. Les adresses électroniques des soumissionnaires figuraient au demeurant sur le courriel de l’intimée du 4 juin 2024. Il n'est dans ces circonstances pas possible de retenir en l'état que le grief est invoqué conformément à l'art. 15 al. 3 LPA. À noter au demeurant, et sans préjudice de l’examen au fond, que l’affiliation politique et le fait d’avoir siégé dans une instance politique ne constituent a priori pas des motifs de récusation. S’agissant enfin des griefs d’ordre matériel, le recourant reprend la notation de chacun des critères. Ce faisant, il ne fait à première vue que substituer sa propre appréciation à celle de l’autorité. Or, les indications données par l’autorité intimée sur son évaluation n’apparaissent pas, prima facie, critiquables au point de justifier la restitution de l’effet suspensif.
Dès lors, au terme de l'analyse prima facie qui prévaut à ce stade, les chances de succès du recours n'apparaissent pas suffisantes pour justifier la restitution de l'effet suspensif au recours.
La demande de restitution de l'effet suspensif sera dès lors refusée.
4. Le sort des frais est réservé jusqu’à droit jugé au fond.
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;
réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique la présente décision à A______, recourant, à Me Michel D'ALESSANDRI, avocat de ville de Genève - centrale municipale d'achat et d'impression ainsi qu’au B______.
| La vice-présidente :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
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Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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