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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1936/2023

ATA/813/2024 du 09.07.2024 sur JTAPI/1203/2023 ( LCR ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1936/2023-LCR ATA/813/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 juillet 2024

1ère section

 

dans la cause

 

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES recourant

contre

A______ intimé
représenté par Me Raphaël ZOUZOUT, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er novembre 2023 (JTAPI/1203/2023)


EN FAIT

A. a. A______, né en 1983 et domicilié à Genève, est ressortissant de Grande-Bretagne.

b. Il est titulaire d’un permis de conduire suisse valable pour les catégories B, B1, F, G et M depuis le 13 septembre 2006.

B. a. Le 26 janvier 2023, à 19h45, A______ a été contrôlé par la police à la suite d’une transaction de stupéfiants, dans le cadre de laquelle il venait d’acquérir 5 g de marijuana auprès d’un dealer de rue dans le quartier de Plainpalais.

b. A______ a été auditionné par la police le 27 janvier 2023.

Selon le procès-verbal y relatif établi le même jour, A______ a expliqué qu’il avait acheté de la marijuana pour CHF 100.- à un dealer qu’il connaissait depuis un ou deux mois, à qui il avait déjà acheté de la cocaïne et de la marijuana. En particulier, il lui avait acheté à deux reprises de la cocaïne, par transaction de 1 g à CHF 100.-  et quatre fois de la marijuana par transaction de deux sachets à CHF 100.-, soit environ 5 g. Il fumait de la marijuana depuis quelques années sur prescription médicale obtenue en Grande-Bretagne. Il « sniffait » occasionnellement de la cocaïne depuis quelques mois.

Il ressort en outre du procès-verbal susmentionné que l’audition de A______ a été menée en anglais, la traduction ayant été effectuée par un policier, ce que le prévenu a accepté. Ce dernier a en outre signé chacune des pages dudit procès-verbal, ses droits et obligations lui ayant été communiqués en anglais.

c. Le 23 février 2023, la police a transmis à l’office cantonal des véhicules (ci‑après : OCV) un extrait du procès-verbal d’audition de A______ du 27 janvier 2023.

d. Le 7 mars 2023, l’OCV a interpellé A______ au sujet de sa consommation de stupéfiants.

e. Le 20 mars 2023, A______ a répondu à l’OCV qu’en raison de douleurs aux lombaires et au pouce, son médecin à Londres lui prescrivait, depuis 2021, du cannabis médical dosé de « 0.2 prn max/g par jour ». Il n’en consommait pas plus que deux fois par semaine, le soir avant de dormir. Depuis les événements du 26 janvier 2023, il avait acheté en Suisse et consommé des produits légalisés à base de CBD au fur et à mesure de la réapparition de ses douleurs. Il n’avait en outre jamais conduit sous l’influence du cannabis ou de toute autre substance.

f. Par décision du 22 mai 2023, l’OCV a ordonné la mise en œuvre d’une expertise par un médecin de niveau 4 visant à évaluer l’aptitude à la conduite de A______.

Le 26 janvier 2023, il avait été contrôlé par la police à la suite d’une transaction de stupéfiants. Dans ce cadre, il avait reconnu consommer de la marijuana depuis plusieurs années et « sniffer » de la cocaïne à plusieurs reprises depuis quelques mois. Il existait ainsi des doutes au sujet de son aptitude à la conduite de véhicules à moteur, de sorte que, en vue d’élucider cette question, une expertise par un médecin de niveau 4 devait être ordonnée. Une décision serait prise lorsque les questions relatives à son aptitude auraient été élucidées ou, en cas de non soumission à l’examen imposé, dans un délai de trois mois.

C. a. Le 1er juin 2023, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation.

Il n’existait aucun doute au sujet de son aptitude à la conduite, de sorte que la mise en œuvre d’une expertise de niveau 4 ne se justifiait pas. L’OCV s’était fondé sur le procès-verbal établi par la police, alors même que ses droits de procédure n’avaient pas été respectés, puisqu’il n’avait pas eu accès à un interprète. Il n’avait ainsi pas compris la teneur de son audition et n’avait pas pu relire les déclarations retranscrites en langue française, qu’il ne comprenait pas.

Il ne consommait pas de cocaïne ni de cannabis en dehors de son traitement médical, une quelconque addiction à ces substances n’étant pas établie. Sa consommation de marijuana devait au demeurant être replacée dans son contexte, puisqu’elle se justifiait pour des raisons thérapeutiques. Il n’existait ainsi aucun doute concret justifiant qu’il se soumette à une expertise de niveau 4.

Il a notamment produit :

- une licence d’importation de cannabis légal pour des fleurs séchées avec un taux de THC de 20% et de CBD de moins de 1% ;

- une attestation d’un médecin à Londres du 5 septembre 2023 selon laquelle son patient l’avait consulté en décembre 2021 en vue d’obtenir du cannabis médical afin de soulager ses douleurs chroniques. Il lui avait prescrit du cannabis médicalement autorisé, soit des fleurs de cannabis séchées avec une teneur en THC de 27% et inférieure à 1% de CBD. Il ne présentait en outre aucun signe ou symptôme qui pourrait laisser apparaître une consommation problématique de cannabis ou une addiction.

b. L’OCV a conclu au rejet du recours.

c. Par jugement du 1er novembre 2023, le TAPI a admis le recours de A______.

Il n’existait pas de doutes suffisants au sujet de l’aptitude à la conduite de A______ susceptibles de justifier la mise en œuvre d’une expertise. Aucun élément du dossier ne permettait de retenir qu’il aurait conduit sous l’influence de stupéfiants ni que sa consommation serait plus importante que celle reconnue, voire qu’il en serait dépendant. Il n’avait pas non plus d’antécédent en matière de circulation routière. Il n’existait ainsi pas suffisamment d’indices concrets permettant de douter de l’aptitude à la conduite de A______, lequel était capable de séparer la consommation de cannabis et de CBD, voire la prise occasionnelle de cocaïne, et la conduite automobile.

D. a. Par acte du 13 novembre 2023, l’OCV a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant préalablement à l’audition d’un médecin du centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML) et principalement à l’annulation du jugement précité.

A______ avait admis consommer de la marijuana depuis plusieurs années sur prescription médicale, pas plus de deux fois par semaine le soir avant de dormir, et prendre occasionnellement, par voie nasale, de la cocaïne depuis quelques mois. Or, une telle consommation de cocaïne au cours des six derniers mois impliquait à elle seule de déterminer l’aptitude à la conduite et présentait des indices concrets permettant de douter de son aptitude à la conduite, lesdits indices étant renforcés par une consommation régulière de THC par l’intéressé. Même si son médecin à Londres avait indiqué dans son attestation du 5 septembre 2023 que A______ ne présentait aucun signe ou symptôme laissant apparaître une consommation problématique de cannabis ou d’addiction, il ne faisait aucune mention de sa consommation occasionnelle de cocaïne. À teneur du dossier, il n’était pas non plus prouvé que les substances que A______ se procurait librement et sans contrôle auprès de dealers de rue correspondaient à celles prescrites par son médecin. Il y avait par conséquent lieu de retenir que A______ se livrait à une consommation répétée de cocaïne depuis plusieurs mois, mélangée à une consommation régulière de THC/CBD. Il existait donc des indices concrets permettant de douter de l’aptitude à la conduite de A______ justifiant la réalisation d’un examen d’évaluation de l’aptitude à la conduite par un médecin de niveau 4, seule personne habilitée à se prononcer sur l’aptitude à la conduite et à estimer s’il était ou pas capable de séparer consommation de cannabis/CBD/cocaïne et conduite automobile.

b. Le 12 décembre 2023, A______ a conclu au rejet du recours.

Il avait fait l’objet d’un contrôle de police alors qu’il était piéton, sans avoir été au volant d’un véhicule. Sa consommation de cannabis était de nature médicale et n’était pas problématique ni ne créait une dépendance. Au contraire, elle était strictement contrôlée et avait lieu le soir, de sorte qu’elle ne permettait pas de conclure à une inaptitude.

L’OCV se fondait uniquement sur le procès-verbal du 27 janvier 2023 pour retenir une consommation de cocaïne, alors même qu’il ne comprenait pas le français et qu’aucun interprète ni conseil ne l’avait assisté. Il avait au demeurant formé opposition à l’ordonnance pénale le condamnant, si bien que la procédure pénale était toujours en cours. En l’état, aucune consommation de cocaïne ne pouvait être retenue à son encontre, puisqu’elle n’était pas établie. En outre, son comportement n’avait donné lieu à aucun signalement depuis le mois de janvier 2023.

Il a notamment produit une attestation établie le 30 novembre 2023 par le docteur B______, médecin à Genève, selon laquelle il le suivait depuis le 15 janvier 2019 dans le contexte de conseils et de soins essentiellement en lien avec une chute intervenue en septembre 2020. Son patient était plutôt sportif et habituellement en bonne santé, sans indice d’addiction à des drogues ou à l’alcool.

c. Le 19 décembre 2023, la chambre administrative a invité l’OCV a lui faire parvenir son éventuelle réplique.

d. Le 16 janvier 2024, l’OCV a persisté dans son recours, sollicitant, outre l’audition d’un médecin du CMURL, celle du Dr B______, lequel n’était pas compétent pour se prononcer sur l’aptitude à la conduite de son patient puisqu’il ne disposait pas de la formation requise à cet effet.

e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑ LOJ ‑
E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             L’autorité recourante conclut à l’audition d’un médecin du CURML ainsi que celle du médecin genevois de l’intimé.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour la personne intéressée de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_359/2022 du 20 avril 2023 consid. 3.1 et les références citées). Le droit d’être entendu découlant de l’art. 29 Cst. ne garantit pas, de façon générale, le droit d’être entendu oralement (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_67/2023 du 20 septembre 2023 consid. 3.1) ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_521/2022 du 26 avril 2023 consid. 4.2).

2.2 En l’espèce, il ne se justifie pas de procéder aux auditions sollicitées, le dossier comprenant suffisamment d’éléments permettant à la chambre de céans de statuer sur le litige, qui n’a pas trait à la question de savoir si l’intimé est ou non apte à la conduite, mais est circonscrit à la question de savoir s’il doit se soumettre à un examen permettant de le déterminer. Les auditions sollicitées ne sont ainsi pas nécessaires pour répondre à cette question, de sorte que les réquisitions de preuve de l’autorité recourante seront écartées.

3.             Comme précédemment indiqué, est litigieuse la décision ordonnant à l’intimé de se soumettre à un examen d’aptitude à la conduite, l’autorité recourante n’ayant pas procédé au retrait de son permis de conduire.

3.1 Selon l’art. 14 al. 1 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), tout conducteur de véhicule automobile doit posséder l’aptitude et les qualifications nécessaires à la conduite. Il doit notamment disposer des aptitudes physiques et psychiques requises pour conduire un véhicule automobile en toute sécurité (art. 14 al. 2 let. b LCR) et ne souffrir d’aucune dépendance l’en empêchant (at. 14 al. 2 let. c LCR).

Si l’aptitude à la conduite soulève des doutes, la personne concernée fera l’objet d’une enquête dans les cas énumérés de manière non exhaustive à l’art. 15d al. 1 let. a à e LCR (Message du Conseil fédéral du 20 octobre 2010 concernant Via sicura, FF 2010 7755). Un examen d’aptitude est en particulier ordonné en cas de conduite sous l’emprise de stupéfiants ou de transport de stupéfiants qui altèrent fortement la capacité de conduire ou présentent un potentiel de dépendance élevé (art. 15d al. 1 let. b LCR).

Dans les situations ne concernant pas les cas listés d’expertise obligatoire (art. 15d al. 1 1ère phr. LCR), une clarification de l’aptitude ne doit être ordonnée, selon la jurisprudence, qu’« en présence d’indices suffisants pour que se pose la question de l’aptitude à conduire » (art. 11b al. 1 de l’ordonnance réglant l’admission des personnes et des véhicules à la circulation routière du 27 octobre 1976 - OAC - RS 741.51), en d’autres termes, pour l’alcool et les drogues, s’il existe des raisons valables d’envisager un comportement addictif réellement pertinent pour la conduite automobile (arrêt du Tribunal fédéral 1C_569/2018 du 19 mars 2019 consid. 3.2 ; Cédric MIZEL, Le nouveau Guide Aptitude à la conduite du 27 novembre 2020 : texte et contexte, in Circulation routière 3/2021, p. 30).

3.2 La décision de retrait de sécurité du permis pour cause d’inaptitude à la conduite constitue une atteinte grave à la sphère privée de l’intéressé ; elle doit donc reposer sur une instruction précise des circonstances déterminantes, le pronostic devant être posé sur la base des antécédents du conducteur et de sa situation personnelle (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; 133 II 284 consid. 3.1 ; 125 II 492 consid. 2a). L’autorité compétente doit ainsi, avant d’ordonner un tel retrait, éclaircir d’office la situation de la personne concernée. En particulier, elle doit examiner l’incidence de la toxicomanie sur son comportement comme conducteur ainsi que le degré de la dépendance. En cas de doute, il y a lieu d’ordonner un examen médical (ATF 139 II 95 consid. 3.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1), l’intérêt public lié à la sécurité routière commandant en effet que l’on procède à un examen approfondi à chaque fois qu’il existe suffisamment d’éléments pour faire naître un doute au sujet de l’aptitude à la conduite (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.3 ; 1C_282/2007 du 13 février 2008 consid. 2.4).

Un tel doute peut reposer sur de simples indices, en particulier lorsqu’il en va d’une dépendance en matière de produits stupéfiants (arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 précité consid. 3.1). L’opportunité d’une expertise médicale varie en fonction des circonstances et relève du pouvoir d’appréciation de l’autorité cantonale appelée à se prononcer sur le retrait (ATF 129 II 82 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 précité consid. 3.1). En cas de soupçon de dépendance à une drogue, l’autorité de retrait doit soumettre l’intéressé à une expertise médicale ; elle ne peut y renoncer qu’exceptionnellement, par exemple en cas de toxicomanie grave et manifeste (ATF 129 II 82 consid. 2.2 ; 127 II 122 consid. 3b).

3.3 Alors que l’ouverture d’une expertise peut être ordonnée en présence d’indices suffisants pour que se pose la question de l’aptitude à conduire (art. 11b al. 1 let. a OAC), une décision de retrait préventif du permis de conduire suppose, quant à elle, l’existence de doute sérieux sur l’aptitude de conduire de l’intéressé (art. 30 OAC), en particulier en présence d’indices concrets d’une dépendance à l’alcool. À l’inverse, une clarification de l’aptitude intervient généralement sans retrait préventif lorsqu’il n’existe pas de danger immédiat pour la circulation routière (arrêt du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.4.2 et les références citées).

3.4 Selon le Guide aptitude à la conduite approuvé par l’assemblée générale des membres de l’association des services automobiles le 27 novembre 2020 en accord avec l’office fédéral des routes, en règle générale, une détermination de l’aptitude à la conduite (expertise de niveau 4), sans retrait du permis de conduire à titre préventif, est requise pour une consommation de cannabis plus de deux fois par semaine en présence d’indices clairs d’une consommation habituelle (par exemple sur la base des déclarations de la personne concernée indiquant une consommation hebdomadaire plus qu’occasionnelle, plus de deux fois par semaine, ou des indices d’une consommation en grande, voire très grande quantité) ou pour un mélange avec d’autres substances psychotropes (Guide, op. cit., p. 14 let. f). Une détermination de l’aptitude à la conduite (expertise de niveau 4), en règle générale avec un retrait du permis de conduire à titre préventif, est requise pour une consommation répétée de cocaïne, d’héroïne ou d’amphétamines au cours de six derniers mois (Guide, op. cit., p. 14 let. h).

Selon la jurisprudence, comme la cocaïne entraîne rapidement une dépendance psychique prononcée, une évaluation médico-légale de l’aptitude à la conduite peut déjà être indiquée en cas de consommation sporadique ou occasionnelle, même si cela ne permet pas nécessairement de conclure à une dépendance (ATF 120 Ib 305 consid. 4c et d ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_364/2022 consid. 6.1.2 ; 1C_458/2019 consid. 2.1).

4.             En l’espèce, l’intimé a fait l’objet, le 26 janvier 2023, d’un contrôle de police alors qu’il était piéton et n’était pas au volant d’un véhicule. Sa consommation n’étant alors pas en lien direct avec la circulation routière, une mesure n’était pas automatique. Lors dudit contrôle, il est apparu que l’intimé venait d’acquérir 5 g de marijuana auprès d’un dealer de rue. Entendu par la police le lendemain, l’intéressé a indiqué fumer régulièrement de la marijuana depuis quelques années et occasionnellement « sniffer » de la cocaïne depuis quelques mois, ayant précédemment acquis, auprès de son dealer, quatre fois de la marijuana et deux fois de la cocaïne.

Sur la base de ces éléments, communiqués par la police à l’autorité recourante, cette dernière a ordonné la mise en œuvre d’une expertise de niveau 4 en vue de déterminer l’aptitude à la conduite de l’intimé.

4.1 L’intimé soutient toutefois que l’autorité recourante ne pouvait ordonner une telle mesure sur la base de ses déclarations à la police, dès lors qu’il n’aurait pas eu accès à un interprète et que le procès-verbal y relatif n’aurait pas été traduit en anglais, seule langue qu’il comprendrait. Il ne saurait toutefois être suivi sur ce point, dès lors qu’il ressort du procès-verbal de la police du 27 janvier 2023 que l’audition de l’intimé a été menée en anglais, la traduction ayant été faite par un policier, ce que l’intéressé a accepté, signant chaque page dudit procès-verbal. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de ce document, contrairement à ce que prétend l’intimé, pas plus qu’il n’y a lieu de suspendre la procédure administrative dans l’attente du jugement pénal, lequel n’est pas de nature à influer sur l’issue de la présente cause.

4.2 L’autorité recourante conteste l’absence d’indices concrets permettant de douter de l’aptitude à la conduite de l’intimé, comme l’a retenu le TAPI, lequel a considéré qu’aucun élément du dossier n’indiquait une dépendance de l’intéressé aux substances précitées.

Il ressort toutefois du dossier que l’intimé, bien qu’il soit en possession d’une ordonnance de cannabis médicalement autorisé délivrée par un médecin anglais et que ladite ordonnance porte sur des fleurs de cannabis séchées avec une teneur en THC de 27 % et de CBD inférieure à 1%, la licence d’importation dont il bénéficie ayant une teneur similaire, a acquis de la marijuana auprès d’un dealer de rue, sans qu’il soit possible d’établir que ces substances correspondent bien à celles prescrites, ni qu’il consomme, comme il l’indique, de la marijuana seulement deux fois par semaine, avant de dormir. Le fait que son médecin anglais ait relevé que son patient ne présentait aucun signe d’une consommation problématique de cannabis ou d’addiction n’apparaît pas déterminant, ce d’autant plus que ledit médecin ne fait pas référence à la consommation de cocaïne de son patient.

En effet, à la consommation de marijuana de l’intimé s’ajoute celle, bien qu’occasionnelle, de cocaïne, l’intéressé ayant admis s’en être procuré auprès de son dealer, qu’il connaissait depuis un ou deux mois, à deux reprises. Or, une telle consommation de cocaïne, indépendamment de celle de marijuana, au cours des six derniers mois implique déjà à elle seule de déterminer l’aptitude à la conduite de l’intimé, contrairement à ce qu’a retenu le TAPI.

4.3 Il résulte de ce qui précède qu’il existe des indices suffisants pour que se pose la question de l’aptitude à la conduite de l’intimé, ce que l’ouverture d’une expertise de niveau 4 permettra de clarifier, comme l’a ordonné l’autorité recourante. Le fait que l’intimé n’ait pas d’antécédent en matière de circulation routière n’y change rien. Par ailleurs, l’intérêt public prépondérant à la protection des usagers de la route prévaut sur l’intérêt privé de l’intimé à continuer sa consommation de substances psychotropes, sans vérifier les effets de celle-ci sur son aptitude à la conduite. Cette mesure n’apparaît pas disproportionnée, dès lors que le permis de conduire ne lui a pas été retiré et que l’examen médical est apte à lever tout doute sur l’aptitude de l’intéressé à conduire ; aucun autre moyen moins incisif ne permet de l’évaluer.

L’autorité recourante n’a ainsi pas violé la loi ni excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation en ordonnant la mise en œuvre d’une expertise d’aptitude à la conduite.

Le recours sera par conséquent admis et le jugement entrepris annulé.

5.             Malgré l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument, l’autorité recourante ayant recouru pour défendre sa propre décision (art. 87 al. 1, 2ème phr. LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 novembre 2023 par l’office cantonal des véhicules contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er novembre 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement précité ;

rétablit la décision de l’office cantonal des véhicules du 22 mai 2023 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à l’office cantonal des véhicules, à Me Raphaël ZOUZOUT, avocat de l’intimé, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu’à l’office fédéral des routes.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :