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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2347/2022

ATA/735/2024 du 18.06.2024 sur JTAPI/822/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2347/2022-PE ATA/735/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juin 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Jacopo OGRABEK, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 15 août 2022 (JTAPI/822/2022)


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1991, est ressortissante du Pérou. Née de sexe masculin, elle a fait une transition d'homme à femme à l'âge de 18 ans et se fait appeler B______.

b. A______ est arrivée en Suisse, via l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle, fin janvier 2022, au bénéfice d'une entrée sans obligation de visa pour un séjour ne dépassant pas 90 jours sur toute période de 180 jours dans l'espace Schengen.

c. Par ordonnance pénale du 8 juillet 2022, le Ministère public du canton de Genève (ci-après : le Ministère public) a condamné A______ pour infractions aux art. 19a ch. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI – RS 142.20).

d. Par ordonnance pénale du 4 janvier 2023, le Ministère public l’a condamnée pour exercice illicite de la prostitution (art. 199 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0).

B. a. Par décision du 8 juillet 2022, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé le renvoi de Suisse de A______, lui impartissant un délai au 22 juillet 2022 pour quitter le territoire, ainsi que celui des États membres de l'Union européenne et des États associés à Schengen (Liechtenstein, Islande, Norvège).

Elle avait été interpellée le 7 juillet 2022 par les services de police genevois et été prévenue d'exercice illicite de la prostitution, de consommation de stupéfiants et d'infractions à l'art. 115 LEI. Elle avait déclaré séjourner et travailler en Suisse depuis cinq mois, sans titre de séjour, n'être pas en mesure d'assurer les frais de son rapatriement, et subvenir à ses besoins en travaillant occasionnellement dans la coiffure et la manucure et grâce à l'aide d'une association. Elle ne fournissait aucun élément laissant à penser que l'exécution de son renvoi serait impossible, illicite ou non raisonnablement exigible. Son séjour en Suisse étant illégal, son renvoi était prononcé sur la base, notamment, de l'art. 64 LEI.

b. Par acte du 14 juillet 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant principalement à son annulation, à ce qu'il soit déclaré que son renvoi était illicite et non raisonnablement exigible et à l'octroi d'une admission provisoire. Elle a par ailleurs conclu à titre préalable à son audition ainsi qu'à la restitution de l'effet suspensif.

Elle était une personne transsexuelle vivant avec le virus de l'immunodéficience humaine (ci-après : VIH). Suivie depuis février 2022 par la consultation ambulatoire mobile de soins communautaires (ci-après : CAMSCO) et auprès du service des maladies infectieuses des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG), son traitement antirétroviral (ci-après : TAR), se composait actuellement de Tenofovif 300 mg, Lamivudine 300 mg et Doluteg-Favif 50 mg. Elle avait en outre rendez-vous tous les six mois à l'unité VIH des HUG pour une prise de sang (afin d'évaluer la charge vitale, le système immunitaire et les éventuels effets secondaires du traitement) et une consultation. Étant jusqu'alors sans domicile fixe, elle n'avait, à ce jour, pas pu déposer de demande d'autorisation de séjour en Suisse en dérogation aux conditions d'admission.

L'effet suspensif devait être restitué au recours au vu de ses intérêts privés et dans la mesure où aucune mise en danger grave et imminente d'intérêts publics ou privés ne le justifiait. La disponibilité et l'accessibilité au Pérou du traitement nécessaire à sa survie n'étaient en effet pas établies au vu de la pénurie des traitements, des lacunes de couverture d'assurance, de la précarité et des récentes ruptures de stocks. Son intégrité physique et sa vie seraient donc mises en péril sans traitement et un retour au pays d'origine était susceptible de causer une atteinte grave et permanente à ses intérêts, lesquels devaient dès lors l'emporter sur l'intérêt public de la Suisse à une politique restrictive en matière d'immigration. Partant, le TAPI devait ordonner, par mesures superprovisionnelles, à confirmer ensuite par mesures provisionnelles, la restitution de l'effet suspensif au recours et ainsi suspendre l'exécution de son renvoi de Suisse.

Au fond, l'OCPM n'avait pris en considération ni son identité de genre, ni son état de santé précaire dans l'examen de l'illicéité et de l'inexigibilité du renvoi. Or, le traitement contre le VIH n'était pas accessible au Pérou et les discriminations à l'encontre des personnes homosexuelles et transsexuelles y étaient très répandues. Dans ces conditions, son renvoi était illicite, pas raisonnablement exigible et elle devait être mise au bénéficie d'une admission provisoire.

Un chargé de 26 pièces était joint, dont notamment un rapport médical du 17 mai 2022 et une importante documentation relative à la situation des personnes transgenres au Pérou et à la prise en charge médicale des personnes séropositives, dans ce même pays.

La procédure a été ouverte sous numéro A/2347/2022.

c. Par décision du 18 juillet 2022, le TAPI a admis la demande de mesures superprovisionnelles tendant à la restitution de l’effet suspensif au recours.

d. Dans ses observations du 19 juillet 2022, l’OCPM s’est opposé à la restitution de l'effet suspensif et a conclu à la confirmation de sa décision ainsi qu'au rejet du recours. Si l’intéressée entendait déposer une demande d'autorisation de séjour, il lui appartiendrait d'entreprendre les formalités et d'attendre la réponse à l'étranger, conformément à l'art. 17 LEI. Si la pandémie avait pu rendre l'approvisionnement en stocks de médicaments compliqué dans plusieurs pays, la situation de la recourante ne différait toutefois pas de celle d'autres compatriotes dans la même situation qu'elle qui se trouvaient au Pérou. Elle pourrait, si besoin, préparer, avec l'aide de ses médecins, une réserve de médicaments qu'elle pourrait ramener avec elle.

e. Par réplique du 27 juillet 2022 sur mesures provisionnelles, A______ a persisté dans ses conclusions. Elle avait clairement déposé une demande de régularisation de sa situation par le biais de son recours du 14 juillet 2022. Dans la mesure où sa demande était fondée sur l'art. 83 LEI, soit l'admission provisoire à cause de l'illicéité et inexigibilité du renvoi, il ne pouvait lui être demandé d'attendre la réponse à l'étranger conformément à l'art. 17 LEI. Ayant été diagnostiquée séropositive en décembre 2021 et étant arrivée en Suisse en janvier 2022, il n’était pas démontré qu’elle avait pu bénéficier d’un traitement au Pérou. Elle avait en tout état démontré l'indisponibilité du traitement du VIH dans son pays d'origine et ce indépendamment de la pandémie de COVID qui avait encore péjoré la situation.

f. Par réplique du 5 août 2022 sur le fond, A______ a persisté dans ses conclusions. L’OCPM n’avait apporté aucune preuve de la disponibilité de son traitement au Pérou. Enfin, sa situation ne pouvait être comparée à celle de n’importe quels autres compatriotes au Pérou. Il fallait ainsi analyser ce que serait sa situation spécifique, compte tenu notamment de sa transidentité, de sa précarité et de sa situation socio-économique, en cas de retour dans son pays.

g. Par jugement du 15 août 2022, le TAPI a rejeté le recours du 14 juillet 2022.

A______, démunie d’un quelconque titre de séjour, séjournait illégalement en Suisse et était indigente. Les problèmes de santé dont elle souffrait n’atteignaient pas le seuil exigé par la jurisprudence pour faire échec à l’exécution de son renvoi. Certes, si l’accès aux médicaments antirétroviraux apparaissait plus difficile au Pérou qu’en Suisse, ceux-ci étaient tout de même disponibles et accessibles dans ce pays, où il existait des programmes étatiques d’attention aux personnes séropositives, de nombreux centres de santé publics et privés spécialisés dans le domaine du VIH ainsi que des organisations non gouvernementales (ci‑après : ONG) et fondations apportant notamment un soutien financier ou logistique aux personnes en question, tout comme aux personnes transgenres. En outre, afin de parer à l’éventualité d’une latence à l’accès aux médicaments immédiatement après son retour, A______ pouvait constituer une réserve de médicaments suffisante pour couvrir ses besoins jusqu’à ce que sa prise en charge puisse à nouveau être assurée ou encore changer de médication avec l’aide de ses médecins, voire de s’organiser pour se faire acheminer la médication prescrite depuis l’étranger. Enfin, si la situation des transsexuels pouvait être difficile au Pérou, ceux-ci y étant mal acceptés, ces difficultés ne pouvaient toutefois pas s’apparenter à de la persécution, ni mettre la vie de l'intéressée en péril.

C. a. Par acte posté le 27 août 2022, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant principalement à son annulation, à ce qu'il soit déclaré que son renvoi était illicite et non raisonnablement exigible, à l'octroi d'une admission provisoire et à l'allocation d'une indemnité de procédure. Elle a par ailleurs conclu à titre préalable à son audition ainsi qu'à la restitution de l'effet suspensif.

Elle reprenait, en la complétant, l'argumentation présentée devant le TAPI. De plus, l'OCPM n'avait apporté aucune preuve de la disponibilité du traitement au Pérou.

Elle joignait à son recours diverses pièces, dont un certificat médical du 17 mai 2022 établi par le département de médecine des HUG, selon lequel elle était suivie au sein de l'unité VIH du département des maladies infectieuses. Elle avait été diagnostiquée avec le VIH en décembre 2021, date à laquelle elle avait commencé un traitement antirétroviral. Elle était actuellement en bon contrôle virologique (charge virale indétectable), avec un taux de cellules CD4 de 447 (16%). Elle aurait besoin d'un traitement antirétroviral pour le reste de sa vie, et devait être suivie tous les six mois à l'unité VIH pour une prise de sang et une consultation. Elle devrait aussi subir une coloscopie annuelle, un contrôle annuel chez un dermatologue et un dépistage annuel des facteurs de risque cardiovasculaires. Le pronostic était fatal sans traitement mais, avec ce dernier, l'espérance de vie était similaire à celle de toute personne non séropositive du même âge.

b. Le 26 août 2022, A______ a déposé auprès de l'OCPM une demande d'autorisation de séjour pour cas d'extrême gravité, invoquant la pénurie de médicaments composant son traitement contre le VIH, des lacunes dans la couverture de l’assurance maladie au Pérou, la précarité des personnes dans sa situation ainsi que des ruptures de stocks récentes.

c. Le 31 août 2022, l'OCPM a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif ainsi que du recours sur le fond.

d. Le 12 octobre 2022, l'OCPM a informé la chambre administrative du dépôt de la demande du 26 août 2022 et a proposé la suspension de la procédure.

e. Par décision du 17 octobre 2022 (ATA/1039/2022), la chambre administrative a prononcé la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur la demande d’autorisation de séjour pour cas d'extrême gravité déposée par A______ auprès de l’OCPM.

D. a. Le 3 janvier 2023, la police a interpellé A______ pour infractions à la LEI et exercice illicite de la prostitution. Lors de son audition, elle a notamment déclaré disposer d’une assurance maladie grâce à l’Hospice général (ci-après : l'hospice), lequel lui versait entre CHF 300.- et 400.- par mois, et ne pas avoir de famille en Suisse.

b. Le 10 janvier 2023, l’OCPM a informé A______ de son intention de refuser d’accéder à sa demande et lui a imparti un délai pour se déterminer par écrit.

Selon les informations recueillies auprès de l’ambassade suisse à Lima (ci-après : l’ambassade), son traitement pour soigner son infection au VIH était actuellement disponible au Pérou.

c. Les 10 mars et 16 mai 2023, A______ s’est déterminée sur cette intention après avoir obtenu des prolongations du délai pour faire part de ses observations.

d. Par décision du 31 juillet 2023, l’OCPM a refusé d’octroyer une autorisation de séjour pour cas de rigueur à A______, a prononcé son renvoi de Suisse et lui a imparti un délai au 31 octobre 2023 pour quitter la Suisse ainsi que le territoire des États membres de l’Union européenne et des États associés à Schengen, l’exécution de cette mesure apparaissant possible, licite et raisonnablement exigible.

Selon l’ambassade, le traitement suivi par la précitée pour soigner son infection au VIH était disponible au Pérou. Par ailleurs, celle-ci était arrivée en Suisse déjà malade. Sa situation ne représentait donc pas un cas de rigueur. En outre, rien au dossier n’indiquait en quoi elle ne pourrait pas bénéficier du régime de sécurité santé dans son pays d’origine.

Dans sa demande, A______ n’avait jamais invoqué les dangers que pourraient encourir les femmes transgenres au Pérou. À teneur de ses observations du 10 mars 2023, ONUSIDA avait noté un nombre croissant de meurtres, de disparitions et d’enlèvements de professionnelles du sexe cis- et transgenres au Pérou et plus de dix femmes transgenres et cisgenres y avaient été tuées depuis le début de l’année 2023. Ce n’était par conséquent pas en raison de sa transidentité que A______ serait en danger dans son pays d’origine, mais plutôt en lien avec son activité professionnelle, puisque des prostituées cisgenres étaient aussi violentées ou tuées. Or, son métier n’était pas inhérent à sa personne : elle pouvait changer d’activité lucrative. Ayant fait une transition à l’âge de 18 ans et quitté le Pérou en janvier 2022, elle y avait en outre vécu en tant que femme transgenre pendant treize ans.

E. a. Par acte du 14 septembre 2023, A______ a interjeté recours auprès du TAPI contre cette décision, concluant à son annulation, à ce qu’il soit déclaré que son renvoi était illicite et non raisonnablement exigible et à l’octroi d’une admission provisoire. Préalablement, elle a requis son audition.

La décision querellée ne prenait véritablement en considération ni son identité de genre ni son état de santé précaire dans l’examen de l’illicéité et de l’inexigibilité du renvoi. En effet, si le Tenofovir était disponible dans le service public de manière assez répandue, on ne trouvait pas de Lamivudine à Lima, mais uniquement auprès du service de la pharmacie de l’Hôpital de Pampas. Quant au Dolutegravir, il était uniquement disponible dans le secteur privé, moyennant un prix variant entre SOL 170 et 250 par pilule, soit un coût mensuel allant de SOL 5’100.- (environ CHF 1’249.-) à 7’500.- (environ CHF 1’836.-), montant exorbitant, bien au-delà des revenus qu’une travailleuse du sexe transgenre pouvait espérer réaliser au Pérou, étant noté que le salaire minimum péruvien était de SOL 1’025.-. En outre, le traitement contre le VIH n’était pas accessible au Pérou et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre y étaient très répandues. Dès lors, un retour dans son pays d’origine lui serait fatal, dans la mesure où la poursuite de son suivi et de son traitement serait impossible, avec pour conséquence une mort certaine.

Par ailleurs, l’accès au traitement au Pérou n’était pas garanti au vu de la pénurie d’accès aux traitements antirétroviraux au Pérou, des lacunes dans la couverture de l’assurance maladie, de la précarité et des ruptures de stocks récentes. De plus, en tant que femme transgenre, elle était exposée à des discriminations spécifiques affectant l’accessibilité au traitement.

Un chargé de 33 pièces était joint, dont notamment un rapport médical du 17 mai 2022 et une importante documentation relative à la situation des personnes transgenres au Pérou et à la prise en charge médicale des personnes séropositives, dans ce même pays, pièces essentiellement en anglais et espagnol.

La procédure, dont aucune des parties n'a signalé l'existence à la chambre administrative, a été ouverte sous numéro A/3025/2023.

b. Le 24 septembre 2023, A______ a été interpellée par la police et prévenue d’infractions aux art. 139 CP (vol d’un porte-monnaie « Louis Vuitton » et de CHF 1’500.- dans un véhicule automobile), 148a al. 1 CP (obtention illicite de prestations de l’aide sociale, somme illégalement perçue pour un montant supérieure à CHF 3’000.-), 199 CP (exercice illicite de la prostitution), 49 de la loi fédérale sur la protection contre les substances et les préparations dangereuses du 15 décembre 2000 (LChim - RS 813.1 ; mise sur le marché de substances ou de préparations destinées à un usage mettant directement en danger la vie ou la santé), 115 LEI (séjour illégal et exercice d’une activité lucrative sans autorisation), 19 et 19a ch. 1 LStup (fourniture de drogue à sa clientèle et détention intentionnellement et sans droit de stupéfiants de type cannabique d’une quantité supérieure à 10 g et inférieure à 100 g pour sa propre consommation).

c. Le 16 novembre 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments soulevés dans les écritures de recours n’étant pas de nature à modifier sa position.

A______ ne satisfaisait pas aux strictes conditions nécessaires à l’octroi d’un permis humanitaire, ce qu’elle ne semblait pas contester dans son recours.

S’agissant de l’illicéité de son renvoi, son état de santé ne représentait pas un stade de gravité suffisant pour conclure à l’illicéité de son renvoi au Pérou, dès lors qu'elle n’avait pas démontré être dans une phase terminale de la maladie.

Quant à l’inexigibilité du renvoi, l’infrastructure médicale existant au Pérou était suffisante pour traiter les patients atteints du VIH, le coût des soins étant de surcroît pris en charge par la collectivité, et A______ n’avait pas démontré que le stade de sa maladie était avancé. Sans aucunement minimiser les difficultés psycho-sociales et sanitaires qu’un retour engendrerait dans les circonstances d’espèce, il devait être admis que le seul fait que les soins prodigués au Pérou pour traiter le VIH ne soient pas d’une qualité équivalente à celle proposée en Suisse ne pouvait constituer une inexigibilité du renvoi selon la jurisprudence, l'intéressée se trouvant alors dans une situation analogue à celle de ses compatriotes ayant aussi contracté le virus du VIH et se faisant traiter au Pérou.

d. Le 11 décembre 2023, la recourante a répliqué.

Dans la mesure où il n’y avait pas d’obligation de prise en charge par l’assurance obligatoire des soins pour l’achat de médicaments dépassant une réserve normale lorsque la fin de l’obligation d’assurance était imminente en raison d’un départ à l’étranger, elle devrait prendre en charge personnellement le coût desdits médicaments. Or, son traitement était très onéreux. En Suisse, le prix du Tenofovir oscillait entre CHF 254.15 et CHF 532.- alors que celui du Dolutegravir et Lamivudine était de CHF 866.70. Au vu de ces coûts élevés, entre CHF 1’142.85 et 1’398.70, elle ne pourrait pas se constituer une réserve de médicaments. De plus, une telle réserve ne pourrait couvrir que les besoins pour une courte période et ne concernerait pas les examens de contrôle nécessaires. Par ailleurs, l’aide au retour médicale au sens de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - 142.31) n'était pas non plus pertinente : sa situation ne relevait pas du système de l’asile et cette aide au retour était, quoi qu'il en fût, conçue pour pallier des situations d’urgence à court terme et non pour traiter durablement une situation d’urgence médicale.

Swissmedic et le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) considéraient que l’importation de médicaments comportait un risque sanitaire, les défauts de qualité et le manque ou l'absence d’efficacité étant fréquents. Il était dès lors inconcevable que l’ordre juridique suisse retienne l’importation de médicaments dangereuse mais que les autorités, pour se soustraire à leurs obligations en matière de non‑refoulement, encouragent les personnes à s’adonner à une telle prise de risques.

e. Par jugement du 2 février 2024, le TAPI a rejeté le recours.

A______ n'avait à aucun moment soutenu qu’elle devrait être mise au bénéfice d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur, à juste titre puisqu’elle ne remplissait à l’évidence pas les strictes conditions requises pour la reconnaissance d’un tel cas. En effet, elle ne séjournait en Suisse que depuis deux ans, de manière illégale, et elle y était venue à l’âge de 31 ans. Elle ne pouvait par ailleurs pas se prévaloir d’une excellente intégration socio-professionnelle, étant à la charge de l’aide sociale, ne semblant pas parler le français (un interprète avait été constamment requis par la police pour l’interroger) et ayant été condamnée pénalement. L’objet du litige se limitait donc à la seule question de l’admission provisoire.

Celle-ci était de la seule compétence du SEM et ne pouvait être que proposée par les autorités cantonales. Faute pour A______ d’avoir fourni un rapport médical actualisé, il convenait de retenir que le rapport médical du 17 mai 2022 était toujours d’actualité et en particulier que la maladie n’avait pas atteint le stade C. Dans cette mesure et sans minimiser les problèmes de santé dont souffrait l'intéressée, ils n’atteignaient pas le seuil exigé par la jurisprudence pour faire échec à son renvoi, qui était ainsi licite.

Si l’accès aux médicaments antirétroviraux apparaissait certes plus difficile au Pérou qu’en Suisse, il devait néanmoins être admis, à teneur des informations fournies par l’ambassade, que ces derniers étaient disponibles et accessibles dans ce pays, où il existait en outre des programmes étatiques d’attention aux personnes séropositives, de nombreux centres de santé publics et privés spécialisés dans le domaine du VIH, ainsi que des ONG et fondations apportant notamment un soutien financier ou logistique aux personnes en question, tout comme d’ailleurs aux personnes transgenres. A______ avait la possibilité d’emporter avec elle une réserve de médicaments suffisante pour couvrir ses besoins jusqu’à ce que sa prise en charge puisse à nouveau être assurée au Pérou et, si la disponibilité permanente du traitement antirétroviral qui lui était administré ne devait pas y être garantie, changer de médication avec l’aide du corps médical. L'aide au retour dans ce domaine ne résultait pas uniquement de l’assurance obligatoire des soins, puisque la Croix-Rouge genevoise, par le biais de son service d’aide au retour, fournissait notamment une aide médicale destinée à la prise en charge de médicaments pendant une durée de trois mois, à concurrence de CHF 1’500.-, aux personnes remplissant les conditions de l’art. 17A du règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), ce qui semblait être le cas de A______. De plus, le canton de Genève pouvait également verser une aide financière à teneur du RIASI.

Quand bien même elles étaient sans doute plus exposées que d'autres, les personnes transgenres vivant au Pérou n'étaient pas systématiquement, et de ce seul fait, exposées à des exactions conduisant à la reconnaissance de l’existence d’une menace imminente, sérieuse et concrète pour la vie et l’intégrité corporelle qui fonderaient l’illicéité ou l'inexigibilité de l'exécution de leur renvoi. A______ avait vécu plus d’une dizaine d’année en tant que femme transgenre dans son pays natal et ne soutenait pas y avoir elle-même fait l’objet de violences.

F. a. Par acte posté le 7 mars 2024, A______ a a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, concluant principalement à son annulation, à ce qu'il soit déclaré que son renvoi était illicite et non raisonnablement exigible, à l'octroi d'une admission provisoire et à l'allocation d'une indemnité de procédure. Elle a par ailleurs conclu à titre préalable à la jonction de la procédure avec celle déjà pendante (A/2347/2022).

Elle ne prenait plus à titre de traitement médicamenteux la combinaison de Lamivudine, Tenofogir et Dolutegravir, mais de Dolutegravir, Emtricitabine et Tenofovir alafenamide – elle joignait un certificat médical le confirmant –, ce qui n'avait toutefois pas d'incidence majeure sur l'analyse de son cas. Le TAPI se limitait à faire référence au consulting médical d'octobre 2021, sans procéder à une appréciation des déterminations et des pièces qu'elle avait produites et qui prouvaient que le Dolutegravir n'était disponible, dans le secteur public, dans aucune ville du Pérou. Or il s'agissait de l'un des médicaments essentiels à sa survie, si bien que son indisponibilité dans son pays d'origine entraînait l'illicéité du renvoi.

La nécessité médicale à laquelle elle faisait face faisait obstacle à ce que son renvoi puisse être considéré comme raisonnablement exigible, si bien qu'elle devait être mise au bénéfice d'une admission provisoire.

b. Le 11 avril 2024, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

L'intéressée n'avait pas démontré que le stade de sa maladie était avancé, alors que selon la jurisprudence, l'exécution du renvoi d'une personne atteinte du VIH était en principe raisonnablement exigible tant que la maladie n'avait pas atteint le stade C. Elle n'avait pas non plus démontré qu'un changement du traitement antirétroviral avec l'aide du corps médical n'était pas possible. Par ailleurs, au vu de son âge et de son expérience, elle devait être à terme en mesure de financer de possibles participations à des frais médicaux.

Même si les conditions dans lesquelles elle devrait recevoir des soins n'étaient pas aussi favorables qu'en Suisse, cette différence n'était pas décisive.

c. Par décision du 24 avril 2024 (ATA/554/2024), la chambre administrative a prononcé la reprise de la procédure A/2247/2022, ordonné la jonction des procédures sous ce dernier numéro et imparti un délai au 24 mai 2024 aux parties pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 23 mai 2024, l'OCPM a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.

e. La recourante ne s'est quant à elle pas manifestée.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Dans son acte de recours du 27 août 2022, la recourante a sollicité son audition.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 132 II 485 consid. 3.2). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement ni celui de faire entendre des témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, la recourante a eu l’occasion de faire valoir son point de vue tout au long de la procédure devant le TAPI, puis la chambre de céans. Elle a, en outre, pu produire toutes les pièces qu’elle estimait utiles. Il n'apparaît pas que son audition soit de nature à apporter d'autres éléments pertinents que ceux qu'elle a déjà exposés par écrit, et elle n'indique pas en quoi tel serait le cas. Elle n'a du reste pas renouvelé sa demande d'audition depuis le dépôt de son premier recours en 2022.

La chambre de céans dispose ainsi d’un dossier complet, comprenant notamment le dossier de l’OCPM, lui permettant de se prononcer sur les griefs soulevés et trancher le litige en connaissance de cause, de sorte qu’il ne sera pas fait droit à la demande d’acte d’instruction.

3.             S'agissant de l'objet du litige, bien que la première procédure ait été suspendue pour permettre la prise de décision et une possible contestation de celle-ci sous l'angle du cas d'extrême gravité, la recourante – déjà au stade de son recours par-devant le TAPI – n'a pas contesté en soi le refus de préavis positif portant sur l'existence d'un cas d'extrême gravité, si bien que le litige ne porte plus que sur la question de l'admission provisoire, étant précisé que l'octroi de celle-ci est de la compétence du SEM (art. 83 al. 1 LEI) et que les autorités cantonales n'ont à cet égard qu'un pouvoir de proposition (art. 83 al. 6 LEI).

Cela étant, tout comme le TAPI, la chambre de céans confirmera en tant que de besoin le refus lié au cas d'extrême gravité, la recourante n'en remplissant pas les conditions. En effet, elle ne séjourne en Suisse que depuis 2022, ce qui fait que son séjour est de courte durée et s'est entièrement déroulé dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance des autorités de migrations. Elle est venue en Suisse à l’âge de 31 ans, si bien qu'elle a vécu au Pérou son enfance, son adolescence et l'essentiel de sa vie d'adulte jusqu'à aujourd'hui. Elle ne peut par ailleurs pas se prévaloir d’une excellente intégration socio-professionnelle, n'ayant pas de profession fixe puisqu'elle est active en partie – et apparemment sans aucune qualification – dans le domaine de la coiffure et de la manucure et en partie comme travailleuse du sexe, étant à la charge de l’aide sociale, ne parlant apparemment pas le français et ayant été condamnée pénalement.

4.             La recourante conteste que l'exécution de son renvoi soit licite et raisonnablement exigible, et sollicite son admission provisoire en Suisse.

4.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, toute personne étrangère dont l'autorisation est refusée, révoquée ou qui n'est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyée. La décision de renvoi est assortie d'un délai de départ raisonnable (art. 64d al. 1 LEI).

4.2 Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui‑ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI). L'exécution n'est pas possible lorsque la personne concernée ne peut quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers ni être renvoyée dans un de ces États (art. 83 al. 2 LEI). Elle n'est pas licite lorsqu'elle serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEI). Elle n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

L'art. 83 al. 4 LEI s'applique en premier lieu aux « réfugiées et réfugiés de la violence », soit aux personnes étrangères qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugiée ou réfugié parce qu'elles ne sont pas personnellement persécutées, mais qui fuient des situations de guerre ou de violence généralisée (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. II : loi sur les étrangers, Berne 2017, p. 949). En revanche, les difficultés
socio-économiques qui sont le lot habituel de la population locale, en particulier des pénuries de soins, de logement, d'emplois et de moyens de formation, ne suffisent pas en soi à réaliser une telle mise en danger (arrêt du TAF E-5092/2013 du 29 octobre 2013 consid 6.1 ; ATA/515/2016 du 14 juin 2016 consid. 6b).

4.3 S'agissant plus spécifiquement de l'exécution du renvoi des personnes en traitement médical en Suisse, celle-ci ne devient inexigible que dans la mesure où ces dernières ne pourraient plus recevoir les soins essentiels garantissant des conditions minimales d'existence. Par soins essentiels, il faut entendre les soins de médecine générale et d'urgence absolument nécessaires à la garantie de la dignité humaine. L'art. 83 al. 4 LEI, disposition exceptionnelle, ne saurait en revanche être interprété comme impliquant un droit général d'accès en Suisse à des mesures médicales visant à recouvrer la santé ou à la maintenir, au simple motif que l'infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical dans le pays d'origine ou de destination de l'intéressé n'atteignent pas le standard élevé qu'on trouve en Suisse. La gravité de l'état de santé, d'une part, et l'accès à des soins essentiels, d'autre part, sont déterminants. Ainsi, l'exécution du renvoi demeure raisonnablement exigible si les troubles physiologiques ou psychiques ne peuvent être qualifiés de graves, à savoir s'ils ne sont pas tels qu'en l'absence de possibilités de traitement adéquat, l'état de santé de l'intéressé se dégraderait très rapidement au point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de sa vie ou à une atteinte sérieuse, durable, et notablement plus grave de son intégrité physique (arrêt du TAF F‑1602/2020 du 14 février 2022 consid. 5.3.4).

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci‑après : CourEDH), l'exécution du renvoi ou de l'expulsion d'un malade physique ou mental est exceptionnellement susceptible de soulever une question sous l'angle de l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) si la maladie atteint un certain degré de gravité et qu'il est suffisamment établi que, en cas de renvoi vers l'État d'origine, la personne malade court un risque sérieux et concret d'être soumise à un traitement interdit par cette disposition (ACEDH N. c. Royaume-Uni du 27 mai 2008,
req. n° 26565/05, § 29 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_3/2021 du 14 avril 2021 consid. 4.2). C'est notamment le cas si sa vie est en danger et que l'État vers lequel elle doit être expulsée n'offre pas de soins médicaux suffisants et qu'aucun membre de sa famille ne peut subvenir à ses besoins vitaux les plus élémentaires (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42 ; ATF 137 II 305 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_14/2018 du 13 août 2018 consid. 4.1 ; 2C_1130/2013 du 23 janvier 2015 consid. 3).

Le renvoi d'un étranger malade vers un pays où les moyens de traiter sa maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'État contractant reste compatible avec l'art. 3 CEDH, sauf dans des cas très exceptionnels, en présence de considérations humanitaires impérieuses (ACEDH N. c. Royaume-Uni précité § 42 ; Emre c. Suisse du 22 mai 2008, req. n° 42034/04, § 89). Dans un arrêt du 13 décembre 2016 (ACEDH Paposhvili c. Belgique, req. n° 41738/10, § 173 ss, not. 183), la Grande Chambre de la CourEDH a clarifié son approche en rapport avec l'éloignement de personnes gravement malades et a précisé qu'à côté des situations de décès imminent, il fallait entendre par « autres cas très exceptionnels » pouvant soulever un problème au regard de l'art. 3 CEDH les cas d'éloignement d'une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l'absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou de défaut d'accès à ceux-ci, à un risque réel d'être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ; ces cas correspondent à un seuil élevé pour l'application de l'art. 3 CEDH dans les affaires relatives à l'éloignement des étrangers gravement malades. La CourEDH a aussi fixé diverses obligations procédurales dans ce cadre (ACEDH Savran c. Danemark du 7 décembre 2021, req. n° 57467/15, § 130).

4.4 Selon la jurisprudence du TAF, l'exécution du renvoi d'une personne infectée par le VIH est en principe raisonnablement exigible tant que la maladie n'a pas atteint le stade C (selon la classification CDC), ou tant que le sida n'est pas déclaré. Pour apprécier le caractère raisonnablement exigible ou non de l'exécution du renvoi, il faut toutefois tenir compte non seulement du stade de l'infection, mais aussi de la situation concrète dans le pays d'origine ou de provenance de la personne infectée, en particulier ses possibilités d'accès aux soins médicaux et sa situation personnelle (réseau familial et social, qualifications professionnelles, situation financière ; ATAF D-5131/2020 du 26 mai 2021 consid. 7.3.2 et la référence citée).

4.5 Le TAF a, ces dernières années, considéré comme raisonnablement exigible le renvoi d'une personne transsexuelle en Colombie (arrêt du TAF E-3455/2020 du 17 août 2021 consid. 6) ainsi que d'une personne homosexuelle au Pérou (arrêt du TAF F-1055/2019 du 20 décembre 2021 consid. 7.2).

4.6 En l’espèce, dès lors qu’il a refusé de soumettre le dossier de la recourante au SEM en vue de la délivrance d’autorisation de séjour pour cas de rigueur, l’OCPM devait ordonner son renvoi de Suisse en application de l’art. 64 al. 1 let. c LEI. Reste toutefois à déterminer si l’exécution de cette mesure est possible, licite et peut être raisonnablement exigée au sens de l’art. 83 al. 4 LEI, au vu des problèmes de santé de la recourante et son statut de personne transsexuelle.

Les rapports médicaux présents au dossier ne font pas état expressément du stade de la maladie de la recourante. Il n'en ressort pas non plus que la recourante aurait développé une quelconque maladie opportuniste, et selon le certificat du 17 mai 2022 sa charge virale était indétectable, ce qui suggère que la maladie n'a pas dépassé le stade A. La recourante ne prétend au demeurant pas le contraire et s'est gardée de donner une quelconque précision à ce sujet dans ses écritures.

Dans la mesure où la maladie de la recourante n’a pas atteint le stade C, l’exécution de son renvoi est en principe raisonnablement exigible, conformément à la jurisprudence précitée. S’agissant des possibilités d’accès aux soins médicaux au Pérou, le consulting médical du SEM présent au dossier, qui date de 2021, que la capitale Lima possède des infrastructures hospitalières au sein desquelles une infection au VIH peut être suivie et traitée, y compris par l'administration de médicaments antirétroviraux, et que le pays connaît un système de soins accessibles à la population. Dans ces conditions, il ne peut pas être retenu que la santé et la vie de la recourante seraient actuellement mises en danger par un renvoi dans son pays d’origine. Le fait qu'il puisse exister des pénuries et ruptures de stock, comme évoqué par la recourante dans ses écritures, n'y change rien.

Devant la chambre de céans, la recourante prétend que l’accès concret à son traitement en cas de retour dans son pays ne serait nullement garanti. En effet, l'un des trois médicaments qui lui est prescrit ne serait disponible que dans le secteur privé, à un prix prohibitif. La recourante, dont le trio de médicaments a été modifié peu avant le dépôt de son deuxième recours, ne fournit toutefois aucun certificat médical qui indiquerait que le médicament en question, soit le Dolutegravir, doit impérativement faire partie de son traitement médicamenteux, et que ce dernier ne pourrait pas se voir modifier par le corps médical au Pérou en fonction des disponibilités.

Il apparaît par ailleurs, comme l'a relevé le TAPI, que la prise en charge médicale des personnes séropositives au Pérou s’améliore. Ainsi, selon les chiffres d'ONUSIDA (https://www.unaids.org/fr/regionscountries/countries/peru [page consultée le 13 juin 2024]), le taux de personnes bénéficiant d’un traitement est passé de 60% à 82% et le nombre des décès liés au sida a fortement diminué entre 2010 et 2022 alors que la population séropositive a augmenté. Il résulte certes de la lecture des pièces produites par la recourante que la gestion des problématiques liées à cette maladie rencontre encore des difficultés au Pérou, mais cela n’implique toutefois pas que les séropositifs soient livrés à leur sort. À cela s’ajoute que les difficultés résultant du coût des soins ne se posent pas, les traitements contre le VIH étant gratuits, ainsi qu’il résulte d’une des pièces fournies par la recourante (pièce 13 chargé TAPI, « antiretroviral therapy has been available throughout Peru since 2004 without cost in all regions »). En toute hypothèse, il sera rappelé que le fait que la qualité des soins au Pérou ne soit pas la même qu’en Suisse ne saurait être considéré comme un obstacle insurmontable au retour dans le pays d’origine. Quand bien même elle devrait en financer une partie – ce qui ne ressort pas du dossier –, il est vraisemblable qu’elle en ait les moyens nécessaires, au vu de l’expérience professionnelle acquise en Suisse et de son aptitude à travailler. Sans nier les difficultés des personnes atteintes du VIH au Pérou à pouvoir bénéficier des traitements, des soins de santé et autres services liés au VIH, l’intéressée se trouvera dans une situation identique à celle de ses compatriotes.

Enfin, le TAPI a, à juste titre rappelé qu’au besoin, la recourante pourrait se constituer une réserve de médicaments avant son départ de Suisse. Cette possibilité a été rappelé à plusieurs reprises par le TAF (arrêts du TAF E-5092/2018 du 15 novembre 2018, voire aussi D-7524/2015 du 22 novembre 2017 et E-3165/2015 du 11 mai 2016). Contrairement à ce que soutient la recourante, une telle pratique n’est pas contraire aux recommandations de l’Institut suisse des produits thérapeutiques, lequel confirme la possibilité pour un particulier d’importer des médicaments pour sa consommation personnelle. Il est toutefois recommandé, pour toute importation dans un pays étranger, de se renseigner au sujet des lois appliquées dans les pays de destination. Quant aux difficultés financières auxquelles elle serait exposée pour se procurer les médicaments, le TAPI a rappelé que tant la Croix-Rouge genevoise que le canton de Genève pouvaient verser des prestations financières d’aide au retour. En cas de besoin, une assistance et une coordination médicales pouvaient lui être octroyées au moment de l’exécution du renvoi afin de la soutenir dans cette phase de retour. 

Le renvoi de la recourante n’est ainsi pas contraire aux engagements internationaux de la Suisse, dès lors qu’il n’est pas établi qu’elle encourt un « risque réel d'être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ».

La recourante soutient encore que les risques liés au retour dans son pays en tant que femme transgenre rendraient l'exécution de son renvoi inexigible. Toutefois, comme l'a à juste titre exposé le TAPI, s'il l'on peut admettre que les personnes transgenres sont davantage exposées que d’autres, au Pérou, face aux risques d’agression, d’exclusion et de précarité, on ne peut retenir pour autant qu'elles soient systématiquement, et de ce seul fait, exposées à des exactions conduisant à la reconnaissance de l’existence d’une menace imminente, sérieuse et concrète pour la vie et l’intégrité corporelle qui fonderaient l’illicéité ou l’inexigibilité de leur renvoi. L'OCPM relève du reste à juste titre que la recourante a vécu plus d’une dizaine d’années en tant que femme transgenre dans son pays natal et qu’elle ne soutient pas, ni à plus forte raison ne démontre, avoir elle-même fait l’objet de de violences ou de traitements inhumains ou dégradants, étant rappelé que des allégués d’ordre général ne sauraient suffire pour surseoir à l’exécution du renvoi (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-1737/2017 du 22 janvier 2019 consid 6.6.2).

Le renvoi est ainsi exigible en l’absence de nécessité médicale et de mise en danger concrète au sens de l’art. 83 al. 4 LEI.

Mal fondé, le recours sera rejeté, le prononcé du présent arrêt rendant sans objet la demande de restitution de l'effet suspensif.

5.             Aucun émolument ne sera prélevé, la recourante plaidant au bénéfice de l'assistance juridique (art. 87 al. 1 et 13 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 27 août 2022 et 7 mars 2024 par A______ « B______ » contre les jugements du Tribunal administratif de première instance des 15 août 2022 et 2 février 2024 ;

au fond :

les rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacopo OGRABEK, avocat de la recourante, à l’office cantonal de la population, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.