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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1087/2024

ATA/543/2024 du 30.04.2024 ( MARPU ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1087/2024-MARPU ATA/543/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 30 avril 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ Sàrl recourante
représentée par Me Claudio FEDELE, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

et

B______ SA intimées
représentée par Me Pascal RYTZ, avocat

_________



Attendu, en fait, que :

1. A______ Sàrl (ci-après : A______) est une société à responsabilité limitée sise à C______, inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève depuis le ______ 2000, et dont le but statutaire est : « exploitation d'une entreprise de carrelages, maçonnerie, pierres et marbre, revêtements divers, travaux d'entretien, de réparations d'immeubles et commerces s'y rapportant ».

2. B______ (ci-après : B______) est une société anonyme sise à D______, inscrite au RC du canton de E______ depuis le ______ 1988, et qui a pour but statutaire : « travaux spéciaux, soit assainissement du béton, revêtements résine, sols coulés, Terrazzo, injections, étanchements, armatures adhésives, revêtement de mortier, mortier projeté, forage du béton et autres travaux spécialisés, produits et procédés chimiques dans le domaine de la construction ».

3. Le ______ novembre 2023, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a publié sur la plateforme www.simap.ch un appel d'offres pour un marché public de travaux de construction, intitulé « F______ – chapes et sols minéraux ». Il s'agissait d'un marché en procédure ouverte, soumis aux accords internationaux, estimé à CHF 818'000.-.

Selon cette publication, des offres partielles n'étaient pas admises (ch. 2.12) et la sous-traitance était admise selon l'art. 35 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01), les sous-traitants devant également respecter les conditions (ch. 3.6).

4. Dans les documents d'appel d'offres, il est mentionné au ch. 8 des conditions générales et à la p. 9 des conditions d'appel d'offres que la sous-traitance « doit représenter moins de 50% de la valeur du marché ». Selon les documents d'appel d'offres (critères d'adjudication), la méthode de notation du prix était la méthode « formule linéaire T1 pondérée », soit : note du soumissionnaire (arrondie au dixième) = 5 – (P offert – P min.) / (P moyen – P min.).

5. Dans le délai imparti pour ce faire, seules deux questions ont été posées au sujet de l'appel d'offres, dont aucune ne concernait la sous-traitance. Aucun recours n'a été déposé contre l'appel d'offres.

6. Cinq offres ont été rendues dans le délai fixé au ______ janvier 2024 à 11h00, dont celles de B______ (pour CHF 917'493.35 TTC) et de A______ (pour CHF 1'084'840.60). Une autre offre a été exclue immédiatement après l'ouverture pour défaut des attestations demandées. Une autre offre reçue hors délai a également été exclue.

7. Lors de l'évaluation des offres, les mandataires de la ville ont estimé que l'offre de A______ présentait une part de sous-traitance représentant 67% du marché. Ils n'ont pour cette raison pas évalué ladite offre.

Selon le tableau d'évaluation des offres, B______ avait obtenu la note de 5 pour le critère 1 (prix), correspondant à 150 points ; la note de 4 pour le critère 2 (références), correspondant à 160 points ; et la note de 4.75 pour le critère 3 (organisation), correspondant à 142.5 points.

8. Par décisions du 4 mars 2024, la ville a adjugé le marché à B______ et a informé les deux autres soumissionnaires dont l'offre avait été évaluée de la non-adjudication du marché à leur société.

9. Le 14 mars 2024, A______ s'est enquise par téléphone du sort de son offre.

10. Par décision du 19 mars 2024, la ville a exclu A______ de la procédure d'appel d'offres, son offre n'étant pas conforme au cahier des charges dès lors que la sous‑traitance représentait environ 70% de son offre, tandis que le cahier des charges la limitait à 50% au maximum.

11. Par acte déposé le 2 avril 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d'exclusion précitée ainsi que contre la décision d'adjudication à B______, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours, et principalement à l'annulation des décisions attaquées, à l'attribution du marché ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

B______ et l'une des deux autres sociétés dont l'offre avait été évaluée, G______ SA (ci-après : G______), faisaient partie du même groupe de sociétés et de nombreux administrateurs étaient inscrits dans les deux sociétés, en sus de celle de leur société‑mère, H______ AG.

La société adjudicataire n'était pas spécialisée dans les travaux de chapes, qui représentaient environ 70% du marché (contre 30% environ pour les revêtements de sol), de sorte qu'elle devrait elle aussi sous-traiter cette partie des travaux au même pourcentage. La dernière société notée aurait quant à elle dû sous-traiter encore plus massivement, étant spécialisée uniquement dans le marbre. Ceci avait pour conséquence que la décision attaquée violait le principe de concurrence efficace.

La décision attaquée violait son droit d'être entendue, car la ville ne l'avait pas interpellée avant de la rendre.

B______ et G______ faisant partie du même groupe, elles pouvaient déléguer une partie des travaux l'une à l'autre, si bien qu'en attribuant le marché à la première, la ville ne donnait aucune chance à des sociétés qui, comme elle, n'avaient d'autre choix que de sous-traiter à l'externe. L'intérêt public à garantir une égalité de traitement entre les soumissionnaires était très important. La décision d'exclusion violant en outre le droit à plusieurs égards, le recours n'était pas dénué de chances de succès, et il convenait de lui octroyer l'effet suspensif. Par ailleurs, les travaux à effectuer n'étaient pas urgents, ne concernant notamment pas des logements.

12. Le 9 avril 2024, B______ a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif.

B______ et G______ étaient deux sociétés distinctes, soit des entités commerciales indépendantes avec chacune leur propre personnalité juridique. Le raisonnement de la recourante, selon lequel elle devrait sous-traiter le marché à plus de 50% était fondé sur de pures spéculations. Les chances de succès du recours étaient inexistantes.

13. Le 12 avril 2024, la ville a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif.

Il ressortait de l'offre de B______ qu'elle ne ferait pas appel à de la sous-traitance pour exécuter la part du marché relative à l'exécution des chapes et qu'elle semblait avoir en interne la compétence pour exécuter ces travaux.

Les griefs au fond formulés par la recourante étaient prima facie infondés. Il ressortait clairement de l'offre de la recourante – et de son aveu même – qu'elle ferait appel à un sous-traitant pour l'exécution des chapes, soit 70% du marché selon sa propre estimation. La recourante reconnaissait ainsi que son offre était contraire aux conditions générales de l'appel d'offres. Entendre la recourante au stade de l'examen de son offre n'aurait servi à rien, puisque le principe de l'intangibilité des offres ne permettait pas qu'elle modifiât sa soumission.

Les offres des autres soumissionnaires ne mentionnaient aucune sous-traitance et étaient donc conformes aux conditions générales, si bien que l'exclusion de la recourante ne consacrait aucune inégalité de traitement.

La soumission d'offres par des entreprises appartenant au même groupe était licite, sous réserve d'une entente ou d'un autre élément pouvant faire penser à une distorsion de la concurrence, exceptions dont la recourante ne démontrait pas la présence en l'espèce.

Il existait un intérêt public important à ce que le chantier du muséum puisse s'achever dans les temps, en particulier dans la mesure où les collaborateurs du musée continuaient à y travailler. Enfin, même en obtenant la note maximale aux critères autres que le prix, B______ demeurerait adjudicataire.

14. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1. Le recours, interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, est prima facie recevable, en application des art. 15 al. 1bis let. d et al. 2 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 55 let. c et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01), étant précisé que contrairement aux allégations de la commune adjudicatrice, si la recourante était réintégrée dans l'évaluation des offres et qu'elle obtenait des notes maximales aux critères 2 et 3, elle obtiendrait la note de 470 et donc le marché.

2. Les mesures provisionnelles sont prises par le président ou la vice-présidente de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par une autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3. Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1170/2020 du 19 novembre 2020 consid. 3 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, 311-341, p. 317 n. 15).

L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1/2024 du 2 janvier 2024).

4. Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur des mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).

5. a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre
ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).

b. L’offre est écartée d’office lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a RMP). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L’autorité adjudicatrice rend une décision d’exclusion motivée, notifiée par courrier à l’intéressé, avec mention des voies de recours (art. 42 al. 3 RMP).

c. Le droit des marchés publics est formaliste. L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l'art. 16 al. 2 RMP. Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l'obligation d'assurer l'égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d'examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation (ATA/496/2024 du 16 avril 2024 consid. 3.2).

6. a. La sous-traitance nécessite l’accord de l’autorité adjudicatrice, qui en fixe les modalités (art. 4 al. 3 L-AIMP, en vigueur depuis le 26 mars 2022).

b. Les soumissionnaires doivent indiquer, lors de la remise de leur offre, le type et la part des prestations qui sont appelées à être sous-traitées, ainsi que le nom et le domicile ou le siège de leurs sous-traitants (art. 35 al. 1 RMP).

7. En l'espèce, les documents d'appel d'offres étaient clairs au sujet de la limitation de la sous-traitance à 50% du marché (supra ch. 4 en fait), et la recourante a reconnu elle-même, tant dans son offre que dans son recours, devoir sous-traiter, si elle l'obtenait, environ 70% de ce dernier. Elle n'a cela étant pas interjeté recours contre l'appel d'offres, et n'a pas même pas posé de questions à la commune adjudicatrice à ce sujet. Il ressort enfin des écritures de celle-ci que les soumissionnaires dont l'offre a été évaluée n'ont pas fait état d'une sous-traitance dépassant le seuil admis, la société adjudicataire apparaissant en mesure d'effectuer seule l'entier des travaux.

Dans ces conditions, les chances de succès du grief principal de la recourante apparaissent prima facie ténues. Il en va de même de son grief lié à l'appartenance de deux soumissionnaires au même groupe de sociétés ; en effet, l'on ne voit a priori pas quelle norme un tel état de choses enfreindrait, ce d'autant plus que les deux sociétés étant juridiquement indépendantes, la société adjudicataire ne saurait faire appel à une société-sœur pour effectuer une partie des travaux si elle n'a pas annoncé la sous‑traitance correspondante.

Cela étant, il paraît à première vue possible que le pouvoir adjudicateur ait en l'espèce violé le droit d'être entendu de la recourante en ne lui donnant pas l'occasion de s'expliquer avant de l'exclure, rendant en outre sa décision d'exclusion après sa décision d'adjudication. Un tel constat ne conduirait toutefois pas de prime abord à la réintégration de la recourante dans le processus d'évaluation des offres, en raison des exigences de fond quant à la sous-traitance et au principe d'intangibilité des offres, qui ne lui permettrait quoi qu'il en soit pas de modifier sa soumission.

Les chances de succès du recours apparaissent ainsi insuffisantes en l'état pour octroyer l'effet suspensif, étant rappelé que l'absence d'un tel effet au recours constitue la règle en matière de marchés publics. Point n'est besoin dès lors d'examiner s'il existe un intérêt public ou privé prépondérant à l'exécution immédiate du marché.

8. Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse d'octroyer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Claudio FEDELE, avocat de la recourante, à la Ville de Genève ainsi qu'à Me Pascal RYTZ, avocat de B______ SA.

 

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :