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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3968/2023

ATA/428/2024 du 26.03.2024 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3968/2023-FPUBL ATA/428/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mars 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Nathalie BORNOZ, avocate

contre

SERVICES INDUSTRIELS DE GENÈVE intimés



EN FAIT

A. a. A______ a été engagé le 1er octobre 1990 par les services industriels de Genève (ci-après : SIG) en qualité de mécanicien.

b. Il est affecté à la fonction de « spécialiste construction, opérations et maintenance », rattaché à l’unité « eau potable production », dont le responsable est B______. Le supérieur direct de A______ est C______, contremaître.

c. À la suite de dissensions survenues en décembre 2021 entre B______ et A______ au sujet de son emploi du temps, pas assez justifié selon son contremaître, B______ l’a convoqué à un entretien le 8 février 2022. Ce dernier a refusé de s’y présenter.

d. Une nouvelle séance a été convoquée, à la suite de laquelle B______ a supprimé la possibilité pour l’employé d’effectuer des remplacements au centre de conduite de l’eau.

e. À compter du 9 mars 2022, A______ a été en arrêt maladie.

f. À partir du 1er juin 2022, des échanges ont eu lieu entre les SIG et l’employé, afin de trouver une solution en vue de mettre fin au différend entre celui-ci et le responsable de l’unité, en particulier par son déplacement dans un nouveau poste aux SIG.

g. A______ a reçu, les 24 février et 27 mars 2023, des réponses négatives à ses postulations.

h. Les échanges se sont poursuivis, lors desquels il s’est plaint de harcèlement de la part du responsable d’unité.

i. Par courrier du 29 août 2023, les SIG ont informé A______, au vu de ses allégations répétées de mobbing ou autres atteintes à sa personnalité, qu’ils souhaitaient que la situation soit clarifiée sur le plan juridique et avaient ainsi décidé de l’ouverture d’une enquête administrative en vue de déterminer si des actes de harcèlement ou d’autres atteintes à la personnalité avaient eu lieu dans le cadre des relations de travail entre lui-même et B______ et, dans l’affirmative, si les conditions d’un licenciement de l’un et/ou l’autre étaient remplies.

Ce courrier était co-signé par la « directrice exécutive gestion des réseaux de distribution » et la « directrice de l’activité TDR-RH ».

j. Le mandat d’enquête du 31 août 2023 reprend les termes précités et précise que la décision d’ouverture d’enquête administrative a également été notifiée à B______. Il est signé par le « directeur exécutif droit, achats et risques » et le directeur général des SIG.

k. Par pli du 18 septembre 2023, le « directeur exécutif droit, achats et risques » a expliqué, à la suite du courrier de A______ s’interrogeant sur les pouvoirs des personnes ayant signé la décision d’ouverture d’une enquête administrative qui lui avait été adressée, qu’il était compétent pour ordonner une telle enquête et confirmait avoir ouvert une telle enquête, comme cela ressortait du mandat confié à l’enquêteur qu’il avait signé. Selon les règles de délégation des signatures, la « directrice exécutive gestion des réseaux de distribution » et la « directrice de l’activité TDR-RH » avaient valablement agi sur délégation. Les raisons de l’ouverture de l’enquête avaient été exposées. La relation de travail entre A______ et B______ s’étant détériorée, les SIG souhaitaient en connaître la cause.

l. Par acte expédié le 22 septembre 2023, A______ a recouru auprès de la commission de recours en matière d’application du statut du personnel des SIG (ci-après : commission) contre les deux courriers précités, concluant au constat de leur nullité, subsidiairement à leur annulation et à la transmission du recours à l’Ombudsman en vue d’une instruction spécifique.

N’étant pas signé par les personnes y étant habilitées, le courrier était nul. Il était insuffisamment motivé. L’ouverture d’une enquête administrative le plaçait dans la situation d’une personne mise en cause, susceptible d’être licenciée, ce qui violait la présomption d’innocence. L’enquête administrative était subsidiaire à la procédure d’investigation qu’il convenait d’engager d’abord.

m. Se déterminant sur le recours, B______ a fait état de graves atteintes à son honneur et sa réputation. L’enquête administrative était le seul moyen de faire la lumière sur les accusations portées par l’employé à son encontre.

n. Les SIG ont conclu à la levée de l’effet suspensif. Tant l’employé que le responsable d’unité alléguaient être atteints dans leur santé par la situation conflictuelle, ce qui avait des répercussions sur l’ensemble du service. La poursuite de l’enquête administrative permettrait d’aboutir plus rapidement à une situation apaisée.

o. A______ a relevé que lui seul avait contesté l’ouverture de l’enquête administrative. B______ ne l’ayant pas contestée, il ne pouvait prendre de conclusions sur mesures provisionnelles. L’enquête ne devait être dirigée que contre celui-ci, lui-même revêtant la qualité de lanceur d’alertes. Il demandait sa réintégration ; il était en train de récupérer sa capacité de travail.

p. Par décision du 13 octobre 2023, notifiée le 30 octobre 2023, la commission a déclaré le recours de A______ irrecevable.

L’ouverture de l’enquête administrative constituait une décision incidente. Or, les conditions permettant de contester une telle décision n’étaient pas remplies. La commission, n’étant ainsi pas valablement saisie, elle ne pouvait constater l’éventuelle nullité de la décision d’ouverture de l’enquête.

La décision est signée par le président de la commission.

B. a. Par acte déposé le 28 novembre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision. Il a conclu à la nullité de la décision d’ouverture d’une enquête administrative, à ce qu’il soit dit qu’il n’était passible d’aucune action disciplinaire pouvant conduire à la résiliation de ses rapports de service, à la nullité, respectivement l’annulation de la décision de la commission, à ce que les SIG soient condamnés à prendre toute mesure nécessaire à son plein retour en emploi, le cas échéant en aménageant l’étendue de ses fonctions en maintenant son niveau de rémunération.

À la suite de l’alerte qu’il avait lancée au sujet de pratiques illicites de surveillance des collaborateurs des SIG, il subissait de graves atteintes à sa santé et à sa personnalité. Il avait toujours donné satisfaction. Depuis la fusion de son unité avec celle dirigée par B______, l’ambiance de travail s’était dégradée, celui-ci, pour manifester son autorité, recourant fréquemment à la confrontation et à la sanction des membres de l’unité « pour l’exemple ». Le malaise dégagé par le responsable d’unité se répercutait aussi sur les contremaîtres, qui adoptaient des attitudes irrespectueuses, vexatoires, voire harcelantes à l’égard de leurs subordonnés. L’enregistrement sur le serveur vocal était utilisé par les responsables et contremaîtres pour suivre et pister les collaborateurs, alors que cet enregistrement était destiné à la sécurité de ces derniers lorsqu’ils entraient dans les différentes installations. Lorsqu’il était avec un collègue, comme cela avait été le cas avec C______, seul ce dernier s’était enregistré, car cela suffisait pour assurer leur sécurité, sauf dans les grandes installations où il s’était également enregistré.

Il avait demandé un audit interne, demande réitérée après que l’on lui avait reproché à tort une arrivée tardive. B______ y avait répondu négativement, lui faisant des reproches sur le respect de ses horaires de travail, en se fondant sur l’enregistrement précité. Il considérait être un lanceur d’alertes pour avoir dénoncé le pistage des collaborateurs au moyen du système d’enregistrement, qui était détourné de son but.

Il avait contacté l’Ombudsman des SIG, qui lui avait indiqué qu’une tentative de médiation entre lui et B______ serait organisée lorsqu’il aurait recouvré sa capacité de travail. Les échanges subséquents entre son conseil et les SIG n’avaient pas abouti. Le mandat d’enquête ne s’étendait pas à l’ensemble des faits qu’il avait dénoncés, dont le pistage des collaborateurs et les mesures prises en guise de représailles à son encontre par B______.

Le courrier du 29 août 2023 n’était pas signé par une personne y étant habilitée. Il aurait dû comporter la signature du « directeur exécutif droit, achats et risques ». La commission aurait dû constater la nullité de cet acte, même si elle était saisie d’un recours irrecevable.

L’ouverture de l’enquête administrative constituait une atteinte à la présomption d’innocence. En effet, il n’existait aucun soupçon selon lequel il aurait commis un manquement justifiant l’ouverture d’une telle enquête.

Celle-ci lui causait un préjudice irréparable puisqu’il était privé de la possibilité d’être entendu en qualité de victime au sens de l’art. 28A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10). L’enquête constituait une sorte de fishing expedition, destinée à récolter des preuves en sa défaveur en l’absence de tels éléments.

En outre, la procédure d’enquête administrative était subsidiaire à celle d’investigation prévue pour élucider des allégations de harcèlement. La première était in casu détournée de son but.

Il avait été convenu que les SIG l’accompagneraient dans la recherche d’un transfert vers une fonction similaire, son médecin ayant indiqué qu’il était apte à reprendre son activité s’il n’avait pas à collaborer avec B______. Or, contrairement à leurs promesses, les SIG n’avaient rien entrepris pour lui trouver une autre fonction. L’ouverture de l’enquête administrative violait ainsi également le principe de la bonne foi. De plus, elle constituait une mesure de représailles aux faits qu’il avait dénoncés.

La commission avait violé son droit d’être entendu oralement, expressément prévu par le RaStat. La composition de celle-ci était irrégulière, son président ayant statué seul. Ce dernier étant également membre du conseil d’administration des SIG, à qui la décision d’ouverture de l’enquête administrative avait certainement été soumise, s’était trouvé dans un conflit d’intérêts et n’aurait ainsi pas dû participer à la décision querellée.

b. La commission a précisé que si la décision était signée par son seul président, elle avait été prise par l’ensemble de ses cinq membres, dont elle indiquait l’identité et la fonction. Les membres de celle-ci également membres du conseil d’administration des SIG n’avaient pas eu connaissance en cette dernière qualité de la décision d’ouverture d’enquête ni de la contestation qui s’en était suivie, la décision précitée n’étant pas du ressort du conseil d’administration.

c. Les SIG ont conclu à l’irrecevabilité du recours. La décision d’ouverture d’enquête administrative avait été rendue par les personnes qui y étaient habilitées, ce que le directeur exécutif droit, achats et risques avait confirmé dans son courrier du 18 septembre 2023 au recourant.

d. Dans sa réplique, le recourant a fait état des nombreuses lettres de soutien reçues de la part de ses collègues. Sa postulation au poste de « chargé du quart au centre de conduite du service de l’eau » avait été refusée le 14 décembre 2023 au motif qu’une enquête administrative était en cours. Il avait ressenti ce refus comme une nouvelle marque de stigmatisation, voire de représailles et avait demandé s’il était libéré de l’obligation de travailler. Si tel n’était pas le cas, il annonçait être apte à reprendre son activité dès le 1er février 2024. Les SIG lui avaient répondu qu’il ne pouvait pas revenir à son poste actuel, compte tenu de la limitation fonctionnelle couverte par un certificat médical.

Il avait produit un certificat médical le déclarant apte à reprendre pleinement son activité le 1er février 2024. Les SIG lui avaient opposé la procédure en cours et indiqué qu’ils agiraient en fonction de la décision de la chambre administrative. Il demandait ainsi que des mesures provisionnelles soient prononcées l’autorisant à poursuivre son activité de « spécialiste construction, opérations et maintenance » et de « remplaçant chargé de quart ». De même, aucun acte d’instruction ne devait être engagé par l’enquêteur administratif jusqu’à droit jugé sur le présent recours.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

f. Le recourant s’en est étonné, estimant qu’il devait être donné suite à sa demande d’être entendu oralement par la chambre administrative.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA ; art. 82 du statut du personnel des SIG du 26 juillet 2012).

2.             L’objet du litige consiste à déterminer si la décision de la commission déclarant irrecevable le recours formé devant elle contre la décision d’ouverture d’enquête administration est fondée.

La chambre administrative ne peut ainsi pas se prononcer sur les conclusions du recourant qui se rapportent au fond ; elle ne peut examiner que la question de l’irrecevabilité du recours formé devant la commission.

3.             Le recourant sollicite son audition ainsi que celle de 17 témoins, la production du dossier de procédure en mains de la commission, des relevés du système d’enregistrement de son temps de travail de décembre 2021 à mars 2022 et du relevé de ses identifications au serveur vocal des installations du mois de décembre 2021.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

Le droit à une audience au sens de l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) doit être uniquement garanti une fois au cours de la procédure (ATA/265/2021 du 2 mars 2021 consid. 2).

3.2 En l’espèce, la commission a transmis son dossier de procédure à la chambre administrative. Le recourant a pu exposer son point de vue dans son recours et sa réplique et produire toute pièce qu’il estimait utile. Il sollicite son audition ainsi que celle de témoins pour établir des faits qui se rapportent à la contestation objet de l’enquête administrative, à savoir notamment l’existence d’un harcèlement qu’il aurait subi de la part de B______, en partie en raison de son statut de lanceur d’alerte qui avait dénoncé le pistage des collaborateurs des SIG. Or, dans la mesure où le litige est circonscrit à la question de l’irrecevabilité du recours dirigé contre l’ouverture d’une enquête administrative, ni l’audition du recourant ni celle des témoins cités ni la production des pièces sollicitées ne sont de nature à fournir des éléments pertinents pour trancher cette question. Le recourant n’explique au demeurant pas la pertinence des auditions sollicitées au regard de l’objet, limité, du litige. Par ailleurs, le recours étant dirigé contre une décision incidente, il pourra être satisfait à la garantie prévue par l’art. 6 CEDH au cours de l'éventuel contentieux lié à la décision finale.

Il ne sera donc pas donné suite aux demandes d’actes d’instruction.

4.             Le recourant soulève plusieurs griefs d’ordre formel. En premier lieu, il conteste la composition régulière de la commission.

4.1 Conformément à l’art. 81 al. 1 du statut du personnel, une commission de recours est instituée, composée de cinq membres, soit un Président choisi par le conseil d’administration en son sein, deux membres désignés par le conseil d’administration et deux membres désignés par la commission du personnel. Un juriste assure le rôle de secrétaire de la commission et est consulté sur les aspects juridiques traités par la commission.

4.2 En l’espèce, la décision querellée porte la seule signature du président de la commission et ne mentionne pas les autres membres ayant participé à la décision. Ce manquement formel ne justifie cependant pas le prononcé de la nullité ou de l’annulation de la décision. En effet, la commission, se déterminant sur ce point en particulier, a précisé que la décision avait été prise collégialement lors d’une délibération qui s’était tenue le 13 octobre 2023 et qu’elle était composée d’un représentant désigné par le conseil d’administration en son sein, une administratrice désignée par le conseil d’administration, un membre de la direction générale et deux représentants du personnel. Aucun élément ne permet de douter de cette information ; le recourant n’en apporte d’ailleurs pas, pas plus qu’il n’invoque de motifs de récusation à l’encontre des membres de la commission. La commission a donc siégé dans la composition prévue par le statut du personnel.

Contrairement à ce que soutient le recourant, la compétence d’ouvrir une enquête administrative ne revient pas au conseil d’administration des SIG, mais au « directeur droit et risques », conformément à l’art. 68 du règlement d’application du statut du personnel du 26 février 2018 (ci-après : RAstatut), applicable par renvoi de l’art. 77 al. 4 du statut du personnel. Le président de la commission, également membre du conseil d’administration des SIG, n’ayant pas participé à la décision d’ouverture de l’enquête administrative, ne présente ainsi pas de conflit d’intérêts ou de motifs justifiant de se récuser dans le cadre du recours formé contre cette décision.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la décision attaquée a été rendue par une autorité régulièrement composée.

5.             Le recourant reproche à la commission une violation de son droit d’être entendu, celle-ci ne l’ayant pas auditionné.

5.1 L’al. 6 de l’art. 77 RAstatut, applicable à la procédure devant la commission, prévoit que celle-ci entend le recourant, son responsable hiérarchique, le supérieur de celui-ci, un représentant des ressources humaines, les collègues directes de l’intéressé ainsi que toute autre personne dont l’audition lui paraît utile. L’art. 77 al. 5 RAstatut prévoit que la commission « réunit les éléments nécessaires et procède aux actes d’instruction nécessaires pour fonder sa décision conformément à la LPA ».

5.2 En l’espèce, il n’est pas contesté que le recourant n’a pas été auditionné oralement par la commission. Celle-ci, se référant à l’art. 72 LPA, auquel l’art. 77 al. 5 RAstatut renvoie, a estimé que, le recours s’avérant manifestement irrecevable, elle pouvait statuer sans actes d’instruction, précisant que le droit d’être entendu du recourant avait été respecté, celui-ci ayant pu s’exprimer dans ses écritures.

Ce raisonnement est fondé. En retenant que le recourant avait eu l’occasion d’exposer son point de vue dans les écritures déposées devant elle et que le recours était, selon elle, manifestement irrecevable, la commission pouvait, sans violer le droit d’être entendu du recourant, statuer sans procéder à son audition.

Le grief de violation du droit d’être entendu est donc écarté. Autre est la question de savoir si le recours était manifestement irrecevable.

6.             Le recourant reproche à la commission de ne pas avoir constaté la nullité de la décision d’ouverture d’une enquête administrative.

Comme cela vient d’être exposé, la compétence d’ordonner l’ouverture d’une enquête administrative revient au « directeur droit et risques », conformément à l’art. 68 RAstatut, applicable par renvoi de l’art. 77 al. 4 du statut du personnel. Celui-ci a signé le mandat d’enquête adressé à l’enquêteur le 31 août 2023 et confirmé, dans son courrier du 18 septembre 2023 au recourant, qu’il avait ouvert une procédure d’enquête administrative. Ainsi, quand bien même le courrier du 29 août 2023 informant le recourant de l’ouverture d’une enquête administrative en vue de clarifier la question de savoir si des actes de harcèlement ou d’autres atteintes à la personnalité avaient eu lieu dans le cadre de la relation de travail entre le recourant et B______, il ne fait aucun doute que la décision d’ouvrir une telle enquête a été prise par la personne y étant formellement habilitée.

La décision ne souffre donc pas d’un vice la rendant nulle ou annulable.

7.             Le recourant estime que son recours aurait dû être déclaré recevable, dès lors qu’il était exposé à un préjudice difficilement réparable. Du fait de la procédure d’enquête administrative, il perdait le statut de lanceur d’alerte et celui de victime au sens de l’art. 28A LPA. L’enquête constituait une sorte de fishing expedition, destinée à récolter des preuves en sa défaveur en l’absence de tels éléments et violait la présomption d’innocence. Enfin, la procédure d’enquête était subsidiaire à celle d’investigation à mener par l’Ombudsmann.

7.1 Selon l'art. 57 let. c in initio LPA, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduisait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

7.2 L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Le préjudice irréparable visé par l’art. 93 al. 1 let. a et b LTF suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 138 III 46 consid. 1.2). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant. Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice. Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable. Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 147 III 159 consid. 4.1 ; 142 III 798 consid. 2.2).

7.3 La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

7.4 De jurisprudence constante, la décision d'ouverture d'une enquête administrative ne cause pas un préjudice irréparable, dès lors qu'une décision après l'enquête administrative, qui serait entièrement favorable à l’intéressé, permet de réparer une éventuelle atteinte, notamment à sa personnalité (ATA/425/2023 du 25 avril 2023 consid. 2.5 ; ATA/1222/2022 du 6 décembre 2022 consid. 3h ; ATA/265/2021 du 2 mars 2021 consid. 4 ; ATA/1018/2018 du 2 octobre 2018 consid. 11a).

7.5 Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

7.6 La seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA suppose cumulativement que l’instance saisie puisse mettre fin une fois pour toutes à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans la décision préjudicielle ou incidente et que la décision finale immédiate qui pourrait ainsi être rendue permette d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 consid. 2.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_413/2018 du 26 septembre 2018 consid. 3).

7.7 Selon la loi sur la protection des lanceurs d’alerte du 29 janvier 2021 (LPLA - B 5 07), la protection des lanceurs d’alerte et des témoins d’irrégularités membres du personnel est assurée par l’employeur. L’art. 34 LPA est applicable au témoignage (art. 8 al. 1 LPLA). Cette dernière disposition prévoit que les témoins, outre les indications relatives à leur identité et lien avec les parties, sont exhortés à dire la vérité et peuvent être rendus attentifs aux conséquences d’un faux témoigne.

7.8 L’art. 61 du statut du personnel est consacré à la protection de la personnalité. Son al. 3 prévoit qu’un règlement d’application du statut précise les notions de harcèlement et de conflits professionnels ainsi que les procédures à suivre dans de tels cas. Selon ce règlement, le collaborateur qui se sent victime de harcèlement ou d’une atteinte à la personnalité peut le signifier à la personne qui lui porte cette atteinte ou à son supérieur. Il peut aussi solliciter un rendez-vous à l’Ombudsman (point B.1). Celui-ci décide de l’ouverture d’un dossier (point B.2.2.2).

Selon le règlement spécifique relatif aux dénonciations à l’Ombudsman, celui-ci décide s’il entend ouvrir un dossier lorsqu’un collaborateur « remonte » une situation de harcèlement ou de conflits ou de fraude (chapitre 1 ch. 1).

7.9 En l’espèce, la commission a retenu que le recourant ne subissait aucun préjudice irréparable du fait de la décision d’ouverture d’une enquête administrative. Si ladite enquête lui était entièrement favorable, voire concluait qu’il était victime de harcèlement, des décisions adéquates seraient prises. Il pouvait aussi contester la décision finale. L’admission de son recours ne permettait pas de mettre un terme à une procédure longue et coûteuse. Au demeurant, il ne contestait pas le principe de l’enquête administrative, mais le fait qu’elle le visait. En tant qu’il sollicitait de la commission de constater qu’il n’était passible d’aucune action disciplinaire ni d’une résiliation des rapports de service, il demandait à celle-ci de procéder elle-même à l’enquête administrative, ce qui n’était pas le but d’un recours dirigé contre l’ouverture d’une telle enquête.

Ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique. En effet, l’ouverture de l’enquête administrative tend, selon le mandat confié à l’enquêteur, à examiner les allégations de harcèlement et d’atteintes à la personnalité formulées par le recourant à l’endroit de B______ et de son employeur. Elle n’est, en tant que telle, pas susceptible de causer au recourant un préjudice difficilement réparable. Si, comme il le soutient, elle confirme les actes de harcèlement et les atteintes à la personnalité allégués, ce constat permettra au recourant d’en déduire des prétentions et à l’employeur de prendre les mesures de protection de la personnalité nécessaires. Si au contraire, l’enquête ne devait pas établir les atteintes alléguées, notamment la qualité de victime du recourant, celui-ci pourra en contester les conclusions et conservera la possibilité de s’y opposer. Comme l’a en outre relevé la commission, le fait de revêtir la qualité de partie à l’enquête administrative confère au recourant plus de droits que s’il était entendu uniquement à titre de témoin. Le recourant en a d’ailleurs conscience puisqu’il a sollicité l’audition de 17 témoins, requête qu’il ne pourrait formuler s’il revêtait la qualité de témoin. Sa position dans la procédure n’est donc pas affaiblie.

Par ailleurs, ni le statut du personnel ni les règlements spécifiques concernant d’une part les conflits professionnels et le harcèlement et d’autre part les dénonciations à l’Ombudsman ne prévoient de subsidiarité de l’enquête administrative par rapport à l’ouverture d’un dossier par l’Ombudsman. Les conclusions de l’Ombudsman ne sont donc pas un prérequis avant l’ouverture d’une enquête administrative en cas de harcèlement ou signalement du type lanceur d’alerte.

Pour le surplus, le recourant ne rend pas vraisemblable que l'admission de son recours auprès de la commission conduirait à une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Au vu de ce qui précède, la commission n’a ni violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en retenant que l'existence d'un préjudice difficilement réparable n’était pas rendue vraisemblable et qu’ainsi, le recours formé devant elle était irrecevable.

Mal fondé, le recours sera donc rejeté.

8.             Le présent arrêt rend sans objet les conclusions sur effet suspensif et mesures provisionnelles.

9.             Vu l’issue du litige, le recourant supportera un émolument de CHF 800.- et ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

Le litige ne présente pas de valeur litigieuse au sens de l’art. 85 al. 1 let. b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) et porte sur une question incidente au sens de l’art. 93 LTF.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

 

rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 28 novembre 2023 par A______ contre la décision de la commission de recours en matière d’application du Statut du personnel des Services industriels de Genève du 13 octobre 2023 ;

met un émolument de CHF 800.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public si la contestation porte sur une question juridique de principe ou par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 93 et 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal-Fédéral 29, 1005 Lausanne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nathalie BORNOZ, avocate du recourant, aux Services industriels de Genève ainsi qu’à la commission de recours en matière d’application du statut du personnel.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :