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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3508/2023

ATA/426/2024 du 26.03.2024 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3508/2023-FPUBL ATA/426/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mars 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Robert ASSAËL, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ a été employé par le département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP ou le département) en qualité de chef de secteur du foyer B______, alors dénommé foyer C______, du 16 mai 2019 au 31 août 2020. Il a cessé d’y travailler effectivement le 31 juillet 2020 et a démissionné de ses fonctions avec effet au 1er septembre 2020.

b. Le 3 décembre 2021, le département a déposé une plainte pénale au Ministère public pour violation du devoir d’assistance ou d’éducation (art. 219 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0).

Le foyer avait ouvert en juin 2018 sous la direction de A______ jusqu’au 30 juin 2020, de D______ ad interim du 1er juillet au 31 octobre 2020, de E______ du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021 et de F______ ad interim depuis lors.

Plusieurs éducateurs spécialisés engagés sous le statut de remplaçants lui avaient dénoncé, dans un document non daté et non signé, les comportements inadéquats de la part d’autres collaborateurs à l’égard de plusieurs pensionnaires, soit G______, H______, I______, J______ et K______. Sept remplaçants avaient été entendus par le secrétaire général du département. Ils avaient indiqué que certains enfants n’avaient pas été suffisamment nourris, laissés seuls sans surveillance durant un temps prolongé, enfermés dans une chambre pendant plusieurs (deux ou trois) heures, fait l’objet d’actes de contention de manière disproportionnée, fait l’objet de violences physiques soit bousculés ou secoués, n’avaient bénéficié d’aucune intervention des adultes lors de phases d’automutilation et avaient fait l’objet d’un manque de soins d’hygiène. L’équipe d’éducateurs et d’infirmiers était alors constituée de L______, M______, N______, O______, P______ et Q______. Certains enfants avaient dû être hospitalisés en raison de leur état nutritionnel problématique ou, pour l’un d’eux, parce qu’il présentait des plaies. La directrice générale de l’office médico‑pédagogique (ci-après : OMP) avait également dénoncé ces faits, et provoqué l’ouverture de la procédure pénale P/1______/2021.

La plainte a donné lieu à l’ouverture de la procédure pénale P/2______/2021.

c. Le 11 octobre 2022, le Ministère public a ordonné la jonction de la procédure P/3______/2022 avec la procédure P/2______/2021, ouverte à la suite de la plainte déposée le 11 juillet 2022 par J______ et sa mère R______ pour des faits survenus dans le même contexte.

La plainte – avec constitution de partie plaignante – était formée pour lésions corporelles graves (art. 122 CP), exposition (art. 127 CP), omission de prêter secours (art. 128 CP), mise en danger de la vie d’autrui (art. 129 CP), remise à des enfants de substances pouvant mettre leur vie en danger (art. 136 CP), séquestration (art. 183 CP) et violation du devoir d’assistance et d’éducation. Elle était dirigée contre les auteurs directs, dont l’identité était inconnue, des maltraitances subies par J______ lorsqu’il était pensionnaire du foyer d’août 2018 à août 2020, ainsi que contre la conseillère d’État en charge du département, contre S______, directeur de l’OMP de 2005 à 2018, et les directeurs qui lui avaient succédé, contre les directeurs successifs du foyer, notamment A______, ainsi que contre tout autre fonctionnaire qui avait pu violer son devoir de dénoncer.

d. Le 23 mai 2023, A______ a été mis en prévention par le Ministère public pour violation du devoir d’assistance ou d’éducation.

Il lui était reproché d’avoir, en sa qualité de directeur du foyer C______ entre le 15 mai 2019 et le 31 août 2020, alors qu’il avait été informé par des éducateurs remplaçants de comportements inadéquats, voire dangereux, de la part de plusieurs éducateurs du foyer envers les enfants qui y étaient placés, omis d’alerter sa hiérarchie et de prendre les mesures qu’imposait la situation et qui étaient nécessaires pour assurer la protection des enfants et éviter tout risque de réitération, alors qu’il était garant de la sécurité de ces enfants, mettant ainsi leur développement physique ou psychique en danger.

B. a. Le 6 septembre 2023, A______ a demandé au département la prise en charge de ses frais de procédure et honoraires d’avocat dans le cadre de la procédure pénale.

b. Par décision du 21 septembre 2023, le département a rejeté la demande.

La procédure pénale avait été initiée à la suite de la dénonciation du département. La condition prévue à l’art. 14A al. 1 let. c du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) n’était pas remplie.

En l’état, la condition de l’art. 14A al. 1 let. b RPAC ne pouvait pas non plus être considérée comme remplie.

À cela s’ajoutait qu’il ne faisait plus partie du personnel de l’État après qu’il avait démissionné avec effet au 1er septembre 2020.

C. a. Par acte remis à la poste le 25 octobre 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’il soit dit que ses frais de procédure et honoraires d’avocat étaient pris en charge par l’État.

C’était au moment des faits incriminés que la condition de la qualité de fonctionnaire de l’art. 14A al. 1 RPAC devait être remplie.

La dénonciation du 3 décembre 2021 n’était pas dirigée contre lui mais contre inconnu. Le département avait indiqué qu’il ne pouvait écarter la piste d’une violation du devoir d’assistance ou d’éducation. La dénonciation mentionnait des éducateurs et aucun reproche ne lui était fait. Le 24 janvier 2022, le Ministère public avait ouvert une instruction contre inconnu du chef d’infraction à l’art. 219 CP. Son nom n’était pas mentionné. Le 11 juillet 2022, R______ avait déposé plainte, notamment pour infraction à l’art. 219 CP. Il avait été mis en prévention le 23 mai 2023. Le procès-verbal mentionnait la plainte de R______ mais pas la dénonciation du département. Il s’ensuivait que la procédure avait été initiée par R______ et non par l’État.

La procédure pénale n’était pas achevée mais aucune intention n’avait été retenue contre lui par le Ministère public au stade de la mise en prévention. Compte tenu de son parcours exemplaire et du contexte, il était inconcevable de construire une infraction intentionnelle.

b. Le 24 novembre 2023, le département a conclu au rejet du recours.

c. Le 10 janvier 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions et son argumentation.

Ce n’était pas la dénonciation du département qui avait entraîné sa mise en prévention. Le délai de six mois entre la dénonciation du département et la plainte de R______ confirmait l’absence de causalité.

d. Le 12 janvier 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et les pièces produits par les parties.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recours a pour objet la décision refusant au recourant la prise en charge de ses frais de justice et honoraires d’avocat dans la procédure pénale en cours.

2.1 Selon la doctrine, l'État a une obligation de protection à l’égard de son personnel, qui ne doit pas se comprendre comme un simple pendant de l’art. 328 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220), mais plutôt comme celui du devoir de fidélité de l’agent public envers de l’État. La collectivité doit ainsi notamment protéger la personnalité du fonctionnaire contre des attaques injustifiées (Fritz LANG, Das Zürcher Personalgesetz vom 27. September 1998 in Peter HELBLING et Tomas POLEDNA, Personalrecht des öffentlichen Dienstes, Bern, 1999, p. 73, cité dans l’ATA/1040/2016 du 13 décembre 2016 consid. 7).

2.2 Selon l’art. 14A al. 1 RPAC, les frais de procédure et honoraires d'avocat effectifs à la charge d'un membre du personnel en raison d'une procédure de nature civile, pénale ou administrative initiée contre lui par des tiers pour des faits en relation avec son activité professionnelle sont pris en charge par l'État pour autant que, cumulativement, (a) le membre du personnel concerné ait obtenu au préalable l'accord du chef du département ou de la personne déléguée par lui quant à ladite prise en charge, (b) le membre du personnel n'ait pas commis de faute grave et intentionnelle et (c) la procédure ne soit pas initiée par l'État lui-même.

Selon l’al. 2, ces frais sont également couverts lorsqu’ils sont liés à une procédure initiée par un membre du personnel en relation avec son activité professionnelle pour autant que, cumulativement, (a) le membre du personnel concerné ait obtenu au préalable l'accord du chef du département ou de la personne déléguée par lui, quant à la procédure à intenter, (b) il n'ait pas commis de faute grave et intentionnelle et (c) la procédure ne soit pas dirigée contre l'État.

Par ailleurs, les frais de procédure et honoraires d'avocat liés à une procédure initiée par un membre du personnel contre un autre membre du personnel ne sont pas pris en charge (al. 3) et la prise en charge des frais de procédure et honoraires d’avocat intervient en principe sous forme d’avances en cours de procédure, sur la base d’une décision du département concerné (al. 4).

Selon l’al. 8, la personne bénéficiaire de la prise en charge cède à l'État les dépens qui lui ont été alloués. L'État procède par compensation sur le traitement selon l'art. 40 RPAC. L'État rembourse à la personne bénéficiaire les dépens auxquels cette dernière a été condamnée.

2.3 En 2006, alors que l’art. 14A RPAC, adopté le 14 décembre 2011 dans sa version initiale, n’était pas en vigueur, le Tribunal fédéral a rappelé que dans un arrêt du 9 octobre 2001, le Tribunal administratif (auquel a depuis lors succédé la chambre de céans) avait comblé une lacune de la législation cantonale qui ne prévoyait pas le remboursement des frais de défense d'un magistrat faisant l'objet d'une poursuite pénale pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions. Une telle prise en charge par l'État répondait au souci de préserver l'indépendance du juge et de le mettre à l'abri de pressions de la part de justiciables. Il n'était pas arbitraire de considérer que cette protection ne s'étendait pas aux fonctionnaires cantonaux, dont le risque d'atteinte à l'indépendance était sensiblement moins élevé. En cas d'attaque injustifiée, ceux-ci bénéficiaient d'ailleurs de l'appui de leur hiérarchie au sein du pouvoir exécutif et ne se trouvaient pas isolés face à des tentatives de déstabilisation. La protection accordée aux magistrats visait en outre la situation dans laquelle ils faisaient l'objet d'une plainte pénale émanant de tiers, soit de personnes pouvant avoir intérêt à les influencer, à faire peser une menace sur eux ou à compliquer et retarder l'instruction d'une cause. Dans ce sens, le remboursement des frais de défense pénale se justifiait en cas d'enquête pénale diligentée à la suite d'une plainte, mais pas lorsque la justice intervenait d'office ou, autrement dit, lorsqu'elle agissait motu proprio. Dans le cas soumis au Tribunal fédéral, le recourant n'avait pas été dénoncé par un tiers intéressé à exercer une quelconque pression sur lui pouvant justifier l'intervention de l'État. L'ouverture de l'enquête pénale dirigée à son encontre résultait de l'intervention du président du Tribunal administratif, soit d'une autorité judiciaire, qui avait été amenée à considérer que certains comportements révélés par une enquête disciplinaire pouvaient relever de l'application de la loi pénale. Dans un tel cas de figure, il n'était pas arbitraire de considérer que la justice pénale agissait d'office, par opposition à la dénonciation de la part d'un tiers. Il en irait de même dans l'hypothèse d'un magistrat qui serait dénoncé pénalement par le Conseil supérieur de la magistrature (arrêt du Tribunal fédéral 2P.96/2006 du 27 juillet 2006 consid. 2.3).

2.4 La chambre de céans s’est déjà prononcée sur la notion du tiers au sens de l’art. 14A al. 1 RPAC et a constaté qu’un tiers ne peut être qu’une personne non membre de l’administration (ATA/1040/2016 précité consid. 8).

Dans un autre cas, la procédure initiée par le service du médecin cantonal et a été considérée comme initiée par l’État (ATA/1335/2018 du 11 décembre 2018).

Dans le cadre d’une demande de prise en charge – fondée sur l’art. 9A al. 1 du règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 (RGPPol – F 1 05.07), soit une disposition pour ainsi dire identique à l’art. 14A al. 1 RPAC – la chambre de céans a rappelé que si le remboursement des frais de défense pénale se justifie en cas d’enquête pénale diligentée à la suite d’une plainte, tel n’est pas le cas lorsque la justice intervient d’office. La procédure pénale n’avait pas été initiée par un tiers, soit une personne extérieure à l’administration, mais par un organe de l’État, en l’occurrence la police. En l’absence d’une dénonciation déposée par un tiers intéressé à exercer une quelconque pression sur le recourant, son employeur n’avait pas à le protéger contre une attaque injustifiée venant de l’extérieur de l’État (ATA/417/2022 du 26 avril 2022 consid. 4c et les références citées).

2.5 En l’espèce, la procédure pénale dans laquelle le recourant est poursuivi en qualité de prévenu a été ouverte à la suite de la dénonciation du département.

Le recourant fait valoir que la dénonciation est formée contre inconnu et ne le vise pas expressément. Cette circonstance ne lui est d’aucun secours. Le droit pénal appréhende en effet des comportements répréhensibles. Le Ministère public s’est saisi des agissements que le département lui a dénoncé, et qui lui avaient été rapportés par certains collaborateurs, dans des termes assez généraux mais suffisamment précis pour faire suspecter la commission d’infractions. Il ressort de la dénonciation que le département n’était pas en mesure de pointer des responsabilités individuelles. Il n’en demeure pas moins que c’est dans le cadre de la procédure ouverte sur la base de cette dénonciation que le recourant a par la suite été mis en cause et que les agissements dénoncés lui ont été imputés.

Le dépôt ultérieur d’une plainte par R______ portant sur le même complexe d’agissements ne change rien aux considérations qui précèdent. La procédure dont cette plainte a provoqué l’ouverture a d’ailleurs été jointe à la procédure ouverte à la suite de la dénonciation du département, lequel reste l’initiateur de la procédure.

La solution ne serait pas différente si le département avait déposé plainte après un tiers pour les mêmes agissements. En telle hypothèse, en effet, il ferait valoir son intérêt à protéger l’État des agissements dénoncés et renoncerait par là même à son intérêt à protéger l’employé qui serait par hypothèse incriminé contre des pressions externes susceptibles d’entraver l’action ou le fonctionnement de l’État (ATA/417/2022 précité).

Le département était ainsi fondé à considérer que la procédure visant le recourant avait été initiée par l’État et non par un tiers au sens de l’art. 14A al. 1 let. c RPAC, et c’est de manière conforme au droit qu’il a refusé de prendre en charge les frais de procédure et les honoraires d’avocat du recourant.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 octobre 2023 par A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 21 septembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert ASSAËL, avocat du recourant, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :