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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/327/2024

ATA/400/2024 du 19.03.2024 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/327/2024-FORMA ATA/400/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 mars 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Gandy DESPINASSE, avocat

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES intimé



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 2003, a obtenu un CFC d’employée de commerce en juin 2023.

b. Elle suit une formation visant l’obtention d’une maturité professionnelle.

c. Ses demandes de prestations du service des bourses et prêts d’études (ci-après : SBPE) ont été refusées pour l’année scolaire 2019-2020 en raison des revenus de sa mère et pour celle de 2021-2022 car il manquait des pièces.

d. La demande de prestations au SBPE formée en novembre 2022 pour l’année scolaire 2022-2023 a été rejetée le 20 mars 2023, car l’étudiante, titulaire d’un permis B extra-européen, n’avait pas encore cinq ans de domicile en Suisse. La décision serait toutefois révisée, si la preuve contraire était apportée.

e. À la suite de la réception de documents démontrant le domicile en Suisse de l’intéressée depuis plus de cinq ans, le SBPE l’a informée, par courriel du 4 avril 2023, que le droit à une bourse allait être recalculé.

f. Le même jour, le SBPE lui a adressé un courrier sollicitant la production de pièces, un délai de deux mois dès réception étant imparti à la jeune femme pour y donner suite.

g. À la suite de l’envoi par A______ par courriel le 22 mai 2023 de documents, le SBPE lui a répondu qu’elle devait envoyer ces pièces par voie postale. Il l’a également invitée à vérifier que l’intégralité des pièces requises soient produites.

h. Le 1er juin 2023, l’étudiante, en pleins examens, a requis une prolongation du délai, accordé par courriel du 6 juin 2023 pour deux mois.

i. Le 8 août 2023, un avocat constitué pour l’étudiante s’est enquis de l’avancement du dossier, auquel le SBPE a répondu le lendemain. Ce dernier courrier expose la chronologie du dossier et termine par le phrase « À ce jour, l’ensemble des documents demandés doivent encore être fournis par courrier postal ».

j. Le 17 octobre 2023, le conseil de l’intéressée a transmis les pièces manquantes.

k. Par décision du 30 octobre 2023, le SBPE a refusé ses prestations, les pièces n’ayant pas été fournies dans le délai imparti.

l. Le 11 décembre 2023, le service, statuant sur réclamation, a maintenu sa position.

B. a. Par acte expédié le 30 janvier 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Elle a conclu à ce que le SBPE instruise sa demande.

Il lui était reproché de ne pas avoir adressé les pièces requises sous format papier. Ce reproche relevait d’un formalisme excessif, dès lors que le service en question communiquait lui-même avec elle par courriel. Par ailleurs, son droit d’être entendue avait été violé, le SBPE ne lui ayant pas donné l’occasion de s’exprimer avant de rendre sa décision.

La décision violait les principes de la bonne foi et de la proportionnalité. Le service avait indiqué dans son courrier du 9 août 2023 que l’ensemble des pièces devait encore être produit par courrier postal. Aucun délai n’ayant été imparti, elle pouvait de bonne foi partir de l’idée qu’il ne serait pas statué avant qu’elle produise lesdites pièces.

b. Le SBPE a conclu au rejet du recours.

Le courrier de l’avocat avait été reçu par le service le 8 août 2023, soit après le délai de deux mois imparti dans le courriel du 6 juin 2023. Le courrier du 9 août 2023 du SBPE mentionnait clairement la date d’échéance. Par ailleurs, le dossier n’était complet qu’en octobre 2023, de sorte que les prestations ne pouvaient plus être accordées pour l’année d’études terminée. Enfin, il n’était pas nécessaire d’entendre une personne avant de statuer sur son opposition.

c. Dans sa réplique, la recourante s’est offusquée du fait que le SBPE lui refusait le droit aux prestations au nouveau motif que l’année scolaire à laquelle elles se rapportaient était terminée. Ce raisonnement aurait pour conséquence que les bénéficiaires des prestations pourraient se voir refuser l’accès à celles-ci si le SBPE prenait du retard dans le traitement des demandes, ce qui n’était pas justifiable et ne répondait à aucune exigence légale.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante se plaint du refus de prestations au motif qu’elle avait produit tardivement les pièces requises, invoquant les principes de la bonne foi, de l’interdiction du formalisme excessif et de l’arbitraire.

2.1 La jurisprudence a tiré de l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et de l’obligation d’agir de bonne foi à l’égard des justiciables (art. 5 et 9 Cst.) le principe de l’interdiction du déni de justice formel, qui comprend la prohibition de tout formalisme excessif.

L'excès de formalisme peut résider soit dans la règle de comportement imposée au justiciable, soit dans la sanction qui lui est attachée (ATF 132 I 249 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_382/2015 du 21 mai 2015 consid. 5.1 ; ATA/49/2017 du 24 janvier 2017). Ainsi en va-t-il lorsque la violation d’une règle de forme de peu d’importance entraîne une sanction grave et disproportionnée, telle par exemple une décision d’irrecevabilité (ATF 133 V 402 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_328/2014 du 8 mai 2014 consid. 4.1).

2.2 Le principe de la bonne foi consacré aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale et leur commande de s'abstenir, dans leurs relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1).

2.3 Le principe de la confiance s'applique aux procédures administratives. Selon ce principe, les comportements de l'administration doivent être compris dans le sens que son destinataire pouvait et devait leur attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l'ensemble des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (ATF 135 III 410 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2004 du 14 octobre 2004 consid. 2.2.1 ; ATA/1031/2020 du 13octobre 2020 consid. 4a et les références citées). L'interprétation objectivée selon le principe de la confiance sera celle d'une personne loyale et raisonnable (ATF 116 II 431 consid. 3a ; ATA/399/2019 du 9 avril 2019 consid. 2).

2.4 En l’espèce, l’autorité intimée fait valoir que le courrier de l’avocat du vendredi 4 août 2023, reçu le mardi 8 août 2023 était tardif, comme l’était la production des pièces requises en octobre 2023.

Or, le délai imparti au 6 août 2023 tombait un dimanche. Ainsi, il a été reporté au lundi 7 août 2023, d’une part. D’autre part, le délai tombait pendant les suspensions de délais estivales, qui couraient du 15 juillet au 15 août 2023 (art. 63 al. 1 let. c LPA). Par ailleurs, dans son courrier du 9 août 2023, le SBPE n’a nullement retenu que le délai imparti n’avait pas été respecté. Il a, au contraire, indiqué que les pièces manquantes devaient encore être fournies par courrier postal. Au vu du contenu de ce courrier, la recourante et son avocat pouvaient, de bonne foi, partir de l’idée qu’il appartenait encore à l’intéressée de produire les pièces requises par voie postale.

Reste à déterminer si la production desdites pièces deux mois après cet échange épistolaire doit être considérée comme tardive. Certes, l’intéressée avait un devoir de collaboration (art. 21 LBPE). Toutefois, aucun délai ne lui a été fixé par le SBPE dans son courrier du 9 août 2023 pour produire les pièces par voie postale. En outre, la recourante a produit les pièces deux mois plus tard, laps de temps qui lui avait initialement été imparti et qui avait également été celui accordé à la suite de sa demande de prolongation de délai. Dans ces circonstances, le refus de prestations au seul motif de la tardiveté de la production des pièces sollicitées par voie postale se heurte aux principes de la bonne foi et de l’interdiction du formalisme excessif.

En tant que l’autorité invoque le fait que la décision d’octroi de prestations ne pouvait plus être rendue après la fin de l’année scolaire à laquelle elles se rapportaient, son raisonnement ne trouve aucune assise dans la loi. Comme le relève à juste titre la recourante, une telle manière de procéder ferait supporter aux administrés les éventuelles lenteurs du SBPE, qui ne sauraient leur être imputables.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision annulée et le dossier renvoyé au SBPE afin qu’il examine la demande de bourse formée par la recourante.

3.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu. La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de procédure de CHF 800.- lui sera allouée (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2024 par A______ contre la décision du service des bourses et des prêts d'études du 11 décembre 2023 ;

au fond :

l’admet et annule la décision précitée ;

renvoie la cause au service des bourses et des prêts pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu’aucun émolument n’est perçu ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 800.- à A______ à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gandy DESPINASSE, avocat de la recourante, ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :