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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/888/2021

ATA/573/2021 du 01.06.2021 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/888/2021-FPUBL ATA/573/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er juin 2021

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été engagé à l'État de Genève en qualité de policier le ______ 2013.

2) Par arrêt de la chambre pénale d'appel et de révision (ci-après : CPAR) du 20 août 2020, M. A______ a été condamné pour violation du secret de fonction. Son recours a été rejeté par le Tribunal fédéral le 15 décembre 2020 (arrêt 6B_1110/2020).

3) Parallèlement à la procédure pénale, M. A______ a fait l'objet d'une procédure visant ses rapports avec un gérant de salon de massage. Il a été entendu par l'inspection générale des services (ci-après : IGS), laquelle a rendu un rapport à l'intention du Ministère public le 18 mars 2020.

L'intéressé avait, notamment, depuis son téléphone professionnel, par la messagerie whatsapp, écrit des messages déplacés à caractère sexuel, transmis à un tiers ainsi qu'à des collègues des images pornographiques, des messages menaçants à l'encontre de tiers, reçu et diffusé des images de vidéosurveillance prises à l'insu des travailleuses du sexe, dégainé son arme de service dans les locaux gérés par le tiers, tenant son arme d'une main au-dessus de sa tête en l'agitant alors qu'il était filmé par le système de vidéosurveillance et avait transmis ces séquences sur un groupe de messagerie whatsapp.

La description complète des faits prend plusieurs pages du rapport en question avec mention des dates précises.

4) Le 5 novembre 2020, M. A______ a trouvé, dans sa case au poste de ______, un courrier du 29 octobre 2020 du conseiller d'État en charge du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé, devenu depuis lors le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le DSPS ou le département). Celui-ci indiquait avoir pris connaissance du rapport de l'IGS et de l'arrêt de la CPAR et le libérait avec effet immédiat de son obligation de travailler.

5) Par courrier du 10 novembre 2020, vingt collègues de M. A______ ont
co-signé une lettre faisant part de leur stupéfaction quant à cette mise à l'écart soudaine et de la façon dont leur collègue avait pris connaissance de sa suspension.

6) Le 17 novembre 2020, le conseil de M. A______ a relevé que le traitement qui lui avait été réservé avait eu un fort impact psychologique sur lui.

7) Par courrier du 8 janvier 2021, le conseiller d'État a reconnu que le dépôt de la décision dans la case du policier ne répondait effectivement pas au protocole prévu. Il découlait d'une malencontreuse erreur.

8) Par arrêté du 4 février 2021, le Conseil d'État a confirmé la libération de M. A______ de son obligation de travailler à compter du 29 octobre 2020, sans suppression des prestations à la charge de l'État.

L'employeur envisageait de résilier les rapports de service en raison d'une rupture du lien de confiance. Il n'était pas souhaitable, en l'état de la procédure pénale et des faits connus du département que l'intéressé continue son activité au sein du corps de police, dès lors que les manquements reprochés, lesquels revêtaient un haut degré de gravité, étaient de nature à compromettre, d'une part, la confiance et l'autorité qu'impliquait l'exercice de la fonction et, d'autre part, la bonne marche du service. Afin de sauvegarder ses intérêts, l'employeur se devait de maintenir M. A______ éloigné de son lieu de travail jusqu'à ce qu'une éventuelle décision soit prise à son égard.

9) Par acte du 8 mars 2021, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté précité. Il a conclu à son annulation et à ce qu'il soit dit qu'il était tenu de se présenter à son lieu de travail dès réception de l'arrêt de la chambre de céans. Subsidiairement, une violation du principe de célérité devait être constatée. Préalablement, il devait être ordonné à l'autorité intimée de produire l'intégralité de son dossier et deux pièces, détaillées. Une audience de comparution personnelle devait être ordonnée. Des conclusions en restitution de l'effet suspensif étaient prises.

Le recours était recevable, la décision querellée causant au recourant un préjudice irréparable, en raison de l'impact, médicalement attesté, sur sa santé et sur celle de son épouse. Le recourant contestait par ailleurs que l'autorité intimée puisse détourner les garanties de la procédure disciplinaire par le choix artificiel de la voie de la résiliation des rapports de service, étant précisé que l'action disciplinaire serait prescrite.

Son droit d'être entendu avait été violé, le dossier lui ayant été initialement transmis étant gravement lacunaire et les demandes subséquentes d'un dossier complet étant restées lettre morte. Par ailleurs, il appartenait à l'autorité intimée d'ordonner l'ouverture d'une enquête administrative, permettant au recourant d'être entendu oralement par un enquêteur tiers et de proposer ses propres moyens de preuve. L'autorité ne pouvait « court-circuiter l'édifice disciplinaire prévu par le législateur et les garanties qui y étaient rattachées en prétextant une rupture du lien de confiance, lui permettant de se limiter à un unique entretien de service ». Il en découlerait une violation de l'égalité de traitement, le recourant étant moins bien traité que d'autres agents de l'État. La chambre de céans devait par ailleurs constater que la procédure disciplinaire, qui devait être mise en oeuvre, était prescrite.

L'autorité intimée justifiait la libération de l'obligation de travailler décidée par mesures provisionnelles par la prétendue nécessité de « sauvegarder ses intérêts » et « assurer la bonne marche du service ». Elle ne développait toutefois pas en quoi le retour du recourant à son poste de travail prétériterait l'un ou l'autre. Les faits dataient de plus de quatre ans, période durant laquelle le recourant avait continué à être employé et à effectuer sa mission à la pleine et entière satisfaction tant de sa hiérarchie que des administrés. Par ailleurs, la décision, vu l'ancienneté des faits, était disproportionnée. Enfin, le temps mis à prononcer la décision querellée, depuis le 29 octobre 2020, impliquait que la condition de l'urgence requise par l'art. 21 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10) n'était pas donnée. La libération de l'obligation de travailler devait être annulée et le recourant enjoint à réintégrer son poste dès le prononcé de l'arrêt.

La découverte du courrier du 29 octobre 2020, entreposé dans sa case, l'avait très fortement « impacté » sur le plan psychologique. Il était depuis lors dans l'incapacité totale de travailler. La situation avait également « impacté » son épouse. Il produisait des certificats médicaux, notamment de la Doctoresse B_____, spécialiste FMH en psychiatrie, du 18 novembre 2020, attestant que M. A______ l'avait consultée pour un état de choc émotionnel résultant de l'annonce inattendue de la suspension de son activité professionnelle.

Selon le certificat médical du Docteur C______ du 7 janvier 2021, l'épouse du recourant était enceinte de vingt-deux semaines. Le terme prévu était le 12 mai 2021. Elle présentait un « état de stress, des contractions prématurées et d'insomnie importants », justifiant qu'il l'adresse immédiatement à un psychiatre.

La Dresse B______ a attesté, le 8 janvier 2021, d'un état anxieux de l'épouse de M. A______ qui vivait mal sa grossesse depuis novembre 2020 à la suite de la suspension de l'activité professionnelle de son mari. Elle présentait un état de stress émotionnel qui générait de la peur, de l'irritabilité, des angoisses du quotidien et des sautes d'humeur dues aux événements angoissants. Il y avait un risque de complications de la grossesse, tels qu'un accouchement prématuré ou un retard de croissance du bébé.

10) Le département a conclu à l'irrecevabilité de la requête en restitution de l'effet suspensif, subsidiairement à son rejet.

11) Par réplique sur effet suspensif, le recourant a persisté dans ses conclusions.

12) Le département a conclu, au fond, à l'irrecevabilité du recours.

13) Dans sa réplique au fond, le recourant a persisté dans ses conclusions.

14) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) La question de la recevabilité du recours doit être tranchée en premier lieu, les griefs du recourant - qu'ils soient de forme ou de fond, à l'exception éventuelle d'un constat de nullité non plaidé en l'espèce - ne pouvant être traités que si le recours est recevable.

2) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b et 17 al. 3 LPA).

3) a. Selon l'art. 57 let. c LPA in initio, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduisait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 432 n. 1265). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1).

c. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57
let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités). Cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive (Stéphane GRODECKI/ Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss). Elle a néanmoins été confirmée par le Tribunal fédéral
(arrêt 2C_1156/2018 consid. 4.3).

d. Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

4) a. En l'espèce, le recourant a été libéré de son obligation de travailler mais a conservé son salaire.

Selon la jurisprudence de la chambre de céans, le fait que le membre du personnel conserve son traitement pendant sa libération de l'obligation de travailler exclut une quelconque atteinte à ses intérêts économiques (ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 4 ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 4).

S'agissant de l'atteinte à la réputation et à l'avenir professionnel, une décision de libération de l'obligation de travailler n'est en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable puisqu'une décision finale entièrement favorable au recourant permettrait de la réparer (ATA/184/2020 précité consid. 4 ; ATA/1020/2018 du 2 octobre 2018 consid. 4b ; ATA/231/2017 précité consid. 5).

Quant aux raisons médicales alléguées, si certes l'état de santé du recourant et de son épouse, enceinte pour le terme du 12 mai 2021, ont pu être touchés par la décision querellée et par la façon dont elle a été notifiée, aucun des membres de la famille ne subit de préjudice irréparable du fait que le recourant ne puisse reprendre son activité, tout en conservant son traitement.

Le recourant conclut d'ailleurs à pouvoir reprendre son activité professionnelle, preuve de l'absence de gravité de l'atteinte à sa santé.

b. Le recourant soutient qu'il appartiendrait à l'autorité intimée d'entamer une procédure disciplinaire, que celle-ci serait prescrite et qu'en conséquence, une décision finale sur ce point permettrait d'éviter une procédure longue et coûteuse.

Lorsque l'autorité choisit la voie du licenciement ordinaire et non de la révocation disciplinaire, l'employé ne peut se plaindre d'une violation de son droit d'être entendu sur ce choix dans la mesure où le congé ordinaire a un impact moindre que la révocation disciplinaire, laquelle revêt l'aspect d'une peine et a un caractère infamant (arrêt du Tribunal fédéral 8C_244/2014 du 17 mars 2015 ; ATA/791/2020 du 25 août 2020 consid. 5a).

Même après avoir ordonné une enquête administrative, servant à établir les faits et le cas échéant l'existence d'un comportement fautif, l'autorité reste libre, moyennant le respect du droit d'être entendu, de décider de renoncer à la voie disciplinaire et de recourir au prononcé d'un simple licenciement si elle estime que les faits constatés ne sont pas d'une gravité de nature à justifier un renvoi par le biais de la révocation, mais rendent néanmoins inacceptable une continuation des rapports de service (arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2011 du 19 septembre 2012 consid. 7.2). L'employeur jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour juger si les manquements d'un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l'administration, et ce dans le respect des principes constitutionnels, notamment celui de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_15/2019 du 3 août 2020 consid. 7.2 et les arrêts cités ; ATA/421/2021 du 20 avril 2021 consid. 3d).

En l'espèce, la seule évocation, dans la décision, d'un possible licenciement, sans mention d'une procédure disciplinaire, ne fait pas l'objet du présent litige, s'agissant, en l'état, d'une simple hypothèse. L'admission du recours ne peut dès lors pas conduire à une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Le recourant soutient que ce procédé relèverait d'une fraude à la loi et violerait le principe de l'égalité de traitement. L'objet du litige portant uniquement sur une décision de suspension de l'obligation de travailler, l'analyse de ces griefs devra être faite, le cas échéant, avec l'éventuelle contestation de la décision finale.

En conséquence, les conditions de recevabilité d'un recours contre une décision incidente au sens de l'art. 57 let. c LPA ne sont pas remplies.

5) Le présent arrêt rend sans objet la requête de restitution d'effet suspensif.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté 8 mars 2021 par Monsieur A______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 24 février 2021 ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 800.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Michel, Mmes Payot
Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :