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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/382/2021

ATA/460/2021 du 27.04.2021 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/382/2021-EXPLOI ATA/460/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 avril 2021

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Hüsnü Yilmaz, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



EN FAIT

1) Madame A______ est propriétaire de l'établissement à l'enseigne « B______ », dont Monsieur C______ est exploitant.

2) Selon le rapport de police établi le 13 janvier 2021, le même jour à 16h30, deux personnes consommaient une bière sur la terrasse de l'établissement et ne portaient pas le masque de protection. Par ailleurs, un cendrier était mis à disposition des clients. Ces faits contrevenaient aux mesures ordonnées par le Conseil d'État.

3) Invité par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) à se déterminer au sujet de ces constats, qui, notamment du fait que l'établissement était ouvert et avait servi des clients, pouvaient donner lieu à une décision de fermeture de l'établissement, ni Mme A______ ni M. C______ ne se sont manifestés dans le délai imparti.

4) Par décision du 29 janvier 2021, notifiée le 2 février 2021, le PCTN a ordonné la fermeture immédiate de l'établissement « pour une durée de 28 jours supplémentaires à compter du 1er mars 2021, soit jusqu'au 28 mars inclus ».

Le fait d'avoir toléré qu'un client consomme sans être assis à table et de ne pas respecter l'obligation de fermeture ordonnée par le Conseil d'État contrevenait aux arrêtés du Conseil d'État relatifs aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19, notamment l'arrêté du 7 décembre 2020 du Conseil d'État et ses versions précédentes. Le non-respect de ces mesures favorisait activement la circulation du virus de Covid-19 et constituait un trouble grave à la santé publique. La fermeture immédiate de l'établissement était donc prononcée.

À la suite de la modification du 13 janvier 2021 de l'ordonnance du Conseil fédéral sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 en situation particulière du 19 juin 2020 et de l'arrêté du Conseil d'État du 20 janvier 2021 modifiant l'arrêté du 1er novembre 2020 d'application des mesures fédérales destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 en situation particulière, l'exploitation des restaurants était interdite jusqu'au 28 février 2021.

La fermeture immédiate de l'établissement était donc prononcée pour vingt-huit jours supplémentaires à compter du 1er mars 2021, soit jusqu'au 28 mars 2021.

5) Par acte expédié le 3 février 2021 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), Mme A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l'annulation.

Le 20 décembre 2020, elle avait appelé la police au numéro 117 pour savoir si son restaurant kebab pouvait rester ouvert. La police lui avait conseillé d'appeler « la ligne verte », ce qu'elle avait fait. Celle-ci lui avait dit que son établissement pouvait rester ouvert. Elle avait repris contact avec la police municipale de Carouge, qui le lui avait également confirmé. Cette dernière avait passé le 21 décembre 2020 au restaurant entre 9h00 et 9h30 et avait validé les horaires d'ouverture.

Les clients étaient servis à l'emporter et certains consommaient leur boisson en attendant la commande, sous l'abri du bâtiment car il pleuvait. Elle ignorait que cela était interdit. Elle avait fait le nécessaire pour que cela ne se reproduise pas. Avec les changements de lois et arrêtés, il était parfois difficile de rester informée de tous les points à respecter.

6) Le 16 février 2021, le PCTN, qui avait reçu un courrier au contenu similaire de l'exploitant et traité celui-ci comme une demande de reconsidération, a déclaré cette dernière irrecevable.

7) Le 18 février 2021, le PCTN a délivré à Mme A______ une nouvelle autorisation d'exploiter l'établissement, qui porte désormais le nom « D______ », dont le propriétaire est E______ Sàrl, Mme A______ en étant l'associée gérante.

8) Le PCTN a conclu au rejet du recours formé devant la chambre administrative.

Il appartenait à l'exploitante de veiller au respect des mesures sanitaires. Le non-respect de celles-ci constituait un trouble grave à l'ordre public, dès lors qu'il favorisait la propagation du virus de Covid-19. La décision était donc fondée.

9) Le 15 mars 2021, la recourante a requis la restitution de l'effet suspensif, requête à laquelle le PCTN s'est opposé.

10) Dans sa réplique, la recourante a relevé que la décision attaquée était devenue sans objet, dès lors que la fermeture ordonnée avait pris fin le 28 mars 2021. La mesure avait été impossible à exécuter compte tenu de la prolongation de la fermeture des établissements publics au mois de mars 2021. Elle n'avait pas violé l'obligation de fermeture. Il lui était reproché que deux clients ayant acheté une boisson la consommaient à l'extérieur. Or, elle n'avait pas autorisé la consommation à l'extérieur, ni mis de cendriers à disposition des clients. Celui qui s'y trouvait était destiné aux employés.

La durée de la fermeture était disproportionnée. Le prétendu risque créé n'était pas démontré. Elle concluait donc à l'annulation de la décision, subsidiairement à une réduction de la durée de la fermeture à deux jours.

11) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger tant sur effet suspensif que sur le fond.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Bien que la durée de la fermeture ordonnée ait pris fin le 28 mars 2021 - ce qui rend sans objet la requête d'effet suspensif -, la recourante conserve un intérêt actuel à ce que le bienfondé de la décision soit examiné, dès lors que la situation pourrait se reproduire dans des circonstances semblables, d'une part, et que la sanction prononcée à son encontre pourrait, en cas d'inobservation d'autres prescriptions, être prise en compte à titre d'antécédent, d'autre part (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; ATA/340/2021 du 23 mars 2021 consid. 1).

3) La recourante soutient que son établissement était fermé et que le cendrier se trouvant sur une table à l'extérieur de celui-ci était réservé à ses employés.

a. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/67/2021 du 19 janvier 2021 consid. 2b ; ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées).

b. En l'espèce, le rapport de police fait le constat que deux clients consommaient une bière sur la terrasse de l'établissement, ne portaient pas le masque de protection et qu'un cendrier leur était mis à disposition. La recourante n'avance aucun élément permettant de mettre en doute le constat effectué dans le rapport de police, établi pas des agents assermentés. Il n'y a donc pas lieu de s'en écarter.

4) La recourante conteste la qualification des infractions retenues à son encontre. Son établissement était fermé ; elle n'offrait que des consommations à emporter.

a. Selon l'art. 24 al. 1 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), l'exploitant doit veiller au maintien de l'ordre dans son établissement, qui comprend sa terrasse, et prendre toutes les mesures utiles à cette fin. Les manquements graves de l'exploitant sont opposables au propriétaire, en tant que responsable subsidiaire (art. 23 al. 3 LRDBHD).

b. Selon l'art. 11 al. 1 let. d de l'arrêté du 7 décembre 2020 du Conseil d'État modifiant l'arrêté, du 1er novembre 2020, d'application de l'ordonnance fédérale sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 en situation particulière du 19 juin 2020 et sur les mesures de protection de la population, dans sa version applicable au moment des faits, les installations et établissements offrant des consommations, les boissons et/ou la restauration étaient fermés. Faisaient exception à l'obligation de fermeture, « entre 6h00 et 23h00, les établissements qui proposent de la nourriture et des boissons à l'emporter ou qui livrent des repas à domicile » (art. 11 al. 2 let. a de l'arrêté).

c. Dès lors que la loi impose clairement à l'exploitant l'obligation de veiller à l'observation des règles applicables à l'exploitation de son établissement, il incombait à la recourante, qui avait délégué cette tâche à l'exploitant, de prendre les mesures nécessaires à cet égard. Elle devait, en particulier, veiller à ce que les mesures sanitaires soient respectées, soit en agissant personnellement, soit en rappelant à l'exploitant ses obligations, soit encore en instruisant son personnel de manière adéquate et suffisante pour que leur observation soit assurée. L'arrêté du Conseil d'État précité rappelait clairement que la responsabilité de l'observation des règles sanitaires incombait à l'exploitant.

Il convient de relever que le port du masque à l'extérieur des établissements n'était, au moment des faits, plus exigé dès lors que la fermeture de ceux-ci avait été prononcée. Certes, le fait que deux personnes aient utilisé la terrasse de l'établissement pour boire leur bière achetée auprès de celui-ci en attendant leur commande de nourriture à l'emporter n'est pas comparable à la situation où le restaurant aurait accueilli sa clientèle et l'aurait servie comme si l'établissement était ouvert. Il n'en demeure pas moins que la recourante a toléré que des clients utilisent sa terrasse pour y consommer une boisson et fumer. En ne prenant pas les mesures nécessaires pour s'assurer que tel ne soit pas le cas, la recourante a failli à ses obligations. Le prononcé d'une sanction était donc justifié en son principe.

5) Il convient encore d'examiner la quotité de la sanction, que la recourante estime disproportionnée.

a. Selon l'art. 62 al. 1 LRDBHD, si les circonstances le justifient, un commissaire de police procède à la fermeture immédiate, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de dix jours, de toute entreprise dans laquelle survient une perturbation grave et flagrante de l'ordre public, notamment en matière de tranquillité, santé, sécurité et moralité publiques. La police fait rapport sans délai au département ainsi qu'à l'autorité compétente, si l'un des domaines visés à l'art. 1 al. 4 LRDBHD est concerné. Le département examine s'il y a lieu de prolonger la mesure, en application de l'al. 2.

Aux termes de l'art. 62 al. 2 LRDBHD, le département peut procéder à la fermeture, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de quatre mois, de toute entreprise dont l'exploitation perturbe ou menace gravement l'ordre public, notamment en matière de tranquillité, santé, sécurité et moralité publiques.

b. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

6) a. En l'espèce, les faits reprochés à la recourante concernent l'inobservation de l'obligation de fermeture des établissements publics. Le non-respect de cette règle est susceptible de favoriser la propagation du virus de Covid-19 et est ainsi constitutif d'un grave trouble à la santé publique au sens de l'art. 62 al. 2 LRDBHD.

La loi autorise d'ordonner dans ce cas une fermeture d'une durée maximale de quatre mois.

b. Il ressort de la motivation de la décision attaquée que la fermeture de l'établissement a pris effet immédiatement, soit lors de sa notification le 2 février 2021, pour une durée allant jusqu'à vingt-huit jours après la réouverture des restaurants, qui était alors prévue le 1er mars 2021. Ainsi, la durée totale de la fermeture était de huit semaines, dont quatre semaines devaient concerner une période de réouverture (prévue) des restaurants.

Dans la fixation de la durée de la mesure de fermeture, il convient de tenir compte du fait qu'à teneur du dossier, la recourante ne présente pas d'antécédents en sa qualité de propriétaire d'un établissement public et que les faits retenus sont d'avoir toléré que deux clients buvaient une bière et fumaient sur sa terrasse.

Dans un cas récent (ATA/284/2021 du 2 mars 2021 consid. 4d), la durée de fermeture prononcée en raison de l'inobservation des règles sanitaires a été fixée à cinq semaines. Le restaurateur avait accueilli, au minimum à cinq reprises, des clients au nombre de cinq ou six dans son établissement, malgré la fermeture des restaurants. Il n'avait pas mis à disposition de sa clientèle de gel hydro-alcoolique, n'avait pas fait respecter les distances de sécurité dans son établissement ni l'obligation de porter le masque d'hygiène.

Dans un autre arrêt (ATA/340/2021 précité consid. 5c), la durée de la fermeture en raison de l'inobservation des règles sanitaires consistant à avoir dépassé, pour une table, le nombre de personnes alors autorisées à une table et à avoir toléré une distance insuffisante entre certaines tables a été fixée à deux semaines.

En l'espèce, les faits reprochés sont nettement moins graves que ceux du premier exemple cité ci-dessus et moins graves que ceux du second exemple. L'infraction ne concerne que deux personnes, qui consommaient à l'extérieur de l'établissement leur boisson en attendant que leur repas à l'emporter leur soit remis. L'infraction se rapporte toutefois également à un trouble grave à la santé publique, dès lors qu'elle favorise la propagation du virus de Covid-19.

Compte tenu de l'ensemble des circonstances, de la gravité des faits, de la faute de la recourante, de l'absence d'antécédents ainsi que du contexte de crise et de mesures sanitaires ayant frappé tous les restaurateurs, la durée de la fermeture ordonnée par la décision attaquée apparaît disproportionnée et sera, dès lors, ramenée à une semaine.

c. En principe, la mesure prononcée ne saurait être exécutée durant les périodes de fermeture générale, sous peine d'être privée de tout ou partie de son efficience et de consacrer ainsi une inégalité de traitement avec les restaurateurs respectant la loi (ATA/340/2021 précité consid. 5c ; ATA/284/2021 précité consid. 4d).

Telle que fixée dans la décision attaquée en l'espèce, la mesure a désormais pris fin. Dès lors que la chambre de céans, liée par le principe de l'interdiction de la reformatio in pejus, (ATA/652/2015 du 23 juin 2015 consid. 11c ; ATA/285/2013 consid. 16 et la jurisprudence citée), ne peut péjorer la situation de la recourante, elle annulera donc la décision uniquement en ce qui concerne la durée de la mesure et non son exécution, qui ne sera ainsi pas reportée au moment où les établissements publics seront autorisés à rouvrir (complètement) leurs portes.

En conclusion, le recours sera partiellement admis et la décision attaquée modifiée en ce que la durée de la fermeture sera ramenée à une semaine.

7) La recourante obtenant gain de cause dans une large mesure, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA), et elle se verra allouer une indemnité de procédure de CHF 300.-, ayant recouru, pour la requête de restitution d'effet suspensif et la réplique, aux services d'un avocat (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 février 2021 par Madame A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 29 janvier 2021 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision du 29 janvier 2021 uniquement en tant que la durée de la fermeture de l'établissement à l'enseigne « D______ » est ramenée à une semaine ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 300.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Hüsnü Yilmaz, avocat de la recourante, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :